Le bon joueur, au bon moment, pour le bon contexte

Scout pour le FC Lorient, Baptiste Drouet nous propose de découvrir sa perspective sur ce rôle et plus largement, sur le fonctionnement du club lorientais en matière de recrutement.

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Les termes scouting et recrutement sont souvent utilisés de manière interchangeables. Quelles nuances apporteriez-vous ?

Pour moi, ce sont deux choses qu’il faut différencier. Le scouting est un processus, une méthodologie qui vise à collecter un maximum de noms de joueurs et d’informations les concernant afin de les classer.

C’est un fonctionnement en entonnoir qui doit permettre d’aider au recrutement. Le recrutement est le processus de décision final, qui prend en compte les besoins exacts au moment précis ainsi que la faisabilité. C’est là que se trouve la nuance.

Comment développez-vous votre capacité à voir les joueurs pour ce qu’ils sont et pas pour ce que vous aimeriez qu’ils soient ?

En essayant dès le départ d’être le plus factuel possible, à travers la collecte d’un maximum d’informations sur chaque joueur. Cela part de l’observation, que ce soit en live ou en vidéo. Pour les profils les plus intéressants, nous approfondissons nos connaissances à leur sujet en collectant des informations complémentaires.

Lorsque nous arrivons sur la phase finale du processus de recrutement, nous réalisons des rendez-vous ou des visioconférences avec tous les joueurs que nous souhaitons recruter. L’objectif est d’en savoir encore un peu plus sur les hommes auxquels nous avons affaire.

Même si certaines impressions peuvent être trompeuses, j’essaie de me concentrer sur les faits. J’essaie aussi de rester dans mon domaine de compétence. En croisant toutes les informations que nous pouvons collecter, cela nous permet d’avoir une image assez fidèle de ce qu’est l’homme, derrière le joueur.

Même si là encore, tant qu’on ne l’a pas côtoyé au quotidien, tant que le staff ne l’a pas côtoyé au quotidien, c’est compliqué d’être certains de savoir qui nous avons réellement face à nous.

La notion de « potentiel » est souvent utilisée lorsqu’il est question de recrutement, sans pour autant que ce qui se cache derrière soit clairement défini par ceux qui l’utilise. Qu’est-ce que cette notion vous évoque ?

Il est vrai que c’est une notion qui reste assez vague. C’est d’ailleurs intéressant, car lorsque nous faisons des observations, nous nous faisons assez rapidement une idée du potentiel d’un joueur, sans toutefois être totalement capable de l’expliquer. Je dirais que le potentiel est une question de marge, surtout sur les plans intellectuel et physique.

Sur le plan technique, les joueurs progressent toujours, mais de façon un peu linéaire. J’observe surtout les joueurs à partir de 18 ans et je constate qu’il y a rarement de grandes révolutions techniques entre ce qu’est un joueur à ses débuts et ce qu’il est quelques années après, même s’il y a une évolution.

Par exemple, j’aime beaucoup regarder le début de carrière des joueurs de 25 ans qui réussissent aujourd’hui, afin de voir un peu la différence. C’est rarement sur le plan technique les plus grosses différences sont visibles.

C’est plutôt sur leur capacité à voir le jeu, à comprendre plus vite, à mettre plus d’intensité, à enchaîner les efforts, la gestion du rythme que l’on voit une vraie différence.

Comment organisez-vous votre temps, même si cela fluctue évidemment en fonction du moment de la saison concerné ?

Prenons par exemple la fin du mercato d’été, début septembre. Le but à ce moment-là, c’est de connaître un maximum de joueurs possibles. Nous fonctionnons avec un zonage. Chaque recruteur a un ou plusieurs pays à travailler et nous enchainons les observations de match.

Nous devons voir un maximum de joueurs différents, identifier ceux qui peuvent correspondre à ce que nous proposons chez nous, en termes de football et de les répertorier dans des listes. Une fois que nous avons fait le tour du championnat concerné, nous effectuons un écrémage pour ensuite avoir le maximum de solutions viables à chaque poste, en vue du mercato.

Quel pourcentage de votre temps consacrez-vous à l’analyse vidéo ?

A peu près 70 % de mes journées. Il y a le temps de visionnage et le reste de mon temps, est consacré à la rédaction de rapports, les montages vidéo, les discussions avec les agents, la direction, les collègues…. C’est donc une part très importante de mes journées. Que ce soit en période pré ou post mercato, c’est toujours un peu cette proportion-là.

A Lorient, quels marchés couvrez-vous ?

Notre priorité, c’est la France. Nous devons connaître parfaitement les options que nous sur notre marché avant d’aller voir ce qui se fait ailleurs. C’est l’ADN du club d’aller chercher des joueurs aux étages en dessous, ou des joueurs encore sous-cotés de Ligue 1. Les joueurs issus de ce marché auront aussi une intégration qui est facilitée.

Ensuite, nous couvrons à peu près toute l’Europe, où nous essayons d’avoir une vision assez claire, ce qui ne nous empêche pas d’être présents aussi au cas par cas sur les marchés asiatiques, américains et africains.

Dans le recrutement et le scouting plus spécifiquement, deux aspects semblent se dégager. Un plutôt associé au travail de la connaissance : chercher des informations, les organiser, les gérer et faire en sorte qu’elle soit la plus compréhensible possible pour tous et un autre plutôt associé à la compréhension de l’être humain, sa psychologie, etc. Sur le premier aspect, est-ce que le club s’inscrit plutôt dans une démarche où la donnée vient enrichir les observations réalisées par les scouts, ou bien prenez-vous la donnée comme point de départ et l’humain (le scout) vient donner une interprétation plus fine des orientations proposées par vos modèles ?

Nous utilisons les deux approches. Nous avons un analyste des données au club, ce qui n’est pas le cas de tous les clubs français, qui sort des profils de joueurs à suivre, par championnat. En parallèle, au fur et à mesure de nos observations, nous ressortons aussi d’autres joueurs que nous soumettons au data analyste.

C’est un travail quotidien. Ce que je constate, c’est que plus le temps passe, moins il y a de décalage entre ce que nous observons en vidéo ou en live et ce que la donnée nous propose. Nous observons chaque joueur identifié via la donnée et effectuons un retour. Notre data analyste se sert de ces retours pour faire évoluer ses modèles. Ces dernières années, il n’y a pas eu de joueurs qui ont signé chez nous et qui n’étaient pas validés par la donnée.

Par ailleurs, nous avons aujourd’hui une identité de jeu qui est très claire, ce qui facilite grandement le travail de notre analyste des données. Il sait quels sont les aspects importants pour chaque poste et donc, identifier les profils correspondants.

Est-ce qu’à terme, l’objectif sera de « quantifier » le modèle de jeu, afin d’orienter le travail de scouting à réaliser, notamment en prévision du mercato ?

Aujourd’hui, il n’est pas quantifié « de façon scientifique ». Néanmoins, le coach [Régis le Bris] a été extrêmement clair sur ce qu’il cherche à chaque poste. Cet été, le coach a été nommé tardivement, mais il nous a rapidement expliqué son modèle de jeu. Cela nous a permis de réorienter les choses par rapport au staff précédent.

Plus le temps passe, plus c’est clair pour nous. Mais oui, il a fallu réadapter notre façon de penser, en fonction des attentes et des besoins du coach. Cet été nous avons réussi a bien nous adapter, en peu de temps, parce que malgré tout, la sensibilité du coach correspondait aussi à la sensibilité du club.

Maintenant, en observant toute la saison en cours, avec ces critères de recherche en tête, je pense que nous disposerons de d’avantage de solutions différentes à proposer au coach, à chaque poste, en préparation de la saison prochaine.

Eprouve-t-on plus de plaisir à trouver, puis recruter un joueur « inconnu » qui explose par la suite, qu’un joueur confirmé qui évolue au niveau attendu ?

Oui, il y a forcément un peu de ça, néanmoins il faut réussir à en sortir. L’objectif ne doit pas être de chercher le joueur que les autres connaissent le moins, mais celui qui sera le plus intéressant, aux conditions économiques les plus intéressantes.

Forcément, il y a une certaine corrélation entre le fait que le joueur soit connu ou identifié et le fait que sa valeur augmente. Donc le but n’est pas forcément d’aller chercher le joueur inconnu, mais plutôt celui auquel les autres n’ont pas pensé. Ils n’ont peut-être pas vu tel ou tel aspect de son jeu.

Je prends autant de plaisir dans le recrutement d’un joueur inconnu qui se révèle, que dans celui d’un joueur que tout le monde connaît, mais qui n’avait pas été identifié comme étant capable d’arriver à ce niveau-là et de s’adapter parfaitement au jeu.

Donc, il faut vraiment sortir du côté émotionnel et se dire : quelle est la meilleure solution pour le club ? Aux niveaux économique, sportif, humain. C’est ce qui est le plus important. Trouver le bon joueur, au bon moment, pour le bon contexte. C’est ce qui est vraiment essentiel dans mon travail.

Par exemple, Trevoh Chalobah était un joueur connu par les clubs, appartenant à Chelsea, international espoir anglais, mais n’avait pas eu sa chance en première division avant qu’on aille le chercher.

C’est tout aussi satisfaisant de voir son parcours actuel que celui d’un Terem Moffi, qui avait très peu joué en Belgique (arrivé en hiver, puis Covid) en arrivant de Lituanie, mais chez qui on avait vu des qualités très fortes et qui correspondaient en tous points aux critères que l’on cherchait.

Même s’il n’y pas de configuration typique, à quoi ressemble le processus menant à la décision finale (le recrutement d’un joueur) ?

Au quotidien, nous sommes trois à observer les joueurs. Pour qu’un joueur avance dans le processus et se rapproche de la décision finale, il faut qu’il soit validé par au moins deux observateurs sur trois. Ensuite, il y a d’autres paramètres qui entre en jeu. C’est une question de timing, de faisabilité, etc.

Si c’est un joueur libre, ça peut aller assez vite. S’il y a une indemnité de transfert, sommes-nous capables de la payer maintenant ou est-ce que nous essaierons plutôt de finaliser le transfert en fin de mercato, une fois que nous aurons fait des ventes ? Pour chaque poste, nous essayons de définir différentes possibilités, différents scénarios, différents types de prix, etc. Arrivé au mercato, nous opérons un arbitrage et c’est vraiment au cas par cas.

Chaque cas est différent. Par exemple, est-ce que nous voulons nous renforcer sur un poste spécifique en priorité ou d’abord nous occuper des dossiers qui nous paraissent les plus « simples » à mener au bout ? Ça c’est la direction sportive qui le défini et qui évidemment, s’appuie sur son équipe de scouting. Il n’y a pas d’approche type.

C’est ce qui fait un peu le sel du mercato. Voir à quel moment telle ou telle opportunité s’ouvre ou se referme, quelles possibilités nous avons, est ce qu’il faut insister et vraiment tout donner sur tel dossier ou plutôt se dire non, ça ne vaut pas le coup de faire des folies.

Quelles sont les parties prenantes dans la décision finale ?

C’est collégial. Il y a le directeur général sur les aspects financiers et le coach s’appuie sur ce que dit la cellule de scouting via le coordinateur sportif.

Il y a aussi une analyse du joueur qui est réalisée par les analystes vidéo. Ils vont essayer de déterminer si le joueur peut vraiment, au-delà de ses qualités, correspondre à notre jeu.

C’est une analyse qui porte plutôt sur les aspects tactiques et la complémentarité que le joueur pourrait avoir avec les joueurs déjà en place, avec une vision de staff. C’est un peu la nouveauté de cette saison.

C’est donc assez collégial et il faut qu’il y ait vraiment un alignement de tout le monde. Le coach s’appuie beaucoup sur ce que nous lui disons, plus que sur de l’observation qu’il réaliserait lui-même. Il a déjà beaucoup de choses à gérer, c’est la raison pour laquelle il y a un coordinateur sportif, une cellule de recrutement, des analystes vidéo, etc.

En donnant ses critères au départ, il estime que ceux-ci seront respectés. Si un joueur lui est proposé, c’est qu’il a été minutieusement évalué et qu’il correspond à ses critères de recherche.

Dans votre évaluation de joueurs qui seraient en mesure de rejoindre le projet lorientais, vous faites en permanence appel à votre capacité de jugement qui est conditionnée par un certain nombre de représentations et de conceptions. Vous êtes donc sujet à de nombreux biais. Comment essayez-vous de les minimiser ?

Je pense que comme tout le monde, nous essayons. Nous avons tous nos biais, c’est pour cela que le recrutement ne peut-être qu’un travail collectif. Confier le recrutement à une seule personne, justement avec ses biais, ce serait aller à l’échec. Chacun avec nos yeux, en nous appuyant sur les données, nous réalisons nos observations, puis les mettons en commun.

Par exemple, avec les données physiques qui sont aujourd’hui accessibles, il est possible de confronter certaines impressions. C’est d’autant plus utile lorsqu’on fait du travail vidéo, car la dimension athlétique peut parfois être difficile à évaluer. Ces données permettent justement de pondérer nos observations. Néanmoins, je pense qu’il n’y a pas de méthode miracle pour éviter les biais.

Il faut essayer d’être le plus factuel possible lorsqu’on observe des joueurs et savoir écouter ses collègues lorsqu’ils font un retour, même lorsque celui-ci ne va pas dans notre sens. Sur la base de ces retours, il faut revoir les images concernées. Parfois c’est juste que l’on est passé à côté de ces aspects, parce que nous étions focalisés sur autre chose. Le collectif doit permettre de réduire la probabilité de passer à côté d’éléments clés.

Les aspects tactiques et techniques sont souvent les plus évoqués lorsqu’il est question d’observation. A quoi êtes-vous attentif, indépendamment de ces aspects-là ?

Cela va de la manière dont il porte son maillot, son short, ses chaussures, ses protège tibias, à son comportement vis à vis de ses coéquipiers, des adversaires, de l’arbitre, du public, etc. Ce sont déjà de bons indicateurs. Ensuite il y a la manière dont il appréhende les scénarios contraires, mais aussi favorables.

Dès le début de nos observations, ce sont des éléments que nous prenons en compte et sur lesquels nous sommes encore plus attentifs lorsque nous savons que le joueur est en phase de validation totale. A l’inverse, nous pouvons aussi immédiatement éliminer un joueur que nous trouvons intéressant sur ces aspects-là. Tout ce qui est visible nous intéresse.

Aujourd’hui, quels profils de joueurs allez-vous principalement chercher à recruter ?

A Lorient, nous sommes vraiment sur un projet de développement. La plupart des joueurs que nous avons pris cet été sont de jeunes joueurs, même s’il y a aussi quelques cadres. Ce sont des joueurs chez lesquels nous avons observé certaines aptitudes.

Bien sûr, nous avons aussi pris en compte leurs performances à un instant T, dans le contexte qui était le leur. Néanmoins, nous avons avant tout recherché des joueurs qui ont des qualités fortes et que nous allons pouvoir développer chez nous.

Ça, c’est la philosophie de Lorient. Ça a toujours été comme ça. Depuis des années, le club s’est construit en faisant progresser les joueurs. Que ce soient des joueurs formés au club ou des joueurs post-formés. C’est dans l’ADN du club.

Cela étant, l’effectif doit aussi être composé de joueurs cadres, mais qui vont aussi être amené à progresser. Ils ont été choisis pour leurs qualités, que ce soit sur le plan sportif ou extra sportif, mais avec l’idée de les rendre meilleurs que ce qu’ils étaient en arrivant chez nous.

Comme pour les entreprises plus classiques, le recrutement est l’un des aspects les plus difficiles en football. Mais à l’inverse de la plupart de ces entreprises, le football est l’une des rares activités où l’on peut observer une recrue potentielle, travailler en conditions réelles et l’analyser de manière poussée. Néanmoins, on observe encore très régulièrement des « erreurs de casting ». Pourquoi ?

Effectivement, le football est l’un des seuls métiers où nous pouvons voir la personne travailler, avant de recruter. Pour moi, il y a deux types d’erreurs. Le premier, c’est le problème d’intégration. Que ce soit pour des raisons familiales, d’environnement, de style de jeu, etc.

Le joueur était performant dans le club où il était, il a des qualités et il échoue dans son nouveau club. Sur ce type d’erreur, il suffit d’observer la trajectoire du joueur par la suite, afin de voir s’il joue à un niveau semblable à celui auquel le club qui l’avait recruté aspirait à le faire jouer.

Si c’est non, c’est que le club s’était trompé sur le niveau du joueur. C’est le deuxième type d’erreur. Pour moi, c’est un cas de figure qui doit arriver le moins possible. Notre objectif, c’est de réduire au maximum ce risque-là.

Parfois on peut prendre un joueur en sachant qu’il y a un risque. On le prend plus jeune, moins cher, d’un championnat plus faible, mais le risque est « contrôlé ». Mais si nous prenons un joueur pour qu’il soit titulaire et qu’après quelques temps, nous nous apercevons qu’il n’était tout simplement pas apte à jouer au niveau auquel nous voulions le faire jouer lorsque nous l’avons recruté, c’est qu’il y a eu un problème dans les processus.

Pour vous, qu’est ce qui a le coût le plus élevé. Ne pas recruter un joueur qui explose ailleurs ou recruter un joueur qui n’est pas au niveau attendu ?

C’est toujours du cas par cas. Globalement je dirais prendre un joueur qui n’a pas le rendement espéré. On dit toujours qu’un très bon joueur, ce n’est jamais cher, mais qu’à l’inverse, un joueur même moyen et à un prix moyen, c’est toujours ça de trop. Parce que si le joueur n’a pas le niveau pour jouer, c’est un poids quotidien pour l’effectif dans le travail, mais c’est aussi un poids économique. C’est vraiment pénalisant. Tant qu’on n’a pas pris de joueur, on n’a pas fait d’erreur.

Mais s’il y a eu une opportunité incroyable et qu’elle n’a pas été saisie, alors qu’il y avait le contexte pour faire réussir le joueur chez soi, alors c’est une erreur importante et il faut tout faire pour que ça n’arrive pas.

Quels aspects essayez-vous de valider à travers cette étape d’entretiens ?

Les interviews vont dans les deux sens. Elles nous permettent d’expliquer notre projet de jeu le plus clairement possible. Que voulons nous mettre en place ? Comment voulons-nous y intégrer le joueur ? Cela nous permet aussi d’échanger afin de comprendre le fonctionnement du joueur, de lever les quelques doutes que nous aurions, parler de son parcours, de sa vision du football, de comment il le vit, de connaitre sa situation familiale actuelle, etc.

Ce n’est pas un interrogatoire, c’est vraiment un échange. Le joueur peut avoir des questions sur notre façon de jouer, etc. Sur cet aspect-là d’ailleurs, je pense qu’il y aura un peu moins de questions à l’avenir, car les joueurs voient ce qui est mis en place cette année. Cet été par exemple, nous avons parlé à des joueurs qui ne connaissaient pas notre coach pour la plupart, ou alors uniquement de réputation. Ils n’avaient pas une idée précise de ce que nous voulions faire.

Cette année, le but de ces entretiens était de présenter notre façon de fonctionner et voir si cela pouvait coller des deux côtés. Cela a vraiment été apprécié car plusieurs joueurs en ont parlé dans la presse. Ils disaient que leurs échanges avec le coordinateur sportif Aziz Mady Mogne, puis avec le coach, avait vraiment pesé dans leur décision de venir chez nous

Quelles sont les parties prenantes  ?

Les entretiens se faisaient d’abord avec le coordinateur sportif et des membres de la cellule, en fonction des connaissances que chaque membre avait des dossiers, des moments et des disponibilités. Ça, c’était la première phase.

En général, nous n’avons pas rencontré de problème, il n’y a pas eu de joueurs qui se sont arrêtés à cette étape du processus. Ensuite, les joueurs ont eu une discussion avec le coach uniquement. Il a pu leur apporter des explications plus précises sur la façon dont il voulait les utiliser et sa vision des choses. Il y avait donc deux phases distinctes.

A quelle échelle évaluez-vous que le jeu proposé cette saison (au-delà du classement), facilite le processus de recrutement ?

Je ne l’ai pas encore totalement matérialisé, parce qu’il n’y a pas eu de mercato depuis. Au club, je suis chargé de recevoir les appels entrants de tous les agents et je vois qu’il y a une différence dans l’approche.

Là où certains agents ne nous appelaient pas ou nous proposaient plutôt leurs « seconds choix », ils nous proposent aujourd’hui des joueurs qu’ils ne nous auraient jamais proposé les années précédentes. Que ce soit des jeunes joueurs ou des joueurs un peu plus confirmés.

Je vois qu’il y a une certaine attractivité grâce à cela. Après, qu’est ce qui est dû au résultat et qu’est ce qui est dû au jeu ? Ce n’est pas possible de le quantifier. En tout cas, il y a une grosse différence dans l’approche des agents.

Lorsque je prends des premiers renseignements auprès d’agents de joueurs étrangers, tout le monde semble plutôt intéressé par le projet lorientais, donc nous en profitons.

Que ressentez-vous lorsque ce que vous aviez envisagé pour un joueur, ne se matérialise pas dans ses performances et comment le gérez-vous ?

Que ce soient les joueurs que nous prenons ou ceux que nous ne prenons pas, j’essaie toujours de comparer mes évaluations avec ce qu’il se passe par la suite. Par exemple, pour la saison 2021/2022, nous avons fait venir un joueur qui s’appelle Moritz Jenz. Il a fait de bonnes choses chez nous, mais il ne s’est pas totalement imposé la saison dernière. Cette année, il a eu l’opportunité de partir en prêt et il joue au Celtic Glasgow, où il est titulaire en Ligue des champions.

D’un côté, nous pourrions nous dire que ce n’est pas un échec car le joueur évolue à un haut niveau aujourd’hui, mais nous pouvons aussi nous dire que nous l’avions pris pour jouer chez nous et que ça ne l’a pas fait. Donc on va tout analyser. Est-ce que c’est l’intégration ? Est-ce que c’est sa personnalité ? Est ce qu’il manquait des choses en termes de foot ?

Tout ce bilan-là, il est fait au quotidien. C’est le travail de notre direction de chercher à comprendre s’il y a eu une erreur sur l’évaluation du niveau du joueur ou s’il y a d’autres facteurs à prendre en compte, pour éviter d’arriver au même résultat dans le futur.

Réaliser ce type d’analyse est indispensable. Revenir sur des décisions passées pour voir ce qui a fonctionné, ce qui n’a pas fonctionné. Sur ce qui a fonctionné, avions-nous imaginé que cela fonctionnerait aussi bien ? Parce qu’il faut aussi avoir cette honnêteté-là. Se dire : « OK, nous avons pris tel joueur à un moment, mais pensions nous qu’il allait être aussi fort, aussi vite?

C’est important de savoir ce que nous n’avions pas vu au moment où la décision a été prise. Même sur une réussite, je trouve qu’il y a des enseignements à tirer. Sur les joueurs qui n’ont pas rejoint le club, c’est aussi un travail qu’il faut réaliser. Par exemple, sur la saison 2021/2023, nous cherchions des joueurs pour deux postes.

Nous avons beaucoup travaillé sur ces postes et toute la saison, je me suis demandé : « est-ce qu’à ces postes-là, il y a un joueur que nous n’avions pas vu et qui a émergé ailleurs, dans un contexte qui ressemble au notre ? Cela fait partie intégrante du travail au quotidien. Evaluer ce que nous avons fait, pour essayer de prendre de « meilleures » décisions par la suite.

Est-ce que cette auto-évaluation est quelque chose de formel, réalisé par tous les scouts, puis centralisé dans votre base de connaissances ou plutôt quelque chose de personnel ?

Il y a deux choses. Sur les joueurs que nous faisons venir chez nous, c’est une réflexion collective. Sur tout le reste, c’est plutôt personnel. J’ai tendance à me challenger, un peu comme je l’ai toujours fait.

J’ai toujours mis sur une liste les quelques joueurs dont le cv pourrait coller, qui sont intéressants, mais auxquels je ne crois pas. Cela m’oblige à suivre leur évolution et à me poser la question suivante : « est ce que j’ai bien fait ou est-ce que j’ai manqué de vision sur certains aspects ?

C’est donc plutôt une démarche individuelle, mais ça m’intéresse aussi d’échanger sur le sujet avec les collègues. Est-ce que tu as revu ce joueur ? Est ce qu’on a fait le bon choix ? C’est donc assez informel. Le seul formalisme, en fait, ce sont les rapports qui ont été faits dans le passé. Ils ne disparaissent pas.

On peut donc assez facilement regarder si un joueur, à tel poste, explose réellement. On peut aussi voir ce que chacun avait vu du joueur et si certaines caractéristiques avait été identifiées ou non ?

A l’image d’un journal de décision, cela vous permet de limiter l’impact du biais rétrospectif. Vos rapports laissent peu de place au « je l’avais vu », « je le savais ».

Le côté « je l’avais vu, je le savais », c’est une posture qui est assez facile à avoir. Sans le contexte associé au moment où la décision a été prise (faisabilité, etc.), il est difficile d’avoir une analyse fine. Quand je n’étais pas côté club, j’avais tendance à me dire : « c’est facile, ils auraient du faire tel ou tel joueur ».

Quand tu es côté club, tu as une bien meilleure visibilité sur les raisons pour lesquelles nous avons hésité à prendre certains joueurs ou pourquoi nous n’avons pas pu en prendre d’autres (arbitrages financiers en début de mercato, etc.).

De l’extérieur, ce sont des choses qui sont impossible à prendre en compte. C’est pour cela qu’en interne, c’est important d’être honnête avec soi-même et d’évaluer ce qui a été bien fait et moins bien fait, avec la même rigueur.

Vous avez observé le comportement d’un grand nombre de joueurs, que ce soit sur les aspects sportifs et extra sportifs. Qu’avez-vous appris sur la nature humaine ?

Je pense qu’on ne peut pas complètement changer les hommes. On peut les faire un petit peu évoluer. L’une des plus grandes erreurs, c’est de penser qu’on aura la solution magique pour qu’un joueur qui a d’énormes qualités, mais qui échoue partout où il va, devienne le joueur qu’il doit être. Si ça ne vient pas de lui, cela n’arrivera jamais.

A une époque, surtout quand j’étais collaborateur d’agent, j’ai fait cette erreur-là. Je me disais que les aptitudes étaient prioritaires et que le reste avait peu d’importance. En fait non. Si, dans la tête, il n’y a pas les ressorts pour aller au haut-niveau, le joueur n’ira pas au haut-niveau. Donc ce sont des aspects qu’il faut rapidement évaluer et s’il y a un doute, en général, c’est qu’il n’y a plus de doute. C’est qu’il y a un problème à ce niveau-là.

C’est ce qui me fait gagner un temps fou maintenant. Cela étant, il y a aussi des joueurs qui performent, mais qui n’ont pas encore « explosé ». Pour ces joueurs-là, il est possible de leur apporter ce petit truc en plus. Néanmoins, si partout où ils vont, c’est un échec, il y a toujours une raison qui se cache derrière.

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