Le modèle (de jeu) est une carte, pas le territoire

Professeur associé à la Faculté de Sport de l’Université de Porto (FADEUP), Júlio Garganta a été le coordinateur de son département football durant 25 ans.

Il a également travaillé comme analyste de la performance à haut niveau pour le FC Porto, le Sporting CP et la sélection nationale portugaise.

Il nous propose un éclairage sur son parcours, l’utilité et les limites de la modélisation du jeu, ainsi que l’influence de la collaboration entre le monde fédéral et universitaire sur la formation des entraineurs portugais.

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Qu’est-ce que le football représente pour vous ?

Pour moi, le football représente une façon de vivre et de sentir le monde. Ce n’est pas seulement un sport, c’est aussi un laboratoire pour mieux comprendre les êtres humains, la façon dont ils se mettent en relation avec les autres et avec eux-mêmes.

Les questions liées aux méthodologies, aux habiletés mentales, physiques, tactiques et techniques nous permettent de mieux comprendre comment les êtres humains apprennent, comment ils peuvent s’améliorer et se transformer.

Mais comme toutes les activités créées par l’homme, c’est-à-dire la culture, le football peut être plus ou moins bien utilisé et géré. Il est donc important d´apprendre comment exploiter tout le potentiel du football, afin d’en faire une activité qui fait progresser l’humanité et favorise la bonne cohabitation.

« C’est aussi un laboratoire pour mieux comprendre les êtres humains »

C’est pour cette raison qu’il est essentiel de rejeter toute vision fanatique, régionaliste ou nationaliste du football. Considérer le football comme une forme de culture nous aide à l’améliorer et à le comprendre comme une activité édifiante, mais non exclusive.

En choisissant le football, on s’engage simplement dans un processus permettant de développer un ensemble de compétences spécifiques à cette activité, au même titre que si nous choisissons de pratiquer un instrument de musique, nous développerons d’autres compétences, spécifiques à cet instrument.

J´ai choisi d’étudier le football et d’y consacrer ma vie professionnelle. C’était un moyen de développer ma propre compréhension de l’activité, d’aider ses pratiquants à devenir meilleurs, mais aussi de les aider à devenir de meilleures personnes en développant leur compréhension du monde qui les entoure, à travers le football.

Lorsque l’on commence à déconstruire ce que l’on pense savoir sur le football, savoir souvent acquis à travers la pratique, vos travaux ainsi que ceux de Jean-Francis Gréhaigne, entre autres, permettent d’appréhender l’activité à travers une perspective systémique et complexe. Cette perspective dépasse d’ailleurs le cadre du football, car elle permet de percevoir la vie en générale, notamment les interactions que nous pouvons avoir avec les autres, de manière plus humaine.

Ce qui est intéressant lorsqu’on observe le football, un phénomène qui a une grande importance à l’échelle mondiale, c’est qu’en quelques minutes, nous pouvons voir émerger toutes les émotions que peuvent ressentir les êtres humains dans la vie. Passer du désespoir le plus total, au bonheur absolu. Être le plus grand durant un instant et l’instant suivant, ne plus avoir aucune valeur aux yeux des autres. Par ailleurs, le haut-niveau favorise l’émergence de ces différents états émotionnels, ainsi que le passage d’un état à un autre.

Un petit changement dans l’environnement peut tout transformer. C’est une caractéristique des systèmes complexes. Un petit changement peut faire émerger une grande transformation. C’est ce que l’on peut observer en football et c’est passionnant.

On pense souvent que pour de nouveau obtenir un résultat obtenu précédemment, dans des conditions qui semblent similaires, il faut appliquer les mêmes méthodes, la même vision, avec les mêmes personnes. Ce n’est pas le cas. C’est quelque chose que j’ai pu expérimenter durant le championnat d’Europe Pologne-Ukraine, en 2012, et ensuite, durant la Coupe du monde au Brésil, en 2016. Même si les conditions semblaient très proches, j’ai pu observer qu’un petit changement pouvait provoquer des transformations incroyables à différents niveaux : tactique, mentale, technique, physique.

Le football est incertain et imprévisible, comme la vie quotidienne.

Oui, mais parfois nous avons cette illusion, à travers l’entraînement notamment, que nous pouvons transformer le football en quelque chose de totalement prévisible. Cependant, lorsqu’il devient trop prévisible, nous le dévitalisons.

En football, la performance s’incarne avant tout dans ce que nous appelons la TACTIQUE, mais qui n’est pas toujours bien comprise. Nous comprenons la tactique comme une supra-dimension qui découle de la manière dont les différentes contraintes (physiques, techniques, mentales, …) sont interconnectées et rendues compatibles pour donner naissance à un tout, qui est l’expression d’un comportement.

« Parfois nous avons cette illusion, à travers l’entraînement notamment, que nous pouvons transformer le football en quelque chose de totalement prévisible »

Les idées, la prise de décision, la stratégie et l’exécution, tout cela, c’est de la tactique. C’est pourquoi les connaissances et les compétences qui permettent aux joueurs et aux équipes d’agir efficacement dans des scénarios contingents sont décisives. Ce qui fait le jeu, c’est la transformation du hasard en causalité, c’est-à-dire la saisie du moment ; et ceux qui enseignent comment saisir le moment sont la stratégie et la tactique.

Pour être le jeu que nous connaissons, c’est-à-dire une activité qui fait appel à l’intelligence, à la créativité, etc., il doit y avoir une part d’imprévisible, mais aussi une part de prévisible. C’est pourquoi nous devons nous entraîner dans un univers que j’appelle possible-prévisible, en trouvant un certain équilibre afin d’être au plus près de ce qui fait l’essence de ce jeu. Un jeu qui nous enchante, qui nous invite à le regarder et à jouer.

Votre travail de thèse portait sur la modélisation du jeu, plus précisément sur l’étude de l’organisation de la phase offensive chez les équipes de haut niveau. A un moment donné, pourquoi est-il si important, dans le football comme dans la vie, d’avoir des principes qui vont nous aider à nous guider et à interpréter le monde ?

Dans le contexte du football, parler de modèle c’est invoquer un ensemble d’idées, de références/principes qui guident l’intervention de l’entraîneur et le comportement des joueurs et des équipes dans la poursuite de l’efficacité. La modélisation est essentielle, car elle nous permet d’avoir des éléments auxquels faire référence.

Même la créativité, pas seulement en football, mais la créativité en tant que phénomène humain, possède une part dite convergente et une autre part dite divergente. La créativité fait souvent référence à quelque chose de nouveau, quelque chose qui n’existe pas antérieurement. Néanmoins, s’il n’y a pas d’éléments convergents au préalable, auxquels les individus peuvent faire référence, ils ne peuvent être capables de créer.

Nous ne sommes pas capables de créer dans le vide. Que ce soit pour un pianiste ou un joueur de football, ils s’appuient sur des éléments préexistants pour créer quelque chose de nouveau, faire émerger quelque chose qui n’a pas été fait préalablement. La modélisation n’est pas seulement importante pour avoir des références pour jouer et pour entraîner. Cela nous renvoie à cette idée de possible-prévisible et surtout à la notion de propension de Karl Popper, c’est-à-dire les probabilités d’occurrence de certains événements.

Mais ces événements sont dynamiques. Même s’ils partagent le même principe, ils peuvent changer. C’est pourquoi on parle de principe. Les principes correspondent à un ordre initial, idéal. Cependant, à partir du principe, on ne sait plus et on ne doit pas savoir, même l’entraîneur, où les choses vont, jusqu’à ce qu’elles se produisent. L’équipe doit créer un football à partir de principes, qui ne doivent pas être plus que cela. Les joueurs et l’équipe doivent nous surprendre.

Lorsqu’on parle de modélisation, on parle de modèle de jeu, de modèle d’entraînement, de modèle d’observation ou encore de paramètres de contrôle de l’entraînement. A travers cela, on invoque un ensemble d’idées, de références, de principes qui guident l’intervention, mais on ne détermine pas le résultat. Lorsqu’un modèle est fermé, il ne peut être adapté pour le football.

« L’équipe doit créer un football à partir de principes, qui ne doivent pas être plus que cela. Les joueurs et l’équipe doivent nous surprendre »

Le modèle (de jeu) est une carte, pas le territoire. On espère que les joueurs et même le processus d’entraînement, changent le modèle et l’enrichissent. C’est lorsque le modèle est suffisamment ouvert, pour accueillir ces contributions, qu’il est bon. Sinon, le modèle est limitatif, ce n’est pas un modèle, c’est une cage qui nous enferme et qui ne nous laisse pas grandir et nous développer.

Le modèle est donc une carte qui indique le chemin à suivre dans les domaines de la préparation, de la compétition ou encore du contrôle de l’entraînement. Il encadre et donne un sens à la méthodologie. Il nous permet de nous repérer à tout moment, afin d’évaluer si la trajectoire que nous suivons est en accord avec les principes définis, notre vision et l’ensemble d’idées que nous avons pour jouer ou pour faire jouer l’équipe.

Néanmoins, je le répète, ce modèle ne peut être utile et efficace que s’il est ouvert et qu’il peut accueillir les contributions de l’ensemble des joueurs de l’équipe, que ce soit à l’entraînement ou en match. On pense souvent que le modèle de jeu doit expliquer, justifier et légitimer le processus à l’avance et à mon avis, ce n’est pas comme cela qu’il faut l’appréhender.

Le modèle doit agir comme un tracteur, mais on ne sait pas précisément ce qu’il va se produire. Lorsqu’on est en mesure de respecter un modèle à 100%, ce modèle n’est plus utile et ne peut plus nous aider à nous développer.

« Ce modèle ne peut être utile et efficace que s’il est ouvert et qu’il peut accueillir les contributions de l’ensemble des joueurs de l’équipe, que ce soit à l’entraînement ou en match »

C’est comme l’horizon qui nous sert de référence pour avancer, mais que nous ne sommes pas en mesure d’attraper. Lorsque nous faisons un pas vers lui, il recule de deux pas et ainsi de suite. C’est la référence qui nous permet de marcher, de nous développer, mais c’est seulement une référence. Par conséquent, nous ne pouvons pas interpréter le jeu, l’entraînement, si nous n’avons pas de référence. C’est pourquoi les modèles peuvent être efficaces et utiles. Ce sont des cartes qui nous guident.

Toutefois, lorsque nous sommes en voiture et que, par exemple, nous relions Porto à Paris, nous savons que la carte pourra nous aider, mais que le chemin que nous allons emprunter aura ses propres spécificités. Le chemin sera source de problèmes concrets que nous devrons résoudre en temps réel.

Même si la carte nous servira de référence pour rejoindre Paris, en chemin, nous pourrons décider de nous arrêter en Espagne pour visiter, ou adapter notre itinéraire parce qu’il y a un accident sur la route, etc. Cependant, nous savons que le parcours que nous emprunterons devra nous amener à Paris. La carte n’est donc qu’une référence.

En ce sens, afin de faciliter une adaptation constante entre la carte et le territoire, la mise en place d’un département méthodologique chargé de coordonner des équipes transdisciplinaires, le cadre théorique de référence, le modèle de jeu, le modèle d’entraînement et leur coadaptation avec les joueurs qui vont produire cette performance sur le terrain, semble fondamentale.

Ces réflexions sont importantes, parce que parfois nous oublions qu’à l’intérieur du maillot, du short et des chaussettes portés par un joueur, il y a un individu avec des motivations, des peurs, des frustrations.

Malheureusement, en football, la négociation du modèle de jeu et d’entraînement avec les joueurs et les équipes, n’existe pas vraiment. Ce sont les joueurs qui vont jouer et, à ce titre, il faut savoir négocier le modèle de jeu avec eux. Il est donc impératif qu’ils s’identifient affectivement au modèle auquel ils doivent donner vie.

Autrement dit, c’est comme aider des acteurs à s’identifier au décor et au scénario du film dans lequel ils s’apprêtent à jouer. S’ils sont convaincus qu’ils seront complètement impliqués dans le développement de l’histoire, ils donneront tout ce qu’ils ont. C’est la responsabilité du réalisateur de leur demander si ce qui est proposé leur convient, s’ils se sentent bien dans l’interprétation de leur personnage ou si certaines choses doivent changer.

« Ce sont les joueurs qui vont jouer et, à ce titre, il faut savoir négocier le modèle de jeu avec eux. Il est donc impératif qu’ils s’identifient affectivement au modèle auquel ils doivent donner vie. »

Cette façon d´agir est quasiment absente du monde du football au contraire d’autres activités sportives où ce compromis existe. Pour moi, c’est quelque chose qui devrait exister dès la formation, afin que les joueurs soient habitués à cet exercice, à parler de leur interprétation du modèle et ce qu’ils en pensent. Je pense qu’il y a beaucoup de changements à apporter sur cette dimension, afin de gérer ce processus de manière plus organique et plus humaine.

C’est pourquoi je parle beaucoup de l’humanisation de l’entraînement et de la compétition. Comme disait Manuel Sergio, philosophe et professeur portugais : « lorsqu’un joueur tire au but, ce n’est pas seulement un tir au but. C’est une personne concrète qui tire au but. C’est un joueur précis qui tire et pas un autre joueur”. C’est pourquoi je pense que le vrai contrôle de l’entraînement et de la compétition est un contrôle pédagogique, pas physiologique.

« Le football est un sport tactique et stratégique. Il a besoin de l’intelligence, de la créativité pour être un art. »

La dimension physiologique est importante, mais elle va nous servir à apporter des éléments nous permettant de transformer le processus et enrichir la dimension tactique. Le football est un sport tactique et stratégique. Il a besoin de l’intelligence, de la créativité pour être un art.

Je pense d’ailleurs qu’il ne devrait pas être associé premièrement aux sciences, mais plutôt aux arts. La science peut faire progresser le sport en tant qu’art performatif.

Vous disiez d’ailleurs que l’entraînement n’est pas une science, mais un art et que la science fait mûrir cet art.

La science doit servir à améliorer la qualité des processus et de la vie. Elle est donc un moyen et non une fin. Elle est là pour servir. La science doit servir les êtres humains et pas se servir des êtres humains. La science est importante en football, car il faut utiliser les processus scientifiques et la vision scientifique pour mieux jouer, pour avoir un art plus raffiné. Le football n’est pas une science, il n’y a pas de doctorat en football. Le football c’est le champ d’application.

« La science doit servir les êtres humains et pas se servir des êtres humains« 

Vous avez mentionné Jean-Francis Gréhaigne, avec qui j’ai passé du temps il y a quelques années en Bourgogne. Il est aussi venu au Portugal pour passer du temps avec nous. C’est quelqu’un qui m’a permis d’ouvrir un certain nombre de fenêtres pour regarder le football avec d’autres yeux. Attention, pas avec les yeux des autres, mais avec d’autres yeux.

Dans un certain nombre de pays, le monde fédéral et le monde universitaire ont souvent emprunté des chemins parallèles, se croisant lors de trop rares occasions. Au Portugal, vous semblez avoir réussi à avancer main dans la main afin que la pratique soit soutenue par des fondements théoriques robustes. Est-ce la réalité et si oui, à quoi ressemble le cheminement qui vous a mené à cela ?

C’est une longue et belle histoire avec de nombreux acteurs, avec plusieurs moments de transformations remarquables, que ce soit aux niveaux des individus, des collectifs, des clubs, de la Fédération Portugaise de Football, des écoles supérieures, des associations sportives locales : Porto, Braga, Viana do Castelo, Aveiro, Coimbra, Leiria, Lisboa, Vila Real, Bragança, Madeira, …

Nous avons en même temps profité des succès de quelques entraîneurs, qui ont eu l’opportunité d’intégrer le tissu sportif et d’avoir des bons résultats. En fait, pour de nombreuses personnes, seuls les résultats sportifs comptent.

Par ailleurs, au Portugal nous n’avons pas seulement obtenu des résultats à haut niveau dans le football des adultes, mais aussi des résultats au niveau de la formation des jeunes joueurs. Par exemple, Carlos Queiroz a fortement contribué au développement de la génération de grands joueurs portugais, vainqueurs de deux Mondial U20 d’affilée en 1989 et 1991. Cette génération a ensuite joué dans de grands clubs, que ce soit au Portugal et à l’étranger.

« Si quelque chose devient une mode, que tout le monde joue et s’entraîne de la même manière, le football va mourir. »

En 1990, un Gabinete de Futebol (Bureau du football) a été créé au sein de notre Faculté de Sport, à l´Université de Porto. Il était composé de cinq membres se consacrant exclusivement au football, un fait qui, à notre avis, n’a pas d’équivalent dans d’autres établissements d’enseignement supérieur, que ce soit au Portugal ou à l’étranger.

J’ai eu le privilège de coordonner cette structure pendant 25 ans. Il s’agissait d’un groupe de professeurs avec différents points de vue et manières de comprendre le football, mais qui se complétaient.

Cette diversité a été très fructueuse, pour les étudiants et pour nous en tant qu’enseignants et chercheurs. Pourquoi ? Parce que nous savons qu’il existe différentes manières de jouer, de s’entraîner, de construire, de comprendre le football. Nous avons profité de nos différences.

Par exemple, la périodisation tactique a été créée au sein de notre Faculté de Sport, par le professeur Vítor Frade. Mais, en parallèle, il y avait également d’autres visions et nous en discutions. Nous en discutions également avec les élèves afin de les faire réfléchir. Pourquoi ? Parce que si quelque chose devient une mode, que tout le monde joue et s’entraîne de la même manière, le football va mourir.

La diversité est très importante pour survivre et pour s’imposer. Dans un environnement universitaire, la discussion et la coexistence des tendances et des idées sont fortement recommandés.

« Nous avons toujours compris qu’il est tout aussi important de réfléchir pour intervenir que d’intervenir pour réfléchir »

Le développement de groupes de réflexion et action, que ce soit au sein de l’Université de Porto, de celles de Lisbonne, Vila Real ou encore Coimbra, avec des professeurs travaillant aussi dans les clubs ou dans les sélections nationales, a amené des connaissances et des compétences sur le terrain et en a amené d’autres à l’université, là où sont formés les élèves qui travaillent ensuite dans ces clubs ou à la fédération. En d’autres termes, nous avons toujours compris qu’il est tout aussi important de réfléchir pour intervenir que d’intervenir pour réfléchir.

En terminant mon parcours académique, je me suis demandé comment nous pouvions apprécier le travail que nous avons accompli jusqu’à présent avec nos élèves ? Il m’a alors semblé que je pouvais enquêter sur le parcours de certains élèves dans le football. En d’autres termes, où sont-ils allés ? J’ai donc analysé la carrière de quelques centaines de nos étudiants et recueilli des données sur leur passage dans des clubs et des équipes nationales au Portugal et à l’étranger. Le résultat a été surprenant.

Je me suis rendu compte plus clairement de la diversité des contextes géographiques et culturels dans lesquels nos anciens élèves ont exercé leurs activités professionnelles dans le domaine de la formation et de la compétition footballistiques. J’ai montré cette liste à mes collègues du « Gabinete de Futebol » et, bien qu’ils connaissent comme moi notre processus de formation, ils ont eux aussi été stupéfaits par la profusion de clubs et d’équipes où nos anciens étudiants ont travaillé et travaillent encore.

De nombreux étudiants diplômés de notre école, en plus d’avoir été impliqués dans les meilleures équipes portugaises, à savoir FC Porto, SL Benfica, Sporting CP, SC Braga et l’équipe nationale portugaise, ont travaillé dans des clubs et des équipes nationales dans différents pays, tels que : Espagne, France, Allemagne, Italie, Grèce, Angleterre, Écosse, Macédoine, Turquie, Pologne, Hongrie, Ukraine, Russie, Finlande, Norvège, Angola, Mozambique, Guinée, Afrique du Sud, Maroc, Égypte, Canada, États-Unis d’Amérique, Mexique, Paraguay, Brésil, Argentine, Chili, Pérou, Émirats Arabes Unis, Qatar, Saudi Arabia, Kuwait, Iran, Oman, Libye, Thaïlande, Corée du Sud, Chine, Viêt Nam, …

Partout dans le monde, ils travaillent dans des équipes de haut niveau, que ce soit en tant qu’entraîneur, préparateur physique, analyste du jeu, directeur sportif, coordinateur technique, etc. Nous pensons qu’il est très important d’avoir autant d’anciens étudiants qui ont eu l’occasion de travailler à ce niveau.

« L’accent a été mis sur la connaissance du jeu et la formation des joueurs et des équipes »

Un mouvement important s’est créé dans la manière de considérer et de promouvoir le sport et le football en particulier. L’accent a été mis sur la connaissance du jeu et la formation des joueurs et des équipes. Ce mouvement, cette vision de la formation et du football, ne se situe pas dans un lieu physique. Elle est partout. Dans les personnes, dans les échanges bibliographiques, les échanges d’expériences, les réunions, etc.

Lorsque nous accueillons des élèves du monde entier, je leur demande : « Savez-vous où se trouve la connaissance ici ? » et je leur réponds : « Elle est partout. » À la bibliothèque dans les articles et dans les livres, lorsque vous mangez à la cantine ou à la cafétéria et lorsque vous parlez avec vos collègues entraîneurs à propos du jeu et de l’entraînement. La connaissance circule, elle ne se situe pas seulement dans la salle de cours avec le professeur.

Nous avons pu, tous ensemble, créer une culture qui circule aussi dans les environs. Il n’est pas possible de situer la connaissance dans un lieu physique. Lorsque quelqu’un entre dans notre université, il doit ressentir ce que j’ai ressenti, par exemple, en passant quelques jours à La Masia du FC Barcelone.

« C’est la culture et l’environnement qui poussent les gens à changer, à évoluer »

Le sentiment de ne pas se contenter d’assimiler des connaissances, mais de devenir une meilleure personne. Que c’est fantastique d’être étudiant, enseignant, entraîneur ou joueur dans ces environnements. Toutefois, il n’y a rien qui stipule précisément ou impose comment se comporter. C’est la culture et l’environnement qui poussent les gens à changer, à évoluer. Parfois, on dit que certains clubs de football ont une dimension « mystique ». Peut-être que ce sont tous ces éléments qui génèrent ce sentiment.

En résumé, nous avons investi, avec de bons résultats, dans la recherche, l’application des connaissances, le conseil, la participation aux équipes techniques et la formation des entraîneurs. Aujourd’hui, nous avons des enseignants reconnus, d’anciens étudiants dans des équipes techniques du monde entier et c’est le plus grand indicateur que notre Faculté de Sport a fait quelque chose de bien à cet égard.

Peut-on aujourd’hui parler d’une école portugaise unifiée ou plutôt d’une approche composée de différents courants qui, à un moment donné, en bonne intelligence, ont décidé de fonctionner ensemble pour aider le football portugais à s’élever ?

Je ne sais pas si on peut parler d’école. J’ai fait de la formation d’entraîneurs, en débutant en 1986 et j’ai parcouru tous les niveaux. J’ai eu beaucoup d’élèves qui sont maintenant entraîneurs dans des clubs professionnels, d’autres dans les sélections nationales.

Il est très intéressant d’observer que l’enjeu principal se situe dans la connaissance du jeu et des différentes approches de développement du joueur individuellement, pas seulement d’un point de vue collectif, mais aussi, au niveau de la capacité de chacun à être empathique avec des cultures différentes.

Ce qui me semble important sur ce dernier point, c’est de comprendre que même au Portugal, nous possédons différentes cultures. Que ce soit au nord, au sud ou au centre du pays, les clubs ont des traits particuliers. Lorsqu’un entraîneur arrive dans un club, il vient avec une certaine connaissance du jeu, de la méthodologie et il se fait accompagner par une équipe technique composée de personnes minutieusement choisies.

« L’enjeu principal se situe dans la connaissance du jeu et des différentes approches de développement du joueur individuellement, pas seulement d’un point de vue collectif »

C’est un aspect fondamental parce que la formation continue se déroule en grande partie en interne, au sein des équipes techniques. S’il existe une culture du dialogue, d’écoute des diverses opinions, que la façon de voir et de sentir l’entraînement est partagée, que les joueurs sont écoutés, cela enrichira tout le processus. En revanche, si l’entraîneur appréhende ces relations de manière totalitaire, et centré uniquement sur lui-même, ce sera difficile.

Mais si les équipes et ces personnes sont conscientes de l’importance de féconder les connaissances et la forme d’entraîner, on obtient alors un développement presque naturel. On peut se développer et s’améliorer tous les jours, même si on ne gagne pas.

L’accent a été mis sur la connaissance du jeu, mais pas le jeu de manière abstraite. Le jeu auquel nous voulons jouer. Encore une fois, comme pour un film, les personnages sont écrits pour jouer dans un film déterminé, pas pour jouer dans tous les films. C’est pourquoi je pense que le talent ne peut être envisagé de manière abstraite, il doit être situé.

« Si les équipes et ces personnes sont conscientes de l’importance de féconder les connaissances et la forme d’entraîner, on obtient alors un développement presque naturel« 

Par analogie, je dirais que si nous voulons développer des danseurs capables de «danser la samba» a haut niveau, nous n’allons pas les former pour «danser la valse » ou « le cha-cha-cha». Cependant, on peut encore observer que certains clubs recrutent des joueurs pour jouer d’une certaine façon, en partant du principe que ce sont des talents. Mais des talents pour faire quoi ? Quels sont les idées pour jouer ? Et à quel type de jeu voulons nous jouer ?

Thierry Henry est un bon exemple. Lorsqu’il a quitté Arsenal pour Barcelone, tout le monde pensait qu’il aurait le même impact. Mais ce n’est pas tout à fait ce qu’il s’est passé. A l’époque, un ami ne comprenait pas la situation et m’avait dit : « mais Thierry Henry n’est pas un talent ? » Je lui avais répondu : « Oui, mais il est surtout compétent pour danser la samba et on exige qu’il soit doué pour la valse ! » Il avait besoin d’espace dans le dos de ses adversaires pour être épanoui.

Sa capacité à déséquilibrer était fortement associée à sa vitesse et aux changements de direction, aux accélérations. Cependant, en jouant dans une équipe dominatrice, qui évoluait essentiellement dans un bloc haut, face à des équipes laissant peu d’espaces, il a été poussé par ce bloc et s’est retrouvé coincé entre ses adversaires, sans les espaces qu’il pouvait exploiter comme il le faisait si bien.

On ne peut pas être doué pour tout. L’expression du talent d’un gardien de but est différente de celle d’un attaquant. L’expression du talent d’un attaquant, par exemple, n’est pas la même pour tous les modèles et systèmes de jeu. Le talent s’exprime mieux dans certains cas que dans d’autres. Pourquoi ? Parce que le talent n’est pas quelque chose qui se situe à l’intérieur du joueur, qu’on peut lui demander de montrer sur commande. Le talent se situe dans la relation que l’individu a avec son environnement, pas dans l’individu lui-même.

Personne n’est bloqué à son niveau d’origine, c’est-à-dire à ce qu’il est et à ce qu’il apporte à sa naissance. Plus le niveau et la demande de spécialisation augmentent, plus l’influence de l’environnement devient déterminante. Nous n’avons pas du talent, nous l’accumulons, nous le construisons et nous le perdons.

Le talent est épigénétique. Il n’est pas dans l’individu ou dans l’implication, il est dans l’interaction entre l’individu et environnement. Le talent s’apprend et son expression varie en fonction de l’interaction des différentes contraintes.

« Ce sont les talents qui s’imposent, pas nous qui les découvrons »

Le talent découle avant tout de ce que l’on est capable de faire avec ce que l’on a et que l’on ne peut pas changer, et de ce que l’on peut transformer. Comme le disait l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano : « Nous sommes ce que nous faisons pour changer ce que nous sommes ». Développer d’abord, identifier ensuite, sélectionner enfin.

Plus nous créons de bonnes conditions (professionnels bien formés, environnements qualifiants) et plus nous consacrons de temps aux processus, moins nous devons nous préoccuper de l’identification des talents. En effet, si les conditions sont réunies, les talents émergent et se manifestent.

Ce sont les talents qui s’imposent, pas nous qui les découvrons. L’idée que c’est nous qui découvrons les talents est fallacieuse et perverse, et a conduit à la perte de nombreux talents potentiels et à l’identification de faux positifs.

Duarte Araújo disait que le talent n’est pas quelque chose que l’on possède, c’est quelque chose qui est partagé entre les individus et leur environnement.

C’est exactement cela. Nous avons l’impression et l’illusion que le talent se situe à l’intérieur de l’individu, alors qu’en fait, tout dépend du rapport que l’individu va avoir avec la tâche, avec l’environnement, ainsi que sa capacité à percevoir les opportunités d’action et d’agir de manière adaptée.

Le talent étant quelque chose que l’on construit, on peut donc tout aussi bien le détruire en quelques secondes. L’expression du talent va fluctuer, au fur et à mesure que les scénarios changent. Si l’on croit que le talent se situe à l’intérieur de l’individu et que c’est, pour ainsi dire, un équipement de série, on ne peut utiliser l’éducation, la culture, la formation, la transformation, comme principes clés du processus. Dans ce cas, on s’arrête et on attend de voir quand le « talent émerge ».

« Le talent étant quelque chose que l’on construit, on peut donc tout aussi bien le détruire en quelques secondes »

Encore une fois, c’est une illusion, surtout dans les activités culturelles, parce que le football est une activité créée de toute pièce par l’homme. Si vous êtes engagé dans une épreuve de vitesse pure comme le 100m et que vous n’avez pas certaines capacités, par exemple, du point de vue physiologique, vous pouvez avoir les meilleures conditions du monde, le meilleur entraîneur du monde, vous ne gagnerez pas les Jeux Olympiques ou les championnats du monde.

Toutefois, en football, nous avons besoin d’autres choses, car c’est avant tout un jeu sportif collectif avec de fortes implications tactiques et stratégiques. C’est pourquoi, dans la nature, il n’existe aucun animal ayant une activité qui pourrait être assimilée à un sport collectif. En revanche, un certain nombre d’animaux courent plus vite et sautent plus haut que les êtres humains, mais aucun ne joue au football ou au volleyball.

On peut voir des chiens taper dans un ballon si nous allons au cirque, mais ce n’est pas jouer au football. Au football, on joue avec des idées, des intentions. Le bon jeu se joue avec des bonnes idées et le mauvais se joue sans idée ou avec de mauvaises idées.

Qu’est-ce qui, selon vous, caractérise les bonnes et les mauvaises idées ?

C’est très subjectif, évidemment, mais pour moi, la référence, c’est la cohérence. Alors quelles idées peuvent être considérées comme étant bonnes idées ? Celles qui permettent de s’entraîner à jouer d’une certaine façon. La cohérence, la congruence entre ce que l’on veut faire et ce que l’on fait.

Si vous dites : « mon football est basé sur le jeu long », que vous vous entraînez pour jouer de cette manière, alors pour cette équipe et cet entraîneur, c’est un bon football. Toutefois, le public peut avoir une opinion différente et vous siffler durant le match. Mais c’est un autre sujet.

Par ailleurs, est-il possible de constituer une liste de comportements ou d’événements qui sont caractéristiques du football de haut niveau ? Oui, on peut le faire et ce que l’on observe, c’est que certaines équipes partagent ces caractéristiques. Mais ce qui est également fondamental, c’est de déterminer quels sont les aspects qui distinguent ces équipes les unes des autres.

Qu’est-ce qui distingue le Bayern Munich du Real Madrid ? Les détails. C’est comme pour les êtres humains, ils partagent un certain nombre de caractéristiques propres à l’espèce, mais ce qui permet de faire la différence entre eux, ce sont les détails ? Pour moi, c’est ce qui est le plus difficile et le plus important, car comme on le dit, le diable est dans les détails.

Vous disiez que les systèmes complexes ne permettent pas de parler de ce qui s’est passé, ils permettent de se préparer à ce qui arrivera dans l’avenir. Pour vous, quelle direction prend le football ?

Évidemment, il y a des évolutions au niveau tactique, au niveau physique, notamment en termes de récupération, pas seulement entre deux matchs, mais aussi entre les sessions d’entraînement afin d’être en mesure d’exiger de la haute intensité. C’est pourquoi je défends l’idée qu’il y a deux façons d’entraîner au football.

La 1ère, c’est entraîner pour jouer, c’est l’entraînement du modèle (l’idéal de jeu, les idées pour jouer, les principes). La 2nde, c’est entraîner pour pouvoir s’entraîner. C’est l’entraînement des équilibres. Les besoins de chaque personne, chaque joueur, en termes de récupération, de nutrition, d’hydratation, la supplémentation, doivent être étudiées et définies.

D’un point de vue mental, il faut préparer les joueurs afin qu’ils puissent jouer en accord avec le modèle, mais aussi pouvoir s’exprimer à leur niveau maximum. Pour cela, les joueurs doivent aussi pouvoir s’exprimer en accord avec leur géographie corporelle.

Nous devons essayer de ne pas les formater car ils ont une façon propre de jouer, de s’exprimer dans le jeu, de gérer leurs corps. Pour concrétiser les idées de jeu, il n’est pas nécessaire de subvertir le corps des joueurs ou leur capacité d’action. Au contraire, il faut tirer parti de leurs singularités.

« Un entraîneur doit voir l’entraînement comme un processus de transformation et ne pas se contenter de gérer ce qui existe« 

La dimension mentale est fondamentale. Plus nous nous rapprochons du haut niveau, plus la question mentale est importante. Ce qui fait la différence, la plupart du temps, ce n’est pas le muscle. Ce sont les idées et la capacité à les exécuter avec consistance, pas seulement durant un match ou dix minutes, qui vont faire la différence.

L’humanisation de l’entraînement est fondamentale afin que l’entraîneur puisse se mettre dans la peau des joueurs et que le modèle d’entraînement et de jeu soit négocié avec eux.

Ce n’est pas un signe de faiblesse. Au contraire, seuls les entraîneurs qui se sentent à l’aise avec eux même peuvent le faire. En revanche, les joueurs peuvent percevoir cette négociation comme une faiblesse de la part de l’entraîneur, si celui-ci n’est pas à l’aise avec lui-même et ses idées.

Un entraîneur doit savoir comment les joueurs et l’équipe se sentent après leur dernier match. Par exemple, quelles ont été les sensations des 2 joueurs qui ont évolué dans un double pivot, alors qu’habituellement, l’équipe joue avec une pointe basse ?

A haut niveau, vous pouvez avoir un joueur qui joue sept matchs d’affilée et qui ne joue pas le 8ème match, sans que l’entraîneur ne lui explique pourquoi. C’est quelque chose qui ne devrait pas se produire, parce que le joueur est avant tout un être humain.

« On ne peut exiger qu’il n ‘y ait que des champions qui émergent des systèmes de formation, mais nous devons exiger de ces systèmes et des entraîneurs qui y travaillent, de transformer tous les joueurs. »

L’entraîneur doit pouvoir dire au joueur qu’aujourd’hui il n’est pas l’option qu’il a choisie pour remplir telle ou telle fonction, car il pense qu’un autre joueur sera plus adapté sur ce match, mais qu’il a confiance en lui et qu’il doit continuer à travailler.

Malheureusement, on prend rarement soin de ces choses qui semblent être des détails, mais qui sont très importantes dans la façon de mener un groupe, d’être reconnu et accepté par les joueurs et par l’équipe. La culture, l’entraînement, l’éducation, servent surtout à transformer ce que nous sommes.

Un entraîneur doit voir l’entraînement comme un processus de transformation et ne pas se contenter de gérer ce qui existe. C’est un processus qui exige des connaissances et de la sagesse: savoir-penser, savoir-comprendre, savoir-faire, savoir-sentir.

J’ai souvent dit qu’on ne peut exiger qu’il n ‘y ait que des champions qui émergent des systèmes de formation, mais nous devons exiger de ces systèmes et des entraîneurs qui y travaillent, de transformer tous les joueurs. Tous les joueurs doivent être meilleurs en sortant du système. C’est d’ailleurs quelque chose que nous devons exiger de tous les entraîneurs, mais surtout ceux travaillant à la formation.

L’ambition sans formation ne produit que des personnes et des organisations frustrées et conformistes, tandis que la formation sans ambition conduit à la formation de sujets qui agissent comme des employés obéissants et suiveurs, qui fonctionnent comme de simples reproducteurs d’idées et de conceptions qui leur sont souvent étrangères et qui ne leur conviennent pas.

« Dans les sociétés actuelles, nous sommes de moins en moins capables de donner du temps au temps. Pas seulement dans le sport. Pas seulement dans le football. Nous voulons tout très vite »

Mais la question du temps, comme celle de la qualité, devient importante. Personne ne se forme ou n’est formé sans avoir le temps nécessaire pour le faire. Or, nous nous donnons et nous donnons aux autres de moins en moins de temps.

Comme nous l’a dit un grand pathologiste portugais, Manuel Sobrinho Simões, la sagesse, plus que la connaissance, a besoin de beaucoup de vie, de beaucoup d’expériences. En d’autres termes, il faut toujours donner du temps au temps pour qu’il effectue son travail.

Toutefois, dans les sociétés actuelles, nous sommes de moins en moins capables de donner du temps au temps. Pas seulement dans le sport. Pas seulement dans le football. Nous voulons tout très vite. Tout est urgent et cela a un coût élevé lorsque nous voulons gérer et mettre en œuvre des processus de haute qualité et à fort impact.

Compte tenu de votre longue expérience universitaire, de votre travail avec de nombreuses organisations sportives de haut niveau, qu’avez-vous appris sur la nature humaine ?

Ma préoccupation fondamentale a été précisément de développer ma compréhension de la nature humaine, à travers le football. Ces années m’ont apporté quelques éléments de réflexion que je peux essayer de résumer. Tout d’abord, les personnes apprennent vraiment à se connaître, lorsqu’elles sont confrontées à des environnements difficiles. Lorsque les choses se passent bien, qu’il y a un équilibre, que les personnes sont satisfaites et que les résultats sont bons, pas de problème.

C’est la différence entre nager dans une piscine et nager en mer. Si je suis dans une piscine, je peux échanger tranquillement avec mes amis qui sont au bord de la piscine et leur sourire. Maintenant, si je vais nager en mer, qu’elle est très tumultueuse et qu’il y a des requins, je ne pourrai me comporter de la même manière, parce qu’il y a une question de survie.

En ce sens, les textes du théoricien français Henri Laborit me semblent très actuels. Par exemple, en football, la nécessité pour les différents acteurs de garantir leur territoire est extrêmement présente et visible. Dans le domaine scientifique, c’est la même chose. Si vous parlez d’un sujet dont vous n’êtes pas spécialiste, à un spécialiste, même si vous avez apporté des éléments pertinents à la réflexion, vous avez de grandes chances d’être pris de haut. Toutefois, une personne qui n’est pas spécialiste peut penser, elle peut proposer une perspective qui va enrichir la réflexion.

La nature humaine dépend beaucoup de ces rapports. C’est pourquoi je dis à mes élèves, que nous devons tout faire pour pouvoir être honnête et prévenir les choses qui peuvent nous emmener sur un autre chemin. Confrontés à leurs limites, tous les individus peuvent faire des choses incroyables, notamment négativement incroyables. C’est aussi à cela que sert la formation, elle nous aide à prévenir certaines choses et à ne pas dépendre exclusivement d’une personne ou du football, ou de quoi que ce soit d’autre.

Le grand art, pour moi, c’est de ne pas être entre les mains de personnes qui peuvent faire de vous des marionnettes. Lorsque vous pouvez penser et décider en toute indépendance, vous pouvez devenir un grand entraîneur ou un grand professeur. C’est un chemin que chacun doit effectuer.

Le football me l’a enseigné parce que c’est un concentré de la nature humaine. Il permet, en étant attentifs, d’apprendre beaucoup de choses. Je crois en la nature humaine, mais pas de manière abstraite. Les choses doivent être situées.

De quel football parlons-nous ? Quelles sont les personnes impliquées ? Lire des livres est très important. Ils nous permettent d’apprendre beaucoup de choses, néanmoins lorsque nous avons des personnes en face de nous, c’est surtout à elles qu’il faut s’adresser. Il faut lire les personnes, lire l’entraînement, lire ce qu’il se passe. C’est pourquoi je parle d’interprétation.

« Lorsque vous pouvez penser et décider en toute indépendance, vous pouvez devenir un grand entraîneur ou un grand professeur. C’est un chemin que chacun doit effectuer »

Ma collaboration avec des clubs de haut niveau et l’équipe nationale portugaise consistait principalement à essayer d´interpréter le jeu et l’entraînement en observant le comportement des joueurs, des équipes et parfois des entraîneurs. Je n’analysais pas le jeu, j’essayais de l’interpréter. En d’autres termes, il s’agit d’une lecture subjective.

Nous avions des données objectives, mais j’ai regardé le match à travers une lentille subjective. Cette subjectivité s’alignait sur les idées de nos équipes sur la manière de jouer.

Il ne s’agissait donc pas d’analyse, parce que dans l’analyse, nous séparons les choses. Pour faire l’analyse, on doit séparer pour mieux comprendre. Je pense que lorsqu’on divise, qu’on sépare, on ne peut pas comprendre. La compréhension se situe précisément au niveau des interactions. L’interprétation consiste à simplifier les questions et les processus.

En réalité, pour savoir simplifier, il est impératif de disposer d’un savoir non confiné et d’une culture humaniste, c’est-à-dire d’une pratique qui prend en compte la centralité de la personne et le bon savoir, c’est-à-dire le savoir qui rend meilleur. Sans cela, toute simplification sera inévitablement une réduction appauvrie. En d’autres termes, il ne s’agit pas seulement d’un changement d’échelle du phénomène, mais d’un rétrécissement de sa signification. Il s’agit de savoir simplifier sans tricher, ce qui n’est pas facile.

Je reconnais que dans le football certaines contraintes orientent grandement la direction que l’on veut prendre, que ce soit dans le processus de formation ou dans la création et la mise en œuvre d’une culture et de valeurs qui l’encadrent et la soutiennent.

Je me suis intéressé à ce sujet et j’ai élaboré un résumé de ces contraintes que j’ai surnommé 5 I (I five): Intentionnalité, Interaction, Intensité, Identité, Intégrité. En football, la performance semble dépendre de la manière dont on parvient à organiser ces  5 I.

En effet, nous devons faire preuve d’intentionnalité pour obtenir les résultats que nous souhaitons dans l’éducation, la formation, l’entraînement, le jeu. Le football est comme notre vie, il n’y a pas d’actions. C’est une illusion de parler d’actions. Nous devons toujours parler d’interactions. La compréhension se situe dans l’interaction.

Lorsqu’il y a un problème dans un couple, habituellement, on va s’intéresser aux personnes, à leurs parents, etc. pour essayer de comprendre. Cependant, il manque un troisième élément qui est la relation. Individuellement, les personnes sont équilibrées, mais lorsqu’elles sont ensemble, elles ne sont pas compatibles.

« C’est une illusion de parler d’actions. Nous devons toujours parler d’interactions. La compréhension se situe dans l’interaction »

Ce n’est pas que l’un est meilleur que l’autre, c’est l’interaction qui est problématique. Notre regard est centré sur l’individu, alors qu’il devrait être centré sur l’interaction. Sans cela, il n’est pas possible de comprendre le phénomène.

Lorsque je parle d’intensité, j’entends la gestion intelligente des intensités, c’est-à-dire savoir utiliser l’alternance entre effort et récupération, jouer vite et jouer lentement, jouer loin et jouer près, jouer large et jouer court, ….

L’identité est la marque, l’empreinte digitale, la matrice, l’ensemble des valeurs et des caractéristiques que nous voulons mettre en œuvre. Ne pas imiter, mais être soi-même. Être ce que nous voulons être, jouer comme nous voulons jouer. Créer une culture qui fasse la différence, pour le meilleur.

L’intégrité est liée à la cohérence que nous suivons pour maintenir notre identité, notre authenticité, ce qui implique d’agir de manière éthique afin d’adopter les comportements et les attitudes que nous pensons être justes et corrects.

Je ne parle pas seulement d’une dimension éthique liée aux valeurs de probité et de conformité sociale, mais surtout de l’engagement dans le travail nécessaire et approprié pour provoquer la transformation des personnes et des institutions, ainsi que de l’engagement sérieux et cohérent dans les projets qui conduisent au changement que nous voulons provoquer.

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