Après avoir fait toutes ses classes au FC Nantes et être passé par le Stade Rennais, Christophe Lollichon a été entraineur de football spécialiste des gardiens de but, pendant plus de 10 ans, au Chelsea FC.
Chercheur, innovateur et curieux de ce qui se fait dans d’autres domaines, il nous partage sa vision du rôle de l’entraineur de football qui a pour spécialité, les gardiens de but.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Pour vous, que signifie être entraineur de football, spécialiste des gardiens de buts ?
Tout d’abord, c’est être l’un des adjoints de l’entraineur principal, qui a une compétence spécifique dans la compréhension du rôle de gardien but et par conséquent, qui peut assumer la prise en charge de l’entrainement de ces derniers. Idéalement, il devrait être considéré comme un entraineur à part entière, même si cela n’a pas toujours été le cas. Pour beaucoup, c’était celui qui s’occupait des gardiens, qui répétait des frappes de balle et les prises de balle, sans le besoin d’avoir une réelle connaissance du jeu. Les choses évoluent et s’expliquent par l’évolution du poste de gardien et l’émergence d’entraineurs avec une vision différente du poste, avec en chef de file Pep Guardiola.
L’entraîneur des gardiens est devenu un véritable entraineur adjoint, avec une spécialité et à qui il est de plus en plus demandé de dépasser les aspects spécifiques. Certains sont désormais en charge des coups de pieds arrêtés par exemple. Il va leur être demandé d’intégrer dans leurs situations spécifiques, des éléments du jeu, comme la première passe sur une contre-attaque rapide. Cela me parait essentiel, bien que cela reste un peu marginal. Le gardien de but occupe un poste véritablement stratégique tant sur le plan défensif qu’offensif. C’est, en quelque sorte, ” l’aiguilleur du ciel” de l’équipe. Du fait de sa position, de sa vision, centrale comme périphérique, il est le socle d’une prise d’informations permanente et donc d’une communication essentielle pour diriger ses partenaires.
« Le gardien de but occupe un poste véritablement stratégique tant sur le plan défensif qu’offensif. C’est, en quelque sorte, ” l’aiguilleur du ciel” de l’équipe. »
Pour entraîner les gardiens, je pense qu’il est préférable d’avoir joué, pas forcément comme professionnel (même si cela peut être un plus). L’essentiel, c’est d’être passionné, aimer travailler comme un fou et d’avoir la chance d’être bien accompagné. Au début de ma carrière, j’ai eu la chance d’être accompagné par ceux que je considère comme mes deux grands mentors, Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix. Dans un club mythique comme le FC Nantes, ils m’ont sans doute plus appris que n’importe quelle formation ou livre sur l’entraînement des gardiens. Ces deux grands techniciens m’ont ouvert au jeu et m’ont très vite fait comprendre l’intérêt d’intégrer les gardiens dans les réflexions concernant l’organisation et l’animation de l’équipe, tout en ayant la responsabilité de protéger le but. Au FC Nantes, cette démarche était toujours collective, offensivement comme défensivement et le gardien en faisait naturellement partie.
Les entraineurs de gardiens en tant que partie intégrante du staff, partagent à ce titre les convictions de l’entraineur principal sur le jeu proposé par l’équipe. Dans quelle mesure la vision du poste des entraineurs de gardien est-elle compatible avec celle de l’entraineur principal et réciproquement ?
Certains entraineurs préfèrent avoir des gardiens qui se contentent de stopper les ballons alors que d’autres préfèrent avoir des gardiens plus actifs ou protagonistes dans le jeu. Pendant longtemps, soyons clairs, le gardien était le « petit gros » ou le dernier choisi, dans les équipes. Pour ma part, je n’étais pas gros, j’étais plutôt adroit au pied et j’adorais courir, jouer et je me suis passionné pour ce poste à responsabilités multiples. J’ai l’habitude de dire que le gardien est un joueur de champ qui a le droit d’utiliser ses mains. Je suis intimement convaincu qu’il faut considérer ce poste comme étant pluridimensionnel, tant tactiquement que techniquement. Nous, entraîneurs, éducateurs, devons intégrer cette notion dans notre mission. J’ai personnellement beaucoup évolué depuis mes débuts. J’ai eu la chance d’être sensibilisé à cette évolution notamment avec Coco Suaudeau et Raynald Denoueix.
J’ai commencé à 23 ans au centre de formation du FC Nantes, comme entraineur des gardiens. Un jour, je faisais un entraînement spécifique avec un gardien, lorsque Raynald Denoueix est passé et s’est arrêté, il n’a pas eu besoin d’observer très longtemps l’exercice complètement bidon que je proposais, je dois bien le reconnaître. Le surlendemain, il m’a demandé ce que je recherchais dans l’exercice proposé. Je lui ai répondu que j’essayais de mettre le gardien sous pression et par des efforts à réaliser au préalable, le faire travailler sur sa lucidité. Il me répondit « OK Christophe, je comprends. Mais as-tu déjà vu un gardien faire cela en match ? ».
J’avais pris cet exercice dans un livre que j’ai vite refermé et puis, j’ai commencé à réfléchir. Depuis trop longtemps les exercices proposés sont essentiellement basés sur la répétition mécanique. En anglais j’aime bien le terme de « robotic ». Cependant, c’est très éloigné du match où le gardien doit gérer les incertitudes et s’adapter en permanence à des situations qui changent à chaque seconde. Aussi, il me semble intéressant d’aller sur cette voie, mais cela réclame beaucoup de travail …
« J’ai l’habitude de dire que le gardien est un joueur de champ qui a le droit d’utiliser ses mains »
Généralement, ce qui est proposé, c’est de travailler sur les deux dernières secondes, voire la dernière seconde, le dernier geste, mais je ne peux pas m’empêcher de m’interroger sur le pourquoi du geste et ce qui s’est passé en amont. Le dernier geste du gardien est la conséquence d’une multitude de micro-séquences alimentées par un grand nombre de paramètres, allant des adversaires aux partenaires, du ballon à l’espace, des conditions météo à l’atmosphère dans le stade, etc… Il est évident que l’on ne peut pas intégralement restituer cette “réalité” lors de nos entraînements, mais il faut tout faire pour s’en rapprocher. Cela m’amène à insister sur le rôle et l’attitude de l’entraîneur des gardiens pendant les entraînements collectifs. Nous ne pouvons pas nous contenter d’être spectateur. C’est là qu’il faut échanger, questionner, expliquer, suggérer en étant proches de nos gardiens.
Aujourd’hui, on doit aller plus loin dans le pourquoi de l’activité du gardien, ses choix de position, son geste technique et cela va bien au-delà de la zone des 5.50 m et des 21 m2 du but à défendre. Il me semble que la tendance générale des entrainements de gardiens se focalise sur la partie terminale. Je crois qu’il est plus riche d’avoir une approche contextualisée avec le style de jeu prôné par l’entraîneur principal pour remonter le cours de l’action, sans oublier les caractéristiques de l’adversaire et donc entraîner le gardien afin qu’il ait un minimum d’arrêts à effectuer.
Chez les professionnels, la compétition dicte le rythme de la semaine, mais dans le cadre d’une semaine classique avec un match dans la semaine, comment organiseriez-vous la semaine d’entrainement ?
Avant d’entrer dans le détail de mon organisation hebdomadaire, je souhaite préciser mes derniers propos afin de bien me faire comprendre. Je ne prétends pas qu’il faut faire fi de tout le travail analytique. Le gardien à l’image d’un pianiste doit faire ses gammes, avoir sa routine, répéter certains gestes. Je pense à un geste fondamental, notamment dans les situations très rapprochées du but, à savoir l’effacement. Ce geste consiste à enlever la jambe d’appui qui est du côté ballon quand celui-ci arrive très vite près des appuis, afin de faciliter l’intervention au sol. A l’image de Thibaut Courtois ou Edouard Mendy qui maîtrisent ce geste, les gardiens ont besoin de le répéter quasi quotidiennement sans être forcément confronté à de l’incertitude mais, simplement pour être bien psychologiquement dans la maîtrise de leurs gestes.
Chez les professionnels, nous sommes totalement dépendants du calendrier de la compétition. À Chelsea, nous avons rarement des semaines avec un seul match, mais restons dans cette configuration avec match le samedi. Généralement, avec les différents entraîneurs que j’ai connus au club, J+1 était un jour de récupération. Le lundi (J+2), pour bien comprendre l’axe de travail de la semaine, est donc un jour de reprise où je demande à l’entraîneur principal d’intégrer les gardiens à toutes les séquences jouées, notamment les jeux de conservation. C’est important à plus d’un titre.
« Les gardiens adorent jouer dans le champ et psychologiquement, cela permet de ne pas être en permanence dans un rapport gardien/joueur avec le groupe. »
Partager des périodes de jeu avec le groupe est un excellent moyen de rendre la relation du gardien avec le ballon la plus fluide possible. Rien de mieux que de le mettre dans le coeur du jeu avec toute la prise d’information nécessaire, d’autant que les gardiens adorent jouer dans le champ et psychologiquement, cela permet de ne pas être en permanence dans un rapport gardien/joueur avec le groupe. Physiquement l’intérêt “cardio” n’est pas négligeable. Je suis évidemment à l’écoute des gardiens si l’un d’entre eux souhaite quelque chose de particulier avant ou après la séance. Je dois aussi ajouter qu’en fonction des cycles de travail en termes de préparation physique, une séance de renforcement musculaire était fréquente à ce moment de la semaine.
A J+3, je commence souvent par des gammes techniques extrêmement variées entre toutes les différentes prises de balle au sol, auxquelles j’ajoute une prise d’information préalable, parce que je n’apprécie pas trop les formes de travail « robotiques ». La séance est généralement planifiée. Le travail est plutôt à connotation athlétique, planifiée dans une programmation calquée sur le calendrier de compétition, mais ce n’est pas toujours facile. Je fonctionne par cycle de travail, des cycles de force, des cycles de pliométrie, de force-vitesse. Au rythme de deux séances comme ça dans la semaine, la première sera la séance forte placée le mardi et l’autre séance que j’appelle séance micro, placée le jeudi, à deux jours du match, qui n’aura pas d’effet négatif du point de vue de la fatigue.
A J+4 en Angleterre, c’est souvent une journée de repos. Le golf est régulièrement l’activité principale, mais ce n’était pas le cas à Chelsea où l’on s’entraînait. Ce quatrième jour, on prend en compte les particularités du match à venir. En amont, j’ai observé l’adversaire pour nous focaliser sur ses particularités et tenter d’identifier des situations récurrentes. Par exemple, lorsqu’on jouait contre City, à l’époque où Sergio Agüero était devant, on savait qu’il adorait venir couper les trajectoires au premier poteau. En séance, j’essayais donc de mettre en place des situations où notre gardien devait s’informer sur le déplacement du joueur au premier poteau, par un jeu de couleurs et me dire ce qu’il avait scanné. Des temps très courts, avec un travail précis sur les appuis, permettant un ajustement adapté aux déplacements de l’adversaire au premier poteau.
Le jeudi, cinquième jour d’entrainement, je mets en place une micro-séance athlétique, qui est un rappel du mardi, dont la durée est d’environ douze à quinze minutes. Je fais aussi du jeu aérien, qui n’est jamais programmé la veille du match parce que c’est très sollicitant. J’oriente ce thème en fonction des caractéristiques de l’adversaire à venir. Quand vous jouiez contre Stoke City il y a dix ans, il y avait un joueur comme Rory Delap, qui faisait des touches tendues et très longues. C’était l’un des meilleurs centreurs du monde avec des ballons tendus à travers une forêt de joueurs.
J’avais inventé un exercice avec des filets de rebond très tendus, pour que ma frappe parte de façon rectiligne vers la zone des 5.50m où j’avais mis des mannequins gonflables, parmi lesquels Petr Cech devait s’imposer. J’avais aussi suggéré à Petr de modifier sa position de départ afin d’influencer Delap. Stoke City marquait entre neuf et treize buts par saison grâce à cette rentrée de touche directe, mais n’y est jamais parvenu contre nous. Delap, a cause de Petr, avait modifié l’orientation de ses touches.
A j+6, veille de match, c’est une séance que j’adore, dont le thème principal est ce que j’appelle (dénomination très personnelle), la vivacité d’avant-match. Le principe réside en un exercice, en rapport avec l’adversaire, qui va réclamer une accélération du gardien de 6 à 10 mètres au maximum, sous une forme de sortie qu’il pourrait avoir à effectuer le lendemain. Trois à quatre secondes d’effort maximum avec 45 secondes à 1 minute de récupération. Une semaine avec deux matches est totalement différente, notamment avec une rencontre de Ligue des Champions le mardi ou le mercredi. Tout est alors axé sur la récupération du match précédent et la préparation du match suivant.
Pour la récupération, après avoir discuté avec Petr, j’avais mis en place avec des circuits variés mixant course à un pourcentage de sa VO2 max et utilisation du ballon. C’était, par exemple, un intermittent 45/15 où les 15” étaient utilisées pour mettre des paniers de basket ou bien faire des passes avec une planche à rebond etc. Physiquement, on ne se soucie que du maintien des qualités en privilégiant tout ce qui ne crée pas de fatigue comme la proprioception et la vitesse gestuelle haut et bas de corps. Je n’oublie jamais les déplacements arrière parce qu’un gardien se déplace beaucoup dans ce sens ce qui est sollicitant au niveau musculaire. Dans le cadre de la formation du jeune joueur, l’approche globale est tout à fait différente.
Il existe un débat entraîneurs-formateurs, presque une dichotomie entre les deux fonctions. La retrouve-t-on à propos des entraîneurs de gardiens de but ?
Je crois que oui, parce que chez les professionnels, nous devons faire en sorte de maintenir le niveau de performance de notre gardien tout au long de la saison. Les bases sont posées, bien qu’il existe encore des marges de progression, mais nous sommes concentrés essentiellement sur l’analyse de la performance du match venant d’être joué et la préparation du suivant. A la formation, il est davantage question de suivre une planification où le match devrait être considéré comme une séance d’entraînement supplémentaire, face à des adversaires que l’on ne connaît pas. Il est particulièrement agaçant d’observer à la formation des jeunes, des entraîneurs qui abordent l’entraînement comme chez les professionnels où seul le match à venir compte. Il est essentiel de sensibiliser les joueurs et le gardien à la compétition, mais le résultat du week-end, n’aura aucune influence sur le fait qu’un gardien puisse accéder à l’équipe première ou pas.
Il ne faut pas sous-estimer le fait d’apprendre à tout faire pour gagner, mais pas n’importe comment. Je me suis toujours battu pour éviter que les considérations sur le résultat priment sur la formation et la recherche, sinon il y a un risque important de passer à côté de beaucoup de choses … Il y a tellement de points à travailler pendant cette période de formation que je considère que c’est une faute professionnelle de sous-estimer tout ce processus d’apprentissage et d’exiger la perfection, alors que c’est, par définition, la meilleure période pour apprendre de ses erreurs.
Pour reprendre vos propos sur la caricature du gardien, qui est souvent le « petit gros » ou le dernier, choisi par défaut pour aller « aux caisses », quoi qu’on en dise, celui-ci a malgré tout une grande influence sur la manière dont l’équipe va s’exprimer. Dans quelle mesure les entraîneurs prennent-ils ces éléments en compte au moment de mettre en place leur projet de jeu ?
Il faut déjà faire la différence entre un club professionnel et un club amateur, où il faut composer avec l’effectif à disposition. Ensuite le contexte d’un centre de formation est encore bien différent de celui d’une équipe première. Je suis profondément convaincu qu’il est important de donner du temps de jeu à tous les gardiens et si possible, dans le champ. Nous l’avons fait il y a 30 ans au FC Nantes. Au départ, avec les poussins, puis avec l’école de foot, dont j’avais la responsabilité. Nous jouions essentiellement contre des équipes de la région nantaise et j’allais voir les éducateurs adverses, pour les prévenir, sans leur faire injure, qu’à un moment je mettrai le gardien dans le champ et un joueur de champ dans le but, afin qu’ils vivent des expériences différentes. 99.9 % du temps, cela ne posait aucun problème.
« Je suis profondément convaincu qu’il est important de donner du temps de jeu à tous les gardiens et si possible, dans le champ »
Pour en revenir à la question, l’essentiel c’est que les jeunes gardiens à disposition s’immergent au maximum dans la philosophie de jeu mise en place par le club. Cette assimilation se fera (ou pas) plus ou moins rapidement selon les individus. Ce n’est pas grave si le jeune gardien, à un moment de son apprentissage est moins efficace en compétition, l’objectif c’est qu’il soit efficace chez les professionnels. Mais en théorie, tout le processus de formation mis en place, doit permettre de gérer ces difficultés pour que chaque gardien vive les différentes étapes de sa formation via l’entraînement et les matchs, en étant accompagné de façon constructive.
Forcément, un gardien influence la façon de jouer de l’équipe. Il est nécessaire de le prendre en compte au niveau du recrutement et donc d’établir des critères qui permettront de choisir le profil du gardien en fonction du style de l’équipe.
Les gardiens sont de plus en plus au centre des transferts, à l’image de l’arrivée de Gianluigi Donnarumma au PSG. Comment les clubs évaluent-ils l’impact du profil d’un gardien sur l’expression collective, au-delà de l’évaluation de ses qualités intrinsèques et des opportunités économiques, sachant qu’un seul gardien peut jouer dans le but ?
La politique de recrutement des gardiens au PSG, avec l’arrivée de Gianluigi Donnarumma en provenance du Milan AC, alors que Keylor Navas était incontournable à son poste, est un très bon exemple. Keylor Navas a remporté trois Ligue des champions. C’est un super mec, avec un rôle important dans le vestiaire, qui a un style particulier et qui est très à l’aise quand son équipe défend bas. C’est un gardien avec un profil de « shotstopper », avec le sentiment qu’il attire tous les ballons. Il a d’ailleurs brillé dans les confrontations de Ligue des champions, la saison passée face au Bayern de Munich et au FC Barcelone, quand le PSG subissait et évoluait avec un bloc très bas, avec un rôle de parfait pompier de service. A l’intersaison, Donnarumma arrive, libre et auréolé de grandes performances lors des deux dernières saisons et notamment à l’Euro.
J’entends qu’il serait dommage pour le club de se priver de l’arrivée de ce garçon, mais le problème, c’est que son style est totalement différent de celui de Navas. Le portier italien aime se montrer à l’initiative, jouer haut pour gérer la profondeur, pour en quelques sortes influencer l’adversaire. Son style de jeu a fortement influencé le jeu de l’équipe, d’autant que Mauricio Pochettino a opté pour une alternance. Or, cette alternance, au-delà de l’opposition de style des deux gardiens, a généré encore plus de confusion, ainsi qu’une perte de confiance et des agacements. Les conséquences sont malheureusement visibles dans les performances des deux gardiens. En Ligue des Champions pour Donnarumma et en championnat pour Navas, alors que ce dernier était l’un des piliers de l’équipe la saison dernière.
Je ne rentrerais pas dans les détails, mais toute cette tension a également gagné le staff technique et notamment ceux qui sont en charge de l’entrainement des gardiens. On en arrive à une situation où les deux gardiens, performants dans des registres différents, sont moins efficaces, en baisse de confiance et influencent grandement les comportements défensifs de l’équipe. Il est difficile pour l’équipe du PSG de jouer avec un bloc très haut, quand Navas est aligné et inversement, Donnarumma est moins à l’aise quand le bloc parisien est bas. Il y a donc un conflit d’intérêt qui vire à la confusion générale et expliquent en partie les atermoiements du PSG.
D’une certaine manière, j’ai vécu la même chose à Chelsea en 2014, quand le club a fait revenir de prêt Thibaut Courtois, alors que Petr Cech était très performant. A ce moment-là, j’avais en séance, deux des trois meilleurs gardiens du monde. C’était très douloureux d’envoyer sur le banc l’un de ces deux gardiens, d’autant qu’ils étaient très proches l’un de l’autre. Le club était dans une période de transition et Courtois représentait l’avenir. La cohabitation forcée s’est bien passée, car les choses avaient été relativement clarifiées et tant l’éducation que l’intelligence de Petr Cech, avaient fait le reste. Paradoxalement, ce fut une année de rêve pour moi, leur coach, vu le niveau du groupe à entraîner et en même temps, ce fut douloureux de voir souvent Petr sur le banc. Mais à l’entraînement, nous étions sur une autre planète !
Pouvez-vous nous expliquer la politique du Chelsea FC, en matière de prêt des gardiens de but, afin de leur permettre de progresser pour atteindre l’équipe première ?
Cette politique de prêts a été initiée lors de la saison 2010-2011, par l’intermédiaire d’une personne très importante qui est Michael Emenalo. Notre équipe réserve (U23) ne rencontrant que d’autres équipes réserve, elle n’est pas confrontée au football des adultes. Nous en avons donc conclu qu’il manquait quelque chose dans le parcours de formation. Nous avons un certain nombre de joueurs prêtés avec un suivi très pointu, notamment les gardiens, puisque c’est le secteur qui nous concerne. Cette saison, nous avons cinq gardiens prêtés (4 en Angleterre et 1 en Slovénie).
D’ailleurs, je suis parfois surpris par les requêtes de certains managers. En début de saison, l’un d’eux, manager en league One (troisième division) et ancien grand attaquant de Premier League, insistait pour avoir un gardien capable de faire des arrêts ! Je lui rétorque que je peux lui dresser une liste de 100 gardiens capable de faire des arrêts, en rigolant. Je tente de l’aiguiller dans sa recherche, en privilégiant les qualités d’anticipation, de communication, d’efficacité dans le domaine aérien, etc. Il insiste en me disant que toutes ses qualités sont importantes, mais « please » surtout un gardien fort sur sa ligne ! Je lui propose l’un des nôtres, prêté l’an passé en League Two (D4), qui est prêt pour l’échelon supérieur. Il en choisira un autre, avec plus d’expérience, mais qui finalement n’a pas beaucoup joué …
Notre gardien en question est finalement prêté à un autre club de League One, au style très direct, mais nous n’avons pas eu beaucoup d’options. Devenu une pièce essentielle dans une équipe en grande difficulté, l’expérience a été très riche, au point de se faire remarquer et d’être sollicité par un autre club de League One, en bonne position pour la montée. Ces deux clubs présentent l’avantage d’être à moins d’une heure de Londres, ce qui permet au jeune joueur de ne pas changer de domicile et de venir chez nous si besoin (soins, etc.). Le second club est coaché par un jeune entraîneur qui prône le jeu court. Ils sont dans la course pour jouer la montée en Championship. En une seule saison, notre joueur aura joué près de 50 matchs dans deux contextes très différents, ce qui n’est que du bonus !
J’analyse les matchs de tous nos gardiens, leur envoie ma sélection de clips et organise des visios où, devant nos écrans respectifs, nous décortiquons différentes situations. Il est aussi très important que je connaisse l’environnement dans lequel, non seulement ils jouent et s’entraînent, mais où aussi ils vivent. Autant d’éléments recueillis qui permettent de mieux comprendre leurs performances. Je leur rends aussi visite sur 2 ou 3 jours, participe aux entraînements. Ce n’est que du partage. En fonction des observations de matches, nous fixons des objectifs sur 2 à 3 mois, tant technique que tactique et en respectant le style de l’équipe. Je suis satisfait car nous avons des résultats très positifs. C’ est un vrai plaisir de travailler avec ces jeunes gardiens.
A l’instar de l’entraineur spécialiste des gardiens de but, de nouveaux rôles spécifiques aux attaquants et aux défenseurs semblent émerger dans les staffs. Cette orientation vers des séances spécifiques fait aussi naitre des relations privilégiées entre l’entraineur et l’entrainé. Comment expliquez-vous que cette relation singulière entre les entraîneurs de gardiens de but et les gardiens soit aussi privilégiée ?
Premièrement avec les gardiens nous formons un petit groupe, de trois, quatre ou cinq joueurs au maximum, avec des séances spécifiques presque quotidiennement, où les échanges sont plus faciles. Ensuite, il y a forcément une sensibilité au poste. Très souvent, tous ont été gardiens avec une expérience similaire des situations. Enfin, il y a les rencontres, qui sont comme des « histoires d’amour », avec les planètes qui s’alignent. Je ne peux pas m’empêcher de parler de ma relation avec Petr Cech où il s’est passé presque quelque chose de chimique lors de notre première rencontre.
Il y a une forme de destin, où sur le parking de la Piverdière, le centre d’entraînement du Stade Rennais. Petr Cech me demande ce que je pense de ses performances, alors que nous ne travaillions pas ensemble. Je lui réponds que c’est très bien, mais qu’il pourrait faire beaucoup mieux, notamment « en prenant plus de place ». Ses yeux se sont écarquillés. En fin de saison, il fait la demande au club, pour que nous travaillions ensemble et l’histoire a démarré comme ça. Nous partageons beaucoup de choses, pas simplement le football. On discute d’histoire, de l’époque communiste en Tchéquie quand il y vivait et c’est passionnant. Tout cela participe à la qualité de notre relation personnelle, dans notre travail.
Je questionne toujours mes gardiens. Ils savent que je vais chercher à m’adapter, on sent les choses et parfois un regard suffit, pour arrêter ou modifier la situation. C’est probablement lié au fait que nous passions plus de temps ensemble entre gardiens et entraîneur des gardiens, notamment avant la séance que nous débutons souvent avant les autres.
« Au début de ma carrière d’entraîneur. J’ai pensé que les gardiens de but étaient à part, mais ils sont avant tout joueur de football, avant même d’être gardien de but. »
On peut se retrouver au café, on peut manger ensemble, sans tomber dans une forme d’autarcie, ce que j’ai peut-être un peu fait de façon stupide au début de ma carrière d’entraîneur. J’ai pensé que les gardiens de but étaient à part, mais ils sont avant tout joueur de football, avant même d’être gardien de but. Certains diront le contraire, en affirmant que le gardien de but est d’abord un gardien. Néanmoins, c’est ensuite compliqué d’être dans une logique de compréhension du jeu et de se mettre dans la tête d’un milieu de terrain qui doit tout voir.
J’avais fait une étude, quand je passais mon Brevet d’Etat 1er degré, afin de savoir si le gardien de but était un anticonformiste, parce qu’il n’a pas la même couleur de maillot que les autres, parce qu’il a des gants et que personne n’en a, parce qu’il a le droit d’utiliser ses mains et pas les autres et que dans la vie, il est peut-être comme ça. La réalité c’est que je me suis un peu perdu … Je pense que nous partageons de nombreuses idées entre gardiens et entraîneurs et cela permet de créer, non pas une communauté, mais une communion assez forte qu’il est sans doute difficile de créer pour l’entraîneur avec son groupe de 20 joueurs et c’est normal. Mais je le répète encore : « Ne cherchons pas à mettre d’un côté les gardiens et les joueurs de l’autre, c’est un tout »
Vous avez été l’un des premiers entraineurs de gardien, sinon le premier à être mis en avant, notamment dans votre recherche de la gestion de l’incertitude, en instaurant notamment beaucoup de variabilité dans les contenus et les contextes d’entrainement. Pourquoi avez-vous pris ce parti de l’incertitude, comme noyau central de vos séances ?
Je suis un fervent adepte de la pluridisciplinarité et se limiter uniquement à la pratique du football me semble dommageable. Je prends encore l’exemple de Petr Cech, qui a pratiqué le judo, le hockey sur glace et l’athlétisme et tout lui a servi ! Je me souviens d’une réflexion de Fabio Capello qui disait que nous, les entraîneurs, nous sommes des voleurs d’idées. Depuis cinq ans, j’essaie de franchir les portes de l’Opéra de Paris… en vain pour l’instant, mais je ne renonce pas. Je souhaite discuter avec les préparateurs physiques et les chorégraphes. Les danseurs ont une telle maîtrise de leur corps, que leur manière de travailler m’interpelle au plus haut point. Comment font-ils pour atteindre cette fluidité dans le mouvement ou comment abordent-ils le gainage, les étirements ?
J’ai cherché à rencontrer Thierry Omeyer, gardien de l’équipe de France de Handball. Un monstre à son poste. Il est passionnant quand il explique comment il cherche à mettre son corps en écran, à lire la rotation du poignet du tireur adverse. J’ai passé plusieurs journées à l’Institut National du Sport de l’Expertise et de la Performance (INSEP) pour rencontrer Guy Ontanon, en charge du sprint français. Il m’a félicité pour mon programme de préparation à la vitesse, ce qui me rassure sur mon travail et permet d’aller plus encore dans le détail.
J’ai beaucoup apprécié collaborer avec Fabien Richard, préparateur physique incroyable (freelance). Nous avons travaillé sur l’explosivité et des mouvements d’haltérophilie spécifiques aux gardiens. Je pense aussi à Christian Schmidt, préparateur physique, aujourd’hui à Lucerne, avec qui j’ai travaillé à Rennes. C’est un fou furieux de la recherche. Il est en avance dans beaucoup de secteurs notamment au niveau de la réponse motrice.
« Depuis cinq ans, j’essaie de franchir les portes de l’Opéra de Paris… en vain pour l’instant, mais je ne renonce pas. Je souhaite discuter avec les préparateurs physiques et les chorégraphes. Les danseurs ont une telle maîtrise de leur corps, que leur manière de travailler m’interpelle au plus haut point. Comment font-ils pour atteindre cette fluidité dans le mouvement ou comment abordent-ils le gainage, les étirements ? »
Comment ne pas citer le docteur Bryand à Nantes, dans les années 90, qui m’a permis de tenter des choses en termes de préparation physique spécifique. Je pense que nous étions les 1ers à faire des intermittents spécifiques. Travailler avec Michel Guillon, spécialiste de la vision à Londres, pendant 10 ans pour faire modifier du matériel principalement utilisé par des équipes de NBA et les pilotes de l’US Air Force, simplement parce que nous voulions plus de couleurs et la possibilité d’utiliser 2 mains en même temps alors que tout était programmé pour 2 mains en alternance fut une source d’enrichissement extraordinaire. Une équipe de F1 s’est intéressée à nos travaux… et maintenant tout le monde s’y met et c’est tant mieux. Tout cela part d’un constat on ne peut plus basique. Sans une bonne vue, c’est difficile pour les gardiens (et pas que !). Bien voir c’est une chose, mais augmenter sa conscience périphérique, c’est le must. Notre volonté d’avancer doit perdurer.
Avec à l’Association Française des Entraîneurs Professionnels de Gardiens de But (l’AEGB) que nous avons créée avec Christophe Revel, nous voulons insuffler cette envie d’aller rechercher tout ce qui peut nous permettre de rendre nos gardiens plus performants. Je ne suis pas seul sur cette voie, loin de là. En France, beaucoup se penchent sur ces sujets. Je pense notamment à Mickael Boully du Paris FC. Il a même repris des études universitaires pour creuser encore et encore. Travailler avec un préparateur mental explique, entre autres, pourquoi en finale de ligue des champions 2012, Petr Cech est parti six fois sur six du bon côté lors de la séance des tirs au but, contre le Bayern Munich. Il a appris à isoler l’adversaire, le ballon et son focus était totalement tourné vers ces deux éléments, à l’image d’un ordinateur intégré chez lui.
« Au FC Nantes, je pense que nous étions un des premiers clubs en France à faire du trampoline avec les gardiens de but de la formation. »
Il y a 35 ans, le FC Nantes, m’a appris la pluridisciplinarité à travers son école où se côtoyaient des nageurs, des basketteurs, des gymnastes, de l’aviron et déjà cela m’interpellait à l’époque. Je suis convaincu qu’il est possible d’aller encore plus loin, même si je dois veiller à ne pas m’éparpiller, en restant concentré sur l’essentiel, notamment chez les professionnels avec la préparation du match, mais quoi qu’il arrive il faut travailler !
Au FC Nantes, je pense que nous étions un des premiers clubs en France à faire du trampoline avec les gardiens de but de la formation, notamment avec la génération de Mickael Landreau, qui étaient les seuls à s’entrainer le lundi. Je ne l’ai pas inventé, Pierre Pibarot avait mis ce travail en route à l’Institut National du Football de Vichy, (INF). J’ai retrouvé ces travaux de 1991, grâce à Philippe Bergeroo alors entraineur national. J’ai poursuivi quand je travaillais au Stade Rennais, d’autant qu’il y avait un pôle de gymnastique de haut niveau.
En 2007, je débarque à Chelsea et je demande si des trampolines étaient disponibles… Je revois encore le regard médusé des gens du club … La première séance de trampoline a été proposée aux gardiens du centre de formation en 2019, après 12 ans au club ! En résumé, il faut rester éveillé et sensible à ce que peut apporter une activité qui, au départ, peut sembler très éloignée, mais réfléchir en termes d’apports. Un gardien à quatre mètres du sol, à qui vous envoyez un ballon qu’il doit capter et qu’il doit relancer du côté de la couleur annoncé, avant de retomber au sol, je peux vous garantir que c’est riche !
Pep Guardiola déclarait que jusqu’à la fin de sa carrière, il s’évertuerait à faire jouer ses équipes depuis son gardien de but. Que vous inspire cette déclaration ?
Il considère le gardien de but comme un joueur à part entière, tout simplement. On le voit avec tous les gardiens qu’il a eu depuis qu’il entraîne des équipes professionnelles. Victor Valdès a voulu abandonner son poste de gardien de but quand il avait 18 ou 19 ans, parce qu’il s’ennuyait. Le club lui a fait comprendre qu’il pouvait jouer un rôle dans l’équipe avec ses pieds, il a adoré et est devenu un gardien performant dans la grande équipe du FC Barcelone.
Deux choses me font penser à la relation particulière que Pep Guardiola entretient avec les gardiens. Je me souviendrai toujours de son attitude, lorsque Valdès commet une erreur de relance lors d’un classico et permet à Karim Benzema de marquer le but le plus rapide de l’histoire des confrontations entre le FC Barcelone et le Real Madrid. Il s’est mis à applaudir son gardien en lui faisant signe que ce but encaissé était de sa faute, pas celle de Valdès et qu’il fallait qu’il continue de jouer comme cela. C’est extraordinaire. Il y avait probablement une autre solution, mais la confiance qu’il donne à son gardien est fantastique.
En 2019, pour le compte des demi-finales de la League cup, Manchester City corrige à domicile Burton Albion 9 à 0 et font tout pour marquer le dixième. Le stade, avec 30 000 spectateurs, chantait pour réclamer le dixième but. A la fin du match, Guardiola est allé voir Bradley Collins, qui était un des gardiens de Chelsea en prêt, le prend par l’épaule au milieu de terrain et lui parle. Il lui dit : « c’est compliqué ce que tu as vécu aujourd’hui, mais c’est super riche. Tu as fait tout ce que tu as pu et sers-toi de tout cette expérience. Le moment que tu as passé, tu le considères aujourd’hui comme terriblement négatif, mais c’est un super moment et moi je suis content pour toi que tu l’aies vécu ». Combien d’entraîneur serait venu voir un gamin qui jouait en troisième division ?
Manuel Neuer a atteint le paroxysme de sa carrière quand Guardiola était au Bayern. Il lui a donné beaucoup de confiance, ce qui a bénéficié à la sélection allemande et ce fameux match de coupe du monde 2014 au Brésil, contre l’Algérie. Tout était fait pour que Neuer brille, face à une équipe dominée, repliée, qui ne fonctionnait qu’avec des contre-attaques où le gardien allemand jouait brillamment comme défenseur central.
Guardiola savait qu’il pouvait demander à Victor Valdès et Manuel Neuer de tenir ce rôle. Néanmoins, lorsqu’il arrive à Manchester City, il pense qu’il ne peut pas demander cela à Joe Hart, c’est pourquoi le club enrôle Claudio Bravo, puis Ederson. Ederson mesure 1.89 m, ce n’est donc pas un géant, mais il a les deux pieds et notamment un pied gauche rare, presque unique, dans le jeu court comme dans le jeu long. Pep Guardiola veut que son équipe joue à 11 et quand j’emploie le verbe jouer, ce n’est pas restreint aux « joueurs de champ ». Le gardien fait aussi partie du jeu.
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