Professeur à l’université de Kaiserslautern-Landau et directeur du département Sciences du sport, Arne Güllich nous propose un éclairage sur les travaux menés par son groupe de recherche et comment ces derniers peuvent nous aider à faire évoluer nos représentations du processus d’identification et de développement du talent dans le football et le sport en général.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Pourquoi et comment avez-vous intégré le monde sportif ?
J’ai pratiqué l’athlétisme de 12 à 36 ans. Le plus souvent à un niveau régional, parfois à un niveau un peu plus élevé. J’ai également commencé à entraîner des enfants à l’âge de 16 ans, dans le club de mon village.
Ensuite, je suis allé à l’université de Mayence où j’ai continué la compétition. J’ai également eu la chance de pouvoir continuer à entraîner, notamment de jeunes athlètes, dont certains participaient aux championnats nationaux, ce qui m’a permis d’élever un peu mon niveau.
À 24 ans, plusieurs athlètes talentueux, membres de l’équipe nationale, m’ont demandé si je voulais bien les entraîner. En acceptant, j’ai eu l’immense honneur de travailler avec des athlètes qui étaient bien meilleurs que je ne le serais jamais, des athlètes de classe mondiale.
J’ai donc eu l’opportunité d’accumuler des années d’expérience dans le domaine de l’entraînement, y compris avec des athlètes participant aux championnats du monde et aux Jeux olympiques. En parallèle, mes années d’études en Sciences du sport m’ont mené jusqu’à un doctorat en biomécanique.
À 26 ans, mon contrat de doctorat s’est terminé et j’ai eu besoin de trouver un autre emploi. C’est comme cela que je suis entré à la Confédération olympique et sportive allemande (Deutscher Olympischer Sportbund).
Il s’agissait essentiellement d’un travail administratif, je ne faisais plus de recherche, mais j’ai continué à m’intéresser à la science qui était ma passion. J’ai donc continué à faire un peu de recherche durant mon temps libre, c’est-à-dire le soir, lorsque mes enfants étaient couchés.
Toutefois, mon passage à la Confédération olympique et sportive allemande m’a permis d’avoir accès à d’excellents athlètes. La première grande étude que nous avons réalisée était une enquête consacrée aux athlètes de toutes les sélections nationales, tous sports olympiques confondus. 1 558 athlètes y ont répondu. Cela nous a permis de nous pencher sur quelques questions que nous jugions intéressantes.
Quelques années plus tard, j’ai rencontré celui qui deviendra mon mentor, Eike Emrich, qui m’a demandé si je souhaitais faire une thèse d’habilitation. En Allemagne, il était d’usage qu’après avoir obtenu son doctorat, pour avoir la possibilité de postuler à un poste de professeur, nous fassions une thèse postdoctorale, ce qui représente à peu près trois fois un doctorat. J’ai accepté et cela a duré six ans.
Pourquoi avez-vous axé la majeure partie de vos recherches sur le thème de l’identification et du développement des talents ?
J’ai toujours été intéressé par la façon dont les jeunes se développent. De plus, le fait d’être père de famille a éveillé mon intérêt. D’autre part, lorsque je travaillais à la Confédération olympique et sportive allemande, j’étais à la tête du département de développement des talents.
J’étais donc en contact avec toutes les fédérations sportives, ainsi que l’Institut des sciences appliquées à l’entraînement (Institut für Angewandte Trainingswissenschaft), qui faisait suite à l’ancien Institut de recherche pour la culture physique et le sport (Forschungsinstitut für Körperkultur und Sport) de l’ex-RDA (Allemagne de l’Est) basé à Leipzig.
Ils occupaient une position très particulière dans le paysage sportif allemand, et mon organisation y a également contribué en favorisant leur statut de leaders d’opinion. Cependant, les concepts dont ils faisaient la promotion, ainsi que l’idéologie à laquelle j’étais confronté dans toutes les fédérations sportives, me semblaient tout simplement erronés. Pour moi, tout cela nous menait dans la mauvaise direction.
J’avais également observé qu’en dépit de 40 années de recherche sur le thème de l’identification et le développement des talents dans l’ancienne RDA, l’approche scientifique adoptée n’était pas robuste. L’approche marxiste de la science est différente de notre idée de la science ouverte, de la publication, etc. Ils pratiquaient une science secrète et ne publiaient pas la plupart de leurs travaux. Néanmoins, compte tenu de ma position, j’ai eu accès à leurs archives après la réunification de l’Allemagne. J’ai emporté un grand nombre de copies de leurs anciennes « recherches secrètes» avec moi.
L’idéologie marxiste-léniniste sous-jacente à l’économie planifiée mise en œuvre par la RDA reposait sur deux idées centrales. Premièrement, le but de la recherche n’était pas de chercher la vérité. La vérité était connue de l’idéologie communiste et la tâche du chercheur était d’aider à réaliser cette vérité. Deuxièmement, « plus on produit, mieux c’est », le concept de “faillite” n’existant pas dans l’idéologie communiste. Ils ont ensuite transféré cette soi-disant idéologie de “production de masse” au sport. En somme, plus un athlète s’entraînait, mieux c’était.
Après la chute du mur de Berlin, cette idéologie a été transférée à l’Allemagne réunifiée. Le système sportif allemand a voulu se rapprocher le plus possible de ce que faisait l’ancienne RDA, mais sans le dopage. Ils ont donc publié des cadres de travail et des plans d’entraînement, tels que : un athlète doit commencer à s’entraîner dès l’âge de 6 ans, il doit s’entraîner trois fois par semaine à 8 ans et quatre fois par semaine à 10 ans, etc. Ce qui représentait à peu près le double de ce que nos athlètes faisaient.
Étant donné qu’à cette époque, nos jeunes athlètes étaient considérés comme pas assez performants et que l’idée était de maintenir le niveau de succès rencontré par la RDA dans le sport de haut niveau (Jeux olympiques, championnats du monde, etc.), il fallait qu’ils s’améliorent. Le raisonnement fut le suivant : pour devenir de meilleurs jeunes athlètes, ces derniers devaient commencer plus tôt la pratique sportive et s’entraîner davantage. Pour s’entraîner davantage, ils devaient donc rejoindre des écoles de sport d’élite.
Aujourd’hui, après 20 ans de recherche, nous savons que tous ces raisonnements étaient erronés et fallacieux. Mon expérience, mes observations et quelques recherches me laissaient penser que cette idéologie était fausse, erronée et trompeuse. Qu’elle ferait du tort aux enfants sans améliorer leurs chances de réussite ! C’est comme cela que j’ai commencé à m’intéresser à cette question.
L’Histoire est toujours intéressante à étudier, car elle nous permet de savoir comment certaines idées ou approches ont vu le jour. Cela nous aide à comprendre comment nous en sommes arrivés à ce que nous connaissons aujourd’hui.
Barrie Houlihan et James Riordan, deux historiens du sport très connus, ont démontré que tous les systèmes de développement des talents dans le monde ont comme origine l’ancien système mis en place par la RDA. Cette dernière a connu une réussite exceptionnelle et tout le monde pensait qu’elle disposait d’un système extraordinaire d’identification et de promotion des talents. Tous les systèmes de développement des talents dans le monde sont ancrés dans le modèle de la RDA. La réunification de l’Allemagne nous a permis de le constater de première main.
Qu’est-ce que le talent et, finalement, faut-il aborder la question de cette manière ?
C’est une bonne question. Si vous la posez à 100 scientifiques, vous obtiendrez 100 réponses différentes. Le concept de talent a évolué dans le temps. Ce n’est pas un terme qui est issu du sport. Il provient d’autres disciplines, comme le développement intellectuel, le développement académique, le développement musical, etc.
À l’origine, il existe deux perspectives en matière de recherche. L’une s’oriente plutôt sur le don (giftedness) et l’expertise. Les recherches sur le sujet ont été entamées il y a plus de 150 ans. Ce sont des idées qui soutiennent que les capacités innées, qui se reflètent dans les performances précoces d’un individu, seraient les principaux indicateurs permettant de déterminer les performances ultérieures du même individu.
L’autre perspective s’oriente sur l’entraînement spécifique et, par extension, la pratique délibérée. L’idée est que les performances ultérieures d’un individu peuvent être déterminées à partir de la quantité de pratique spécifique à une tâche accumulée dans le temps. Ces deux approches incluent la notion de talent.
« Ce n’est pas un trait de caractère qu’une personne posséderait à la naissance et qui resterait le même tout au long de sa vie. Ce n’est pas non plus quelque chose que l’on ne pourrait jamais acquérir au cours de sa vie »
Initialement, le talent faisait référence aux capacités innées d’une personne, caractérisant son potentiel à atteindre certains niveaux de performance dans le futur. Au cours des 20 ou 30 dernières années, la notion de talent a été élargie. Ce ne sont plus seulement les capacités innées qui déterminent les performances futures. Un peu d’entraînement est nécessaire et le talent est quelque chose qui peut être développé.
En fait, ce n’est pas un trait de caractère qu’une personne posséderait à la naissance et qui resterait le même tout au long de sa vie. Ce n’est pas non plus quelque chose que l’on ne pourrait jamais acquérir au cours de sa vie. Nous avons pris conscience qu’il y a une phase de développement, et que ce développement diffère d’un athlète à l’autre, indépendamment des capacités initiales.
Par la suite, cette notion a encore été élargie, car l’on a reconnu que la façon dont le talent se développe ne dépend pas seulement des caractéristiques de l’individu, mais de l’interaction entre celles-ci, son environnement et les tâches dans lesquelles il s’engage. Par exemple, les tâches changent au cours d’une carrière sportive.
En football, à l’âge de 10 ou 12 ans, être grand, fort et rapide est généralement suffisant pour être considéré comme étant un bon joueur. Il n’est pas nécessaire de maîtriser le ballon. À l’âge de 14 ans, la tâche change. On attend maintenant du joueur qu’il soit fort, grand, rapide, mais qu’il ait un peu plus de maîtrise pour faire des passes, pour dribbler, etc. À l’âge de 16 ou 18 ans, il y a une autre nouvelle tâche. Il faut maintenant qu’il comprenne le jeu afin d’appréhender ses composantes stratégique et tactique. Voilà un exemple d’évolution des tâches au cours du développement.
« Un talent est donc une personne qui a un grand potentiel de développement, à long terme, de performances exceptionnelles. Ce potentiel est caractérisé par l’interaction entre les caractéristiques de la personne, de la tâche et de l’environnement »
Aussi, il faut ajouter à cela les différences de possibilités d’entraînement, la manière de s’entraîner, le type d’encadrement, les partenaires avec lesquels on s’entraîne, etc. En bref, une compréhension plus contemporaine du talent serait basée sur le concept d’interaction tâche-individu-environnement plutôt qu’un concept où le talent serait une caractéristique strictement possédée par un individu. C’est l’interaction entre ces trois éléments qui va caractériser le potentiel d’une personne à réaliser des performances exceptionnelles.
En résumé, durant 150 ans, le talent a communément été associé à la notion de potentiel. Par potentiel, on entend la possibilité de réaliser des choses dans le futur. Au début, ce potentiel n’était estimé qu’en fonction de capacités innées, telles que la musicalité, l’intelligence, etc. Par la suite, l’idée de ce qui caractérise le potentiel de quelqu’un a évolué et a été élargie. Il ne s’agit plus seulement d’aptitudes innées, mais aussi d’aptitudes qui varient avec le temps. Le potentiel d’une personne peut donc diminuer ou augmenter au cours de son développement. Ce n’est pas un trait fixe.
Ensuite, nous avons pris conscience que les tâches changent elles aussi et que les facteurs liés à l’environnement doivent être pris en compte. C’est ainsi que nous sommes parvenus à la notion contemporaine de talents.
Un talent est donc une personne qui a un grand potentiel de développement, à long terme, de performances exceptionnelles. Ce potentiel est caractérisé par l’interaction entre les caractéristiques de la personne, de la tâche et de l’environnement.
En supposant que le talent soit une ressource dynamique, influencée par différents facteurs, comment expliquer que des joueurs comme Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo aient eu une telle maîtrise de cette ressource, sur une (très) longue période ?
Nous ne le savons pas, mais les connaissances ont progressé. Nous pouvons affirmer certaines choses sur des populations, mais pas sur un joueur spécifique. Nous pouvons nous positionner, en nous appuyant sur certaines lois probabilistes générales, sur les facteurs qui augmentent les chances de devenir un athlète adulte de classe mondiale, à long terme.
Néanmoins, nous ne sommes pas en mesure de dire qui, parmi un groupe d’enfants de 10 ans, sera le futur Leo Messi. En revanche, nous pouvons nous prononcer sur les conditions préalables et les conditions qui peuvent être mises en œuvre pour améliorer les probabilités de réussite à long terme.
« Nous ne sommes pas en mesure de dire qui, parmi un groupe d’enfants de 10 ans, sera le futur Leo Messi »
Pourtant, il existe un vaste champ de la recherche qui tente de proposer des éléments de mesure associés à l’identification précoce des talents, car ce serait extrêmement intéressant pour les organisations sportives, les académies, les fédérations sportives, etc. Ils économiseraient tellement d’argent. Aussi, cela éviterait tellement de déception s’ils étaient capables de dire dès le plus jeune âge, qui doit être sélectionné et qui ne doit pas l’être, n’est-ce pas ?
« La caractéristique principale des compétitions est donc l’incertitude de l’issue, des résultats. Le processus d’identification précoce des talents tente de faire le contraire, en essayant de prédire des années à l’avance qui seront les futurs vainqueurs. »
Toutefois, dans tous les sports, la configuration des compétitions est faite de telle sorte que les résultats restent incertains. C’est l’idée même du système de compétition et c’est ce qui est passionnant. Si la même équipe gagne la Premier League sept années de suite, cela deviendrait ennuyeux, et les instances devraient faire quelque chose pour remédier à cela. Le règlement changerait, etc. Si l’issue de la compétition n’était plus incertaine, les instances agiraient en conséquence. La caractéristique principale des compétitions est donc l’incertitude de l’issue, des résultats.
Le processus d’identification précoce des talents tente de faire le contraire, en essayant de prédire des années à l’avance qui seront les futurs vainqueurs. Aujourd’hui, nous ne pouvons même pas prédire une semaine à l’avance, avec une certitude absolue, qui gagnera le match du week-end. Dans le cas contraire, le marché des paris sportifs n’existerait même pas, pourtant, il existe et il fonctionne parce que les résultats sont incertains.
Cela montre un peu l’absurdité de l’intention de déterminer 10 ans ou plus, à l’avance, qui seront les futurs sportifs de haut niveau. Ce n’est pas possible. C’est également absurde parce que cela va à l’encontre de l’idée centrale du sport.
Quel devrait être l’objectif ou quel est l’objectif d’un programme de promotion des talents, comme vous les nommez ?
Quel est donc l’objectif principal de ces programmes de promotion des talents, tels que les académies de football, les sélections de jeunes, etc. ?
Nous pourrions, dans un premier temps, prendre en considération leurs déclarations publiques, qui sont souvent assez cohérentes. Ils affirment tous vouloir former de futurs athlètes de haut niveau. Nous pouvons accepter cette perspective, mais également prendre en compte d’autres perspectives. Par exemple, celle des joueurs. Les joueurs, en particulier ceux de football, rêvent d’être les prochains Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, et ils sont globalement confortés dans ce rêve.
Pour les parents, les perspectives peuvent être différentes et il existe différents groupes de parents. Le premier groupe pense que rejoindre une académie pourrait être un fantastique soutien financier. Si leurs enfants deviennent des millionnaires, ils pourront en profiter.
« Les joueurs, en particulier ceux de football, rêvent d’être les prochains Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, et ils sont globalement confortés dans ce rêve. »
Les parents du deuxième groupe placent leurs enfants dans des académies de football avec les meilleures intentions du monde. Ils pensent que c’est une superbe opportunité pour leurs enfants et qu’ils ne peuvent pas la leur refuser. Ils sont persuadés qu’ils ne feraient pas ce qu’il y a de mieux pour eux s’ils n’acceptaient pas.
Il y a ensuite un troisième groupe de parents, qui se préoccupe de ce qui est le mieux pour le développement de leurs enfants. Ils sont conscients que le fait d’intégrer une académie de football ou tout autre programme de promotion des talents peut faciliter leur développement sportif, mais, en même temps, que cette intégration est associée à des coûts et des risques immatériels.
Des coûts en termes d’éloignement familial, d’abandon de son cercle d’amis, de changement d’école, de manque de temps pour d’autres objectifs de développement, comme passer du temps avec ses pairs, socialiser, peut-être avoir un autre hobby ou pratiquer un autre sport.
Par ailleurs, un certain nombre de joueurs ont peu de temps à consacrer à leurs études et leurs résultats scolaires s’en ressentent. Ce troisième groupe de parents est inquiet et soucieux du développement holistique de leur enfant.
« Ils sont conscients que le fait d’intégrer une académie de football ou tout autre programme de promotion des talents peut faciliter leur développement sportif, mais, en même temps, que cette intégration est associée à des coûts et des risques immatériels. »
À la lumière de ces éléments, nous pourrions maintenant élargir quelque peu la définition de l’objectif de ces programmes de promotion des talents ou l’envisager de différentes manières. Si l’objectif de ces programmes est de « développer de futurs joueurs de haut niveau », nous pourrions par exemple le reformuler en « développer de futurs joueurs de haut niveau, en limitant les coûts et les risques pour eux».
Nous savons que, dans les académies, 1 joueur sur 1 000 deviendra un footballeur professionnel couronné de succès. Nous pouvons d’ailleurs dresser un constat similaire dans d’autres sports populaires. Ces programmes entraînent donc des coûts et des risques pour les joueurs. Ces coûts et ces risques sont supportés par ce futur joueur de haut niveau, mais aussi par les 999 autres qui ne le deviendront pas.
En fait, ces derniers supportent les coûts et les risques, mais ne bénéficient pas des avantages. Donc, en adoptant une perspective encore plus large, l’objectif de ces programmes serait désormais de « développer les chances de réussite future de tous les joueurs, en limitant les coûts et les risques pour eux».
« Ces coûts et ces risques sont supportés par ce futur joueur de haut niveau, mais aussi par les 999 autres qui ne le deviendront pas. »
D’autre part, nous savons aujourd’hui que ces coûts et risques accrus imposés aux joueurs ne sont même pas nécessaires à l’augmentation de leurs chances de réussite à long terme. Au contraire, nous savons que le parcours de ceux qui deviennent des athlètes de haut niveau à l’âge adulte, que ce soit dans le football ou dans d’autres sports, était caractérisé par des coûts réduits, ainsi que des risques réduits à court et long terme. Des coûts en termes de temps investi, de relocalisation, d’abandon de son cercle d’amis, de baisse des résultats scolaires, etc.
Quelles sont donc les principales caractéristiques du parcours d’un champion ?
Je vais essayer de résumer certaines des données les plus significatives de ces dernières années. Certaines proviennent de notre groupe de travail, d’autres sont issues d’autres équipes de recherche. La première question à se poser est : est-ce que les athlètes qui évoluent au plus haut niveau en jeunes évoluent également au plus haut niveau chez les adultes ? À l’inverse, est-ce que les athlètes qui évoluent au plus haut niveau chez les adultes évoluaient auparavant au plus haut niveau chez les jeunes ?
Il est assez facile de répondre à ces questions. Il faut tout d’abord identifier de jeunes athlètes, puis déterminer leur niveau de pratique (international, national, régional). Ensuite, il suffit de suivre leur parcours jusqu’à l’âge adulte et de vérifier s’ils ont atteint un niveau de pratique équivalent. À l’inverse, pour les athlètes évoluant à haut niveau à l’âge adulte, il faut retracer leur parcours jusqu’aux catégories de jeunes et déterminer quel était leur niveau de pratique à ce moment-là.
Après avoir effectué ce travail, ce que nous pouvons dire pour répondre à ces questions, c’est que la population des jeunes athlètes de haut niveau et celle des adultes évoluant à haut niveau sont identiques à 10 % et disparates à 90 %. Il s’agit donc à 90 % de personnes différentes.
C’est une donnée importante, car cela nous indique que la plupart des athlètes évoluant à haut niveau en jeunes ne deviennent pas des athlètes évoluant au même niveau chez les adultes. Peut-être plus important encore, la plupart des athlètes évoluant à haut niveau chez les adultes aujourd’hui, n’évoluaient pas au même niveau chez les jeunes. Cela signifie que la plupart de ceux qui deviennent plus tard des athlètes de classe mondiale ne participaient pas à des compétitions de ce niveau lorsqu’ils étaient jeunes.
« Evoluer à haut niveau en jeunes n’est pas une condition préalable à une évolution à haut niveau chez les adultes. »
Cela veut également dire qu’ils évoluaient à des niveaux moindres qu’un certain nombre de leurs pairs qui étaient considérés comme meilleurs qu’eux en jeunes, c’est-à-dire de 14 à 18 ans, plus ou moins, dans la plupart des sports. Cela nous indique également qu’évoluer à haut niveau en jeunes n’est pas une condition préalable à une évolution à haut niveau chez les adultes.
D’autre part, nous voulions également savoir si l’intégration précoce de jeunes athlètes dans des programmes de promotion des talents (centre de préformation et de formation, sélection de jeunes) était associée à de meilleures chances de performances ultérieures, que ce soit chez les jeunes ou chez les adultes.
Le principal constat c’est que ce qui différencie les athlètes les plus performants chez les jeunes, des athlètes moins performants, c’est que les premiers rejoignent ces programmes de promotion des talents à un plus jeune âge. En revanche, chez les adultes, c’est l’inverse. Les athlètes les plus performants chez les adultes, comparés aux athlètes moins performants, ont intégré ces programmes plus tardivement.
La différence moyenne, entre les athlètes de niveau mondial chez les adultes (médaillés internationaux, 10 premiers internationaux, etc.) et les athlètes de niveau national (Top 10 de leur pays, joueurs de football évoluant en 1re division, etc.)., est d’environ trois ans. Trois ans dans la tranche d’âge à laquelle les programmes de promotion des talents s’adressent le plus souvent, c’est-à-dire entre 12 et 18 ans. C’est énorme.
« Ce qui différencie les athlètes les plus performants chez les jeunes, des athlètes moins performants, c’est que les premiers rejoignent ces programmes de promotion des talents à un plus jeune âge. »
Les athlètes de classe mondiale chez les adultes intègrent ces programmes environ trois ans plus tard que leurs homologues de niveau national. Aussi, les athlètes évoluant à un niveau national chez les adultes, ont intégré ces structures plus tard que les athlètes de niveau régional. Cela signifie que la plupart des athlètes de classe mondiale chez les adultes n’étaient pas exceptionnels lorsqu’ils évoluaient chez les jeunes. Ils n’étaient même pas sélectionnés dans les programmes régionaux ou nationaux de promotion des talents. Ils ont intégré ce type de programme trois ans plus tard que leurs pairs. Cela nous indique également qu’ils ont dû s’entraîner ailleurs, puisqu’ils n’étaient pas membres de ces programmes.
Par exemple, en France, s’ils n’étaient pas membres d’un centre fédéral, comme les Pôles Espoirs ou d’un centre de préformation, ce qui est l’équivalent des écoles de sport d’élite d’autres pays, ils ont dû s’entraîner ailleurs. Cet ailleurs est généralement leur club d’origine. Ces résultats nous indiquent donc que ceux qui deviendront plus tard des sportifs de haut niveau sont restés dans leur club d’origine plus longtemps.
« La plupart des athlètes de classe mondiale chez les adultes n’étaient pas exceptionnels lorsqu’ils évoluaient chez les jeunes. Ils n’étaient même pas sélectionnés dans les programmes régionaux ou nationaux de promotion des talents. »
Nous nous sommes également intéressés aux variables de participation. Il s’agissait de répondre aux questions suivantes : à quel âge ont-ils commencé à pratiquer leur sport ? Quel volume d’entraînement avaient-ils à 8, 10, 12, 14 ans et ainsi de suite, tout au long de leur carrière ? Quel a été leur volume d’entraînement dans leur sport principal ? Ont-ils pratiqué d’autres sports avant ou en parallèle de leur sport principal ? Combien de temps ont-ils fait cela ? Ont-ils participé à des compétitions dans d’autres sports ? Enfin, outre la pratique formelle, menée par un entraîneur, ont-ils également pratiqué des sports de manière informelle, comme jouer au football dans la cour de l’école, jouer au basketball dans la rue avec des amis, etc.
Une nouvelle fois, nous avons fait la distinction entre les prédicteurs de performances précoces chez les jeunes, dans la plupart des sports, jusqu’à l’âge de 18 ou 19 ans, et les prédicteurs de performance à long terme chez les adultes. Lorsqu’on compare les athlètes qui sont les plus performants chez les jeunes à ceux qui sont moins performants, les premiers se distinguent des seconds par le fait qu’ils ont commencé à pratiquer leur sport principal plus jeune. Ils ont donc accumulé davantage d’heures de pratique dans leur sport principal et ont en parallèle moins pratiqué, voire pas pratiqué du tout, d’autres sports.
Les athlètes qui sont les plus performants chez les adultes (athlètes de classe mondiale, c’est-à-dire les médaillés internationaux ou faisant partie des 10 premiers mondiaux) diffèrent des athlètes de niveau national par le fait qu’ils ont commencé à pratiquer leur sport principal plus tardivement. Là encore, la différence est d’environ 2 à 3 ans. Ils ont accumulé moins d’heures de pratique dans leur sport principal, la différence étant d’environ 1 000 heures d’entraînement, ce qui est énorme.
« Lorsqu’on compare les athlètes qui sont les plus performants chez les jeunes à ceux qui sont moins performants, les premiers se distinguent des seconds par le fait qu’ils ont commencé à pratiquer leur sport principal plus jeune. »
Cependant, ils sont plus susceptibles d’avoir pratiqué plusieurs sports, ils se sont davantage entraînés dans ces autres sports et ils l’ont fait durant plusieurs années. Pendant neuf ans en moyenne. Ils ont également participé à des compétitions dans d’autres sports, en moyenne pendant sept ans, donc globalement jusqu’à l’âge de 14 à 16 ans. Ce détail est important. Pourquoi ? Parce que vous ne pouvez pas participer à des compétitions dans un sport si vous n’êtes pas membre d’une organisation sportive affiliée à ce sport.
Ainsi, si vous êtes membre d’un club de football, ce club ne peut pas vous inscrire à une compétition de basket-ball. La loi l’interdit. Savoir que ces athlètes ont participé à des compétitions dans d’autres sports nous indique qu’ils ont fait partie d’organisations sportives différentes de celles de leur sport principal, qu’il s’agisse d’une autre section au sein d’un même club ou dans des clubs différents.
Cela nous indique également qu’ils devaient pratiquer avec des entraîneurs spécialisés dans ces autres sports. C’est un élément important, car cela nous a permis de constater que ces expériences dans d’autres sports étaient authentiques. Elles étaient authentiques, car elles étaient orientées vers la performance, étant donné qu’ils ont participé à des compétitions, qu’ils l’ont fait avec un entraîneur spécialisé dans ce sport et sur une longue période (en moyenne neuf ans, dont sept ans de compétition).
Comment expliquer que moins d’heures de pratique dans son sport principal et la pratique d’autres sports puissent au final favoriser la performance à long terme dans ce sport ?
Au début de notre échange, nous avons abordé les conceptions traditionnelles dominantes orientées vers le don et l’entraînement spécifique. Ces deux approches théoriques ne peuvent pas expliquer ces nouvelles données. Nous avions besoin de nouvelles approches, donc nous avons passé en revue toutes les autres approches discutées dans la littérature, comme les caractéristiques psychologiques, le courage, la motivation, la loi de puissance de la pratique et un certain nombre d’autres.
Elles sont toutes incompatibles avec ces nouvelles données et ne peuvent les expliquer de manière adéquate. Cependant, nous pensons qu’il existe une heuristique économique, issue de l’économie néoclassique, permettant de comprendre ces nouvelles données. Nous pensons qu’il existe trois hypothèses. Quand je dis « nous », c’est parce que je n’ai pas effectué ce travail seul. Je fais partie d’une équipe et j’ai eu le privilège de rencontrer plusieurs collègues qui sont fantastiques dans ce qu’ils font.
Cette équipe est composée de Brooke Macnamara de l’université Purdue, de Zack Hambrick de l’université d’État du Michigan et de Michael Barth de l’université d’Innsbruck. Brooke et Zack sont psychologues. Michael est un spécialiste de l’économie du sport. Et moi, je fais un peu de tout.
Nous pensons donc qu’une approche économique peut être utile en tant qu’heuristique et ce point de vue est étayé par trois hypothèses qui peuvent aider à expliquer ces nouvelles observations. La première hypothèse nous renvoie au modèle d’appariement (search and matching theory). Pratiquer trois sports au lieu d’un seul augmente la probabilité de trouver le sport qui vous convient le mieux.
La seconde hypothèse renvoie au capital éducatif enrichi (enhanced learning capital). Ces athlètes ont pratiqué un ou deux autres sports, durant neuf ans en moyenne, dans un cadre compétitif. Leur pratique était orientée vers la performance. Ils ont été exposés à une plus grande variété de tâches d’apprentissage dans différentes situations d’apprentissage, avec différentes méthodologies.
« S’ils sont devenus des apprenants avec une plus grande adaptabilité, ils sont en mesure de reconnaître davantage d’opportunités d’apprentissage et peuvent mieux les exploiter. »
Cette variabilité de leurs expériences d’apprentissage a élargi leur capital éducatif. Ils sont devenus des apprenants plus adaptables parce qu’ils ont bénéficié d’expériences d’apprentissage plus variables. S’ils sont devenus des apprenants avec une plus grande adaptabilité, ils sont en mesure de reconnaître davantage d’opportunités d’apprentissage et peuvent mieux les exploiter.
En outre, grâce à ce large éventail d’expériences d’apprentissage, ils peuvent mieux comprendre quelles sont les modalités d’apprentissage qui leur conviennent le mieux. Nous apprenons tous différemment et nous sommes tous plus ou moins réceptifs à certaines modalités d’apprentissage, en fonction du contexte. En disposant d’un spectre plus large de modalités d’apprentissage, de tâches, de situations et de méthodologies d’apprentissage, nous développons une meilleure compréhension des approches qui seraient les plus fonctionnelles pour nous.
La troisième hypothèse est celle du risque limité. La pratique de plusieurs sports à un jeune âge, souvent associée à une pratique spécifique réduite d’un seul sport, diminue les risques à long terme d’épuisement (burnout) et surtout de blessures dues à une pratique trop intensive et spécifique.
Aussi, vos recherches suggèrent que l’influence du volume de pratique sportive informelle sur les chances d’atteindre le haut niveau serait neutre. Par ailleurs, l’idée que cette pratique est en voie de disparition est extrêmement répandue, mais vos données semblent proposer une autre perspective.
Nous avons réalisé plusieurs méta-analyses. Deux d’entre elles portent sur ces variables de participation, et la troisième s’appuie sur des échantillons mis à jour et considérablement élargis. Toutes ces études portent sur plus de 18 000 athlètes et les résultats sont toujours les mêmes.
Le volume de pratique sportive informelle (basket-ball et football entre amis, dans la cour de l’école, dans la rue, etc.) est considérable dans certains sports, comme le basket-ball ou encore le football, néanmoins, ce n’est pas ce qui fait la différence. Nous n’avons pas observé de différence significative entre les athlètes les plus performants et les moins performants, que ce soit en jeunes ou chez les adultes, en termes de volume de pratique informelle. En fait, c’est une variable qui est tout simplement neutre.
Nous avons cependant observé une exception avec le football féminin. Dans le football féminin, nous constatons systématiquement qu’un volume de pratique informelle plus important est associé à un niveau plus élevé de pratique chez les adultes, en particulier lorsque cette pratique a été effectuée avec des garçons. Le volume de pratique informelle, le volume de pratique avec des garçons, l’âge jusqu’auquel elles ont joué avec des garçons sont des facteurs qui font la différence chez les joueuses de football de haut niveau. L’étude a été réalisée en Allemagne et au Canada, y compris sur des joueuses de l’équipe nationale de ces deux pays. Il s’agit donc de championnes du monde et de championnes olympiques.
« Dans le football féminin, nous constatons systématiquement qu’un volume de pratique informelle plus important est associé à un niveau plus élevé de pratique chez les adultes, en particulier lorsque cette pratique a été effectuée avec des garçons. »
J’entends également souvent dire que le football de rue est en déclin ou mort. Nous n’observons pas cela dans les données, que ce soit chez les joueurs de football, de basket-ball ou de hockey. Jusqu’à l’âge de 12 ou 14 ans, les footballeurs ont plus souvent joué de manière informelle avec leurs pairs qu’ils n’ont participé à une pratique formelle et organisée du football. Ils ont donc accumulé un volume certain de pratique informelle qui est censée être morte. Ce n’est pas le cas.
Je voudrais mentionner une autre chose, parce que je sais que, dans le public et dans les médias, mais aussi dans la littérature scientifique, de nombreuses personnes suggèrent sans cesse que les enfants devraient pratiquer de nombreux sports différents, un échantillonnage de différents sports. Le « modèle de développement de la participation sportive » proposé par Jean Côté (Developmental Model of Sport Participation) suggère que les jeunes devraient pratiquer le plus de sports différents possible et pratiquer plusieurs sports de manière informelle.
« Jusqu’à l’âge de 12 ou 14 ans, les footballeurs ont plus souvent joué de manière informelle avec leurs pairs qu’ils n’ont participé à une pratique formelle et organisée du football. Ils ont donc accumulé un volume certain de pratique informelle qui est censée être morte. »
Les athlètes de classe mondiale ont, en moyenne, pratiqué deux sports en plus de leur sport principal. Pas plus. Cela nous laisse penser que la pratique de trois sports, c’est-à-dire un sport principal, plus deux autres sports, semble être un ratio couverture-profondeur tout à fait approprié. En pratiquant plus de sports différents, un athlète couvrira plus de sports, mais avec moins de profondeur.
C’est pourquoi j’ai insisté sur l’authenticité des expériences des athlètes observés. Ces athlètes de haut niveau ont pratiqué d’autres sports pendant plusieurs années et cette pratique était orientée vers la performance. Les preuves suggèrent que la pratique de deux autres sports semble fournir un bon rapport couverture-profondeur.
Le fait que les autres sports pratiqués soient des sports collectifs ou des sports individuels fait-il une différence ?
Non. À un niveau descriptif, il existe un phénomène que nous appelons affinité de participation. Les personnes pratiquant des sports collectifs ont tendance à pratiquer d’autres sports collectifs. Ceux pratiquant des sports individuels ont tendance à pratiquer d’autres sports individuels. En sciences du sport, nous catégorisons les sports de manière analytique en fonction de la tâche à accomplir en compétition, ce qui nous donne quatre types de sports.
Les sports CGS, c’est-à-dire les sports où la performance est mesurée en centimètres, en grammes ou en secondes (athlétisme, natation, triathlon, etc.), puis les jeux sportifs (football, basket-ball, tennis, etc.), les sports de combat (judo, lutte, boxe, escrime, etc.) et les sports de composition artistique (gymnastique artistique, gymnastique rythmique, plongeon, etc.) La cinquième catégorie regroupe les sports qui ne correspondent à aucune ou à plusieurs caractéristiques des catégories précédentes, comme le saut à ski ou l’équitation.
« Nous n’avons trouvé aucune preuve que l’effet de la pratique d’autres sports sur les performances ultérieures dans le sport principal soit modéré par la filiation des sports pratiqués. »
En analysant les athlètes qui ont pratiqué d’autres sports et les autres sports qu’ils ont pratiqués, nous constatons que les athlètes ont tendance à pratiquer des sports de la même catégorie plutôt que d’autres catégories, à une exception près, les sports de combat. Personne ne veut pratiquer des sports de combat en tant qu’autre sport.
En termes de performance à long terme chez les adultes, les autres sports pratiqués n’ont aucune importance. Nous n’avons trouvé aucune preuve que l’effet de la pratique d’autres sports sur les performances ultérieures dans le sport principal soit modéré par la filiation des sports pratiqués. Les autres sports pratiqués n’ont pas d’importance ; ce qui compte, c’est d’avoir pratiqué d’autres sports et de les avoir pratiqués pendant quelques années, avec une orientation vers la performance, etc.
À travers toutes ces expériences, vos travaux avec d’autres scientifiques, des athlètes, des entraîneurs, qu’avez-vous appris sur l’apprentissage et sur la nature humaine ?
Ce que j’ai appris de ma propre expérience en tant qu’entraîneur et à travers mon travail avec un certain nombre d’organisations sportives renommées, c’est que les sportifs de haut niveau sont spéciaux et que ce sont souvent des gens très intéressants. Ils sont tous extraordinaires et ont des personnalités hors du commun. C’est ce qui les rend passionnants.
D’autre part, l’apprentissage est essentiel. À très haut niveau, les athlètes de classe mondiale comparés à ceux de niveau national, les médaillés aux non-médaillés, ne diffèrent pas tellement en termes de stature, d’anthropométrie ou d’aptitudes physiques. Ils se distinguent par leurs habiletés. Il peut s’agir d’habiletés techniques, comme une meilleure technique en course de haies ou un meilleur contrôle du ballon et d’habiletés tactiques, en particulier dans les jeux sportifs. C’est-à-dire avoir une meilleure compréhension tactique, une meilleure compréhension des situations de jeu, une prise de décision rapide, etc.
Ces compétences ne se développent pas par adaptation physiologique, mais sont le résultat d’un apprentissage. Les athlètes les plus performants chez les adultes ont été de meilleurs apprenants. L’apprentissage est absolument essentiel.
Par ailleurs, je travaille depuis quelques années avec des organisations faîtières internationales, comme UK Sport, par exemple. J’ai fait partie de la Confédération olympique et sportive allemande pendant 12 ans. J’ai été consultant auprès de la NBA pendant plusieurs années. En ce qui concerne le football, j’ai également travaillé avec un certain nombre d’académies de football de clubs évoluant en Bundesliga allemande.
« Ces compétences ne se développent pas par adaptation physiologique, mais sont le résultat d’un apprentissage. Les athlètes les plus performants chez les adultes ont été de meilleurs apprenants. »
Ce que j’ai appris auprès d’eux, c’est qu’ils sont dans l’ensemble de bonnes personnes, animés par les meilleures intentions, mais qu’ils se trouvent constamment en conflit. La plupart des entraîneurs de jeunes veulent accompagner le développement de leurs joueurs avec patience, graduellement, avec des entraînements variables, etc. Ils veulent avoir une relation pédagogique avec ces jeunes joueurs, qui soit portée par une chaleur affective, etc. Mais en même temps, ils ont l’impression qu’ils sont censés faire le contraire.
Ils ont l’impression d’être dans un conflit intrapersonnel. D’une part, ils ont cette passion et cette envie d’adopter une approche pédagogique chaleureuse et d’autre part, ils sentent qu’on attend d’eux qu’ils gagnent à tout prix chaque week-end. Par ailleurs, ils savent qu’en fin de la saison, c’est eux qui décideront qui sera le quart ou le tiers des joueurs qui seront désélectionnés, ce qui est incompatible avec l’intention de construire un accompagnement chaleureux. Ils le ressentent tous.
Deuxièmement, ils ont tous le sentiment que le système ne fonctionne pas, qu’il ne fonctionne pas comme il le devrait. Ils pensent qu’il est impossible d’identifier des “talents” à un jeune âge. Ils ont le sentiment que ceux qui réussissent plus tard sont souvent ceux qui ne sont entrés dans leur académie qu’à 16 ans, alors que ceux qui étaient déjà là à 10 ans ne réussissent généralement pas. Ils ont ce sentiment, mais ils ne comprennent pas toujours pourquoi.
C’est pourquoi ils souffrent tous dans leur travail. Ils ont ce sentiment diffus que « quelque chose ne va pas », que « quelque chose ne fonctionne pas comme il le faudrait », mais il s’agit plus souvent d’un sentiment que de compréhension. C’est là que la science entre en jeu, car nous disposons aujourd’hui d’approches assez robustes pour expliquer ces phénomènes. Il existe également des solutions.
« La plupart des entraîneurs de jeunes veulent accompagner le développement de leurs joueurs avec patience, graduellement, avec des entraînements variables, etc. Ils veulent avoir une relation pédagogique avec ces jeunes joueurs, qui soit portée par une chaleur affective, etc. Mais en même temps, ils ont l’impression qu’ils sont censés faire le contraire. »
Nous savons que ces académies ne fonctionnent pas comme elles le devraient. Les hypothèses sur lesquelles elles reposent sont invalides, mais il serait naïf de dire : « D’accord, fermons ces académies. Qui a besoin de ces académies ? Elles existent, tout comme les écoles de sport d’élite, les pôles Espoirs, etc., et il serait naïf de dire au système sportif de les fermer ou de s’en débarrasser. Ils ne le feront pas. Il s’agit donc de réduire les dysfonctionnements et d’améliorer les fonctionnalités.
Voici quelques exemples de la manière dont cela peut fonctionner, même dans le football. Supposons qu’un club dispose d’un réseau d’environ 20 ou 30 clubs partenaires dans sa région, dans un rayon de 40 ou 50 kilomètres.
Ils repèrent un joueur âgé de 10 ans, par exemple, qui attire leur attention. Il le trouve intéressant et s’adresse d’abord à l’entraîneur de son club d’origine. Ils lui diront qu’ils ont observé le joueur et qu’il semble être potentiellement prometteur. Ensuite, ils approchent les parents du joueur, puis le joueur lui-même. Ils leur demandent s’ils veulent rester en contact.
Le contact signifie que l’entraîneur de l’académie, le plus souvent un entraîneur dont c’est le métier, va voir l’entraîneur du club du joueur et lui demande : comment puis-je vous aider ? Puis-je vous aider sur l’aspect entraînement ? Je pourrais peut-être faire une demi-séance par semaine, pour toute votre équipe ? Voulez-vous que nous vous accompagnions sur de la formation d’entraîneur ? Nous pouvons vous inviter à l’académie, afin que vous participiez à des sessions de formation, etc.
Le club continue d’observer le joueur, de se rendre aux séances d’entraînement et de s’entretenir avec lui. Il lui demande : comment vas-tu ? Comment se passe l’école ? Comment vont tes amis ? Etc. Ils poursuivent donc cette relation durant quelques années, et chaque année, ils décident ensemble, joueur, parents, entraîneur local et entraîneur de l’académie, s’il est temps de passer à l’académie.
« Construire cette décision année par année et de décider plutôt, plus tard que plus tôt. Aussi tôt que nécessaire, mais le plus tard possible. »
En parallèle, durant ces années, le joueur est invité à l’académie pendant les vacances afin de faire une ou deux semaines d’essai. Il apprend ainsi à connaître l’institution, le centre d’entraînement et ses pairs. Il apprend peut-être à connaître l’internat, s’il envisage de s’y installer. Au cours de son processus de décision, le joueur possède de nombreux éléments pour l’éclairer. Il connaît les entraîneurs, les autres joueurs, l’internat, l’école, etc. Il y a passé des semaines.
L’idée est de construire cette décision année par année et de décider plutôt, plus tard que plus tôt. Aussi tôt que nécessaire, mais le plus tard possible. Les modèles auxquels je fais allusion sont les modèles de référence en Allemagne pour la formation des futurs joueurs de première division. Les taux de réussite au baccalauréat sont de 70 % parce que l’école est une priorité. Ce n’est pas seulement une priorité dans les déclarations publiques. Non, c’est leur priorité réelle. Si le niveau scolaire d’un joueur baisse, il est suspendu d’entraînement jusqu’à ce qu’il soit de nouveau sur la bonne voie à l’école.
Ces modèles encouragent, facilitent et offrent également la possibilité de pratiquer un autre sport que le football jusqu’à l’âge de 14 ans et, dans certains cas, jusqu’à l’âge de 16 ans. C’est donc possible. Les clubs sont heureux, prospères et même les joueurs qui abandonnent ou qui sont désélectionnés disent qu’ils ont vécu de belles choses. Il est donc possible, même dans le cadre de restrictions aussi rigides que celles qui existent dans un sport aussi commercialisé que le football, de rendre ces institutions plus fonctionnelles. Le message que je souhaite faire passer, c’est que c’est possible.
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