Préparatrice physique de l’équipe première du FC Barcelone Féminin depuis près de 15 ans, Berta Carles à vécu les différentes phases de développement de la section de football féminine du club catalan.
Elle nous propose un éclairage sur son travail et sur les quelques caractéristiques du football, pratiqué par les filles.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Que couvrent vos fonctions de préparatrice physique, en charge de l’entrainement optimisant, de l’équipe première féminine du FC Barcelone ?
Mon rôle est de permettre à toutes les joueuses de l’équipe d’évoluer à un niveau optimal de performance tout au long de la saison, afin d’aller le plus loin possible dans toutes les compétitions. Pour ce faire, notre travail s’organise autour de deux grands versants que sont l’entrainement adjuvant et l’entrainement optimisant. L’entrainement adjuvant doit permettre à chaque joueuse de s’entrainer de façon optimale, pendant l’entrainement optimisant. L’entrainement optimisant doit permettre à toutes les joueuses et à l’équipe d’être le plus performant en match.
Afin de mener du mieux possible, la planification, la réalisation et l’évaluation de l’entraînement optimisant, il est essentiel de coopérer et de travailler main dans la main avec les entraîneurs adjoints. C’est ce qui nous permet de concevoir des situations sur le terrain qui permettre l’opérationnalisation des contenus tactico-techniques et athlétiques avec une gestion adéquate des charges d’entrainement.
Dans la planification de la charge interne, il est nécessaire d’évaluer constamment le niveau de condition physique du groupe et de chaque joueuse. Dans notre cas, nous quantifions les séances d’entrainement avec la technologie Realtrack et les dispositifs WIMU. Ainsi, nous disposons de données sur la charge externe pour chacune des joueuses et réalisons un suivi longitudinal que nous associons à notre processus de décision.
D’autre part, nous nous coordonnons avec le service médical pour une meilleure individualisation du travail. Une saison étant très longue, il est bien entendu impossible d’avoir toutes les joueuses à 100% tout le temps. C’est pourquoi, une connaissance individuelle approfondie, une prévention rigoureuse et un soutien de chaque instant, aident les joueuses à rester au meilleur de leur forme le plus longtemps possible.
Quelles sont les spécificités de l’impact athlétique causés par le football, chez les filles ?
La première relève de l’histoire du football pratiqué par les filles, qui est beaucoup plus récente que celle des garçons. Son histoire assez récente, montre que des facteurs sociaux, voire sociétaux ont contraint son émergence tardive. Ces éléments expliquent en partie que les filles aient un volume de pratique moindre et une progression moindre, sur les aspects athlétiques que les garçons. La biomécanique, les patrons moteurs et les habiletés motrices sont essentiels dans le développement optimal des joueuses. Les niveaux de force des filles sont physiologiquement différents de ceux des hommes.
Le travail de coordination est très important, mais l’optimisation structurelle est fondamentale chez les jeunes joueuses, pour éviter le risque élevé de blessure lors du bouleversement hormonal lié à la puberté. Evidemment, le cycle menstruel a un impact très important sur les performances et scientifiquement nous savons qu’il existe des phases où la tolérance au travail de force ou de résistance n’est pas . Aussi, nous travaillons quotidiennement à la formation de chaque joueuse notamment dans l’individualisation des charges en partant des exigences du match tout en tenant compte des spécificités individuelles et hormonales de chacune.
Au regard des particularités athlétiques et structurelles des filles, est-il possible de mettre en place des routines de prévention individuelles dans la formation des jeunes joueuses ?
La prévention est la raison d’être de l’entrainement adjuvant, qui se manifeste au travers d’un travail spécifique de coordination, de motricité ou structurel, etc. Il est fondamental dans la formation des jeunes joueuses de consacrer une part importante à l’entrainement adjuvant dans une perspective de prévention des blessures. Notre objectif est de limiter le risque de blessure et offrir davantage de ressources aux joueuses, afin de leur permettre d’élargir leur palette et d’avoir un niveau de performance optimal aussi longtemps que possible. Il est essentiel aussi de comprendre que c’est au stade de la puberté, qu’apparaissent les grands changements physiologiques des femmes et que le travail de prévention des blessures doit prendre toute sa place.
Au-delà des spécificités du football féminin, comment le style de jeu du Barça influence-t-il la conceptualisation des situations d’entrainement d’optimisation ?
Le style Barça influence totalement toutes nos situations d’entrainement d’optimisation. Au-delà du système de jeu, nous recherchons à maitriser collectivement les petits espaces, développer la capacité des joueuses à prendre des décisions rapidement, leur habileté technique, etc. Dans le cadre de l’entrainement structuré, nous allons concevoir des tâches d’optimisation en sélectionnant les structures préférentielles que nous souhaitons optimiser à travers des contenus adaptés. De cette façon, nous travaillons toujours avec les joueuses dans le cadre de situations de simulation qui seront entièrement destinées à l’apprentissage de notre jeu.
Comment organisez-vous au quotidien, la planification et la conceptualisation de tâches pour optimiser la structure athlétique des joueuses et notamment leurs qualités spécifiques ?
Au moment de planifier et répartir les charges d’entrainement, notre point de départ est toujours le match, pour nous organiser en fonction des jours restants jusqu’au match suivant. Nous avons, d’une part, les contenus tactico-techniques et d’autre part, la gestion de la charge pour atteindre le niveau optimal de performance pour le match suivant. Il existe de nombreux formats de microcycles, mais la variabilité dans les charges et les stimuli, représentent un fil rouge de notre travail, y compris dans les routines. Selon le moment de la saison, des microcycles précédents et à venir, des exigences de la compétition, de l’humeur du groupe ou du protocole individuel de chaque joueuse, beaucoup de chose varient.
Pour nous, les qualités spécifiques sont les bases motrices du football. Elles constitueront une part très importante de notre entraînement. Lorsque nous travaillons sur le mouvement en lui-même des qualités spécifiques, en tant que « modèle d’expression », il est abordé dans le cadre de l’entraînement adjuvant. Dans le cadre de l’entrainement optimisant, l’expression des qualités spécifiques sont abordées dans le jeu lui-même.
Selon le degré d’incidence que l’on veut donner à l’expression des qualités spécifiques, le format et les caractéristiques des tâches élaborées seront grandement influencées. Par exemple, si nous voulons optimiser la « force de lutte », nous conceptualiserons des situations d’entrainement où il y a un ballon à disputer, avec une égalité numérique. Si nous voulons optimiser la « force d’action sur le mobile » (le ballon), alors, nous mettrons en place des situations qui impliquent de terminer par un tir.
Au sein ce l’entraînement d’optimisant, plusieurs types de circuits athlétiques existent. Comment élaborer-vous ces circuits afin d’optimiser l’expression de la « force de saut et de déplacement » ?
Ces différents circuits représentent la partie plus générique, sur l’échelle de progression du niveau de spécificité de l’entraînement d’optimisant. Nous pourrions nous interroger sur leur appartenance à l’entrainement adjuvant, bien qu’ils soient effectués sur le terrain, à l’image de l’entrainement optimisant. Nous faisons les circuits lorsque nous voulons donner un caractère générique à une séance d’entrainement, en insistant davantage sur l’une des qualités spécifiques.
Dans le cas de l’expression de la « force de saut », les contenus d’entrainement, seront axés sur les impulsions et les réceptions, avec toute la variabilité et la multitude de possibilités que cela peut impliquer (avec perturbation, instabilité, ballon, prise de décision, en collaboration avec un partenaire ou en opposition, etc.)
La « force de déplacement » est une qualité qui s’exprime constamment dans l’entraînement d’optimisant mais il se peut que nous souhaitions l’aborder de manière plus générique avec un circuit. Nous travaillerons ici, spécifiquement sur l’accélération et la décélération ou les changements de direction, la fréquence des foulées et la coordination de la course avec le ballon. Evidemment, la variabilité sera toujours présente dans ces contenus, afin de générer des adaptations pour favoriser les processus d’optimisation.
Comment expliquez-vous un tel saut qualitatif au niveau athlétique de l’effectif blaugrana, vainqueur de la Ligue des Champions et quel a été le processus depuis la défaite en finale de cette même compétition contre l’Olympique Lyonnais en 2019 ?
Lors de la finale de la Ligue des Champions en 2019 contre l’Olympique Lyonnais, nous avions souffert d’un gros écart athlétique avec nos adversaires. Au soir de cette défaite, un bilan a été dressé et un projet est né avec l’objectif de combler l’écart avec les grandes équipes européennes afin d’accéder à nouveau à la finale de Ligue des Champions. Ce projet devait démarrer immédiatement, avec l’ambition d’obtenir des résultats le plus rapidement possible, sans pour autant avoir d’échéance précise.
Ce projet a été convenu entre toutes les parties du club, les responsables de la section de football féminin, les responsables du département de la performance du club, les membres du staff chargés de la préparation physique. L’adhésion totale du staff technique et des joueuses, a été la clé de voute pour que ce projet puisse être mené à bien.
Ce changement consistait à augmenter fortement les charges de travail, en recherchant constamment des adaptations athlétiques fonctionnelles. Cette augmentation a été quantitative, nous avons augmenté la durée des séances, le nombre et la densité des séances optimisantes (les séances doubles ont été standardisées), ainsi que le nombre et la durée des séances adjuvantes. Lors des séances, plus de distance a été parcourue et plus distance à haute intensité.
Au niveau qualitatif, d’un point de vue athlétique, nous avons fortement augmenté le rythme de jeu dans les séances, nous avons travaillé à haute intensité, en état de fatigue, à de nombreuses occasions et les valeurs moyennes individuelles ont augmenté. La réponse à tout cela a été qu’en quelques mois, malgré une fatigue générale possible, l’équipe était à un niveau de performance physique supérieur que précédemment, mais aussi supérieur à celui de beaucoup d’adversaires.
La deuxième étape clé de ce projet, a été qu’en peu de temps, l’équipe a obtenu des résultats tangibles en compétition. Évidemment, au niveau individuel, tout le monde n’a pas suivi la même évolution ou vitesse d’adaptation, mais la majorité du groupe a vu des adaptations positives. En termes de blessures, nous avons constaté une augmentation des surcharges et des blessures myotendineuses mineures au cours de la première saison, qui s’est poursuivie au cours de cette deuxième saison. En revanche, nous avons constaté une diminution des blessures à moyen et long terme, tant au niveau articulaire que musculaire.
Comment avez-vous gérer cette augmentation du travail athlétique d’un point de vue quantitatif comme qualitatif dans un calendrier chargé qui impose le rythme d’un match tous les 3 jours pendant une grande partie de la saison et finalement assez peu de temps disponible pour l’entrainement ?
Tout entraînement vise à proposer des sollicitations, dans le but de générer des adaptations. Plus les sollicitations seront fréquentes, plus les adaptations seront importantes. Cela nécessite une bonne gestion de ces sollicitations pour chacune des joueuses, parce qu’elles ne réagissent ou ne s’adaptent pas toutes de la même manière, tout en tenant compte des exigences de la compétition. Il s’agit de prendre les bonnes décisions au moment de la planification des sollicitations.
La pré-saison est un moment idéal pour commencer à créer des adaptations qui vont croitre tout au long de la saison. Il faut profiter de tous les moments libres et des périodes creuses dans le calendrier, dans notre cas, ce sont les moments où nous doublons les séances quotidiennes. D’autre part, il est très important de gérer les charges au niveau individuel, car dans les périodes chargées du calendrier, les joueuses qui ont moins de temps de jeu doivent compenser la charge le mieux possible afin d’avoir les sollicitations nécessaires dans la perspective des adaptations visées, mais aussi en prévision du match à venir. Un autre aspect essentiel, est la capacité à récupérer des efforts, de sorte que les nouvelles sollicitations puissent s’enchainer pour conserver une dynamique ascendante dans la performance, sans tomber dans le désentrainement.
Tous ces éléments ont permis à l’effectif d’être totalement à disposition et investi dans notre volonté de réaliser un saut qualitatif important au niveau athlétique. A nos yeux, il était aussi important, que les filles comprennent ce qu’exigeait ce défi au niveau athlétique afin de leur donner des retours qualitatifs et positifs sur le travail effectué tout en préservant leur implication dans le temps. L’atteinte de cet objectif collectif, impliquait aussi un engagement de chaque instant du staff et une certaine résilience, mais la perspective des bénéfices pour le groupe dans ce grand saut qualitatif était à ce prix.
Comment gérer vous la recherche d’un corps adapté au football de haut niveau et la préservation d’une certaine féminité ?
Penser que la recherche d’un corps adapté au football de haut niveau et une certaine idée de la féminité sont deux éléments opposés, est de mon point de vue une grave erreur. Ces dernières années, le regard de la société sur le football féminin a beaucoup évolué.
Il y a quelques années, certaines joueuses pouvaient être réticentes à l’idée de travailler sur le volume de leur masse musculaire par exemple, parce qu’esthétiquement, ce n’était pas un corps « beau à voir » selon les standards du moment. Aujourd’hui, le sport féminin a atteint un niveau de performance et un professionnalisme qui dépasse cette vision étriquée d’une sportive de haut niveau.
Aujourd’hui, les joueuses de football souhaitent évoluer au plus haut niveau et atteindre un niveau de performance tel, qu’elles travaillent chaque jour pour disposer du corps le plus adapté pour cela.
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