Thomas Gronnemark - NOSOTROS

Les meilleures équipes combinent les touches longues, rapides et intelligentes

Thomas Grønnemark a très largement contribué à transformer les clubs de Superliga (Danemark), sur une phase ultra-courante du jeu mais souvent délaissée (à tort ?) : les touches.

Depuis, il a exporté avec succès son savoir-faire à Liverpool, mais aussi à l’Ajax, au RB Leipzig ou encore à la Gantoise .

Alors, faut-il complètement (re)penser notre approche de cette phase du jeu ? Quelques éléments de réponses dans cet entretien.

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Pourquoi et comment avez-vous commencé à travailler avec des équipes de football ?

Pour répondre à cette question, il faut revenir environ trente-cinq ans en arrière. Quand j’étais enfant, je regardais souvent mes cousins jouer au football et j’ai toujours été fasciné par leur capacité à réaliser de très longues touches. Le ballon allait vraiment loin. À l’époque, je devais avoir 9 ou 10 ans et ils avaient huit ou dix ans de plus que moi. Donc, quand vous voyez vos cousins plus âgés faire cela, vous vous dites : C’est cool !

Adolescent, j’ai moi aussi essayé de travailler cet aspect et c’est devenu une de mes grandes forces, car j’avais vraiment de grosses qualités athlétiques. Au Danemark, j’ai joué au plus haut niveau chez les jeunes et j’ai pu affronter de très bons joueurs comme Thomas Gravesen, par exemple. A 19 ans, j’ai quand même réalisé que je n’étais pas assez bon pour être un joueur de football professionnel, alors je me suis lancé dans l’athlétisme et dès la première année, j’ai rejoint l’équipe nationale. Je courais le 100, 200, 400 mètres et les relais.

J’ai eu beaucoup de succès au cours des six années où j’ai pratiqué l’athlétisme. J’ai été plusieurs fois champion du Danemark. Le plus grand moment a été lorsqu’en 2000, à Paris, nous avons remporté le relais 4×400 au championnat d’Europe des clubs. En 2002, j’ai déménagé à l’ouest du Danemark, dans une jolie petite ville appelée Skive, où je vis maintenant. Je suis alors passé d’un entraînement de groupe à un entraînement en solitaire.

Même si j’étais en équipe nationale et que j’avais établi des records personnels, c’était un peu comme si tout d’un coup, ce n’était plus que des chiffres sur un papier. J’ai donc réalisé que je devais me trouver un sport d’équipe, parce que j’aimais le travail d’équipe dans le football, mais aussi avec l’équipe de relais. Et ce nouveau sport, ça a été le bobsleigh. C’est un sport de fou.

C’est comme conduire à 150 km/h, mais sur la glace et avec des courbes ! Un sport de fou. J’ai fait partie de l’équipe danoise de bobsleigh pendant quatre ans et j’ai voyagé dans le monde entier. En Europe, au Canada, aux États-Unis… C’était fantastique. Et c’est en 2004, que je me suis dit que comme j’étais plutôt doué pour les touches étant jeune, peut-être que je pourrais l’apprendre à d’autres joueurs.

« En 2008, j’ai remarqué que beaucoup d’équipes perdaient quasi-systématiquement le ballon, à la suite d’une touche. Que ce soit dans leur propre camp ou le camp adverse. J’ai donc créé ma propre méthode : the long, the fast and the clever throw-in. »

Je suis donc allé à la bibliothèque de mon quartier après une compétition de bobsleigh et j’ai essayé de trouver un livre sur les touches.  Mais il n’y avait pas de livre du tout. J’ai donc essayé de regarder sur Internet. Il y avait des choses, mais il n’y avait rien de sérieux. J’ai donc mis environ six mois à développer ma propre méthode. Je me suis posé énormément de questions comme : que se passe-t-il lorsque on utilise les hanches comme ça et les bras comme ça ? Comment et quand courber les bras en courant ? Et puis à l’automne 2004, j’ai réalisé ma 1ère formation dédiée aux touches. Bien sûr j’aurais pu commencer avec des équipes amateures ou des équipes de jeunes, mais j’ai trouvé le courage de demander à une équipe de Superliga qui s’appelle Viborg et qui joue maintenant en 2ème division. A ma grande surprise, ils ont accepté ma proposition. Les joueurs se sont beaucoup améliorés sur les touches et l’équipe a marqué un certain nombre de buts sur cette phase de jeu. Cette année-là, le club a obtenu le meilleur classement de son l’histoire. C’était fantastique.

L’année suivante, durant la saison 2005-2006, j’ai travaillé avec le FC Midtjylland, un club encore plus huppé. Depuis, j’ai accompagné un certain nombre d’autres équipes au Danemark.

Les trois ou quatre premières années, tout mon travail était basé sur les longues touches. En 2008, j’ai remarqué que beaucoup d’équipes perdaient quasi-systématiquement le ballon, à la suite d’une touche. Que ce soit dans leur propre camp ou le camp adverse. J’ai donc créé ma propre méthode : the long, the fast and the clever throw-in. Cette approche couvre tous les types de touches, peu importe la zone du terrain. Mais le problème que j’ai rencontré, c’est que les équipes n’étaient intéressées que par des entraînements centrés sur les longues touches.

« Le premier club qui a véritablement été intéressé par tout ce que je sais sur les touches, c’est le Liverpool FC. »

Bien sûr, c’est pertinent de travailler cet aspect parce que certaines équipes ont des joueurs qui sont, physiquement, capable de le faire. Mais ce n’est pas le cas de toutes. Par exemple, sur les 4 dernières saisons, le FC Midtjylland a marqué trente-cinq buts à la suite d’une longue touche. Sur la saison 2017-2018, l’AC Horsens, une autre équipe que j’ai accompagné, a également marqué dix buts à la suite d’une longue touche. Donc on peut avoir beaucoup de succès sur les longues touches, mais je pense qu’il est plus important de se concentrer sur tous les types de touches, dans toutes les zones du terrain. Mais à ce moment-là, personne n’était intéressé par ces aspects lors de mes entraînements. Le premier club qui a véritablement été intéressé par tout ce que je sais sur les touches, c’est le Liverpool FC.

Tout a vraiment démarré lorsque Jürgen Klopp m’a appelé.

Lorsqu’on apprend que Liverpool a engagé une personne comme vous pour travailler les touches, on pense tout de suite aux longues touches et aux aspects techniques. Comment envoyer le ballon à 25 ou 30 mètres, moins aux aspects tactiques et ce que cela peut apporter à l’équipe. C’est à dire comment conserver le ballon, comment le récupérer, comment mettre l’adversaire sous pression, etc. En étudiant votre travail de plus près, on se rend compte que la technique est seulement un « petit » aspect et que la plus grande part est axée sur les aspects tactiques. Aujourd’hui, combien y a-t-il de touche pendant un match de haut niveau ?

Il y a environ 40 à 60 touches par match. C’est ce qui se passe dans le football professionnel. Il y en a probablement encore plus dans le football amateur et les équipes de jeunes. Mais la technique est aussi moins précise.

C’est donc la phase arrêtée qui se produit le plus souvent dans un match et les équipes conservent la possession dans moins de 50 % des situations. Pensez-vous que les touches soient un aspect trop peu travaillé par les équipes ?

Oui, je le pense vraiment. Je pense même que dans la plupart des clubs, ce n’est pas du tout travaillé. Je pense que le plus gros obstacle, c’est le manque de connaissance des entraineurs, sur le sujet. Et le problème est qu’il n’y a vraiment personne dans le football qui ait travaillé, en profondeur, sur le sujet. Bien sûr, il y a des entraîneurs qui, de temps en temps, ont eu une idée et ont essayé certaines choses. Mais il n’y a jamais eu personne avant moi qui ait vraiment eu envie de travailler cette phase.

« Je vois beaucoup d’équipes de haut niveau, se contenter de jouer le long de la ligne, en espérant que cela se passera bien, alors que c’est la pire chose que vous puissiez faire, si vous n’avez pas de stratégie pour les exploiter. »

Vous savez, je pense tous les jours aux touches. Toutes les heures. J’en rêve la nuit. C’est une passion et je suis surpris que personne, ou presque, ne se soit penché sur le sujet avant. Le football a déjà 140 ans… Et je vois bien qu’à Liverpool, nous surpassons complètement nos adversaires dans ce domaine.

Prenons les touches sous pression, c’est à dire celle ou chaque joueur est marqué par l’adversaire. Je vois beaucoup d’équipes de haut niveau, se contenter de jouer le long de la ligne, en espérant que cela se passera bien, alors que c’est la pire chose que vous puissiez faire, si vous n’avez pas de stratégie pour les exploiter.

Et c’était un peu la même chose pour Liverpool, mais cette saison, les chiffres sont complètement différents. En septembre 2019, Tifo Football à fait une analyse sur le sujet en comparant les touches sous pression dans les différents championnats européens. Ils ont affirmé qu’au cours de la saison 2017-18, la saison avant que je ne vienne à Liverpool, l’équipe avait une possession de 45,4% sur les touches sous pression. Ils étaient 18èmes sur 20 en Premier League. La saison suivante, nous sommes passés à 68,4 %.

« Que vous perdiez un ballon après une touche ou après une passe, les conséquences sont les mêmes. »

Soit une augmentation de 23%. Nous sommes passés de la 18e place à la 1ère place de la Premier League sur les touches sous pression. La 2ème place en Europe, juste derrière une de mes autres équipes, le FC Midtjylland. C’est donc très important, car beaucoup de gens disent que ce ne sont que des touches. Et moi je dis que c’est un sujet, car que vous perdiez un ballon après une touche ou après une passe, les conséquences sont les mêmes. Vous pensiez à attaquer et là, ce sont vos adversaires qui ont le ballon et vous n’êtes pas organisé. Si vous le conservez après une touche sous pression, vous pouvez garder le contrôle, mais vous pouvez aussi vous créer des occasions et marquer des buts. Cette saison (avant l’arrêt temporaire du championnat) avec Liverpool, nous avons marqué 13 buts à la suite de touches.

Et ce sont des touches provenant de différentes zones du terrain. Cette saison, nous avons également marqué trois buts après avoir récupéré le ballon, en appliquant un certain type de pressing. Avec mon approche, j’essaie d’aider les joueurs à développer leur intelligence sur les touches. Donc cela concerne tout ce qui y est assimilé : la tactique, la technique…

Et pourquoi les équipes danoises sont-elles si avancées sur ce sujet ? Est-ce grâce à vous ?

Non, je dirais juste que beaucoup d’équipes ont peut-être de l’avance dans le domaine des longues touches. Mais, peu d’équipes danoises vont au-delà de ça. C’est une des choses qui manquent au Danemark. Je dirais aussi que les autres équipes avec qui je travaille, depuis mon arrivée à Liverpool : l’Ajax, Atlanta United, La Gantoise… utilisent mon approche actuelle. La plupart des équipes que j’entraînais avant 2018 étaient focalisées sur les longues touches. Donc, oui, je pense que beaucoup d’équipes danoises sont en avance dans le domaine des longues touches. Elles ont beaucoup de très bon « lanceurs ». Au Danemark, la plupart des joueurs qui lancent loin, ont travaillé avec moi. Je pense donc que les équipes danoises peuvent encore s’améliorer sur les autres aspects de cette phase de jeu.

 

Les touches offensives peuvent être une excellente arme, mais comme le disait récemment Ted Knutson (StatsBomb), c’est aussi la phase de jeu la plus simple à presser. Alors, quelle serait votre définition d’une bonne équipe dans ce domaine du jeu ?

Effectivement, les touches sont la situation la plus simple à presser. Et ce, pour plusieurs raisons. Certains joueurs peuvent lancer le ballon très loin avec leurs mains, mais beaucoup de joueurs ne peuvent le lancer qu’à 15 ou 20 mètres. Avec vos pieds, vous pouvez l’envoyer à 50, 60, 70 mètres. Donc la distance est une 1ère raison. Une autre raison est : la précision. La plupart des joueurs ne sont pas précis. Cela signifie que vous aurez encore plus de pression à l’endroit où arrivera le ballon. Et la dernière : les joueurs ne sont pas très mobiles sur cette phase. Donc cela crée aussi de la pression si vous ne créez pas d’espace. Et puis, sur une touche, le ballon part d’environ 2,50m au-dessus du sol. Il est donc plus difficile de contrôler ce genre de passe, si vous n’avez pas les qualités nécessaires. Contrairement à une passe au sol. Je suis donc tout à fait d’accord avec StatsBomb.

Pour répondre à la question : quelles sont les meilleures équipes ? Je dirais que ce sont celles qui ont des joueurs qui peuvent réaliser de long lancer. C’est vraiment efficace et c’est un gros avantage, mais c’est aussi un désavantage pour beaucoup d’équipes, car : plus la touche est longue, plus la probabilité d’erreur est grande.

« Les bonnes équipes savent quand lancer vite et quand attendre »

Lorsque j’ai commencé à travailler avec Liverpool, Andy Robertson atteignait 19 mètres et maintenant, il atteint 27 mètres. Son lancer couvre une surface d’environ 500 mètres carrés et les meilleures équipes ont donc des joueurs qui peuvent couvrir de très grandes surfaces avec leur lancer. 

Ensuite, il y a les touches rapides. Défensivement, les meilleures équipes marquent rapidement leurs adversaires. Mais ce n’est pas qu’une affaire de marquer l’adversaire, il faut savoir comment le marquer, communiquer, utiliser le langage corporel, etc. C’est un des aspects des touches rapides. L’autre aspect, c’est de lancer le ballon rapidement. Ce qui peut être un énorme avantage. Mais faut-il lancer rapidement à chaque fois ? Non ! Parce que parfois c’est la pire chose que vous puissiez faire. Si vous lancez rapidement dans une zone sous pression, c’est catastrophique. Donc les bonnes équipes savent quand lancer vite et quand attendre. Si vous regardez Liverpool, parfois nous lançons vite et d’autres fois nous attendons jusqu’à huit, dix, douze secondes. Ce n’est pas parce que nous ne savons pas quoi faire. Nous attendons simplement que le bon espace soit créé.

Un autre aspect sur les touches rapides : ce sont les touches de contre-attaque. Comme on ne peut pas être hors-jeu sur une touche, les bonnes équipes exploitent cet aspect afin de trouver les meilleures situations pour contre-attaquer. Vous ne pouvez pas le faire à chaque fois mais vous pouvez le faire plusieurs fois au cours d’un match. Si vous parvenez à reconnaître les moments où contre-attaquer à partir d’une touche, combiné à de bons appels, alors vous pouvez vraiment profiter de ces situations. 

« les meilleures équipes sont celles qui sont capables de créer des espaces dans les différentes zones du terrain »

Et puis sur les touches intelligentes, les meilleures équipes sont celles qui sont capables de créer des espaces quand elles ont des touches sous pression. Dans la plupart des équipes, les joueurs sont au choix : immobiles ou ne se déplacent que d’un, deux ou trois mètres. Le problème est que si vous ne bougez que d’un ou deux mètres, vous ne créez pas de problèmes à l’adversaire et vous ne créez pas d’espace pour vos coéquipiers.

Je travaille donc avec trois zones différentes et 40 à 50 façons différentes de remettre le ballon en jeu, mais ce n’est pas comme au football américain. Pour moi, les meilleures équipes sont celles qui sont capables de créer des espaces dans les différentes zones du terrain. La raison pour laquelle j’utilise trois zones est que la pression est vraiment différente dans chacune d’elle.

Dans le premier tiers du terrain, il y a souvent beaucoup plus de pression, l’angle de lancer est réduit et vous ne voulez surtout pas perdre le ballon. Mais vous pouvez aussi vous dire que si vous sortez le ballon de cette zone, vous aurez souvent une très bonne opportunité de contre-attaque ou de transition.

Dans le second tiers, vous pouvez dire que c’est peut-être l’endroit le plus adéquat pour une touche, parce que vous avez environ 180 degrés. Il est donc possible de marquer sur des touches depuis cette zone, car il y a plus d’options. 

Pour conclure, je dirai que les meilleures équipes sont celles qui sont capables de combiner les touches longues, rapides et intelligentes. Qu’elles aient la possession du ballon ou pas.

Si vous deviez travailler avec une équipe de jeunes ou une équipe non professionnelle, comment le feriez-vous ?

J’ai trois façons de travailler. Il y a un 1er format où je me rends dans un club pour 1 journée d’entraînement et nous travaillons tous les aspects basiques. J’explique aux entraineurs, je mets en place des exercices avec les joueurs, etc.

Ensuite, j’ai un format un peu plus long avec trois ou quatre visites, comme c’est le cas avec un club comme La Gantoise.

Le dernier format c’est un accompagnement à l’année, comme c’est le cas avec l’Ajax et Liverpool. Ce qui représente six ou sept visites de 2 à 3 jours, par saison. Avec ces clubs, lors de la première et de la deuxième visite, nous travaillons d’abord les choses les plus basiques parce qu’il faut transmettre les bases aux joueurs. Après ces deux premières visites, on aborde les aspects spécifiques et notamment le travail autour des 40 à 50 façons de remettre le ballon en jeu. Je fais aussi de l’analyse vidéo à chaque match pour pouvoir nous adapter et proposer des choses plus spécifiques aux joueurs.

Pour revenir à la question : comment ferais-je si j’allais dans une équipe amateure ou de jeunes ? Je travaillerais sur les bases, pour faire en sorte que les joueurs améliorent leur technique de lancer afin de lancer plus loin. Nous analyserions différents paramètres de lancer à partir de la vidéo. Ensuite, j’expliquerais comment lancer avec précision. Cela peut paraître élémentaire et c’est le cas, mais le problème est que peu importe le niveau : Ligue des Champions, Premier League, Ligue 1 ou Bundesliga, le niveau est extrêmement bas, en termes de précision.

« la précision est médiocre, parce que les joueurs lancent le ballon au niveau des genoux, du ventre ou de la poitrine, alors qu’il doit arriver dans les pieds du partenaire »

Souvent, je demande aux joueurs : avez-vous travaillé cela à l’entraînement ? La réponse est non. Mais les entraîneurs s’attendent à ce que les joueurs sachent le faire, alors je leur demande, l’avez-vous fait à l’académie ? La réponse est encore non. L’avez-vous fait quand vous étiez enfants ? La réponse est toujours, non.

Donc nous attendons des joueurs amateurs, mais aussi des joueurs professionnels, qu’ils sachent lancer avec précision. Mais la précision est médiocre, parce que les joueurs lancent le ballon au niveau des genoux, du ventre ou de la poitrine, alors qu’il doit arriver dans les pieds du partenaire.

Je travaillerai aussi sur la création d’espaces et l’identification des moments où lancer vite et de ceux où il faut avoir de la patience. Et ça, vous ne pouvez le faire qu’en mettant en place des exercices spécifiques où les joueurs l’apprennent, car vous ne pouvez pas juste dire aux joueurs :  aujourd’hui, essayez de lancer vite si vous en avez l’occasion !

Mais si vous ne savez pas quand le faire et comment le faire… Vous devez vivre ces situations des milliers de fois avant de pouvoir les maîtriser. Si vous ne pouvez le faire qu’en match, vous attendrez très longtemps avant de savoir comment faire et c’est pour cela qu’il est important de proposer un entraînement spécifique. Ce seraient les premières choses que je ferai dans un club amateur.

Si vous mettez en place les choses vous-même, je recommanderais quand même d’être très vigilant avec les longues touches, car j’ai vu beaucoup de choses sur YouTube où l’on nous dit : faites comme ça !  Mais avec ce qui est proposé, soit vous lancerez moins loin, soit vous vous blesserez. Parce qu’une longue touche, c’est un mouvement à haute intensité. Je ne dirai pas qu’il est dangereux de faire des longues touches à l’entraînement, mais si vous l’apprenez de la mauvaise manière, vous risquez de vous blesser. 

Travailler sur la précision est l’une des choses que vous pouvez facilement faire. Un seul objectif : chercher à lancer le ballon dans les pieds d’un partenaire. Le partenaire peut ensuite enchaîner en dribblant et/ou faire une passe. Mais parfois, il peut aussi jouer en remise avec le lanceur. Un des exercices les plus simple et qui marche bien, c’est d’effectuer des touches à des distances différentes avec des joueurs qui font différents appels. Le receveur doit jouer en remise avec le lanceur tout en créant un angle qui permettra à celui-ci de sortir, plus facilement, le ballon de la zone sous pression. Parce que ça, c’est la base. Si vous ne maîtriser pas cet aspect, vous rencontrerez beaucoup de problèmes…

Donc, vous leur recommanderiez de travailler sur la précision et la sortie d’une zone sous pression ?

Oui, mais ce sont seulement des choses basiques, concernant la zone proche du lanceur. Parce qu’en plus de cela, il y a une quarantaine d’autres manières de lancer. A Liverpool, si nous avons une touche sous pression, nous essayons en priorité, de créer de l’espace dans la zone proche du lanceur, en effectuant des déplacements spécifiques. Mais si l’adversaire nous marque bien dans cette zone, nous savons que nous devons créer trois ou quatre autres options dans d’autres zones du terrain.

« Quand un espace se crée, ce n’est pas parce que nous leur demandons de courir ici ou là. Non, on a juste développé leur intelligence et leur compréhension sur ces situations de jeu »

Donc, bien sûr, en plus des exercices de base, il faut développer d’autres choses. Mais si la base n’est pas là, alors c’est vraiment difficile d’avancer.

On oppose souvent les formes jouées et analytiques. Un joueur, une balle et essayer de la lancer dans les pieds ou sur un cône vs une situation/jeu qui commence toujours par un lancer, si possible, dans les pieds et puis on joue. Si la balle sort, on recommence, avec une touche. Que privilégiez-vous ?

On peut tout faire, mais je dirais qu’il est vraiment important de bien réaliser les fondamentaux. Ces 2 dernières années, mon travail à Liverpool a énormément été analysé et parfois, je vois des analystes qui disent : OK, Liverpool a fait ceci et cela et ils ont créé de l’espace. Si vous faites la même chose que Liverpool, vous pourrez créer les mêmes espaces ». C’est totalement faux, car nous n’avons pas créé cet espace parce que nous avons dit aux joueurs qu’il fallait courir là, là et là. Non, nous avons créé cet espace parce que les joueurs ont d’abord appris les techniques de lancer, la précision, la façon générale de se déplacer. Ensuite, on essaye de développer certaines compétences chez eux. Mais surtout, les joueurs utilisent leur créativité et leurs propres idées. Donc quand un espace se crée, ce n’est pas parce que nous leur demandons de courir ici ou là. Non, on a juste développé leur intelligence et leur compréhension sur ces situations de jeu.

Donc si vous dites à vos joueurs : OK, essayez de courir ici, là et ici et là. Parfois cela marchera. Mais souvent ce sera un peu mécanique. Je recommanderais de partir de zéro, de d’abord travailler les fondamentaux : la précision, la création d’espace en laissant la possibilité aux joueurs de se déplacer de huit, dix, douze, quinze et même parfois vingt mètres pour recevoir le ballon. Mais aussi, que les receveurs potentiels créer de l’espace dans leur dos en attirant leurs adversaires dans la zone proche du lanceur. C’est ça la base.

Si vous filmez vos matchs, vous pouvez extraire quelques séquences et dire à vos joueurs : OK, nous avons fait cela ici et vous pouvez voir que nous n’avons pas créé d’espace. Donc, si vous aviez couru dix mètres de plus, l’adversaire vous aurait suivi et vous auriez créé cet espace. Ou alors : nous avons obtenu dix touches et sept d’entre elles ont fini sur la poitrine du receveur. Nous devons donc essayer de faire les choses différemment. 

Avec des clubs comme Liverpool, je construis aussi les choses à partir d’exercices de base. Du plus simple au plus complexe. Cela va des exercices de précision, en passant par le travail de remise + renversement, etc. Sous forme spécifiques (latéraux par exemple) ou en groupe. 

Exemple : deux groupes de neuf joueurs. Le 1er groupe travaille avec moi pendant que le 2ème travaille avec un autre entraîneur. Je mets en place un 4vs4 + 1 lanceur (connu ou secret) pendant 20 ou 25 minutes et puis je prends le 2ème groupe. Avec 10 joueurs, on peut aussi travailler en 5vs5 avec de grands buts, mais sur un terrain dont la largeur est réduite. Ce qui va générer un grand nombre de touches, donc de répétitions. Et ensuite 11vs11. Là on va retrouver l’intensité normale du match et on va travailler différentes situations. Je pense qu’il est très important de travailler de cette manière. Bien sûr, vous pouvez directement commencer par du 11vs11 sur grand terrain, c’est une forme qui fait partie du processus, mais il est très important de travailler par étapes. Les joueurs apprennent donc les bases, car s’ils ne le font pas, c’est très difficile de le faire ensuite en match.

Mais je le répète, la meilleure chose à faire en tant qu’entraîneur est de commencer par la précision. Parce que vous vous attendez à ce que les joueurs soient plus ou moins bons, mais la plupart sont médiocres sur cette phase. La seule raison pour laquelle ils le sont, c’est qu’ils ne l’ont pas travaillé à l’entrainement !

Alors oui, il existe des talents naturels, des joueurs qui peuvent toujours tout faire et qui sont tout simplement très bons. Mais, la plupart des joueurs, la plupart des hommes, la plupart des femmes, lorsqu’ils apprennent quelque chose de nouveau, au départ, ils ne sont pas particulièrement bons. Et si vous ne vous entraînez jamais, c’est comme si vous découvriez quelque chose de nouveau à chaque match. Je ne dis pas que vous devez faire des touches, tous les jours, à l’entrainement, mais vous pouvez travailler cet aspect dix ou quinze minutes par semaine. Sans ça, vous ne pouvez pas espérer de bons résultats. Comme tout le reste dans la vie.

Cela signifie donc que n’importe quel joueur peut être entraîné pour être un bon lanceur ?

Oui, absolument. Bien que sur les longues touches, les joueurs qui ont de long bras ou qui sont très souples, sont avantagés. Ceux qui ont des fibres musculaires rapides le sont aussi.

Je dirai que la plupart des joueurs que j’entraîne progressent de cinq à dix mètres, en ne travaillant que sur les aspects techniques. Certains joueurs peuvent même aller jusqu’à 15 mètres. Et ce n’est pas une question de salle de musculation. Prenons Andy Robertson : il n’a pas de longs bras et il n’est pas vraiment souple, mais il a quand même progressé de huit mètres et ça a apporté beaucoup de choses à l’équipe.

Mais pour en revenir aux touches « classiques », je dirai que chaque joueur peut s’entraîner à être un très bon lanceur. Parce qu’il s’agit de lancer avec précision, de savoir quand lancer rapidement, quand attendre, mais aussi de voir les espaces crées par ses partenaires. Et bien sûr, ils doivent se déplacer pour créer des espaces parce que c’est vraiment difficile d’en trouver.

Finalement, pourquoi la majorité des équipes délaisse cette phase du jeu ?

Je dirais que l’une des raisons, c’est la culture dans le football. Même si, ces dernières années, il y a un développement sans précédent dans la collecte et l’analyse de données, mais aussi dans la diffusion des connaissances. Il n’y a plus besoin d’être l’entraîneur d’une grande équipe de Premier League, pour accéder à certaines connaissances. En tant que fan, entraîneur, joueur, vous pouvez acquérir des connaissances en lisant des articles, en écoutant des podcasts, etc. Il y a donc beaucoup de connaissances qui sont accessibles, mais généralement, le football est un sport très conservateur. Encore aujourd’hui, certaines personnes vous disent : nous faisons les choses de telle manière, parce que cela fait 30 ans que nous fonctionnons comme ça.

Il y a 15 ou 20 ans, j’ai pratiqué l’athlétisme et le bobsleigh et à cette époque, nous avions des années-lumière d’avance sur le football. Dans des domaines comme l’analyse vidéo, le travail spécifiques, etc. Je pense, par exemple, qu’une des logiques utilisées par les entraineurs pour demander aux joueurs de lancer le ballon, le long de la ligne, est qu’il vaut mieux le perdre 30 mètres plus haut, plutôt que de le perdre aussi proche de soi. Alors vous vous dites : ah oui, c’est vrai. Mais vous pouvez aussi vous dire: pourquoi ne pas essayer de garder le ballon ou de se créer une chance avec cette remise en jeu ?

La réalité, c’est que les entraîneurs ne savent pas quoi faire. C’est aussi la raison pour laquelle Jürgen Klopp m’a appelé. Il m’a aussi dit que lui et ses collègues de Liverpool avaient essayé des choses sur les touches, mais que cela n’avait pas marché. Je pense donc que c’est un mélange de manque de connaissance et de culture.

Du côté des joueur, je pense que c’est un peu différent. J’ai moi-même effectué énormément de longues touches, j’ai eu le record du monde et ainsi de suite. Parfois, quand on lance, on se dit: OK. Maintenant, je vais lancer le plus loin possible ! Et au lieu de se focaliser sur la perte de balle consécutive à cette touche, on se dit: C’est bien, le ballon a atteint cette distance. Je ne dis pas qu’on ne peut jamais lancer le ballon le long de la ligne, mais il faut le faire avec la bonne stratégie, en créant des espaces à cet endroit. Sans ça, vous le perdrez très souvent et si un receveur le touche, ce sera généralement pour le dévier dans les pieds du central adverse. Pour conclure, je pense que c’est le manque de connaissances qui est la raison de tout ça.

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