France - Argentine 2022 : analyse pré-match

Analyse proposée par Adrien Tarascon, responsable du développement des joueurs, de la méthodologie et des données au LOSC.

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Les jours de finale sont des jours de peu de mots. Il y a ceux qui le savent, Didier Deschamps est de cette première catégorie et les autres ; qui prennent leur médaille et rentrent au vestiaire avant la remise de la Coupe. Mais il aura face à lui un élu, que l’on craint prédestiné à se faire couronner pour son dernier match de Coupe du Monde. Le maitre contemporain de la compétition face au maître du jeu. 

Je ressens une forme de culpabilité intellectuelle à vous présenter les clés d’un match qui en réalité s’est déjà joué. L’incertitude de deux histoires aussi belles l’une que l’autre à conter dans vingt ans, nous fait croire le contraire. C’est un leurre.

Une Finale se joue avant, longtemps avant. Elle s’est jouée au Maracana, à Rosario, à Bondy, à Moscou, à Nice et partout où chacun des 22 acteurs a construit le footballeur qu’il est devenu.

Chaque joueur vient avec son expérience, son vécu, ses cicatrices, ses apprentissages. Certains ont en eux de gérer leurs émotions dans ces moments, de garder confiance et foi, voir leur feu grandir quand celui de l’adversaire s’éteint petit à petit. Rester calme dans tous les rebondissements, rester les yeux vers la coupe, croire fermement en son destin.

C’est précisément ce qui rend l’Argentine si dangereuse. Leur diez, de sa frappe contre le Mexique, à sa prestation légendaire en demi-finale, n’a fait que renforcer leur foi. Ses apôtres, De Paul en tête, sont montés en puissance.

Nous pourrions dérouler une analyse dans une multitude de détails comme lors des tours précédents, mais ce serait malhonnête. Les joueurs pour certains ne pourront pas ; pour tous ne doivent pas s’égarer de leur identité.

Dans une finale la stratégie est au service de la foi. Elle doit être suffisamment simple pour se passer comme prévu, et se passer comme prévu pour apporter de la confiance dès l’entame de match. Pour entretenir ce rêve qu’ils ont depuis gamin.

Chaque joueur vient avec son bagage et ses qualités, ce n’est plus l’heure de changer. Chaque joueur doit se concentrer sur ce qu’il sait apporter, insister sur ses forces pour prendre confiance ; emmagasiner toujours plus confiance.

Pour notre sélectionneur : proposer un plan simple, malgré les inconnues adverses

L’Argentine, comme la France, tire sa compétitivité de sa flexibilité. La flexibilité d’un sélectionneur interventionniste et efficace sur la compétition, après deux premiers matchs de poules ratés dans la sélection du XI.

Le choix de s’adapter avec une défense à 5 face aux Pays-Bas était pertinent, tout comme celui de répondre à la domination croate au cœur du jeu en alignant 4 milieux de terrain. Face à la France, chacune des deux options présenterait des bénéfices, mais le XI aligné contre la Croatie est structurellement le plus dangereux pour nos Bleus.

L’Argentine bouge au rythme de Messi. Au-delà d’être Maradonien sur ce tournoi, le pibe de Rosario sait lire et apporter ce que le match demande de lui. Par exemple décrocher pour redonner de la possession à son équipe, quand la domination croate se renforçait de l’entrejeu. N’ayons aucun doute qu’il explorera la zone RABIOT / HERNANDEZ que nous avons tant de difficultés à défendre sur renversement.

Didier Deschamps doit donc préparer ses hommes à ne pas se faire annihiler tactiquement comme les Pays Bas, tout en ne sachant pas jusqu’à ce dimanche 18 décembre 2022, 14h30,  s’il se retrouvera face à un 532 ou un 442.

ARG PB : la presse argentine se fait écho d’un passage en 1-5-3-2 de l’Albiceleste pour ce match. Si cela se confirmait, les Bleus pourraient se retrouver face à un bloc médian, avec référence individuelle des milieux argentins sur les milieux français

Stratégiquement : renverser la table ou une dangereuse perte de contrôle

L’Équipe de France sous Didier Deschamps a souvent eu le contrôle des matchs, moins souvent le contrôle du ballon. Depuis deux matchs (Angleterre et Maroc), elle ne contrôle plus grand chose, elle survie. Elle s’accroche à un mélange de talent, résilience, expérience et efficience dans les deux surfaces, dont le Real Madrid nous rappelle l’importance chaque saison en Ligue des Champions.

Néanmoins le point de rupture est proche. Si proche que les joueurs, conscients de ce miracle permanent, peuvent basculer en un rien de ce sentiment d’invincibilité vers une tension exacerbée par l’impuissance des derniers matchs. En l’état, nous ne sommes pas prêts pour nous relever d’une ouverture du score argentine.

Si l’on devait faire l’état des forces en présence, il ne serait en l’état pas favorable aux Bleus. Notre adversaire en finale presse (beaucoup) mieux, aidé par un Messi qui prend sa petite part, quand Alvarez court pour deux. Leur bloc médian est plus compact. Même s’ils se satisfont de laisser le ballon à leur adversaire, leur possession est plus fluide que la nôtre et ils n’ont qu’à faire décrocher Messi pour congeler le ballon.


ARG CROATIE : sur leurs sorties courtes, les croates ont beaucoup chercher à toucher leurs 8 dans les espaces entre des ailiers argentins qui pressaient et les latéraux fixés bas. Ici, Otamendi n’hésite pas à sortir sur Modric. L’argentine osera-t-elle presser et laisser un 3v3 pour Mbappé / Giroud / Dembélé ? On peut en douter.

Avoir le contrôle du match pour garder le contrôle émotionnel

Comment récupérer le contrôle du match ? Hormis changement improbable dans le XI, les ajustements défensifs tactiques seront des rustines. Nous ne pouvons pas presser haut sans qu’il y ait plus à y perdre qu’à gagner.

Il faudra prendre le contrôle de cette finale par la possession, un inédit dans l’histoire de Deschamps avec la Coupe du Monde, alors que nos Bleus n’ont pas su garder le ballon en deuxième mi-temps contre l’Angleterre et le Maroc. Comment faire ?

  • S’ajuster tactiquement pour faire douter l’Argentine, s’ils choisissent de nous presser en début de match ou si le scénario les y amène
  • Accepter la possession, sur des temps longs, s’ils optent pour nous laisser le ballon face à leur bloc médian, d’autant que la transition offensive est le plus faible moment du jeu argentin

ARG CROATIE : par des latéraux bas les Croates garde la possession et trouve la zone de (faible) pression de Messi. Gvardiol intelligemment ne joue pas long et sur le renversement, la Croatie met Lovren en situation pour fixer.


ARG CROATIE : Tchouaméni et Rabiot devront se déplacer et profiter des zones sans pressions autour de Messi. En cas de 442 décidé par Scaloni, ils remarqueront ensuite, les problèmes défensifs du double pivot Paredes / Fernandez, trop à plat sans couverture mutuelle qui offre les lignes de passes

Leur attention est sur Mbappe, il faudra s’en servir

A l’image du premier but français contre le Maroc, la présence axiale de Kylian Mbappé a monopolisé 5 joueurs marocains, dont Hakimi, et libéré de l’espace pour Théo Hernandez. La France devra sur cette finale continuer à capitaliser sur l’aimant Mbappé.

En sortie ou phase initiale, les fixations de Mbappé et les prises à 2 fréquentes sur le bondynois rendent difficile la pression adverse. Son placement pourrait empêcher les Argentins de presser et donner aux Bleus du contrôle par la possession; à défaut d’en avoir par un équilibre défensif.

ARG CROATIE : les croates ont trouvés de l’espace pour leur 8 (ici Kovacic) dans le dos de la pression de l’ailier. Romero sort très loin plutôt que de laisser son latéral sortir et coulisser. Si les Argentins restaient dans une défense à 4 et que Mbappé se plaçait dans l’intervalle MOLINA – ROMERO, l’un des 2 prendrait-il le risque de sortir ? Où les bleus trouveraient-ils une zone pour alimenter Rabiot et casser les séquences de pressing des Argentins ?

Sur les matchs récents la France avait, à raison, décidé de fixer à droite avant d’ouvrir vers ses dragsters du couloir gauche. L’Argentine est très agressive pour coulisser et défendre les couloirs. La connexion Dembélé / Griezmann évoquée précédemment aura du mal à exister. C’est en fixant autour de Mbappé, puis en renversant, qu’il faudra trouver l’ailier de Barcelone.


ARG CROATIE : l’Argentine ne laisse très peu d’espace entre Otamendi et Tagliafico. Il sera difficile de trouver le dos du latéral Argentin

Le target man, un profil difficile à défendre pour les défenseurs argentins

Les dégâts de Wout Weghorst contre l’Argentine sont tout sauf un hasard. En deux buts il a appuyé sur les 2 principaux points faibles des centraux argentins. La défense des centres angle surface sur le 1er, leur difficulté face au jeu de corps d’attaquants puissants sur le magnifique coup franc du second.

ARG CROATIE : au départ, l’absence de couverture diagonale dans le double pivot argentin ouvre des lignes de passe vers le 9. La France devra mettre des courses autour des déviations de Giroud et le Milanais monter en puissance dans la qualité de ses remises, après un match difficile face au Maroc

ARG CROATIE : les défenseurs centraux argentins, ici Romero, souffre dans le jeu de corps des attaquants puissants. La séquence se termine par une opportunité de frappe entrée de surface. Giroud aura un rôle de point de fixation essentiel à jouer sur ce match

Les limites de l’Argentine pour menacer la largeur, l’opportunité de s’ajuster défensivement

C’était pointé comme la faiblesse de la liste de Scaloni : l’absence de joueur menaçant dans la largeur. Contre le Maroc, les Bleus se sont souvent retrouvés en infériorité numérique au cœur du jeu, face au carré intérieur marocain, fixé dans l’axe avant d’être mis en difficulté par la largeur à droite des Marocains.

Un tel scénario ne se reproduira pas dimanche. Les dynamiques de l’Argentine dans les couloirs se sont limitées au « give and go » d’Acuna à gauche, à la profondeur de Molina à droite.

Pour cette Finale, une stratégie défensive pertinente passera par mieux fermer le jeu intérieur que face au Maroc et orienter le jeu argentin vers les couloirs. La profondeur dans le dos des latéraux d’Alvarez n’est pas un défi insoluble pour nos défenseurs centraux.

Nous pourrions envoyer nos latéraux sur leurs latéraux, quitte à emmener les Argentins vers des zones de centre. Emmener le match là où le rapport de force est à notre avantage.

FRA MAROC : Cette séquence résume bien les problèmes défensifs français face au Maroc. Plutôt que d’orienter le jeu Marocain vers le couloir, les Bleus autorisent un renversement facile, sans avoir la possibilité de défendre en égalité numérique à l’opposé

FRA MAROC : Giroud ne suit certes pas Amrabat, mais si la France veut rivaliser contre les milieux argentins ça sera à Dembélé de lire les moments où il devra défendre comme un 8, l’Argentine se défend par de la densité axiale

ARG CROATIE : Lorsque Messi décrochera comme sur cette séquence, Tchouaméni et Griezmann seront naturellement aspirés au duel. La France aura besoin d’un ailier droit (Dembélé) défendant comme un relayeur droit sur ce match pour fermer l’axe aux argentins. Nikola Vlašić remplit parfaitement cette fonction sur cette séquence.

La défense se la surface, notre ancre ?

Nous l’avions anticipé avant le Maroc, la France allait souffrir sur son côté droit. Comme espéré c’est sa défense de la surface qui l’a sauvé. Prestation pléthorique de Konaté, replis parfaits de Griezmann pour gérer les projections dans la surface d’Amallah. Avec ses transitions les Bleus tiennent là leur principale force de ce Mondial. Il faudra capitaliser dessus quand nous n’avons pas le ballon.

Entre le danger Argentin entre les lignes, face à un bloc médian où ils menacent la petite profondeur, à l’image du but d’Alvarez contre la Pologne et leur attaque de la surface timide (souvent 2 joueurs, parfois 3), le choix est vite fait pour les hommes de Deschamps.


FRA MAROC : Konaté, impeccable contre le Maroc est bien placé au premier poteau. Griezmann après Bellingham a continué à défendre les projections du 8 adverse, même Dembélé revient fermer dans la surface

POL ARG : a première vue, la défense de la surface face aux argentins parait être un défi moins grand que face au Maroc. Il faudra gérer les projections de Mac Allister et communiquer entre centraux et milieux sur les décrochages d’Alvarez

Capitaliser sur les erreurs adverses : la patte Deschamps

La France fait peur, Mbappé fait peur ; c’est notre principale force. Les défaites Anglaises et Marocaines peuvent nourrir les craintes argentines face à l’impression que nous n’avons besoin de rien pour tuer.

L’enseignement à tirer de ces matchs pour les adversaires des Bleus est inverse. C’est en prenant l’initiative et en prenant le risque de la faire souffrir qu’on a le plus de probabilité à faire tomber la France.

Le Maroc faisait beaucoup moins peur au coup d’envoi, avec son 1-5-4-1 (1-3-2-4-1) qu’au matin du match. La défense à 3 facilitant l’absence de pressing des Bleus. Voir Lisandro Martinez au coup d’envoi, indépendamment de l’excellent niveau du Mancunien, serait le signe que l’Argentine pense d’abord à nous contrôler avant de nous faire mal.

Quand Didier Deschamps a su sortir Olivier Giroud au bon moment face au Maroc, Gareth Southgate a tardé 30 minutes de trop pour faire rentrer Rashford, sans parler de la sortie de Saka. La France ne meurt jamais, quelques erreurs des sélectionneurs adverses la laisse en vie, et Deschamps ne rate jamais sa cible. Pour gagner, il faudra aussi compter sur Scaloni

Conclusion

Amis français, c’est en suivant ce chemin là que nous allons gagner. Il ne peut y avoir d’autres mots en conclusions de ces chroniques car le doute n’a pas sa place avant une finale.

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