Association du Football Argentin : identification et intégration des binationaux

Responsable du scouting à l’international pour l’Association du Football Argentin (Asociación del Fútbol Argentino – AFA), Juan Martin Tassi, identifie, recense et suit à l’étranger – les jeunes joueurs d’origine argentine, qui sont éligibles pour représenter les sélections nationales.

Il nous propose de découvrir sa perspective sur des thèmes comme l’identité argentine et sa transmission, la gestion et l’intégration des binationaux, la construction d’une relation durable avec les joueurs et leurs familles, la place de l’individu dans le groupe ou encore, l’importance de l’humain.

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En tant qu’argentin, que signifie pour vous le football, ce sport que Marcelo Bielsa décrivait comme la plus importante des choses sans importance ?

Le football fait partie intégrante de notre culture dès l’enfance. Il nous est souvent transmis par notre père, notre grand-père ou encore un oncle. Très tôt, quelqu’un nous initie à ce que représente réellement le football dans la culture argentine. C’est un héritage puissant, comparable aux traditions que d’autres pays rattachent à un drapeau, une histoire ou un lieu symbolique.

Chez nous, cette transmission familiale est profondément ancrée et s’exprime de multiples façons, comme supporter, ultra, joueur amateur ou professionnel, journaliste sportif ou membre d’un des nombreux métiers liés au football. Nous sommes donc nombreux à suivre ce chemin. Beaucoup jouent, mais peu atteignent le niveau nécessaire pour devenir joueur professionnel.

Ainsi, la grande majorité de ceux qui ne réalisent pas ce rêve cherchent d’autres moyens de vivre leur passion, de la ressentir pleinement, autrement, à travers d’autres rôles et d’autres espaces où le football reste toujours central.

Comme dans de nombreux pays, la plupart des Argentins ne parviennent pas jusqu’au football professionnel. Comment êtes-vous parvenu, pour votre part, à concilier un doctorat en psychologie du sport avec votre passion pour le football de haut niveau chez les jeunes ?

Je me suis engagé dans une démarche animée à la fois par la curiosité et par la volonté d’explorer de nouvelles approches dans la formation des jeunes joueurs. Nous savons que la psychologie joue un rôle essentiel, parfois même déterminant dans la performance de haut niveau. J’avais également le sentiment que de nombreux aspects restaient à développer dans ce domaine, tant pour les entraîneurs que pour les préparateurs physiques ou les recruteurs.

J’ai souvent échangé sur ces dimensions psychologiques avec des entraîneurs comme avec des psychologues, et j’en suis venu à la conclusion qu’il existait de véritables perspectives dans ce domaine. Cela m’a donné envie de me consacrer pleinement à cet aspect de la performance.

« La psychologie joue un rôle essentiel, parfois même déterminant dans la performance de haut niveau

J’ai d’abord réalisé un master pour approfondir les différents thèmes liés au haut niveau, puis un doctorat afin d’étudier plus spécifiquement la psychologie, en la mettant en relation avec le rôle de l’entraîneur et les différentes modalités d’entraînement actuellement utilisées dans le football.

Progressivement, grâce à mon expérience professionnelle et à ma formation universitaire, les choses se sont mises en place et m’ont permis de travailler à l’optimisation de certains aspects de l’entraînement.

En tant que responsable du scouting à l’international de l’Association du Football Argentin (AFA), vous êtes chargé d’identifier les jeunes talents expatriés éligibles à la sélection dès les U15. Dans quelle mesure le développement et la transmission du sentiment d’appartenance au maillot Albiceleste, trait si caractéristique des footballeurs argentins, constituent-ils le cœur de votre mission ?

Je pense que le football argentin, à lui seul, transmet naturellement ce sentiment d’appartenance à tous les enfants, qu’ils grandissent en Argentine ou en Europe — et plus particulièrement en Espagne et en Italie, deux pays où vivent de nombreux descendants argentins en raison de notre histoire commune.

Ce sentiment d’appartenance, les enfants le ressentent dès le plus jeune âge ; ce n’est pas quelque chose qu’il faut leur expliquer. C’est une première étape essentielle, et bien souvent, ils l’ont déjà intégrée.

Nous avons également eu la chance, au cours des dernières décennies, de compter sur les deux meilleurs footballeurs du monde, Diego Armando Maradona et Lionel Messi. Cela facilite évidemment l’identification des jeunes Argentins à ces figures emblématiques.

Ce sentiment d’appartenance, les enfants le ressentent dès le plus jeune âge ; ce n’est pas quelque chose qu’il faut leur expliquer.

Bien sûr, il existe un écart générationnel important : Maradona a marqué les années 1970 à 1990, tandis que Messi domine depuis les années 2000 jusqu’à aujourd’hui.
Ces deux immenses ambassadeurs ont largement contribué à diffuser la passion du football argentin aux quatre coins du globe.

Cette fierté d’appartenir à la nation argentine joue un rôle essentiel lorsque nous organisons un rassemblement national. Elle permet aux enfants de vivre l’expérience du football argentin à Buenos Aires, que ce soit lors d’un stage ou d’un tournoi international. C’est à ce moment-là qu’ils prennent pleinement conscience de cette passion, la vivent intensément et la partagent avec leurs coéquipiers de la sélection.

Les coéquipiers qui jouent en Argentine transmettent eux-mêmes cette passion du football, profondément ancrée dans notre culture, et qui fait partie de ce qui nous rend uniques en tant qu’Argentins.

En quoi l’intégration et la transmission du sentiment d’appartenance diffèrent-elles entre, d’un côté, des enfants binationaux issus d’anciens internationaux — comme Giuliano Simeone ou Nicolás Paz et, de l’autre, des jeunes nés à l’étranger, détenteurs de plusieurs nationalités et n’ayant parfois jamais mis les pieds en Argentine, à l’image d’Alejandro Garnacho ?

Effectivement, le travail est assez différent. Je dirais que, pour les enfants nés hors d’Argentine, le fait d’avoir au moins l’un de leurs parents argentins, même s’ils vivent à l’étranger, renforce encore davantage ce sentiment d’appartenance.

Le fait que ce sentiment soit transmis par le père ou la mère renforce encore le lien national, la culture et la passion. Le déracinement et la nostalgie que ressentent de nombreux Argentins vivant loin du pays intensifient cette transmission et lui donnent une force particulière.

Il ne s’agit donc pas seulement d’approcher un enfant qui est performant ou qui traverse une bonne période. L’idée est davantage de construire une relation durable dans le temps avec les enfants et leur famille, c’est pourquoi le contact avec la famille des enfants est essentiel.

Le déracinement et la nostalgie que ressentent de nombreux Argentins vivant loin du pays intensifient cette transmission et lui donnent une force particulière.

Il n’est pas question de devenir seulement l’ami du champion, comme on le dit en Argentine, mais plutôt de construire une relation de confiance au fil du temps, indépendamment des circonstances de la vie et du contexte. Si le jeune devient ensuite un joueur professionnel, international argentin, c’est génial, mais nous suivons des enfants de 13, 14 ans.

Aussi, il est fort probable que le jeune fasse sa vie dans une autre voie que le football, mais quoi qu’il en soit, l’accompagnement et le suivi des enfants doit faire partie de leur processus de formation afin qu’ils se sentent mieux accompagnés à l’étranger, tout comme leur famille.

L’amour et la fierté de porter le maillot argentin jouent un rôle majeur dans l’identification des talents. Outre cet aspect, le coordinateur des sélections nationales, Bernardo Romeo, a-t-il défini d’autres critères pour l’observation des jeunes joueurs ?

Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. La qualité technique est essentielle : toutes nos sélections exigent un haut niveau dans la relation au ballon, et c’est même un critère fondamental. D’autres éléments sont également importants, comme le parcours du jeune dans sa formation, le club dans lequel il évolue, le niveau des compétitions auxquelles il participe ou encore d’éventuels liens familiaux avec d’anciens footballeurs — un aspect qui compte souvent pour nous, notamment dans la logique de transmission. 

Globalement, je dirais que trois points sont déterminants : son niveau de jeu, le club où il se développe et ses antécédents familiaux. Quant à la personnalité et à la capacité à répondre aux exigences de nos sélections nationales, ce sont des dimensions qui peuvent s’apprendre et se transmettre chez les jeunes.

Si le talent individuel doit être incontestable, le joueur doit aussi apporter une valeur ajoutée au collectif en s’engageant pleinement au service de l’équipe.

C’est sans doute l’aspect le plus important. Il n’existe pas de critères strictement définis — c’est même plutôt l’inverse, mais les prédispositions à la vie de groupe, à la compétitivité et à tout ce qui relève de la dimension collective du jeu sont au cœur de nos observations.

Bien sûr, les jeunes possèdent déjà de grandes qualités individuelles, mais les aspects collectifs, notamment leur capacité à collaborer sur le terrain comme en dehors — constituent des indicateurs précieux lors d’un rassemblement. De fait, l’attitude du joueur nous révèle dans quelle mesure il est prêt à s’investir dans le projet collectif et à contribuer au bon fonctionnement de l’équipe, au-delà de sa personnalité, de son talent individuel ou de son parcours de formation. Si le talent individuel doit être incontestable, le joueur doit aussi apporter une valeur ajoutée au collectif en s’engageant pleinement au service de l’équipe.

L’une des particularités des sélections argentines est leur suivi presque hebdomadaire au Complejo Ezeiza Lionel Andrés Messi, équivalent de Clairefontaine, rendu possible par la forte concentration de talents dans un rayon d’environ 300 km autour de Buenos Aires, notamment entre Rosario et la capitale. Dans un pays cinq fois plus grand que la France, les distances, les temps de trajet et l’éloignement des joueurs évoluant en Europe limitent leur présence régulière aux rassemblements. Dans ce contexte, comment transmettez-vous cette culture collective si essentielle aux joueurs qui vivent à l’étranger ?

Le choix d’un rassemblement national pour les jeunes joueurs évoluant à l’étranger dépend de nombreux facteurs qui dépassent largement les simples contraintes du calendrier. Nous tenons avant tout à respecter la réalité quotidienne de ces garçons, qui participent souvent à plusieurs compétitions avec leur club, parfois dans différentes catégories d’âge ou même au niveau international. Il est donc essentiel de ne pas interférer avec leurs engagements.

La scolarité constitue également un point fondamental : nous ne souhaitons pas que les jeunes accumulent trop d’absences. Toutefois, le voyage jusqu’en Argentine est long, le plus souvent depuis l’Europe de l’Ouest, ce qui implique de prévoir au minimum quinze jours sur place afin qu’ils puissent s’adapter. En effet, ils doivent affronter un changement de saison, de climat, d’alimentation, de langue et plus largement de culture.

« Notre objectif est d’offrir aux jeunes Argentins de l’étranger des conditions d’entraînement similaires à celles de leurs homologues restés au pays, pour qu’ils s’identifient progressivement à la sélection nationale. »

Pour permettre aux jeunes de s’adapter et de s’immerger pleinement dans la vie en Argentine, leurs premiers voyages sont généralement planifiés près de deux ans à l’avance, afin qu’ils puissent progressivement se sentir à l’aise dans ce pays qui est aussi le leur.

Ils doivent participer à plusieurs rassemblements afin de se familiariser au plus près avec leurs coéquipiers en Argentine avant de disputer une compétition officielle. Notre objectif est d’offrir aux jeunes Argentins de l’étranger des conditions d’entraînement similaires à celles de leurs homologues restés au pays, pour qu’ils s’identifient progressivement à la sélection nationale.

Vous suivez des jeunes joueurs formés dans les meilleures académies européennes, principalement en Espagne, en Italie, mais aussi en Angleterre ou en Allemagne. En quoi l’approche de la formation diffère-t-elle entre l’Europe et l’Argentine, qui demeure une terre d’exportation de talents, comme en témoigne le départ de Franco Mastantuono vers le Real Madrid ?

Il me semble qu’en Argentine, les contextes d’entraînement et les conditions de compétition, particulièrement exigeants, favorisent un développement individuel très important sur les plans physique, technique, mais surtout psychologique, peut-être un peu moins sur le plan tactique.

En Europe, la formation et le développement du joueur sont davantage orientés vers l’adaptation au système de jeu utilisé et à l’organisation collective propre à chaque club. L’accent est mis sur la capacité du joueur à répondre aux exigences tactiques d’un modèle de jeu, parfois au détriment du développement individuel.

La marque de fabrique des sélections argentines réside dans une compétitivité particulièrement forte. Comme l’illustre la dernière Coupe du monde U20 au Chili, l’Argentine réalise régulièrement des parcours remarquables dans cette compétition, avec six titres et deux finales en 24 éditions. Comment expliquer que, au-delà des résultats, la sélection argentine parvienne à jouer non pas simplement comme une sélection nationale, mais véritablement comme une équipe argentine ?

En réalité, notre sélection, comme son nom l’indique, réunit les joueurs que les entraîneurs considèrent comme les meilleurs du pays. Notre but est de transmettre à chacun, qu’il évolue en Argentine ou en Europe, une véritable identité collective qui constitue la valeur ajoutée de nos équipes nationales. Toutes les sélections cherchent à rassembler les meilleurs talents individuels, mais les joueurs doivent comprendre à quel point il est essentiel de se mettre au service du collectif pour rendre l’équipe plus forte.

Notre but est de transmettre à chacun, qu’il évolue en Argentine ou en Europe, une véritable identité collective qui constitue la valeur ajoutée de nos équipes nationales. 

Cette implication dans le projet collectif ne signifie pas que le joueur doive mettre de côté son développement individuel ; bien au contraire. La progression individuelle naît précisément de l’engagement au service de l’équipe. Dans un autre contexte, certains joueurs ne seraient peut-être pas aussi enclins à fournir ces efforts. En sélection, ils doivent être prêts à accomplir des tâches qui ne leur sont pas toujours demandées en club, ou pour lesquelles ils ne se sentaient pas nécessairement disposés auparavant.

Jouer en sélection nationale implique que la priorité pour les joueurs est de comprendre comment ils peuvent contribuer à l’équipe, avant même de penser à leur propre progression individuelle. En d’autres termes, au sein des sélections argentines, la notion de collectif et la manière de jouer priment-elles sur le développement individuel du joueur ?

Disons que les deux vont de pair, comme vous l’avez mentionné. De notre point de vue, lorsque les joueurs apportent à l’équipe ce dont elle a besoin, cela contribue automatiquement à leur propre progression. Concrètement, certains ont moins de temps de jeu en sélection qu’en club, mais dans le temps qui leur est accordé, ils doivent se montrer réellement utiles à l’équipe.

Dans le contexte de la sélection, sur le terrain comme en dehors, chacun doit comprendre et respecter le rôle qui lui revient. Ce rôle est souvent implicite, mais il peut être explicité lorsque c’est nécessaire. L’essentiel est que chaque joueur apporte quelque chose de plus au collectif, au-delà de ses seules qualités techniques. Le fait même d’être sélectionnés signifie qu’ils possèdent déjà les qualités footballistiques requises, et ils en ont conscience, tout comme nous.

Dans le contexte de la sélection, sur le terrain comme en dehors, chacun doit comprendre et respecter le rôle qui lui revient. Ce rôle est souvent implicite, mais il peut être explicité lorsque c’est nécessaire.

Finalement, tout ce que les garçons font dans ce cadre sur le terrain, dans la vie de groupe, dans leur attitude devient déterminant. C’est ce qui fonde l’identité de nos sélections, et c’est pourquoi le respect du rôle de chacun est si important. Ce qui fait réellement la différence dans cette équipe, c’est précisément sa capacité à être une véritable équipe. Nous cherchons à construire une équipe en réunissant des individualités capables de se mettre pleinement au service du collectif.

Comme je l’évoquais, dans un autre environnement ou dans leur club, certaines exigences que nous avons en sélection ne seraient sans doute pas envisageables. Les joueurs ne sauraient peut-être pas qu’on peut leur demander ce type d’efforts, ou ils ne seraient pas totalement convaincus de leur importance. En sélection argentine, il n’y a aucune place pour l’hésitation : tout doit être vécu à 100 %, la conviction, la confiance envers ses coéquipiers et la volonté totale de se mettre au service du collectif. Il existe une multitude de facteurs portés à 100 % qui, mis bout à bout, apportent précisément ce supplément dont l’équipe a besoin, et cela se traduit directement dans la performance collective.

Après tant d’allers-retours entre l’Europe et l’Argentine, passés aux côtés de jeunes garçons de 12 ans comme de jeunes adultes de 20 ans, dont certains sont devenus champions du monde tandis que d’autres ont arrêté le football, quels enseignements tirez-vous de ces expériences ?

Je pense que tout cela fonctionne un peu comme un ensemble à plusieurs faces. Ce que j’en retiens rejoint d’ailleurs ce que nous évoquions précédemment, et dépasse largement la seule question de la formation en club ou en sélection. Les joueurs ont besoin d’outils pour progresser sur les plans technique, tactique et physique, mais aussi pour s’inscrire pleinement dans un collectif ou dans un modèle de jeu donné.

Je constate qu’avec le temps, la dimension humaine est de moins en moins mise en avant. Et lorsque je parle d’aspect humain, je parle précisément de la place de l’individu dans le collectif, de sa manière d’interagir et de s’intégrer au groupe. Selon moi, c’est l’un des aspects essentiels sur lequel il faut insister, car que ce soit en sélection ou en club, les joueurs reçoivent déjà une formation complète sur tous les autres aspects du jeu. Sur le plan humain, il est nécessaire d’aller encore plus loin, car c’est la dimension où la marge de progression est la plus grande. Tout le reste, les clubs sauront déjà l’apporter aux joueurs.

Selon les contextes, pays, ville, culture, chacun travaille différemment, mais à très haut niveau, l’aspect humain devient déterminant. C’est pourquoi nous y accordons une attention quotidienne, afin que notre sélection puisse atteindre un niveau supérieur à celui attendu. Cette exigence collective explique en partie pourquoi l’Argentine parvient, depuis si longtemps, à se maintenir au plus haut niveau, aussi bien chez les jeunes que chez les A.

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