Le formateur doit être un concepteur d'environnement apprenant

Conseiller technique national à la Fédération française de football et docteur en Sciences de l’Éducation et de la Formation, Jérémy Lesellier nous propose un éclairage sur les enjeux associés à la formation des entraîneurs et les défis inhérents à la conciliation entre les contraintes de la production scientifique et les attentes des professionnels.

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Qu’est-ce que le football représente pour vous ?

C’est un petit peu ce qui a guidé tout mon chemin de vie jusqu’à maintenant. Que ce soit en tant que joueur à un niveau amateur régional ou dans le cadre de mes études universitaires, tout mon parcours a été coloré par le football. C’est un compagnon de route qui m’a fait vivre des expériences incroyables en tant que joueur, même si c’était sur du niveau amateur.

Il m’a permis de faire des rencontres, de vivre des émotions assez singulières, de me construire en tant qu’homme et il fait partie intégrante d’un projet de vie. Je pourrais d’ailleurs élargir ce constat au sport d’une manière générale. L’activité physique doit faire partie intégrante d’un projet de vie.

Vous êtes conseiller technique national, après avoir occupé les fonctions de conseiller technique chargé de la formation en Ligue de Nouvelle-Aquitaine. Quelles sont vos missions aujourd’hui ?

J’ai trois missions. La première, c’est la coordination territoriale de tout le parcours initial de la formation des éducateurs sur la partie bénévole. Il s’agit de tout ce qui est non-professionnel dans les territoires : les attestations fédérales, les certificats fédéraux d’initiateurs et les diplômes fédéraux. La deuxième, c’est de coordonner le diplôme du BEPF.

Enfin, la troisième mission, c’est la recherche. Nous avons le Centre de recherche (CDR) piloté et dirigé par Chloé Leprince au sein de la Direction Technique Nationale. Dans mon domaine, sous l’égide d’Emmanuel Vandenbulcke, l’objectif est de mener des études sur le domaine de la formation d’adultes, sur la formation de formateurs et d’une manière générale, comment évaluer et optimiser notre système de formation.

Nous souhaitons mettre en place des protocoles qui nous permettent d’avoir un peu de recul sur l’impact réel de nos dispositifs de formation, afin que nous soyons dans une logique durable et vertueuse. Nous mettons en place un système au sein duquel nous formulons des hypothèses de développement selon un tryptique savoir, pouvoir et vouloir se développer, puis nous évaluons afin de pouvoir optimiser. Parfois, le terme évaluation fait peur, mais, si nous voulons un système souple et agile, l’évaluation doit être au cœur de notre fonction pour réguler. 

Sans évaluation, nous ne sommes plus dans un système souple et efficace. Les entraîneurs évaluent et s’autoévaluent constamment. C’est cette agilité, cette adaptabilité par rapport au contexte, à l’adversaire, que nous cherchons aussi à développer chez nos entraîneurs.

Vous êtes également docteur en Sciences de l’Éducation et de la Formation. Qu’est-ce que cette double culture – fédérale et universitaire – vous a apporté et vous apporte encore aujourd’hui?

Mon parcours universitaire m’a apporté une rigueur scientifique et de pensée, qui me permet, je l’espère, d’avoir une ouverture d’esprit sur les concepts ou sur d’autres façons de penser ou de faire. J’ai entamé ce parcours à travers une licence “entraînement sportif”, parce que la préparation athlétique m’intéressait.

Néanmoins, je m’en suis assez vite éloigné en raison de la vision que l’on pouvait avoir de la performance, qui me semblait très quantitative. Je trouvais que nous omettions assez régulièrement les interactions humaines, la dimension culturelle de l’activité, en somme, la complexité des situations dans le football. Je trouvais qu’il y avait une forme de simplification de la performance qui ne me correspondait pas et c’est pour cette raison que je me suis ensuite orienté sur la dimension éducation, par le football, pour les jeunes.

J’ai d’abord été formé aux méthodes qualitatives d’entretien d’analyse de l’activité, notamment à travers l’utilisation des entretiens d’autoconfrontation. Méthode utilisée en analyse du travail, à laquelle les travaux de Jacques Leplat, puis de Yves Clot ont contribué. Plus tard, j’ai été formé à la rigueur sur le plan statistique. Il y a également la rencontre avec mes futurs directeurs de thèse, Guillaume Escalié et Pascal Legrain, qui m’a fait basculer du côté de la formation de formateurs et de la formation d’adultes. Ils m’ont transmis ce goût à la recherche.

« Que l’on fasse de la recherche, de l’entraînement ou de la formation de formateur, dans tous les cas, il s’agit d’une expérience de vie. »

Quant à mon parcours fédéral, il m’a questionné sur ce que j’appelle le côté pragmatique que pourrait avoir la recherche. C’est-à-dire : lorsqu’on décide de se lancer dans une étude ponctuelle ou sur du temps long, que pouvons-nous mettre en œuvre pour que cela ait un impact plus ou moins significatif pour les acteurs de terrain ? 

Assez vite, j’ai pris conscience que ce n’était pas si simple. Il y avait, si ce n’est une fracture, tout du moins, des réticences entre ces deux cultures, alors qu’il existe des liens qui sont extrêmement implicites, certes, mais qui existent. En réalité, c’est souvent une question de jeux de langage qui diffèrent, alors que nous disons très souvent la même chose. Que l’on fasse de la recherche, de l’entraînement ou de la formation de formateur, dans tous les cas, il s’agit d’une expérience de vie. Je pars du postulat que tout est expérientiel.

En ce sens, la science n’est pas supérieure à l’expérience accumulée sur le terrain et inversement, le terrain n’a pas une valeur supérieure aux études scientifiques, qui seraient considérées comme déconnectées de la réalité. Les chercheurs, lorsqu’ils mettent en place un protocole, ils vivent quelque chose, ils font expérience.

L’un n’est pas supérieur à l’autre, parce que tout est expérience. La vie humaine est expérientielle. Cela doit donc questionner la posture de la relation entre recherche et mise en application. C’est en cela que la posture possède un rôle central dans la capacité à tisser des liens et des collaborations durables et vertueuses. 

Justement, les enjeux associés à la conciliation entre contraintes inhérentes à la production scientifique et attentes des professionnels sont omniprésents au CDR, mais également dans votre travail de thèse. D’autre part, cette approche de la formation à travers une vision expérientielle en a aussi été un fil conducteur important. Quelles ont été les implications concrètes de ces aspects sur vos travaux ?

Retracer le déroulement de mon travail de thèse, comme une expérience, me semble être le meilleur moyen d’arriver aux conséquences associées à cette vision expérientielle. Cette thèse a été financée par le dispositif CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche) lorsque j’étais à la Ligue de football de Nouvelle-Aquitaine et la première étape a consisté à réaliser une revue de littérature sur les dispositifs de formation des entraîneurs.

Nous nous sommes dit qu’en France nous formions beaucoup d’entraîneurs, de formateurs, mais que nous n’avions que peu de recul sur l’impact réel de ces dispositifs de formation. Il y a consensus sur le fait que la formation est quelque chose de nécessaire et de très important, néanmoins quels sont les bénéfices à court, moyen, voire à long terme pour l’entraîneur ? Ce questionnement a été un peu notre porte d’entrée sur ce travail de thèse.

Nous avons donc cherché à comprendre ce qui se passait dans un dispositif de formation, en l’occurrence, le Brevet d’Entraîneur de Football (BEF), pour, en fonction des résultats obtenus, pouvoir dégager d’éventuelles préconisations relatives aux données recueillies. À partir de ce questionnement, j’ai interrogé, via un entretien semi-directif, les concepteurs de la formation au sein de la Direction Technique Nationale (DTN). L’objectif était de déterminer quel était l’impact recherché par ces derniers sur les stagiaires participant à cette formation.

« Nous nous sommes dit qu’en France nous formions beaucoup d’entraîneurs, de formateurs, mais que nous n’avions que peu de recul sur l’impact réel de ces dispositifs de formation. »

Lors de nos entretiens avec eux, une dimension est régulièrement revenue. Ils voulaient que les stagiaires en formation se perçoivent plus efficaces. D’autres dimensions, comme la performance ou encore la connaissance de soi ont été évoquées, mais, en accord avec les concepteurs de la formation, nous avons décidé de focaliser notre attention sur la perception d’efficacité.

C’est une dimension qui renvoie à un certain nombre de concepts connexes, comme le sentiment d’efficacité personnelle, l’estime de soi et dans la littérature scientifique, cela renvoie à la notion de coaching efficacy, c’est-à-dire aux perceptions d’efficacité en coaching. Ensuite, nous nous sommes demandé comment ces perceptions d’efficacité étaient mesurées dans la littérature.

Traditionnellement, celles-ci sont mesurées à travers des questionnaires ayant une validité scientifique, avec une approche statistique rigoureuse. Au regard de mon parcours et de ma formation aux méthodes qualitatives, nous avons estimé que l’utilisation d’un de ces questionnaires pouvait être intéressante, mais qu’en même temps, cela pourrait s’avérer réducteur si nous nous contentions de cet outil. 

Pourquoi ? Parce que, eu égard à la complexité des situations de formation, chaque individu vit sa propre formation. Lorsqu’un contenu de formation est dispensé, chacun des participants va vivre sa propre expérience, chacun va vivre son propre monde. C’est un peu comme pour les joueurs finalement. Un latéral droit et un latéral gauche confrontés à une même situation de jeu, ne vont pas vivre celle-ci de la même manière. Chaque situation est authentique, singulière et pragmatique. C’est également de cette manière que je définis les situations de formation.

« Lorsqu’un contenu de formation est dispensé, chacun des participants va vivre sa propre expérience, chacun va vivre son propre monde. »

Avec cette perspective, nous avons pensé que si nous ne faisions passer que des questionnaires, nous allions omettre ce côté expérientiel. Au travers d’un prétest-posttest, nous avons donc couplé nos questionnaires avec des entretiens d’auto-confrontation et nous avons suivi longitudinalement plusieurs entraîneurs afin de les questionner sur leur manière de vivre les situations de formation. Nous leur avons demandé lors de ces entretiens, sur des situations spécifiques, comment ils percevaient leur efficacité.

Nous avons donc à la fois mobilisé des questionnaires mesurant les perceptions d’efficacité des entraîneurs, dans leur globalité et à un niveau plus local, à travers des situations emblématiques en formation, nous avons évalué comment ces entraîneurs se percevaient efficaces grâce aux entretiens d’auto-confrontation.

Par exemple, le passage pédagogique effectué par les stagiaires durant les semaines de formation fait partie de ces situations emblématiques. Nous avons constaté que le regard social durant ces passages ou le fait d’être évalué par des formateurs rendait ces situations éminemment singulières et particulières pour chaque entraîneur.

Lors des entretiens les entraîneurs étaient invités à visionner, a posteriori, certains de leurs actes et je les questionnais sur ce qu’ils faisaient, pourquoi et comment. Je leur demandais également ce qu’ils attendaient comme résultats et quelle perception ils avaient de leur propre efficacité. Par exemple, lorsqu’un entraîneur proposait des correctifs à un joueur, nous visionnions à nouveau ces images quelques jours plus tard, je le questionnais et à la fin, je lui demandais : lorsque tu corriges ce joueur-là, à ce moment-là, quelle perception as-tu de ton efficacité ?

C’est là que le côté expérientiel prend tout son sens. C’est pour cela que méthodologiquement, compte tenu de la complexité des situations de formation, nous avons pensé qu’il fallait que nous adoptions une approche que je qualifie de mixte. C’est-à-dire de coupler des données plutôt quantitatives recueillies via des questionnaires et des données plutôt qualitatives, plus singulières, plus expérientielles, à travers les entretiens d’autoconfrontation.

« Il est essentiel d’intégrer les professionnels (entraîneurs…) dans l’ensemble du processus de la recherche, et pas uniquement dans la présentation des résultats ou des préconisations »

Cette méthodologie mixte nous permettait aussi de répondre à des enjeux d’un point de vue professionnel. A la DTN, ce que nous souhaitons, c’est avoir des données probantes statistiquement. Néanmoins, nous gardons une posture vigilante, car l’objectif n’est pas de s’enfermer dans une quête dont le but serait de pouvoir affirmer catégoriquement que telle approche fonctionne et que telle autre ne fonctionne pas.

De mon point de vue, il y a une position intermédiaire à trouver. En situation de formation, au regard de leur complexité, il serait trop réducteur d’être catégorique vis-à-vis de l’efficacité de telle ou telle approche. D’où cette importance d’avoir des données de nature plus compréhensive. Autant les questionnaires vont nous apporter une vision explicative, afin de mesurer certains phénomènes, certains concepts psychologiques, autant les entretiens vont nous permettre d’adopter une posture plus compréhensive.

C’est cette articulation qui permet d’être audible auprès des professionnels. On dit d’ailleurs souvent que les professionnels ont du mal à venir chercher des éléments de la recherche et parfois, je me dis que l’une des raisons de cette difficulté, c’est que nous voulons tellement affirmer avec certitude que la recherche a démontré que telle ou telle approche fonctionne ou pas, que finalement, c’est inaudible pour les professionnels.

Pour en terminer sur la collaboration, je pense qu’il est essentiel d’intégrer les professionnels (entraîneurs…) dans l’ensemble du processus de la recherche, et pas uniquement dans la présentation des résultats ou des préconisations. Pourquoi ? Déjà la notion de TEMPS. Le temps de la recherche n’est pas le même que celui de l’entraîneur et les personnes doivent se synchroniser sur des temps communs pour pouvoir parler le même jeu de langage. Ensuite dans les jeux de langage. Ce qui pose souvent difficulté est la délimitation de l’objet d’étude et des méthodes utilisées pour l’appréhender. Partir des préoccupations de l’entraîneur suppose des “pas de côté” pour pouvoir appréhender de manière holistique leurs significations pour ne pas les réduire à un concept théorique. 

L’alternance entre formation en centre et stage de mise en situation professionnelle est au cœur d’une formation comme le BEF, mais également de la formation des entraîneurs en général. Néanmoins, il semble que ce principe d’alternance comporte certaines limites pouvant favoriser l’émergence d’un décalage entre ce qui est vécu par l’apprenant en centre et ce qui est vécu en situation. D’autre part, il peut être difficile pour le tuteur de faire le lien entre ces deux environnements, car ce dernier peut présenter des lacunes quant à la connaissance des contenus appris en formation. Quelles seraient les pistes envisageables pour rendre ces expériences de formation plus harmonieuses pour toutes les parties prenantes ?

Raisonner en termes d’espaces de formation interconnectés, permet d’assez vite réaliser que c’est en club que se situe toute la complexité (création de situations d’entraînement, coaching, management, la gestion des parents lorsqu’on est avec des jeunes, le staff, etc.). Nous devons donc partir du principe que ce sont toutes les situations que nous pouvons retrouver dans l’environnement professionnel de l’apprenant, qui doivent être source d’apprentissage et de développement.

Par ailleurs, avoir une vision expérientielle de la formation, cela veut aussi dire que nous devons partir de ce que vivent les apprenants dans leurs clubs, qui est toujours singulier et rapatrier cette expérience lorsqu’ils viennent en centre de formation. Cela doit nous permettre de parler, d’échanger et de nous diriger également vers une forme de conceptualisation.

La conceptualisation est une étape importante du processus, dont il ne faut pas avoir peur. En formation, si nous ne conceptualisons pas, à un moment donné, nous risquons de tomber dans un piège : chaque individu pourrait être amené à vivre sa propre expérience de son côté et rien ne serait finalement transmissible. La formation n’aurait plus d’intérêt.

L’idée, c’est donc de partir de l’expérience des entraîneurs, en intégrant que leur développement s’effectue surtout lorsqu’ils sont en situation, ce qui n’est pas toujours évident pour eux, pour un certain nombre de raisons. La première, c’est que les entraîneurs sont souvent seuls en situation, même s’ils sont accompagnés par des tuteurs. Nous devons donc travailler avec ces derniers afin que l’accompagnement puisse être adapté à l’entraîneur et à son contexte.

« Avoir une vision expérientielle de la formation, cela veut aussi dire que nous devons partir de ce que vivent les apprenants dans leurs clubs, qui est toujours singulier et rapatrier cette expérience lorsqu’ils viennent en centre de formation »

Un entraîneur novice, par exemple, n’aura certainement pas besoin du même type d’accompagnement qu’un expert. Individualiser la formation et les interactions est donc fondamental. Aujourd’hui, que ce soit en France ou dans le monde, un grand nombre de formations sont basées sur le principe de l’alternance. Nous partons du principe qu’en alternant entre centre de formation et stage, il y aura forcément développement chez l’apprenant. Cependant, ce n’est pas du tout le cas. Ce sont les premiers constats que nous avons faits dans ma thèse, mais qui ont également été faits par un certain nombre d’autres personnes.

A travers les études ou en interrogeant des professionnels, des formateurs, nous nous apercevons qu’il y a un hiatus de sens entre ce que l’apprenant vit en formation et ce qu’il peut vivre en club. La déconnexion avec la réalité est d’ailleurs une remarque que nous entendons régulièrement de la part des stagiaires en formation. Ce hiatus de sens, nous devons le prendre en considération.

Le deuxième constat, c’est qu’en formation, il y a une tendance à vouloir développer la pratique réflexive ou la réflexivité des apprenants. C’est un vœu noble, à travers lequel les concepteurs et les formateurs cherchent à développer l’aspect métacognitif chez les apprenants. Néanmoins, un grand nombre d’idées peuvent se cacher derrière cette notion de pratique réflexive et au final, cela ne fait que contribuer à renforcer le brouillard dans lequel les apprenants se trouvent.

En gardant ces éléments à l’esprit, nous nous sommes donc demandé si la volonté de développer la réflexivité des apprenants n’allait pas, au contraire, détériorer l’estime de soi, la confiance en soi ou les perceptions d’efficacité des entraîneurs en formation, surtout lorsque ces derniers sont novices. Cela nous a amenés à nous questionner sur les différents niveaux d’interaction à avoir avec les individus, en fonction de leur niveau initial.

« Il y a un hiatus de sens entre ce que l’apprenant vit en formation et ce qu’il peut vivre en club. La déconnexion avec la réalité est d’ailleurs une remarque que nous entendons régulièrement de la part des stagiaires en formation. »

Peut-être que pour certains, il est nécessaire que la réflexivité vienne un peu plus tard. Pour d’autres, ayant accumulé beaucoup d’expérience, peut-être que nous allons travailler avec eux pour développer leur réflexivité. Il y a donc une forme d’individualisation et nous devons arriver à développer un accompagnement que l’on pourrait caractériser de « sur mesure ».

Concernant les tuteurs, plusieurs constats ont été réalisés sur la première partie de mon travail de thèse. Le premier, c’est que les entraîneurs en formation pouvaient percevoir ce décalage entre les formateurs et les tuteurs. Nos tuteurs ont beaucoup d’expérience de terrain et ne sont pas toujours acculturés avec le jeu de langage de la formation, la terminologie évoluant par ailleurs, ce qui peut engendrer des réticences. Ce sont des choses que les stagiaires sentent et perçoivent et c’est un frein au développement.

Notre objectif est donc de déterminer ce qui doit être mis en œuvre pour passer d’une collection de formateurs, associés aux tuteurs, à un véritable collectif. En tant qu’ingénieurs pédagogiques, nous devons travailler pour atteindre ce but. En ce sens, durant mon travail de thèse, nous avons essayé de faire en sorte que les tuteurs puissent venir ponctuellement sur des sessions de formation du BEF, afin de suivre leurs stagiaires et qu’ils puissent observer comment s’effectuent les débriefings avec les formateurs.

Par ailleurs, nous avons également essayé de créer des espaces communs d’échange. Par exemple, lorsque l’entraîneur en formation réalise son passage pédagogique, le formateur propose des préconisations qui sont notées sur une fiche pédagogique. Ce que nous avons ajouté, c’est que le formateur faisait aussi des préconisations à destination du tuteur. Des préconisations en matière de fixation d’objectifs, en matière d’interaction.

Admettons qu’en début de formation, l’entraîneur ait des difficultés à évaluer le niveau de son groupe et donc à proposer des variables permettant de faire évoluer, complexifier, simplifier ses situations d’apprentissage. Nous allons alors préconiser au tuteur de faire une focalisation sur les variables, la fixation d’objectifs, lors de l’accompagnement suivant.

Nous pouvons également proposer de réaliser une première visite d’accompagnement, durant laquelle le formateur prendrait une partie de la séance pendant que le stagiaire observe, puis effectuer un débriefing derrière. Nous pourrions aussi demander à ce qu’il y ait une coanimation, par exemple, entre le stagiaire et le tuteur, ou alors une coconstruction de la séance avec l’identification de variables plus ou moins pertinentes, etc.

Plusieurs interactions sont possibles et notre idée, c’est de former les formateurs afin qu’ils soient à la fois précis, pertinents et efficaces avec les stagiaires, mais surtout, qu’ils fassent des préconisations à destination des tuteurs afin que le stagiaire ressente cette continuité d’expérience entre le centre de formation et le stage.

Pour la FFF, de manière générale, quels sont les enjeux associés à la formation d’adultes, que ce soit en formation initiale ou continue et quel rôle peut-elle jouer auprès de tous les entraîneurs ?

Nous partageons une vision pragmatique de la formation. Nous devons garder en tête que tout fonctionne quelque part, mais que rien ne fonctionne partout. Cette vision nous permet de remettre ce côté expérientiel au cœur de notre approche, ce qui me paraît être un point essentiel.

Le second élément qui me semble important, c’est quil ne faut pas enfermer l’éducateur et l’entraîneur dans un dogme, dans une méthodologie, sans qu’il en connaisse les forces, les faiblesses et les limites. Le mieux pour éviter cela, c’est de définir comment adapter l’approche proposée à son propre contexte. Nous devons donc être force de proposition pour ne pas tomber dans ce piège. Nous devons aider l’entraîneur à développer des convictions, sans tomber dans une application qui pourrait être aveugle.

« Il ne faut pas enfermer l’éducateur et l’entraîneur dans un dogme, dans une méthodologie, sans qu’il en connaisse les forces, les faiblesses et les limites »

Cela demande une ouverture d’esprit énorme, colossale et surtout une connaissance méticuleuse des différentes approches, de différentes méthodologies, de la part des formateurs. Relativement à ces préoccupations, la fédération, la direction technique, ont un rôle d’exemplarité.

Dans notre quotidien, lorsque nous accompagnons les Ligues, nous devons être capables de montrer que nous nous sommes intéressés aux sujets, que nous les avons étudiés, que nous avons échangé avec des experts de l’entraînement, etc. C’est tout ce processus qui doit nous permettre de définir des avantages, des inconvénients, des limites, des préconisations, des points de vigilance, etc.

Par ailleurs, je pense que nous avons également un rôle fédérateur à jouer. La société, de manière générale, est de plus en plus fracturée. Le football doit être vecteur d’unité et nous devons nous ouvrir. Chacun a sa vision, chacun a ses expériences. J’ai une expérience plutôt universitaire, certains collègues ont des expériences d’entraîneurs, de formateurs qui sont colossales.

« Le football doit être vecteur d’unité et nous devons nous ouvrir. »

Nous devons montrer que nous pouvons prendre en compte, que nous pouvons discuter, qu’il peut y avoir du débat. Je crois beaucoup en la force du débat collectif sur des thématiques particulières. En lien avec cette notion d’unité, de respect des uns et des autres, de solidarité, d’entraide mutuelle, le débat est quelque chose qu’il faut arriver à inculquer et à valoriser. Lorsqu’il y a du débat, cela veut dire qu’il y a du dialogue et que le système de formation fonctionne.

En outre, être entraîneur, c’est être extrêmement isolé et seul face à ses décisions. C’est être seul face à ses dirigeants pour expliquer pourquoi on a perdu, etc. Il y a donc aussi un enjeu fondamental lié à la santé mentale et au bien-être de l’éducateur.

Nous devons travailler avec nos éducateurs et nos entraîneurs à prendre soin d’eux. Ils doivent être des experts sur un certain nombre de sujets (management, connaissance du jeu, etc.), mais il y a aussi une dimension associée à leurs compétences intrapersonnelles.

« Lorsqu’il y a du débat, cela veut dire qu’il y a du dialogue et que le système de formation fonctionne. »

Cela renvoie à leur capacité à prendre du recul sur eux-mêmes (compétences réflexives) et à prendre soin d’eux parce qu’ils évoluent dans des environnements qui peuvent potentiellement détériorer leur santé. Les travaux menés par Chloé Leprince et ses équipes sont extrêmement novateurs sur cette thématique au sein du CDR. 

La formation continue permet de rassembler des éducateurs sur différentes thématiques, de répondre à certaines de leurs problématiques, de favoriser les échanges et d’approfondir certains sujets. Maintenant, si nous faisons un peu de prospective, et ce n’est qu’un avis personnel, il faut que nous considérions les espaces de formation, pas uniquement en matière de centre. Nous devons valoriser les initiatives personnelles. Par exemple, il pourrait être intéressant de créer, comme c’est le cas dans le cadre universitaire, des rendez-vous informels où un expert serait invité à réagir sur des thématiques spécifiques.

« L’enjeu de demain sur la formation continue, c’est de définir comment prendre en compte les trajectoires de vie de chacun. »

En revanche, cela doit faire partie intégrante d’une méthodologie de développement. Est-ce qu’à la suite d’un événement de ce type, il y a un échange ? Une pratique réflexive réalisée ? Une mise en application ? Je serai pour favoriser toutes ces initiatives locales et que cela soit valorisé en matière de formation continue.

En tout cas, si nous partons du principe que l’apprentissage est de nature expérientielle, et que nous allons au bout de cette démarche, nous devons entendre que chaque individu, chaque entraîneur,  apprend à tout instant de sa vie. L’enjeu de demain sur la formation continue, c’est de définir comment prendre en compte les trajectoires de vie de chacun.

En France, on peut parfois avoir le sentiment que dès l’école, les notes et les diplômes se substituent à l’expérience d’apprentissage. C’est une tendance que l’on peut également retrouver dans le parcours de formation des entraîneurs. Obtenir un diplôme permettant d’accéder à un poste, à un niveau de compétition, peut devenir le principal moteur de l’entrée en formation. Vos travaux s’inscrivent dans une vision où la formation est centrée sur l’apprenant, ce qui soulève deux questions : comment amener les formateurs à devenir des facilitateurs, mais également encourager les apprenants à s’approprier leur projet formation et à l’inscrire dans le temps long?

En partant du postulat que chaque individu vit sa propre vie d’une manière singulière et authentique, on peut remarquer que de manière générale, en France, le système éducatif a tendance à cloisonner les espaces de formation et de développement. 

Aujourd’hui, nous, nous essayons de tendre vers l’idée que c’est en partant du projet de vie de l’individu, de son expérience, de son approche de l’apprentissage, de ce qu’il a envie d’apprendre, que nous allons pouvoir travailler avec lui et lui proposer un projet de formation singulier et authentique. Cela redéfinit de manière assez intéressante les espaces de formation.

Nous voulons conceptualiser les espaces de formation comme étant interconnectés. Assister à une conférence, c’est un espace de formation. Lire du contenu sur NOSOTROS FC, cela peut être un espace de développement. Lorsqu’on décide d’aller en immersion au sein d’une organisation sportive, cela peut être un espace de développement. Lorsqu’on se forme sur un sujet, cela peut être un espace de développement. Tout peut être un espace de développement.

« C’est en partant du projet de vie de l’individu, de son expérience, de son approche de l’apprentissage, de ce qu’il a envie d’apprendre, que nous allons pouvoir travailler avec lui et lui proposer un projet de formation singulier et authentique »

Nos dispositifs de formation continuent de se transformer, pour être encore plus souples et agiles, dans le but de pouvoir répondre à ces préoccupations et que l’apprenant soit « actif ». Ce dernier doit être maître de son propre apprentissage et de son développement. Dans le cadre de la formation continue, c’est l’apprenant lui-même qui va aller creuser les sujets qu’il a envie d’apprendre et ce qu’il souhaite développer. La question qui s’offre alors à nous, c’est : que devons-nous mettre en place, en formation initiale, pour générer, favoriser et accompagner cette envie de ?

Cela renvoie au concept d’agentivité développé par un certain nombre d’auteurs, comme Albert Bandura, dont j’ai mobilisé les travaux durant ma thèse. C’est-à-dire, comment permettre à l’apprenant d’être acteur de son propre développement, tout en essayant de limiter la pression sociale et institutionnelle qui existe et que pourrait ressentir l’apprenant ?

Il faut donc à la fois un cadre et certaines exigences, mais également une certaine souplesse de la part des concepteurs de la formation et des formateurs, pour répondre aux besoins des apprenants et les accompagner dans leur chemin de vie. Une formation n’étant qu’un chemin de vie parmi d’autres et nous devons définir comment le rendre signifiant, afin qu’il puisse se transformer.

« Nous voulons conceptualiser les espaces de formation comme étant interconnectés »

Ce qui amène à la question de la posture du formateur. Il doit être un facilitateur pour l’individu. En paraphrasant Keith Davids qui disait lors de votre entretien que l’entraîneur est un concepteur d’environnement d’apprentissage, je dirais que le formateur doit être un concepteur d’environnement apprenant.

Ce qui vaut pour les entraîneurs, vaut aussi pour les formateurs. Par exemple, pour certains diplômes, nous souhaitons qu’en début de formation, les entraîneurs, les éducateurs, découvrent et travaillent autour du socle commun proposé par les formateurs et nous souhaitons également partir de leurs représentations, de leurs besoins pour pouvoir les accompagner.

Partir de leurs besoins, de leurs motivations, de leurs motifs d’agir et les accompagner pour faire de la recherche documentaire, pour chercher des ressources, travailler avec eux pour qu’ils puissent en faire des synthèses, qu’ils puissent tester des choses en club, voir ce qu’ils en retiennent, etc.

« Nos dispositifs de formation continuent de se transformer, pour être encore plus souples et agiles, dans le but de pouvoir répondre à ces préoccupations et que l’apprenant soit « actif » »

Cette souplesse de la part des formateurs est vraiment essentielle, ce qui demande en matière de formation de formateurs de se détacher du contenu. Le contenu est bien entendu important, mais l’idée, c’est de partir de l’individu pour aller éventuellement sur le contenu des concepts. Ce n’est pas la même chose que de partir des concepts.

Soit nous avons une approche descendante et nous partons des concepts pour aller vers l’individu, soit nous partons de l’individu pour aller éventuellement mobiliser certains concepts. Ce qui pose la question de la dichotomie entre formation initiale et formation continue.

En ce sens, j’apprécie la notion de formation continue tout au long de la vie, amenée par la loi de 2018 sur la liberté de choisir son avenir professionnel. Je trouve que c’est un concept extrêmement riche et pertinent. Charge à nous maintenant de l’opérationnaliser dans notre cursus de formation.

Cette idée de formation tout au long de la vie est effectivement intéressante, car elle permet de faire le lien entre les différentes expériences d’apprentissage vécues par l’individu, de manière formelle ou informelle.

Il y a effectivement un certain nombre d’étapes, jalonnées par des apprentissages qui peuvent être très implicites. La question des apprentissages explicites que l’on peut faire en formation est souvent abordée, mais on parle moins de tout ce qui a trait aux apprentissages implicites. Pourquoi ? Peut-être parce que l’expérience, par nature, n’est pas totalement verbalisable.

Certaines choses passent un peu « sous le radar » de la conscience, mais pourraient potentiellement être dicibles via des outils d’analyse de l’activité comme les entretiens d’autoconfrontation ou encore les entretiens d’explicitation. Ces outils d’analyse de l’activité ne s’inscrivent pas dans les mêmes cadres conceptuels, mais pourraient permettre de rendre dicibles, en partie, ces expériences-là.

Néanmoins, la cohérence conceptuelle doit être une ressource pour le chercheur et non pas un frein. Notre rôle est de faire dialoguer différents ancrages conceptuels, théoriques pour questionner la façon dont la recherche s’empare d’un sujet, en l’occurrence la formation des entraîneurs et les perceptions d’efficacité dans mon propos. 

Au regard de votre parcours, de vos différentes expériences de vie, qu’avez-vous appris sur la nature humaine et sur l’apprentissage ?

L’être humain, d’une manière générale, a une formidable capacité d’adaptation, de résilience et de souplesse d’esprit, pour être efficace dans son environnement. Pour moi, nos chemins de vie sont par nature chaotiques, ils sont non linéaires. C’est comme un match de football, c’est chaotique par définition. C’est un point qui me semble extrêmement marquant en tout cas dans mon parcours.

Je pense aussi que nous ne devons pas approcher les choses de façon binaire. Par exemple, vouloir absolument avoir une approche très pragmatique, professionnelle, qui ne prend pas en compte les données de la recherche ou inversement, ne jurer que par la recherche. Encore une fois, la recherche scientifique ne doit pas occuper une position en surplomb et les études scientifiques ne sont pas la seule voie vers la réussite.

Bien entendu, la recherche est importante et il faut avoir cette ouverture, cette veille scientifique et technologique parce que cela nous donne des tendances, des pistes, cela nous permet de faire des retours. Cependant, il ne faut pas voir cela comme le Graal. La question de l’utilisation des datas dans le sport en général et les travaux de Christopher Carling apporte des éclairages intéressants sur ce sujet. 

En revanche, il ne faut pas tomber dans un autre piège, celui où l’on se dit que les chercheurs sont totalement déconnectés et que leurs observations ne correspondent pas du tout à la réalité du terrain. Nous devons avoir une approche pragmatique de l’activité humaine. L’être humain a une formidable capacité à être curieux. Je trouve cela assez incroyable.

On peut discuter avec des gens qui n’ont pas fait de recherche et qui ont des points de vue extrêmement pertinents sur le sujet. A l’inverse, un certain nombre de personnes ayant fait de la recherche proposent également des réflexions extrêmement pertinentes sur le côté application, terrain, etc. C’est quelque chose d’exceptionnel.

« La recherche scientifique ne doit pas occuper une position en surplomb et les études scientifiques ne sont pas la seule voie vers la réussite. »

C’est d’ailleurs un peu un regret, car je trouve qu’il n’y a pas assez d’espace pour le débat. Je suis pour la mise en œuvre de tiers espaces de la rencontre entre des chercheurs, des professionnels, des gens qui ont beaucoup d’expérience, d’autres qui n’ont pas du tout d’expérience.

Nous devons aussi nous ouvrir sur le fait qu’il n’y a pas que dans le domaine du football qu’il y a des personnes de très grande qualité. Il y a d’autres domaines où un travail colossal est réalisé. Cette mise en réseau entre les êtres humains est pour moi essentielle afin que nous puissions nous nourrir et nous développer.

D’autre part, l’être humain ne peut apprendre seul. Je crois beaucoup à l’importance de l’accompagnement, du guidage individualisé, car nous nous formons dans l’interaction. Dans l’interaction avec notre environnement, qui peut être social, physique ou encore culturel.

Par exemple, si je pars entraîner à l’étranger, je vais être confronté à des cultures différentes. C’est une dimension qu’il faut savoir appréhender, mais c’est ce qui fait toute la richesse de notre métier. Par ailleurs, au sein d’un même pays, ce n’est pas la même chose d’entraîner dans un club ou dans un autre.

Finalement, nous devons déterminer comment donner les meilleurs outils à nos entraîneurs pour appréhender cet ensemble écosystémique, toujours en interaction, pour pouvoir mieux se situer et être encore plus efficace en matière de performance. L’environnement est de plus en plus complexe, il y a de plus en plus d’intervenants, les staffs sont de plus en plus étoffés, donc il y a de plus en plus d’interactions et d’échanges.

Cela demande une force de la part de l’entraîneur, en matière de connaissance de soi, de résilience, d’adaptation, de créativité, de spontanéité, que nous souhaitons stimuler à travers nos dispositifs de formation.

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