Enseignant et chercheur au Laboratoire de Recherche en Nouvelles Technologies de l’Information de l’Universidad Nacional de La Plata (UNLP), Diego Vilches Antão conseille différents staffs, secrétariats techniques et dirigeants de football, hockey et rugby.
Il nous propose un éclairage sur son parcours et sur sa vision de l’utilisation de la technologie dans le sport.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Que représente football pour vous, bien qu’en Argentine il est très souvent la chose la plus importante des moins importantes pour paraphraser Marcelo Bielsa ?
J’ai commencé le football dès le plus jeune âge, puisque j’ai appris à marcher avec un ballon. Quand on est enfant en Argentine, ton premier cadeau est très souvent un ballon, parce que tu peux y jouer tout petit comme plus grand que tu sois seul ou avec des copains. Le ballon est un objet incroyable pour nouer des relations, puisque j’ai passé une partie de mon enfance près de Dijon et quand je suis revenu en Argentine, savoir jouer au ballon m’a beaucoup aidé pour tisser des liens à école.
Quand on allait faire du sport à l’école, savoir bien jouer au football m’a permis que les gamins de mon âge me prennent sous leur aile, en m’invitant dans les clubs sportifs comme ceux de Villa Elisa (DIVE et Curuzú Cuatia), près de chez moi ou pour m’éviter de me faire frapper par les plus grands. C’était la même chose quand j’ai commencé à travailler, où pouvoir jouer au football avec les collègues facilite l’intégration et favorise en partie l’évolution professionnelle.
Le football c’est vraiment très spécial pour moi, ce n’est pas seulement jouer dans un club, c’est bien plus que cela, il m’a aidé dans ma vie, notamment quand j’ai joué en France à l’ASPTT Dijon pour m’intégrer dans un groupe. D’ailleurs j’y ai vécu de belles aventures sur le terrain avec des très bons parcours en coupe de France et même un titre de champion, malgré une désillusion en demi-finales de coupe de Bourgogne. J’ai gardé beaucoup d’amis en Bourgogne parmi les joueurs, les parents ou les dirigeants. Pour tout cela, le football, c’est plus qu’un sport. Il m’a aidé dans la vie, dans mes relations, dans mon état d’esprit, dans la confiance en soi, dans la communication. Les gens qui jouent au football ou plus largement aux sports collectifs ont une manière différente de nouer des relations dans la vie.
L’étape française prend fin en même temps que votre carrière de footballeur et coïncide avec votre retour en Argentine. On imagine assez facilement votre désir de rester près du ballon. Pourquoi décidez-vous de vous diriger vers l’exploitation de datas appliquées au football ?
Moi je voulais jouer au football, mais le football m’a dit : Prends un autre chemin !
Depuis l’école primaire à Dijon, il y avait de la programmation informatique, j’ai donc toujours ou presque joué au football et fait de l’informatique. Après avoir arrêté de jouer, j’ai quitté le milieu pendant 4 ou 5 ans, mais j’ai rapidement compris que je pouvais revenir au football par l’informatique et par un métier moins en prise directe avec le terrain. Une fois mon diplôme d’informaticien en poche, j’ai commencé à travailler avec Rodrigo Barrios, préparateur physique en charge des GPS et de la quantification de la charge externe.
Il travaillait pour la sélection argentine, lors de la victoire de la Copa America 2021 avant de remporter la coupe du monde au Qatar en 2022 face à … La France. Dès 2015, j’ai commencé à faire des études sur comment les datas pourraient l’aider alors qu’il travaillait à Al Hilal, en Arabie Saoudite. Je suis originaire de La Plata, ville très universitaire, à 50 Km au sud-est de Buenos Aires, où foisonnent les étudiants en informatique d’où est originaire aussi Luis Martin, autre préparateur physique de la sélection albiceleste. J’y ai rencontré aussi, Juan Martín Tassi préparateur physique chez les jeunes du club Estudiantes de La Plata qui préparait son doctorat dans le même laboratoire que le mien, le Laboratoire de Recherche en Nouvelles Technologies de l’Information de l’Universidad Nacional de La Plata (UNLP). Il est actuellement, directeur du recrutement international pour les sélections nationales de jeunes en Argentine.
J’ai toujours eu la chance de connaître des gens très compétents et d’apprendre d’eux.
De mon point de vue, analyser les données dans le football, c’est aider les professionnels du terrain, entraîneur, adjoint, préparateur physique, ou entraîneur des gardiens à prendre les meilleures décisions possibles. En effet, les staffs reçoivent une grande quantité d’informations et doivent souvent prendre des décisions sous pression, je dois délivrer les informations pertinentes, fiables au bon moment. Par exemple, pendant la coupe du monde 2022 au Qatar, la FIFA fournissait beaucoup de données une heure après le match, notamment sur le tracking. La position de tous les joueurs sur le terrain était relevée 10 fois par seconde, soit plus de deux millions de positions différentes. Je délivrais une heure plus tard, une analyse fine de toutes ces positions accompagnées de celle du futur adversaire.
Ces informations étaient générées en croisant les données de tracking avec les données event. Cela nous permettait, par exemple, d’analyser les vitesses dans les transitions défense-attaque et attaque-défense, aussi bien pour notre équipe que pour les futurs adversaires, les changements d’orientation dans le jeu, les espaces entre les lignes et les interlignes (espaces entre les joueurs d’une même ligne et espaces entre les différentes lignes), etc.
Les métriques mises à disposition des staffs dans des délais courts sont monnaie courante au plus haut niveau, bien que la plus-value se situe davantage dans l’analyse qualitative des données. En quoi l’analyse de données liées aux distances parcourues par les joueurs ou encore le volume des courses à haute intensité, voire des accélérations permettait aux préparateurs physiques de réguler le travail athlétique dans le format de compétition d’une Coupe du monde où au-delà de la phase des poules c’est la grande inconnue ?
Je crois que la grande plus-value, c’était le gain de temps, devant une telle quantité d’information, sans l’aide de l’informatique c’est très difficile, notamment au moment de faire un historique ou des comparaisons. Sur les différents aspects, beaucoup de fournisseurs de données existent sur les GPS ou le tracking, mais Rodrigo Barrrios (staff argentin) souhaitait avoir une vision à 360° de la performance. Mon rôle était de compiler toutes les informations liées à la performance, sans empiéter sur les autres missions. Si un membre du staff et notamment un préparateur physique, voulait étudier la performance d’un joueur lors du dernier match avec des données athlétiques objectives et d’autres données plus subjectives, comme le niveau de fatigue, je croisais les informations pour permettre une évaluation plus holistique. Selon les conditions météorologiques, le scénario du match, certains joueurs sont plus performants à l’extérieur qu’à domicile, d’autres sont meilleurs quand l’équipe est menée et ces différences sont notables.
Tout le monde connaît le résultat de la finale de Coupe du monde 2022, pourtant la sélection argentine avait débuté la compétition de la pire des manières en s’inclinant face à l’Arabie Saoudite, condamnant l’équipe à un sans-faute obligatoire et un contexte émotionnel extrême. Personne ne souhaite perdre la première rencontre, pour autant, dans le travail athlétique existait-il une stratégie de montée en puissance notamment sur la deuxième phase éliminatoire qui s’est traduit dans les données ?
Je ne peux pas répondre à cette question, puisque je travaillais seulement avec Rodrigo Barrios. Néanmoins, avec la sélection de l’Équateur, je travaillais avec l’ensemble du staff technique du sélectionneur Gustavo Alfaro et notamment Alejandro Manograsso, un des premiers analystes argentins à travailler avec les datas. J’ai collaboré aussi avec eux, à la tête de la sélection du Costa Rica lors de la Copa America 2024. Actuellement en charge de la sélection du Paraguay dans la cadre des éliminatoires pour la Coupe du monde 2026, ils sont à la lutte avec l’Uruguay et le Brésil après des débuts compliqués.
Nous travaillons très bien ensemble, parce qu’ils étudient beaucoup les données et transmettent les informations aux joueurs de façon simple. C’est ici, que se trouve la véritable richesse pour permettre aux joueurs d’avancer.
Mon travail c’est de regrouper et transmettre de façon précise l’information au service des techniciens et des préparateurs physiques qui eux seuls vont choisir de l’utiliser. Transmettre trop d’informations aux joueurs, c’est faire du bruit, ils ont beaucoup de choses auxquelles penser, il faut être chirurgical dans le choix des informations. Les techniciens, les préparateurs physiques ou les analystes vidéo doivent beaucoup travailler, si je peux dire, hors des caméras, même si je ne commente pas les informations que je donne. Il faut reconnaître que certains sont très bons sur la communication sur les réseaux sociaux ou les chaines TV, mais c’est totalement différent que de travailler dans le football professionnel.
L’utilisation des datas est un outil pour évaluer la cohérence entre la façon dont l’équipe aimerait jouer et la manière dont l’équipe joue réellement, en évaluant différents critères qu’ils soient athlétiques, tactico-techniques avec la sélection argentine ou celle du Paraguay. En quoi, les idées sur le jeu des différents staffs et les conditions météorologiques très importantes en Amérique du Sud influencent votre travail ?
Je vais essayer de partir du générique pour aller vers le spécifique. Dans le cadre d’un travail qui dure dans le temps, c’est-à-dire sur deux ou trois ans, il est assez facile de voir si un joueur est un peu en dessous physiquement, ne serait-ce que de 3 ou 4 % et de créer des alertes. C’est d’autant plus important dans une compétition comme la Coupe du monde, où le joueur qui n’est pas bien physiquement, ne va rien dire, même s’il a une douleur, il voudra absolument jouer.
Par exemple, lors de la Copa America 2021, on a clairement identifié que la sélection d’Equateur encaissait des buts presque toujours de la même manière, à la suite d’une perte de balle dans des zones identifiées. D’ailleurs, Gustavo Alfaro a commenté en interviews, comment la réflexion menée avec Atenea Inteligencia Deportiva, a permis d’identifier les problèmes. Le staff a beaucoup travaillé pour corriger les erreurs récurrentes et terminer les éliminatoires sud-américains en trombe.
Ma fonction était de donner cette information aux analystes et aux techniciens qui eux sont les professionnels du football, mais soyons clairs, ils n’avaient en aucun cas besoin de mon avis. Ce qui m’interpelle, c’est qu’en discutant avec Gustavo Alfaro, il avait bien conscience qu’il se passait quelque chose sur le terrain dans certaines situations. La vraie magie selon moi, c’est la façon dont il a intégré les données à l’entraînement afin de modifier l’organisation de l’équipe et que la sélection équatorienne soit performante en très peu de temps pour parvenir aux quarts de finale de la compétition Copa America et se qualifier pour la Coupe du monde au Qatar. Mon travail se situe exactement ici, transmettre les informations réellement utiles dans le cadre de jeu que le sélectionneur a fixé, comme nous avons pu le faire avec la fédération Equatorienne. La façon dont les techniciens utilisent les informations données ne me regarde pas. Mon métier c’est de comprendre comment ils fonctionnent et quels aspects sont les plus importants et/ou pertinents à leurs yeux.
Se mettre au service du staff des différentes sélections est un versant important de votre activité. Vous travaillez depuis peu avec le club argentin de Belgrano de Córdoba, dans une vision longitudinale des jeunes vers l’équipe professionnelle et vice et versa. Quel est l’objectif de cette approche ?
Le club de Belgrano de Cordoba est réputé grâce au joueur argentin Cristian Romero qui évolue aujourd’hui à Tottenham. De plus, le club connaît une croissance continue en infrastructures depuis plusieurs années. En 2024, le président Luis Artime a désigné Ariel Rojas (ancien joueur de Belgrano et plusieurs fois champion avec River Plate) au poste de directeur sportif, et Gabriel Gomez Stradi comme secrétaire technique. Cette direction a l’ambition de faire progresser le club dans tous les domaines.
Leur approche est différente en ayant une vision globale de la donnée dans toutes les composantes de la performance, les GPS, les tests physiques, la nutrition, l’anthropométrie, la kinésithérapie, les blessures, les différentes phases de jeu, l’analyse vidéo. Toutes les données sont regroupées dans un cloud et à partir de là il est possible d’éditer des rapports sur les joueurs et sur chaque équipe des U14 jusqu’à l’équipe première.
Contrairement à d’autres approches que je connais, ils intègrent les données de tous les domaines des plus jeunes (U14, la neuvième division en Argentine) jusqu’à l’équipe professionnelle. Chez les professionnels, le groupe est relativement restreint et l’entraîneur définit les grandes lignes de ce qu’il veut voir, alors qu’avec les jeunes il y a beaucoup de mouvements, d’évolutions au cours de l’année et chaque saison une nouvelle promotion est analysée.
Que souhaite évaluer Belgrano de Cordoba ? Le process d’entrainement et la cohérence entre ce qui est recherché lors des séances et en match ou/et l’approche est davantage centrée sur l’identification du talent.
L’idée est de vérifier si certains grands principes fonctionnent sur toutes les catégories. Par exemple, attaquer sur les côtés et terminer par un centre aérien est-ce vraiment efficace ? Dans quelle mesure ? Quels profils de joueurs cela réclame ? Cette approche permet à la direction sportive de quantifier les réelles perspectives de chacun et d’une certaine manière d’évaluer où se situe le latéral droit U14 par rapport à celui de la réserve, voire de l’équipe première. L’analyse 360 peut aussi comprendre des comparaisons avec des joueurs de l’équipe nationale ou du football européen dans le but d’évaluer leur projection potentielle.
L’idée de ce travail se situe sur deux versants, le scouting au sein du club et sur la méthodologie d’entraînement. Il est possible de voir aussi les choses depuis les perspectives des transferts, notamment pour identifier si certains joueurs du club, dans l’équipe professionnelle, la réserve et chez les jeunes auraient les caractéristiques pour aller en Europe. Il est aussi possible, de se concentrer sur le plan de succession des joueurs du club, au sein des différentes équipes du club. Mon travail c’est de fournir l’information au regard de la réflexion qui va être menée au sein du club et de faciliter les décisions que les techniciens et la direction sportive vont prendre.
Vous avez dédié votre vie au football, en France, en Argentine, pour des sélections, des clubs, chez les professionnels et chez les jeunes. Quel enseignement pouvez-vous partager ?
Le plus important ce sont les gens, c’est étrange de dire cela, alors que je travaille au quotidien avec le big data et l’intelligence artificielle. L’essence du football, ce sont les gens qu’ils soient joueurs, techniciens, médecins ou préparateurs physiques. Le plus important, c’est l’humain pour avoir des résultats que cela soit pour jouer la Copa Libertadores ou devenir champion du monde. L’humain c’est même le plus beau parce qu’à travers le football, il est possible de découvrir des gens différents, d’autres cultures, différentes façons de jouer.
En Argentine, jouer au football à Buenos Aires, à Córdoba ou au sud de la Patagonie est bien différent et c’est exactement cela que j’aime. J’adore observer comment les personnes aux manettes, souvent dans des contextes fanatiques de football comme en Colombie, en Equateur ou chez nous en Argentine, vont prendre des décisions et comment ils vont les communiquer. Observer les gens dans leur contexte est une source infinie d’apprentissage.
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