Entraineur adjoint et responsable de l’analyse du jeu pour l’équipe nationale d’Arabie Saoudite, Alexandre Kerveillant a accumulé une vaste expérience en France et à l’étranger, auprès de différents entraineurs et staffs de haut niveau, que ce soit en club ou en sélection nationale.
Il nous propose un éclairage sur son parcours, sa perspective sur le rôle d’analyste du jeu et les différences de fonctionnement entre un club et une sélection.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Qu’est-ce que le football représente pour vous ?
C’est quelque chose de très important pour moi. À l’origine, c’était une passion, puis c’est devenu mon métier, sans jamais cesser d’être une passion. J’aime dire que beaucoup de personnes ont une passion en plus de leur travail, alors que moi, j’ai la chance de vivre de la mienne. C’est une véritable opportunité et j’en suis pleinement conscient.
Le football est aussi une façon de rendre hommage à mon père, qui nous a quittés il y a plus de dix ans. C’est lui qui m’a transmis cet amour du jeu. Dès l’âge de deux ou trois ans, je tapais déjà dans un ballon grâce à lui.
Vous avez transformé votre passion en métier. Comment s’est déroulée cette transition, entre vos années en tant que pratiquant à celles d’entraîneur, puis analyste ?
Le football a rapidement occupé une place importante dans ma vie, en parallèle de l’école. Cela a continué au collège, puis au lycée. J’ai ensuite naturellement choisi de poursuivre des études universitaires en faculté de sport.
J’ai débuté le football dans un petit club près de chez mes parents avant d’intégrer, à 13 ans, le prestigieux centre de formation du FC Rouen. Grâce à mon engagement et à mon travail, j’ai pu évoluer dans les catégories jeunes les plus compétitives : 14 ans fédéraux, 16 ans nationaux, 18 ans nationaux. Mon rêve a toujours été de devenir footballeur professionnel. Cependant, à 17 ans, au moment de passer le bac, j’ai pris conscience qu’il me manquait encore un élément essentiel pour atteindre ce niveau. Avec le recul, je réalise que c’était sans doute plus de rigueur et de discipline.
A cette période, je me suis interrogé sur mon avenir. J’étais plutôt mature pour mon âge, notamment grâce à mon expérience, ayant quitté le domicile familial à 13 ans pour rejoindre le FC Rouen. Lorsque le club est descendu en National, il a perdu l’agrément de centre de formation et je me suis alors retrouvé seul, à 16 ans, dans un appartement en ville. Cette situation a accéléré ma prise de maturité.
Face à cette nouvelle réalité, je me suis posé la question de mon orientation professionnelle, conscient qu’une carrière de footballeur professionnel serait difficile à atteindre.
Je ne souhaitais pas me lancer dans une série d’essais incertains, comme certains de mes amis qui parcouraient le monde pour tenter leur chance. J’ai préféré opter pour des études universitaires en faculté de sport à Liévin et effectuer un DEUST AGAPS, un diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques, spécialisé dans le football.
Ce cursus bac+2 proposait un parcours accéléré pour l’obtention des diplômes d’entraîneur : Initiateur 1, Initiateur 2, Animateur Senior et BEES 1er degré. En seulement deux ans, j’ai pu assimiler une large base de connaissances théoriques. Dans le même temps, j’entraînais des jeunes U12 et U13, une expérience qui m’a permis de faire mes premiers pas dans le métier en débutant avec les plus jeunes.
En parallèle de mes études, j’ai continué à évoluer en club amateur en Division d’Honneur. Après l’obtention de mon bac+2, j’ai souhaité changer d’environnement et j’ai choisi de poursuivre en licence 3 « Entraînement Sportif » à l’UFR STAPS de Montpellier. Cette transition m’a offert l’opportunité d’intégrer un club formateur réputé de la région, Castelnau le Crès FC. J’y ai joué avec l’équipe senior tout en prenant en charge l’équipe U17 en première division. Par ailleurs, j’ai occupé le poste d’adjoint auprès des U17 nationaux, ce qui m’a permis d’acquérir une précieuse expérience du football à 11.
C’est à cette époque que je découvre un article sur l’utilisation des drones pour l’analyse tactique par l’ASM Clermont Rugby. Cette révélation est un véritable déclic car, à ma connaissance, cette approche n’existe pas encore dans le football.
Intrigué, je commence alors à expérimenter l’outil vidéo avec mes jeunes joueurs en club, de manière simple et intuitive. A la même époque, l’Université de Montpellier lance un Diplôme Universitaire d’Analyste Vidéo. Saisissant cette opportunité, je décide de suivre cette formation en parallèle d’un Master 1 en préparation physique et de l’obtention d’un permis de télépilote professionnel de drone.
Pour valider mon diplôme d’Analyste Vidéo, un stage est requis. J’ai l’opportunité d’intégrer le Montpellier Hérault SC, mais le travail proposé, essentiellement axé sur le découpage vidéo, ne m’attire pas particulièrement. C’est alors que Denis Moutier me contacte via LinkedIn. À l’époque directeur du Pôle Espoirs d’Aix-en-Provence, il remarque ma recherche de stage et me propose une opportunité. J’accepte et mets en place des processus d’analyse vidéo en partant de zéro. En parallèle, je continue à entraîner les U19 Honneur à Castelnau-le-Crès.
Ce stage est une véritable révélation : je prends conscience que ma vocation ne se trouve pas dans la préparation physique, mais dans l’entraînement, avec une spécialisation en analyse vidéo pour affiner la lecture tactique des matchs. Je valide tout de même ma première année de Master avant de me réorienter vers un Master 2 « Entraînement et Optimisation de la Performance Sportive », parcours Analyste de la Performance, à l’UFR STAPS de Créteil.
À l’issue du stage, Denis Moutier me propose un contrat, et j’intègre officiellement le Pôle Espoirs d’Aix-en-Provence, où je reste deux ans. C’est à ce moment-là que ma transition s’opère : je mets définitivement un terme à ma carrière de joueur, par manque de temps, pour me consacrer pleinement à mon rôle d’entraîneur adjoint et responsable de l’analyse vidéo des jeunes du Pôle Espoirs.
Le profil d’entraîneur-analyste est particulièrement intéressant car il permet d’avoir une vision allant de l’observation à la mise en oeuvre sur le terrain. L’analyse et les préconisations sont ainsi directement liées à la pratique, ce qui peut éviter une potentielle déconnexion entre l’analyse et le terrain. Comment cette double compétence vous a-t-elle aidé à vous construire ?
Avoir été entraîneur a joué un rôle essentiel dans ma construction. Me retrouver face à une feuille blanche pour concevoir des séances d’entraînement, imaginer des exercices adaptés au développement individuel des joueurs tout en servant la dynamique collective, a été une expérience extrêmement enrichissante.
Ce travail pousse inévitablement à une réflexion approfondie sur tous les aspects du jeu : le style de jeu, l’organisation défensive et offensive, les transitions, les phases arrêtées. Il a considérablement renforcé ma compréhension du football, même si l’apprentissage ne s’arrête jamais. Chaque jour, j’enrichis mes connaissances au contact de mes collègues, à travers des échanges, l’observation de matchs et l’analyse des tendances, car ce sport est en perpétuelle évolution.
“Le fait d’avoir été entraîneur a joué un rôle essentiel dans ma construction. Il a considérablement renforcé ma compréhension du football, même si l’apprentissage ne s’arrête jamais”
En tant qu’analyste, regarder de nombreux matchs chaque semaine, avec la multitude de rencontres disponibles aujourd’hui, nourrit ma réflexion et me donne de nouvelles idées, qu’elles soient bonnes ou à perfectionner. C’est un processus constant d’apprentissage et de développement personnel.
Mon expérience en tant qu’entraîneur influence directement mon travail d’analyste, car elle me permet d’identifier avec précision les éléments clés à observer pour répondre aux attentes de l’entraîneur principal. Bien sûr, chaque technicien avec qui j’ai collaboré – et ils sont nombreux malgré mon jeune âge – a ses propres exigences et préférences.
Il est essentiel de noter que le rôle d’analyste vidéo peut prendre différentes formes. Certains sont exclusivement dédiés à l’analyse vidéo, d’autres occupent des postes de responsables supervisant une équipe d’analystes, tandis que certains entraîneurs adjoints intègrent cette dimension à leurs missions. La nature du travail dépend donc largement des attentes et du cadre défini par l’entraîneur principal.
“Mon expérience en tant qu’entraîneur influence directement mon travail d’analyste, car elle me permet d’identifier avec précision les éléments clés à observer pour répondre aux attentes de l’entraîneur principal”
À mes débuts, mon rôle était principalement centré sur l’analyse vidéo. Toutefois, au fil des années, j’ai progressivement été amené à intervenir davantage sur le terrain, même si ces missions restent ponctuelles. Dans un staff composé de nombreux intervenants – entraîneurs adjoints, préparateurs physiques, analystes – la coordination est essentielle pour garantir une complémentarité efficace et éviter toute interférence. Ainsi, l’étendue de mes responsabilités varie en fonction des besoins et des attentes de l’entraîneur principal.
Vous avez collaboré avec de nombreux entraîneurs. Comment adaptez-vous votre travail à chaque nouvelle collaboration ? Comment vous assurez-vous que votre approche réponde précisément aux besoins de chaque entraîneur ?
Lorsque je commence à travailler avec un nouvel entraîneur, la première étape consiste à établir un langage commun, un véritable référentiel partagé. Cette phase est essentielle pour s’assurer que nous parlons la même langue footballistique. Par exemple, la définition de ce qu’est une « passe réussie », peut varier d’un entraîneur à l’autre. Pour certains, les passes réussies par un défenseur central qui cherche en priorité son gardien, ne seront pas autant valorisées que celles réussies par l’autre central, mais qui cassent les lignes et éliminent plusieurs adversaires.
Ce travail de définition et de clarification est fondamental pour une collaboration efficace. Une fois cette base établie, il s’agit d’ajuster nos méthodes de travail et de présenter ma propre approche de l’analyse, en mettant en avant mes compétences et la valeur que je peux apporter. L’analyse englobe plusieurs aspects : l’étude de notre propre équipe, l’observation de l’adversaire via la vidéo, mais aussi l’exploitation des données statistiques qui viennent compléter nos observations.
“Lorsque je commence à travailler avec un nouvel entraîneur, la première étape consiste à établir un langage commun, un véritable référentiel partagé. Cette phase est essentielle pour s’assurer que nous parlons la même langue footballistique.”
Selon les attentes de l’entraîneur, un travail important peut également être réalisé à l’entraînement, avec des prises de vue par drone pour affiner l’analyse technico-tactique. Enfin, l’analyse peut être réalisée en temps réel sur le terrain (TV ou Ipad) ou en différé. Ce qui nous permet d’établir des bases de données adaptées aux besoins spécifiques de l’entraîneur.
La collaboration avec un entraîneur est un processus d’ajustement permanent. Il est le décideur principal, et c’est à lui de choisir quelles informations exploiter. Mon rôle est d’identifier ses besoins et d’y répondre avec précision, tout en étant force de proposition lorsque je perçois des axes d’amélioration pertinents. Si une idée me semble utile, je la soumets, et il est libre de l’adopter ou non. Dans ce métier, l’anticipation et l’adaptabilité sont des qualités essentielles.
“La collaboration avec un entraîneur est un processus d’ajustement permanent. Il est le décideur principal, et c’est à lui de choisir quelles informations exploiter.”
Nous sommes en quelque sorte les yeux de l’entraîneur, l’aidant à accomplir ses missions avec précision. Pris par de nombreuses responsabilités – communication, gestion du groupe, relations avec la direction – il dispose de peu de temps pour analyser chaque match en détail. C’est pourquoi il me confie cette tâche, et je m’efforce de lui fournir une analyse complète et pertinente, adaptée à ses besoins.
Mon rôle est d’être son prolongement sur les aspects qui me sont délégués, en lui apportant des informations claires et exploitables. Pour que cette collaboration soit pleinement efficace, une relation de confiance mutuelle est essentielle. C’est elle qui garantit non seulement la fluidité de notre travail, mais aussi la satisfaction de l’entraîneur quant à la valeur ajoutée de mes analyses.
Vous avez distingué trois rôles associés à l’analyse vidéo : l’analyste, le responsable de cellule d’analyse et l’entraîneur adjoint spécialiste de l’analyse vidéo. Dans quel rôle vous inscrivez-vous avec la sélection saoudienne ? Quel a été votre processus d’adaptation à ce contexte sportif ?
Actuellement, je suis sous contrat en tant qu’entraîneur adjoint au sein de la Fédération Saoudienne de Football, avec une responsabilité particulière sur l’analyse vidéo. Nous sommes deux dans la cellule vidéo, sans hiérarchie définie, travaillant en étroite collaboration. Cependant, mon expérience me permet de structurer l’organisation de notre travail et d’assurer une coordination efficace.
Mon rôle s’inscrit principalement dans la catégorie des entraîneurs adjoints spécialisés dans l’analyse vidéo. Aux côtés de deux autres adjoints, j’apporte également un soutien technique sur le terrain, en intervenant ponctuellement sur certaines phases d’entraînement pour assister le staff lorsque nécessaire. Mes missions sont plus axées sur la vidéo contrairement à certaines de mes précédentes expériences.
Mon intégration au sein de l’équipe nationale s’est faite dans un contexte d’urgence. Arrivés en fin d’année, nous avons disputé deux matchs de qualification cruciaux pour la Coupe du Monde en moins de dix jours, face à l’Australie et à l’Indonésie. Cette situation exigeait une adaptation rapide et une anticipation des attentes d’Hervé Renard avant même notre arrivée en Arabie Saoudite. Heureusement, mon expérience précédente à Al Nassr m’avait permis de connaître certains joueurs de la sélection, ce qui a été un atout précieux. Dès le départ, j’ai instauré une collaboration efficace avec mon collègue analyste vidéo et l’ensemble du staff afin de répondre aux exigences du sélectionneur.
Face à l’urgence, j’ai adopté une approche pragmatique : j’ai délégué certaines tâches de découpage à mon collègue tout en réalisant moi-même l’analyse principale, selon ma méthodologie habituelle. Après présentation à Hervé Renard, il a validé cette approche, que nous avons ensuite affinée pour l’adapter à ses besoins spécifiques. L’intégration s’est faite naturellement malgré la pression du calendrier.
Au-delà de l’aspect purement technique, l’expatriation implique également de nombreuses démarches. Gérer un déménagement, souvent en famille – ce qui a été mon cas avec mon épouse – et s’occuper des formalités administratives sont des défis en soi. Dès mon arrivée, j’ai dû faire un état des lieux du matériel disponible au sein de la fédération afin d’identifier rapidement les outils essentiels à l’analyse vidéo : ordinateurs, logiciels, câbles et équipements nécessaires pour travailler efficacement et répondre aux demandes du staff.
Une fois cette phase d’installation achevée, j’ai pu me consacrer pleinement à l’analyse de notre équipe et des adversaires, tout en assurant le suivi des entraînements. Nous préparons et présentons les séances via Keynote, avec des animations détaillées, une tâche exigeante qui nécessite une grande réactivité pour jongler entre l’analyse des matchs, la préparation des séances et les diverses sollicitations du staff.
Vous avez évoqué le scouting comme une mission complémentaire à l’analyse vidéo. Est-ce une nouveauté pour vous ? Comment abordez-vous cette activité, notamment en période hors compétition, lorsque vous n’avez pas de matchs à analyser ? Comment s’intègre-t-elle à vos autres responsabilités ?
Nous nous rendons directement dans les stades afin d’observer les matchs sur le terrain. Notre mission consiste à évaluer les joueurs déjà sélectionnés tout en repérant de nouveaux talents susceptibles d’intégrer les prochains rassemblements.
Le scouting représente une approche différente de mon expérience en club, où l’analyse se concentre principalement sur l’adversaire, tant sur le plan collectif qu’individuel. En raison du rythme intense des compétitions, il est rare de se déplacer pour observer les joueurs en direct ; l’essentiel du travail repose alors sur l’analyse vidéo. Le suivi sur le terrain constitue donc une expérience enrichissante, offrant une perception plus fine des performances individuelles.
L’enjeu principal réside dans notre capacité à identifier les qualités spécifiques des joueurs. Contrairement à l’analyse d’équipe, notre attention est ici portée sur les prestations individuelles. Pour les joueurs déjà sélectionnés, nous évaluons leur niveau de performance lors de l’observation. Quant à ceux qui n’ont jamais été convoqués, notre objectif est de déterminer s’ils possèdent un potentiel supérieur aux joueurs actuellement dans le groupe.
« Le suivi sur le terrain constitue donc une expérience enrichissante, offrant une perception plus fine des performances individuelles. L’enjeu principal réside dans notre capacité à identifier les qualités spécifiques des joueurs. »
En complément de cette observation directe, nous assurons un suivi global des joueurs tout au long de l’année grâce à l’analyse des données. Cet aspect « data », que nous utilisons également pour étudier nos adversaires, nous permet ici d’évaluer nos propres joueurs avec une grande précision. Nous collectons des données technico-tactiques et physiques via des plateformes spécialisées, constituant ainsi une base de référence complète.
Par exemple, lorsqu’il s’agit de comparer plusieurs latéraux, ces données deviennent un outil d’aide à la décision essentiel. Elles nous permettent d’analyser objectivement leurs performances et d’évaluer leur capacité à répondre aux exigences de notre projet de jeu, notamment en matière d’intensité et de répétition des efforts.
Grâce à cette combinaison d’observations terrain et d’analyse data, nous affinons nos choix avec rigueur, en nous assurant que chaque joueur retenu correspond parfaitement aux attentes du staff et aux exigences de notre vision du jeu.
Quelles distinctions peut-on faire entre l’observation d’un match en direct et avec le support vidéo ? Lors de vos observations en direct, quels sont les critères que vous utilisez pour évaluer les performances individuelles des joueurs ?
Pour moi, rien ne remplace l’observation en direct. Nous avons la chance que la majorité de nos joueurs évoluent dans le championnat saoudien, ce qui facilite grandement nos déplacements. C’est un véritable atout, car cela nous permet d’analyser les joueurs dès l’échauffement, d’observer leur comportement, et de capter des détails souvent imperceptibles à la caméra. En tribune, nous avons aussi la liberté de focaliser notre attention sur un joueur spécifique sans être limité par l’angle de vue imposé par la vidéo.
L’intensité du match est également bien plus perceptible en direct qu’à travers un écran. De plus, nous prenons en compte le contexte global : l’ambiance dans le stade, les réactions des bancs de touche, les tensions sur le terrain… Autant d’éléments qui enrichissent notre analyse et nous permettent d’avoir une vision plus fine et plus nuancée du jeu.
Lors de nos observations, nous nous attachons à des critères fondamentaux sur les plans mental, physique, technique et tactique.
Prenons l’exemple d’un défenseur central :
L’un de nos objectifs est aussi d’évaluer l’évolution des joueurs par rapport à nos précédentes observations. Nous identifions leurs points forts, leurs axes de progression et vérifions s’ils maintiennent un niveau de performance constant. Ce suivi régulier nous permet de détecter ceux qui sont en pleine ascension, mais aussi ceux qui rencontrent des difficultés ou connaissent une baisse de régime. Dans ces cas-là, nous réfléchissons aux solutions à leur apporter.
« Pour moi, rien ne remplace l’observation en direct. C’est un véritable atout, car cela nous permet d’analyser les joueurs dès l’échauffement, d’observer leur comportement, et de capter des détails souvent imperceptibles à la caméra. »
Toutes ces informations sont ensuite transmises à l’entraîneur principal, que ce soit lors de réunions formelles ou d’échanges plus informels. Si un joueur semble en difficulté, l’entraîneur peut décider de le contacter, de le rencontrer ou de lui proposer un échange plus personnel afin de lui offrir un accompagnement adapté à ses besoins.
Le rythme en sélection nationale diffère considérablement de celui d’un club. En club, la proximité quotidienne avec les joueurs favorise des échanges réguliers et un suivi continu. En sélection, le temps est limité, ce qui nous oblige à aller à l’essentiel et à être particulièrement attentifs aux moindres détails, car chaque instant compte.
Enfin, l’approche du suivi des joueurs diffère également. En club, le contact quotidien facilite un encadrement plus direct. En sélection, nous avons davantage de recul, ce qui nous permet de porter un regard plus objectif sur leur évolution. Là où le quotidien en club peut parfois nous enfermer dans une routine, notre position nous offre une perspective plus large, bénéfique tant pour l’analyse que pour le développement des joueurs.
Paradoxalement, que ce soit en club ou en sélection, les staffs sont en crise de temps, pour des raisons différentes.
En club, nous disposons de davantage de temps pour bâtir une identité de jeu et structurer un modèle cohérent, notamment grâce à une période de préparation qui peut s’étendre sur cinq à sept semaines. La stabilité de l’effectif facilite également l’assimilation des principes de jeu et leur mise en place progressive.
En sélection, la dynamique est bien différente. La durée d’intégration du sélectionneur joue un rôle clé : s’il est en poste depuis plusieurs années, les joueurs sont déjà imprégnés de ses méthodes et de sa philosophie. En revanche, lorsqu’un nouveau sélectionneur arrive, transmettre ses idées et son style de jeu en un temps restreint représente un défi de taille.
« La gestion du temps est un enjeu majeur en sélection. Avec peu d’opportunités pour transmettre nos idées, nous devons exploiter divers outils – vidéos, présentations tactiques, séances d’entraînement – tout en tenant compte de la fatigue des joueurs liée à leur calendrier chargé. »
Actuellement, bien qu’Hervé Renard entame son deuxième passage à la tête de l’équipe, nous devons réinstaurer notre approche. Or, le temps nous fait défaut : pour certaines échéances, seuls quatre entraînements précèdent le match. Ce laps de temps restreint impose une adaptation rapide et une optimisation de chaque séance.
L’effectif en sélection est en perpétuelle évolution, avec des joueurs qui partent et d’autres qui intègrent le groupe. Il est essentiel de les intégrer rapidement dans notre projet de jeu. De plus, les performances varient d’un rassemblement à l’autre et les blessures peuvent perturber nos plans. Cette nécessité d’adaptation est permanente, bien qu’elle existe également en club.
La gestion du temps est donc un enjeu majeur en sélection. Avec peu d’opportunités pour transmettre nos idées, nous devons exploiter divers outils – vidéos, présentations tactiques, séances d’entraînement – tout en tenant compte de la fatigue des joueurs liée à leur calendrier chargé. Les séances sont calibrés pour préserver leur fraîcheur physique. L’objectif principal reste la victoire, afin d’atteindre les ambitions fixées par la fédération.
Compte tenu des contraintes temporelles distinctes en club et en sélection, comment évaluez-vous l’impact spécifique de votre rôle d’analyste dans la transmission du modèle de jeu ? Comment votre travail maximise-t-il l’efficacité de cette transmission, malgré le peu de temps disponible ?
L’entraîneur est le décideur, et notre rôle est de l’accompagner au quotidien en apportant notre expertise dans nos domaines respectifs. La composition du staff varie en fonction de ses choix, mais notre mission reste la même : être des facilitateurs et un soutien permanent pour l’entraîneur.
Au quotidien, je veille à répondre à ses besoins en m’appuyant sur notre relation de travail et en anticipant ses attentes. Au-delà de l’exécution, je me positionne également comme force de proposition, car l’innovation et l’adaptabilité sont essentielles pour maintenir l’intérêt et l’engagement des joueurs.
Lors des séances d’entraînement, mon travail consiste à analyser les aspects tactiques en mettant en lumière les points forts et les axes d’amélioration. Mon rôle est aussi de m’assurer que les consignes sont bien assimilées par les joueurs et, si j’identifie des ajustements nécessaires, d’en informer l’entraîneur et les adjoints. L’utilisation du drone nous permet d’obtenir une vision plus détaillée de certaines séquences clés.
« L’objectif est d’utiliser la vidéo de manière ciblée, sans surcharger les joueurs. Nous sélectionnons des séquences d’entraînement pour les présenter à l’entraîneur, en attirant son attention sur des aspects précis »
Par exemple, sur un exercice tactique, nous pouvons illustrer un bloc défensif bien organisé ou, à l’inverse, signaler un mauvais déplacement par rapport à la position du ballon et de l’adversaire. Sur cette base, l’entraîneur peut décider de mettre en place des séances vidéo, qu’elles soient collectives ou spécifiques par poste, afin d’affiner la transmission de son modèle de jeu.
L’objectif est d’utiliser la vidéo de manière ciblée, sans surcharger les joueurs. Nous sélectionnons des séquences d’entraînement pour les présenter à l’entraîneur, en attirant son attention sur des aspects précis : « Regarde, ici c’était bien exécuté, mais là, il y a un problème de replacement défensif, le latéral est trop éloigné. » Mon souci du détail me permet de fournir une analyse rigoureuse et pertinente. C’est ensuite au coach de décider si une séance vidéo supplémentaire est nécessaire, qu’elle soit collective ou spécifique (défenseurs, latéraux, centraux…). L’enjeu principal reste toujours le même : optimiser la compréhension et l’assimilation du modèle de jeu tout en gagnant du temps dans sa transmission.
Le temps passé avec les joueurs en sélection étant restreint et l’effectif fluctuant, comment gérez-vous le suivi individuel, en particulier pour les joueurs régulièrement sélectionnés? Mettez-vous en place un suivi à distance, en utilisant la vidéo ? Comment ce suivi s’articule-t-il avec les impératifs des joueurs en club ?
Le suivi individuel des joueurs en sélection est un enjeu majeur, d’autant plus que notre temps avec eux est limité et que l’effectif évolue régulièrement. Pour assurer une continuité, nous avons mis en place un suivi à distance, en utilisant notamment la vidéo et l’analyse des données.
Pour les joueurs régulièrement sélectionnés, nous suivons leurs performances en club tout au long de la saison. Nous analysons leurs matchs grâce à nos déplacements dans les stades ou aux plateformes spécialisées qui nous fournissent des vidéos et des statistiques détaillées sur leurs prestations (temps de jeu, actions défensives, courses à haute intensité, implication offensive, etc.). Cela nous permet d’identifier leur état de forme, leur évolution et d’éventuelles baisses de régime.
« Le suivi individuel des joueurs en sélection est un enjeu majeur, d’autant plus que notre temps avec eux est limité et que l’effectif évolue régulièrement. »
Nous restons en contact avec certains staffs de clubs afin de mieux comprendre la situation de nos joueurs : leur temps de jeu, d’éventuels changements tactiques ou physiques qui pourraient influencer leur performance en sélection. Cependant, nous veillons à respecter le cadre du club, sans interférer dans leur travail. L’idée est d’avoir une vision globale du joueur sans empiéter sur les méthodes et décisions du staff en club.
En résumé, notre suivi individuel repose sur une analyse continue des performances en club, une utilisation ciblée de la vidéo et une communication adaptée à chaque joueur, tout en respectant les impératifs de leur club. L’objectif est d’assurer une transition fluide entre leur quotidien en club et les exigences de la sélection.
Le rôle d’analyste vidéo est ancré aujourd’hui. Comment les joueurs perçoivent-ils et utilisent-ils les informations que vous leur proposez ? Avez-vous identifié des profils de joueurs qui intègrent particulièrement bien ces analyses dans leur développement personnel, et d’autres qui y sont moins sensibles ?
Le rôle de l’analyste vidéo est aujourd’hui bien intégré dans le staff technique, et les joueurs en perçoivent clairement l’intérêt. Cependant, leur manière d’utiliser ces informations varie en fonction de leur profil, de leur expérience et de leur sensibilité à l’analyse tactique.
1. Des perceptions différentes selon les joueurs
Certains joueurs sont très demandeurs de vidéos et cherchent à approfondir leur compréhension du jeu. Ce sont souvent des joueurs à forte intelligence tactique, qui aiment analyser les détails et anticiper les situations sur le terrain. Ils visionnent leurs propres actions pour identifier des axes d’amélioration, mais aussi celles de leurs adversaires pour mieux s’adapter. Ces joueurs intègrent rapidement les ajustements proposés et les appliquent naturellement en match.
D’autres, en revanche, sont moins réceptifs à ce type d’analyse. Ils préfèrent apprendre par la répétition sur le terrain plutôt que par l’image. Pour ces profils, notre rôle est d’adapter notre approche : nous privilégions des clips courts et très ciblés, en mettant en avant des séquences clés plutôt que des analyses détaillées. Nous évitons aussi de les surcharger d’informations pour ne pas perturber leur manière de jouer.
2. Une adaptation du format et du contenu
Pour maximiser l’impact de l’analyse vidéo, nous personnalisons notre approche :
L’expérience joue un rôle important. Les joueurs plus expérimentés, ayant évolué dans des contextes tactiquement exigeants, sont souvent plus à l’aise avec l’analyse vidéo. En revanche, les plus jeunes peuvent avoir besoin d’un accompagnement pour comprendre l’importance de ces outils dans leur progression.
3. L’objectif : traduire l’analyse en performance sur le terrain
Le but n’est pas seulement d’informer, mais surtout de s’assurer que les joueurs appliquent ces enseignements en match. C’est pourquoi nous faisons un suivi pour voir si les consignes issues de la vidéo se traduisent en comportements concrets sur le terrain.
En résumé, la vidéo est un outil puissant, mais son efficacité dépend de la manière dont elle est présentée aux joueurs. Adapter le message en fonction de leur profil et de leur sensibilité est essentiel pour qu’ils puissent en tirer un réel bénéfice dans leur développement.
Votre parcours vous a amené à travailler dans des contextes culturels variés. Quelle est l’influence de ces contextes sur votre travail ?
Cela a eu une influence majeure sur ma façon d’exercer mon métier. Chaque pays, chaque championnat, chaque équipe possède sa propre culture du football, son approche du jeu, sa manière de travailler et d’interagir. Cette diversité m’a obligé à m’adapter en permanence, à remettre en question certaines habitudes et à ajuster ma communication en fonction des joueurs et du staff avec lesquels je collabore.
L’approche du football varie énormément d’un pays à l’autre et La barrière de la langue est un élément important. En France, par exemple, la communication est facilitée car la plupart des joueurs parlent français ou anglais. En Arabie Saoudite, l’Arabe domine, et le recours à un traducteur est souvent nécessaire, ce qui peut créer une distance. En Chine, la barrière linguistique était encore plus prononcée.
Au-delà de la langue, chaque culture a ses spécificités. Les joueurs chinois, par exemple, sont très disciplinés et à l’écoute, mais peuvent manquer d’initiative et de créativité sur le terrain. En Arabie Saoudite, les joueurs sont également réceptifs, mais nécessitent un suivi régulier et des relances pour maintenir leur niveau d’exigence. En France, comme ailleurs, on observe une variété de profils, avec des joueurs très demandeurs, d’autres plus passifs, et certains indifférents.
Finalement, la culture joue un rôle, mais la personnalité du joueur est déterminante. Les joueurs qui s’investissent dans leur progression, comme Cristiano Ronaldo ou Cesc Fabregas, sont demandeurs d’analyses, quel que soit le pays. Leur exemple peut même inspirer leurs coéquipiers. À Monaco, l’arrivée de Fabregas a eu un impact notable. Au début, les joueurs étaient plutôt réticents à l’analyse vidéo individuelle. Mais voyant Fabregas demander ses matchs et ses séquences, les autres ont suivi le mouvement.
Avec Cristiano Ronaldo à Al-Nassr, c’est la même chose. Dès son arrivée, il a clairement exprimé ses besoins en vidéo à travers une réunion que j’ai eu avec lui et s’est montré très impliqué dans le processus. Son attitude a incité d’autres joueurs à s’intéresser à l’analyse vidéo pour progresser. L’important est d’identifier ces leaders et de les accompagner pour créer une dynamique positive au sein du groupe.
« La culture joue un rôle, mais la personnalité du joueur est déterminante. Les joueurs qui s’investissent dans leur progression, comme Cristiano Ronaldo ou Cesc Fabregas, sont demandeurs d’analyses, quel que soit le pays. »
Travailler dans ces contextes variés m’a permis de développer une grande capacité d’adaptation et une meilleure compréhension des différentes façons d’aborder le football. J’ai appris à ajuster ma méthodologie, à être plus flexible et à trouver des solutions adaptées à chaque situation.
Au-delà du football, cette expérience m’a aussi enrichi humainement. J’ai découvert des cultures, des manières de vivre et de penser différentes, ce qui m’a permis de mieux comprendre mes interlocuteurs et de créer des liens plus forts avec les joueurs et le staff.
Pour conclure chaque contexte culturel apporte ses propres défis, mais aussi ses opportunités. L’essentiel est d’être capable de s’adapter, de comprendre les spécificités locales et de trouver le bon équilibre entre son approche personnelle et les attentes du pays ou du club où l’on travaille. Finalement, cette diversité est une véritable richesse qui permet de progresser en permanence et d’affiner sa manière de travailler. C’est pourquoi avec ma femme nous avons créé 11SPEAK, une application unique de traduction specifique football. C’est un lexique footballistique d’environ 3000 mots traduits dans différentes langues pour apporter un soutien aux staffs et aux joueurs.
Qu’est-ce que toutes ces expériences vous ont appris sur la nature humaine ?
Toutes ces expériences m’ont offert une véritable immersion dans des environnements humains très variés, et au-delà du football, elles m’ont permis de mieux comprendre la nature humaine sous plusieurs aspects essentiels.
Que ce soit dans le sport ou dans la vie en général, j’ai constaté que ceux qui réussissent sont souvent ceux qui savent s’adapter. Dans chaque pays, chaque culture, chaque vestiaire, j’ai dû ajuster mon approche, ma communication, ma manière de transmettre des idées. Cette capacité d’adaptation est ce qui permet de créer des connexions avec les joueurs et le staff, et elle est aussi essentielle pour eux afin de progresser dans leur carrière.
Dans le football de haut niveau, on parle souvent de tactique, de performance et de chiffres, mais au final, ce sont les émotions qui dirigent beaucoup de choses. Les joueurs peuvent être techniquement et physiquement prêts, mais s’ils ne sont pas bien mentalement, cela se reflétera immédiatement sur leur performance. L’ego, la confiance, la peur de l’échec ou la pression sociale jouent un rôle bien plus important que ce que l’on pourrait imaginer.
J’ai appris que transmettre une idée ne dépend pas seulement du message en lui-même, mais surtout de la manière dont il est perçu. Dans certains contextes, il faut être direct, alors que dans d’autres, il faut être plus subtil, voire privilégier des échanges en privé pour ne pas heurter la sensibilité de l’autre. J’ai également compris que l’écoute est une qualité essentielle.
« Transmettre une idée ne dépend pas seulement du message en lui-même, mais surtout de la manière dont il est perçu »
Travailler dans des contextes variés m’a appris que personne ne détient la vérité absolue. Ce qui fonctionne dans un club ou une sélection peut ne pas fonctionner ailleurs. Il faut sans cesse apprendre, observer, écouter et accepter que l’on peut toujours s’améliorer.
J’ai aussi vu que les plus grands joueurs et entraîneurs sont souvent ceux qui savent se remettre en question, accepter la critique constructive et évoluer en permanence.
Toutes ces expériences m’ont appris que, malgré nos différences culturelles et individuelles, nous partageons tous les mêmes besoins fondamentaux : être compris, être soutenu, évoluer dans un environnement où l’on se sent à l’aise, et surtout, donner du sens à ce que l’on fait.
Que ce soit dans le football ou dans la vie, les relations humaines restent au cœur de tout, et c’est souvent ce qui fait la différence entre une réussite et un échec.
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