Customer Success Manager pour Hudl, Antoine Maratray nous propose un éclairage sur des thèmes comme la distinction entre le signal et le bruit, l’exploitation de la donnée, formuler des hypothèses et l’alignement stratégique au sein des clubs de football.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Qu’est-ce que le football représente pour vous ?
Comme pour beaucoup, c’est avant tout une passion depuis toujours. Un sport qui fait partie intégrante de mon histoire familiale. Lorsque j’étais plus jeune, mon père aidait à coacher des équipes, ce qui m’a également très vite donné envie d’entraîner. C’est aussi ce qui m’a permis de découvrir que je voulais travailler dans ce monde-là, et en faire quelque chose de plus sérieux. Le football a façonné ma vie personnelle, au-delà du travail, en me permettant de nouer de nombreuses amitiés. Pour moi, c’est le jeu universel par essence.
On dit souvent qu’il faut « suivre sa passion » pour trouver le métier de ses rêves et être épanoui. Néanmoins, la passion n’est pas forcément quelque chose de constant et elle n’est généralement pas suffisante pour faire face à tous les défis inhérents à un domaine d’activité. Être passionné, se sentir compétent et être compétent sont par exemple des choses différentes. En partant de ce postulat, l’un des enjeux réside donc dans le développement d’un “capital carrière”. C’est-à-dire un ensemble de compétences et d’expériences vécues, qui nous permettent de créer de la valeur et de nous transformer continuellement. Comment avez-vous développé votre « capital carrière » ?
Ce que vous évoquez résonne pas mal avec ma propre histoire. La passion n’est effectivement pas toujours constante et il y a des moments où j’ai même été un peu fâché avec le jeu. C’est pourquoi, pour moi, il est important de distinguer le développement de compétences qui peuvent être utiles à un métier, de ce qui nous passionne, même si cela nous amène à explorer des domaines éloignés de notre métier idéal. À une période j’ai, par exemple, entraîné des équipes de jeunes – lycées et universités – aux Etats-Unis et le football n’était pas ce qui passionnait réellement les joueurs. Leur manque d’enthousiasme a fini par affecter ma propre passion pour l’entraînement et la performance.
Nous bénéficions de superbes infrastructures, mais que nous n’utilisions même pas à 50 % ; des stades magnifiques, mais avec des lignes de terrains de football américain peintes par-dessus, etc. Même si j’adore ce jeu, on s’éloignait un peu de ce qui me passionnait. Je me suis alors demandé si je voulais en faire ma vie et j’ai finalement décidé de m’en éloigner pour travailler quelque temps dans le sport automobile
« Il est important de distinguer le développement de compétences qui peuvent être utiles à un métier, de ce qui nous passionne, même si cela nous amène à explorer des domaines éloignés de notre métier idéal. »
Le sport automobile n’était pas ma passion, mais c’était une opportunité qui m’intéressait. Durant cette période, j’ai acquis des compétences que beaucoup de gens dans le monde du football n’ont pas forcément développé, comme le côté très rigoureux, très analytique et très scientifique qui est propre à ces sports-là. Cette expérience m’a également permis de réaliser que le football me manquait et que j’avais vraiment besoin d’y retourner. Je peux aujourd’hui mettre les compétences que j’ai acquises au service du jeu, mais c’est un processus qui a pris du temps. M’éloigner pour explorer d’autres environnements, d’autres idées, hors football, m’a permis de solidifier ma passion d’une certaine façon.
Par ailleurs, le football est un sport qui, sans être complètement fermé, fonctionne un peu en vase clos, avec beaucoup de personnes qui ont des parcours similaires. Pour moi, il est donc essentiel de s’intéresser à ce qui se passe en dehors de ce milieu et d’identifier ce qui est transférable d’une activité à l’autre. D’ailleurs, beaucoup de concepts que l’on retrouve dans le football aujourd’hui proviennent d’autres sports.
Par exemple, le concept du « xG » (Expected Goals) est un concept qui vient du monde du hockey sur glace. On peut facilement se replier sur soi-même, et plutôt que d’essayer de comprendre comment travailler différemment, on va essayer de continuer à faire les mêmes choses, mais de manière un peu plus rigoureuse ou améliorée, au lieu de vraiment remettre en question notre manière de travailler.
La donnée peut être perçue comme quelque chose d’abstrait, voire comme quelque chose qui dénature le football. Pourtant, à l’instar du ballon, elle n’est qu’un outil ; un outil manipulé par des humains pour communiquer et se connecter à d’autres humains. En tant que Customer Success Manager pour Hudl et précédemment Statsbomb, vous accompagnez les clubs dans la mise en œuvre de solutions d’analyse pour la performance et le recrutement. Comment appréhendez-vous votre rôle ?
Pour les analystes, directeurs sportifs, recruteurs, entraîneurs adjoints voire principaux, que je côtoie, l’une des clés de leur métier est de trouver des informations pertinentes et les présenter de la meilleure manière possible à d’autres personnes. Donc effectivement, il s’agit d’êtres humains qui vont utiliser des outils pour présenter des éléments à d’autres êtres humains qui vont essayer de les comprendre.
Pour moi, il y a deux aspects où la donnée est particulièrement intéressante : faire face aux biais et gagner du temps. En tant qu’humains, nous faisons preuve d’un certain nombre de biais et l’utilisation de la donnée peut contribuer à les atténuer. Nous ne pouvons, bien entendu, pas les éliminer totalement, mais nous pouvons prendre conscience de choses qui nous échappaient auparavant.
« La valeur de la donnée réside dans son utilisation, sa communication et la manière dont on l’intègre au fonctionnement d’un club »
Dans le cadre de mon travail j’ai par exemple passé quelques jours avec le staff du Dynamo Kiev. Le Dynamo est un club qui a été réputé pour son approche scientifique et analytique du jeu, à travers son entraîneur emblématique Valeriy Lobanovskyi. J’ai notamment eu l’occasion d’échanger avec l’un des entraîneurs adjoints qui est au club depuis les années 90. Je lui ai montré quelques données, et même s’il ne savait pas exactement comment les manipuler, il a tout de suite montré de l’intérêt parce qu’ils ont cette culture.
La deuxième dimension, c’est donc le gain de temps. Les staffs sont énormément sollicités. Gagner ne serait-ce que quelques heures par mois leur permet de se recentrer sur l’essence de leur métier : présenter et communiquer clairement l’information pour qu’elle puisse être utilisée sur le terrain. La pertinence de la technologie ne réside donc pas dans la technologie elle-même. La donnée pour la donnée n’est pas pertinente. Sa valeur réside dans son utilisation, sa communication et la manière dont on l’intègre au fonctionnement d’un club. C’est ce qui fait que, selon moi, la meilleure technologie du monde ne sert à rien si elle n’est pas manipulée par les bonnes personnes.
Dans une activité comme le football, la masse de données collectées peut générer énormément de bruit. Comment aidez-vous concrètement les clubs à faire en sorte que le signal soit plus intense que le bruit afin de prendre les décisions les plus éclairées possibles ?
Distinguer le signal du bruit est, pour moi, la clé de l’utilisation de la donnée. Dans un premier temps, il est crucial de bien comprendre les intentions d’un club et pourquoi ils font appel à nous. Est-ce que leur objectif est de gagner un titre tout de suite ? Développer des joueurs et mieux objectiver leur progression ? C’est une première étape cruciale, qui nous permet d’établir les priorités du club et de choisir ensemble les indicateurs pertinents. Si on ne cerne pas l’objectif du club, on ne peut pas proposer une solution qui l’aide réellement.
La deuxième chose est de comprendre qui sont nos interlocuteurs. Avons-nous à faire à un directeur sportif ? Une cellule de recrutement ? Des entraîneurs qui souhaitent optimiser leurs entraînements, ou travailler sur du développement individuel ? En fonction de ces cas de figure, les relations, la communication, le vocabulaire utilisé, seront complètement différents.
Enfin, il y a un travail éducatif à réaliser. Au début de chaque saison, il y a très souvent une phase de flottement, les résultats ne sont pas toujours corrélés avec les chiffres. C’est là que l’accompagnement est essentiel pour aider le club à comprendre les données.
« Si on ne cerne pas l’objectif du club, on ne peut pas proposer une solution qui l’aide réellement. »
D’ailleurs, on pourrait par exemple penser que le manque de corrélation entre les données et les résultats est forcément une mauvaise chose. En réalité, cela peut permettre d’identifier assez tôt certaines tendances et en fonction du signal, cela peut être une source de réconfort pour certaines équipes. Nous travaillons, par exemple, avec un club en Pologne dont le coach prônait une approche très directe. Ils ont changé d’entraîneur pour adopter un modèle plus basé sur la possession et les mouvements au milieu du terrain, afin de mieux valoriser leurs joueurs.
Nous avons assez vite constaté, grâce à la donnée, que l’équipe avait réussi à mettre en place le modèle de jeu souhaité. Les résultats ne sont pas encore au rendez-vous, mais les signaux identifiés très tôt dans la saison permettent de dire : nous avons fait venir un coach pour mettre place un certain style de jeu et c’est en train de fonctionner.
En revanche, une équipe peut avoir de très bons résultats en début de saison, sans qu’un signal fort puisse être identifié avec la donnée. Toutefois, ce que l’on finit presque toujours par observer, c’est une régression : les résultats sur le terrain et les données finissent par s’aligner. Le début de saison est donc une période particulièrement intéressante pour travailler sur l’aspect éducatif et construire les fondations d’une approche qui ne peut s’inscrire que dans le temps long.
Dans ce contexte, la clé n’est pas tant l’accès aux données, mais de formuler les bonnes questions ou hypothèses de départ. Comment accompagnez-vous vos interlocuteurs sur ces aspects ?
Bien que je ne sois pas intégré aux clubs avec lesquels nous travaillons et que je n’ai pas accès à un certain nombre de données “hors terrain” qui peuvent affecter la performance, ma mission est d’identifier le signal. C’est-à-dire identifier ce qui peut être optimisé ou ce qui peut être la cause des mauvais résultats.
J’aime poser des questions précises à partir d’observations simples en m’appuyant sur la donnée, afin d’engager la discussion. Par exemple : « Les occasions que vous avez concédées depuis le début de la saison proviennent majoritairement d’un seul côté du terrain. Est-ce quelque chose dont vous êtes conscients ? Est-ce que c’est quelque chose que vous voulez ? Est-ce quelque chose que vous essayez activement de changer ? »
Les équipes ne se rendent pas toujours compte de défaillances qui peuvent être flagrantes. Dans d’autres cas, elles en sont conscientes et les acceptent, cherchant simplement à en réduire l’impact au maximum. Ce constat nous renvoie directement à l’importance de la pensée stratégique et à essayer d’organiser des ressources qui peuvent être limitées, de manière optimale. Notre travail consiste donc en trouver des solutions concrètes malgré les contraintes, afin d’atteindre des objectifs réalistes, mais ambitieux.
Par exemple, cela peut-être d’identifier qu’un joueur déjà présent dans l’effectif est sous-utilisé, mais que son profil pourrait aider à compenser telle ou telle défaillance, plutôt que d’essayer de recruter un nouveau joueur. Peut-on le mettre dans une autre position, lui donner un rôle un peu différent pour mieux utiliser ses forces et faiblesses ? Dans un certain nombre d’équipes, il y a des joueurs qui, mis dans un autre contexte, pourraient aider l’équipe de manière plus optimale. C’est intéressant d’aller explorer ces pistes.
« Notre travail consiste en trouver des solutions concrètes malgré les contraintes, afin d’atteindre des objectifs réalistes, mais ambitieux. »
Autres exemples : a t’on pensé à utiliser l’un de nos défenseurs centraux pour ressortir un peu plus le ballon, car contrairement à ce que nous pensions, il en est capable ? A contrario, il y a aussi beaucoup d’équipes qui pensent qu’en utilisant un central qui est physiquement imposant, celui-ci sera nécessairement bon dans le jeu aérien. Or, ces deux aspects n’ont pas forcément de lien.
Offensivement, nous pouvons faire le même type de constat. Malgré leur taille, des joueurs comme Alexander Isak et Hugo Ekitike ne sont pas très performants dans les airs mais ont une technique impressionnante par rapport à leur gabarit. Les données le montrent bien. Il s’agit donc de se poser ces questions. C’est une manière de remettre en question, de manière constructive, ce qui a été fait. Ce sont ces questions qui font avancer la réflexion.
Pour les clubs, la donnée peut fortement contribuer à la mise en œuvre d’une stratégie cohérente, ambitieuse, mais réaliste. Est-ce que l’un des premiers obstacles que vous rencontrez est que, paradoxalement, les équipes se connaissent souvent mal, que ce soit leur style de jeu ou les forces réelles de leurs joueurs ? Si oui, cette connaissance objective est-elle le point de départ crucial pour rendre toute ambition réalisable ?
Pour moi, il y a effectivement un élément qui est crucial, c’est que par expérience, les clubs connaissent assez mal leur propre effectif. D’un point de vue collectif, ils pensent avoir une certaine approche tactique, mais la réalité sur le terrain est souvent différente. Par exemple, si je souligne qu’une équipe n’aime pas trop presser dans la moitié adverse, ils vont me répondre que si, alors que les chiffres montrent que ce n’est pas réellement le cas. D’un point de vue individuel, c’est la même chose : ils n’ont pas toujours une conscience très claire des forces et des faiblesses de chaque joueur. C’est pour cette raison qu’un joueur qui change de club pour une équipe ayant « fait ses devoirs » réussit souvent mieux.
Une fois que nous avons une bonne conscience de l’effectif à disposition, du style de jeu désiré et de son adéquation avec la réalité du terrain, la donnée devient primordiale car nous allons pouvoir nous appuyer sur des chiffres. Par exemple : est-ce que le latéral droit met souvent le ballon dans le dernier tiers ? Est-ce qu’il le met plus que le latéral gauche ? Ces chiffres vont nous aider à prendre des décisions plus éclairées. En fonction de ce que le club souhaite mettre en œuvre sur le terrain, peut-être qu’il faut trouver un autre latéral droit qui est capable de trouver le dernier tiers. Mais peut-être que ce joueur est le plus efficace dans les duels au sol et qu’ils ont besoin de cette caractéristique. Il y a donc un certain arbitrage à mener.
« Avoir l’intention de mettre en place une vision est une chose, la rendre visible et exécutable en est une autre »
La connaissance de l’effectif et des besoins est donc très importante. En partant de là, on peut fonctionner par cycle, qui vont être subdivisés en microcycles. Nous allons par exemple d’abord travailler sur la manière dont le jeu est construit, comment sortir le ballon depuis l’arrière et comment cela va évoluer dans le temps. Puis individuellement, selon les fonctions de chaque joueur, nous allons également suivre leur évolution. A l’image des cycles d’entraînement, nous allons construire des cycles de suivi de la performance et observer si notre vision prend vie sur le terrain.
Avoir l’intention de mettre en place une vision est une chose, la rendre visible et exécutable en est une autre. C’est là que les systèmes d’analyse poussée et les données permettent d’aller loin dans le détail. Ensuite il faut être en mesure de communiquer ces informations de manière claire à toutes les parties prenantes du projet.
Justement, pour vous, quels sont les piliers d’un support de communication efficace ? Et au-delà du support, quelles sont les clés de la transmission pour s’assurer que l’information soit bien comprise ?
Pour moi, dans la communication, il y a un élément crucial : essayer de créer un langage footballistique commun et partagé. C’est un point que je travaille beaucoup, même sans être dans le club : identifier les termes que chacun utilise. C’est le cas pour des notions simples comme la « contre-attaque », que d’autres appellent « transition offensive ». Les définitions varient. Il est donc essentiel d’être précis sur nos attentes, d’établir un consensus sur ces définitions et de toujours revenir à ce langage commun. Cela fait partie de l’aspect humain : comprendre comment les collègues ou l’entraîneur s’expriment.
L’entraîneur reste le garant du projet, de la culture de l’équipe. C’est le décideur, il est donc crucial d’utiliser les mêmes termes que lui et d’être certain que tout le monde partage une idée précise de ce que ces termes signifient.
Concernant les supports, il faut proposer des informations qui soient digestibles, mais il faut également avoir en tête que le format des informations présentées est dépendant de l’interlocuteur. En effet, un certain nombre de joueurs vont être demandeurs de chiffres, tandis que d’autres préféreront voir leurs vidéos. Il faut donc s’adapter. Pour certains, leur montrer un chiffre ne suffit pas, il faut leur montrer une vidéo et leur dire : « Regarde, la moitié des ballons que tu as touché l’ont été dans cet espace. »
Comprendre les préférences de chacun est essentiel pour la communication de l’information. Aussi, il y a des risques liés à la surcharge d’informations. Les joueurs ont déjà un certain nombre de notions tactiques à emmagasiner et on arrive vite au point où trop de données devient contre-productif.
« Dans la communication, il y a un élément crucial : essayer de créer un langage footballistique commun et partagé »
C’est là que, pour moi, avoir des cycles d’apprentissage (micro-cycles, macro-cycles) est très utile. Cela permet de se focaliser sur des points cruciaux et de suivre l’évolution à chaque entraînement ou match. Par exemple, on peut dire à un joueur : « Habituellement, tu touches en moyenne quatre fois le ballon dans la surface. Sur les trois derniers matchs, on est passé à cinq ou six.” Est-ce que c’est une évolution que l’on peut faire durer ou était-ce exceptionnel ?
Le plus difficile, c’est de simplifier au maximum cette information. Il n’y a pas de solution unique : les joueurs ont des demandes, des attentes, des cultures différentes. Je pense que la compréhension de l’interlocuteur est, au final, l’élément le plus important pour communiquer efficacement.
Un autre défi majeur pour les clubs concerne les ‘vanity metrics‘. Ce sont des indicateurs peu robustes ou qui ont été dénaturés et qui sont utilisés pour paraître sous un jour favorable en interne (collaborateurs) ou en externe (médias, supporters), mais qui ne vous aident pas à comprendre votre propre performance ni à éclairer votre processus de décision. Comment sensibilisez-vous les clubs à ce risque et comment les aidez-vous à rester vigilants afin que les données utilisées soient réellement exploitables ?
Effectivement, tout indicateur peut devenir un vanity metric si nous ne sommes pas vigilants. Les passes décisives en sont une belle illustration. Par exemple, si un joueur réalise une passe incroyable, si son coéquipier ne marque pas, il ne sera pas crédité d’une passe décisive. Évidemment, chaque indicateur peut avoir une utilité, mais il est aussi « agnostique » d’autres éléments. Le xG (Expected Goals), par exemple, donne une bonne indication des tirs qu’un joueur arrive à trouver, mais ne dit rien sur la qualité de ces tirs. Chaque métrique a ses faiblesses. Dans l’océan d’indicateurs d’aujourd’hui, le plus intéressant est de trouver des métriques qui vont couvrir la faiblesse d’une autre. Dans le cas du xG, nous pouvons par exemple le croiser avec le Post-Shot xG (PSxG) pour en compenser la faiblesse.
Pour les passes clés ou les passes décisives, on peut utiliser des modèles de Possession Value. Ces modèles peuvent montrer que le joueur fait de bonnes passes, bien placées, et que c’est peut-être le contexte ou bien les coéquipiers qui ne parviennent pas à les transformer en tirs ou en buts.
« Chaque indicateur peut avoir une utilité, mais il est aussi « agnostique » d’autres éléments »
C’est là tout l’intérêt : si on fait d’une métrique un aspect clé de l’analyse, il faut toujours chercher d’autres indicateurs qui vont la remettre en cause. C’est en faisant cet effort de remise en cause que l’on trouve le vrai signal. Par exemple, un joueur peut avoir un xG très élevé, mais un Post-Shot xG moins élevé. Il faut creuser pour savoir si le joueur est en très bonne forme et réussit à transformer des tirs difficiles, ou l’inverse. Il faut chercher la petite bête, trouver ce qui peut contredire l’analyse de surface.
Ce n’est pas quelque chose d’aisé, car en tant qu’analyste, on a plutôt tendance à chercher une conclusion. C’est toujours satisfaisant de trouver un résultat, qu’il soit positif ou négatif, comme dire : « Nos tirs ne sont pas de bonne qualité. » Mais il faut faire l’effort d’aller plus loin et de se remettre en cause soi-même pour vérifier si c’est réellement le cas.
C’est pourquoi, même si l’utilisation des données (y compris la création de ses propres métriques) est essentielle, je ne dirai jamais que cela remplace l’usage de la vidéo. Les données permettent de rendre l’analyse du jeu plus ciblée, plus contextualisée et plus précise, car elles donnent des éléments tangibles. Il y a énormément de choses dont on ne se rend compte qu’en regardant le match. Les données restent, au fond, comme dans Football Manager à l’époque : un terrain vu de haut avec des points en 2D qui bougent. De nombreux éléments ne peuvent pas être retranscrits par cela. Pour moi, les deux marchent ensemble et ne s’opposent pas.
Qu’est-ce que toutes ces expériences vous ont appris sur le fonctionnement des clubs de football et des personnes qui composent ces organisations ?
Je trouve que les gens du football sont particulièrement friands d’informations. La plupart des personnes avec qui j’ai affaire ont vraiment envie de développer leurs connaissances et leurs compétences. Pour eux, l’aspect pédagogique et éducatif est essentiel.
En ce sens, être en mesure de créer des communautés, à l’image de ce que vous proposez à travers le NOSOTROS FC, où les gens peuvent continuer à se développer est hyper important. Malheureusement, cet aspect de communauté et de discussion n’existe pas toujours. Pour moi, c’est un élément crucial, car l’être humain a un besoin constant de s’améliorer. Le football ne fait pas exception, il faut toujours être prêt à apprendre de nouvelles choses.
Ceci est lié à la remise en question. Ce n’est pas simple, mais être capable de se remettre en question de manière presque constante, de le faire par principe, participe énormément à la manière dont on évolue et dont on se développe professionnellement.
D’autre part, dans un certain nombre de clubs, le travail en silo est encore la norme. Il est donc crucial de mettre en place des chaînes de communication qui soient transversales, pour que les différents départements puissent échanger et suivre des processus clairs, compris par tous, qui servent la vision et le but ultime de l’organisation.
Par exemple, on voit souvent des départements de recrutement qui ne sont pas alignés avec les coachs sur le terrain. Il arrive encore que des entraîneurs apprennent l’arrivée d’un nouveau joueur en même temps que tout le monde. Pour moi, l’éducation, la formation et la discussion sont des aspects essentiels qui pourraient améliorer considérablement cet état de fait.
Un coach devrait comprendre la manière de travailler d’un directeur sportif ou d’un recruteur, et inversement. Il y a beaucoup à partager et à mettre en commun. Je trouve d’ailleurs dommage qu’on ne voie pas plus d’entraîneurs devenir directeurs sportifs. Il y a une séparation qui est encore trop nette entre les différentes fonctions.
Même dans les plus grosses structures, au sein d’un département de recrutement, il y a des spécialistes de la vidéo, des spécialistes data et des recruteurs de terrain. Il est important que chacun comprenne le fonctionnement et la raison d’être du travail des autres. C’est là que des figures de leaders, comme l’entraîneur, sont essentielles. L’entraîneur est le garant de la philosophie du club. Il doit être le gardien de cette vision, la communiquer aux médias, et s’assurer que tout le monde soit aligné.
Chaque club fonctionne différemment, mais il faut toujours qu’il y ait une vision commune, comprise par tous. C’est pour cela qu’avoir des leaders, ou des personnes compétentes sur l’aspect psychologique, qui peuvent amener tout le monde à pousser dans la même direction, est crucial pour le succès d’une organisation. C’est souvent là que l’on rencontre des difficultés.
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