Même à très haut niveau, un entraineur doit être un formateur

A la tête du groupe Pro 2 du Stade de Reims, Franck Chalençon nous propose un aperçu des réflexions qui ont mené les Rémois à transformer leur passerelle entre le centre de formation et le groupe pro, afin d’être compétitif sportivement et économiquement.

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Inspiré du Groupe Pro 2 mis en place à l’Olympique Lyonnais lors du passage de Claude Puel comme entraineur général (2008 – 2011), comment et dans quelle conditions ce projet a vu le jour au Stade de Reims ?

Lors de la saison 2017-2018, j’étais à la tête de l’équipe U19 du Stade de Reims et nous faisions le constat que nos jeunes joueurs, pourtant talentueux (Jordan Siebatcheu, Grejohn Kyei, Cédric Darmon, Collyns Laokandi et Baptiste Fournier) éprouvaient des difficultés lors de leur passage dans le groupe professionnel. L’écart était trop important pour évoluer avec les professionnels, car ils mettaient énormément de temps avant d’être performants en match, parfois même à l’entraînement.

Pour certains, il a même fallu passer par une étape de prêt, comme Jordy Siebatcheu pendant une saison à la Berrichonne de Châteauroux, parce qu’il était en difficulté. Rémi Oudin a patienté deux ans avant de vraiment pouvoir se faire sa place, comme Grejohn Kyei. Nous nous sommes longuement interrogés sur les manques de ces garçons pour s’imposer avec l’équipe professionnelle du club, malgré des qualités indéniables. L’objectif initial était d’apporter des choses en plus aux joueurs afin qu’ils soient prêts quand le staff de l’équipe première ferait appel à eux. Pour répondre à ces exigences de performance, nous avons revu le projet de formation dans sa globalité.

A ce moment-là, le groupe professionnel était composé d’une trentaine de joueurs avec des garçons auxquels le club offrait un contrat professionnel, afin de faire face à l’évolution des pratiques dans le football et protéger le travail de formation du club. Pour éviter la fuite des talents, le club offrait à certains joueurs un contrat professionnel et une intégration dans le groupe professionnel, mais très rapidement cette promotion se révélait assez néfaste pour eux puisqu’ils étaient noyés au sein du groupe pro.

Etant donné que le staff de l’équipe professionnelle établit une programmation en fonction des matchs et maitrise la charge d’entrainement selon les temps de jeu de chacun le week-end, ces jeunes joueurs étaient en décalage complet. Ils s’entrainaient moins que ceux de la formation en suivant la planification de l’équipe première et jouaient peu, voire pas du tout le week-end avec les professionnels.

« Nous avions fait le constat qu’auparavant les garçons qui évoluaient avec le groupe professionnel considéraient cela comme quelque chose de normal. Ils s’entrainaient moins, ils végétaient voire ils régressaient »

De plus, la dimension psychologique était négative car ils vivaient assez mal le fait de jouer en réserve. Pour eux, c’était un déclassement et en même temps leur statut de professionnel symbolisait l’atteinte de leur objectif. Il fallait inverser la tendance en diminuant le nombre de joueurs dans le groupe Pro 1 (idéalement 20-21 joueurs de champ plus les gardiens) et mettre en place de façon autonome un 2ème groupe professionnel – Groupe Pro 2 (environ 16 joueurs de champ plus les gardiens).

Je dis « autonome » car, même si le groupe Pro 2 s’entraîne aux mêmes horaires que l’équipe professionnelle afin de répondre au mieux aux besoins de cette dernière, la planification d’entrainement est spécifique et la charge de travail est plus importante que celle de l’équipe première. Ces jeunes joueurs ont besoin de se développer, de travailler, indépendamment du contrat professionnel qu’ils ont paraphé et de continuer à se changer dans le même vestiaire.

Très concrètement le jeune joueur qui a signé un contrat professionnel n’est pas assimilé au groupe professionnel et cela change tout dans son rapport au travail. Il doit continuer de travailler plus. Le week-end, il joue dans l’équipe avec laquelle il s’entraîne au quotidien et les passerelles vers l’équipe professionnelle se font dans le bon sens et en fonction des besoins de l’entraineur. Le processus s’est inversé. Aujourd’hui, ils doivent se dire : « je monte avec les professionnels parce qu’il y a un besoin » plutôt que « je m’entraîne avec les pros, c’est normal et je vais descendre le week-end pour jouer le championnat avec la réserve ».

Pour ces jeunes joueurs, leur groupe d’appartenance, c’est le Pro 2. S’ils montent s’entraîner avec les pros selon les besoins et s’il le mérite, ils y reviendront plus fréquemment voire y resteront. Nous avions fait le constat qu’auparavant les garçons qui évoluaient avec le groupe professionnel considéraient cela comme quelque chose de normal. Ils s’entrainaient moins, ils végétaient voire ils régressaient.

Respectivement à la tête des équipes U17, U19 et actuellement en charge du groupe Pro 2, vous êtes aujourd’hui un peu au carrefour de deux mondes en travaillant au quotidien avec de jeunes professionnels ou qui aspirent à devenir professionnel. Existe-t-il une réelle différence entre le métier de formateur et celui d’entraineur ?

Ma conviction c’est qu’un entraineur y compris à très haut niveau doit être quelque part un formateur. Les parts de formateur et d’entraîneur varient suivant la catégorie ou encore le niveau de compétition. Un entraîneur de très haut niveau doit être formateur car il doit sans cesse avoir l’ambition d’améliorer la qualité de ses joueurs.

Au départ, j’ai à disposition un joueur avec un certain potentiel et mon rôle est de lui apporter des choses afin qu’il soit meilleur à la fin de notre collaboration qu’au début. Le cœur du métier de formateur se situe ici. Avec un joueur de 27 ans ou 28 ans, on peut aussi se comporter en formateur afin qu’il progresse.

« Un entraineur y compris à très haut niveau doit être quelque part un formateur »

C’est la même chose avec les personnes qui composent le staff, l’entraineur doit tenter d’utiliser au mieux les ressources à sa disposition (joueurs, profils, complémentarités, etc.). Idéalement il devrait pouvoir développer les ressources à disposition (formateur) et essayer d’exploiter au mieux les ressources à disposition (entraineur). C’est pourquoi je crois qu’il ne faut pas mettre en opposition ces deux fonctions, puisque qu’elles s’alimentent réciproquement.

Lorsque j’avais la charge de l’équipe U17, je devais aussi remplir les deux fonctions, parce que nous recherchions aussi l’efficacité pour gagner. Lorsqu’on accompagne de jeunes joueurs vers le football de haut niveau, il est aussi essentiel de leur transmettre ces notions parce que le but du jeu reste quand même de remporter le match du week-end.

Pour moi, même en U17, c’est quelque chose qui reste nécessaire à certains moments, afin que les joueurs soient capables de surmonter des difficultés et pouvoir les orienter vers d’éventuelles solutions. Evidemment selon la catégorie entrainée l’importance accordée au résultat du match sera plus ou moins nuancée.

L’hétérogénéité dans l’âge et le niveau des joueurs, couplée à une rotation importante de l’effectif, semble être l’ADN du groupe Pro 2. Comment organisez-vous l’optimisation collective et individuelle au sein d’une équipe souvent remaniée d’un match à l’autre ?

Effectivement, c’est un peu plus compliqué qu’avec les équipes U17 et U19, qui sont en règle générale plus stables. Nous utilisons un nombre très important de joueurs au cours de la saison (environ 40 joueurs) qui peuvent avoir 17 ans ou être des professionnels confirmés, qui reviennent de blessure. Certains ont joué 10 minutes quand d’autres ont pris part à 90% des minutes disponibles. C’est toute la difficulté de mettre en place le projet collectif de l’équipe et de la faire vivre.

Néanmoins, je dirais que c’est le lot de toutes les équipes réserves professionnelles. L’idéal, c’est d’avoir un socle de joueurs qui participe à la plupart des matchs, qui sont les garants du projet, puisque l’idée c’est garder la même ligne dans le jeu, de s’appuyer sur le projet de jeu malgré une rotation importante, sinon nous risquons de perdre tout le monde.

Nous essayons de jouer de la même manière à domicile comme en déplacement et je m’interdis de m’adapter à l’adversaire, sinon cela devient mission impossible. Nous éprouvons des difficultés à trouver de la continuité, ce qui s’explique par la structure même du groupe Pro 2. Si en plus nous tenons compte de l’adversaire, on ne s’y retrouve plus.

Nous avons établi un projet de jeu et nous nous y tenons, quel que soit l’adversaire et peu importe que notre équipe soit constituée de très jeunes joueurs ou de professionnels expérimentés. Nous voulons être ambitieux dans le jeu et les intentions restent les mêmes pour justement construire une certaine continuité et des repères collectifs partagés dès les premiers jours de la préparation estivale.

S’appuyer sur un socle de joueurs est une condition importante dans la réussite sportive du groupe Pro 2. Une autre condition incontournable semble être le partage d’un projet et des idées de jeu communes. Cette démarche existe-t-elle avec l’équipe première et ruisselle-t-elle vers les équipes de jeunes ?

Ces dernières saisons, à la tête de l’équipe première du Stade de Reims, j’ai côtoyé David Guion, Oscar Garcia et Will Still, trois entraîneurs avec des idées complètement différentes. Il s’avère qu’en ce moment, Will Still est « celui » avec lequel je partage le plus de convictions sur le jeu, tant sur les aspects offensifs que défensifs et ça tombe bien. Avec Oscar Garcia, nous partagions aussi beaucoup de convictions, mais il était beaucoup sur l’analyse de l’adversaire avec un certain nombre d’évolutions dans les organisations chaque week-end.

Il me disait assez souvent que je devais formaliser un projet de jeu qui permette aux joueurs à fort potentiel de s’exprimer et de les accompagner au mieux vers la Ligue 1, même si cela ne concerne que deux joueurs chaque saison. Il était très clair sur cette question, d’ailleurs il me disait souvent « joue comme tu veux, l’essentiel c’est de mettre nos jeunes joueurs dans les meilleures conditions ».

Revenons sur cette notion d’hétérogénéité, au-delà de l’âge des joueurs, de leur niveau, des convictions des techniciens, de la proximité ou des affinités avec l’entraineur de l’équipe première. Le Stade de Reims s’internationalise, notamment via sa filière sur le continent africain. Comment organisez-vous votre travail pour accueillir ces joueurs dans le groupe Pro 2 ?

Le club a mis en place que nous appelons affectueusement la « maison des maliens », où vivent tous les jeunes en provenance du Mali. Une femme franco-malienne, qu’ils appellent leur tata, vit avec eux et les accompagne dans leur quotidien. L’objectif est que les garçons se retrouvent ensemble, dans un environnement qui est proche de ce qu’ils ont connu au Mali, mais à Reims.

Le  club veut les aider à s’acclimater progressivement à la vie en France, devenir progressivement indépendants pour faire face à leur nouvelle réalité et assumer une vie de footballeur professionnel, à l’image de Kamory Doumbia et Thiemoko Diarra qui émergent petit à petit.

Trois joueurs sont arrivés, deux font partie du groupe professionnel. Kamory Doumbia s’installe progressivement en équipe première et évolue depuis avec la sélection du Mali. Il a d’ailleurs quitté  cette année la maison pour voler de ses « propres ailes ». Thiemoko Diarra, lui, prend son temps et est resté dans la maison. Il avait encore besoin de cet accompagnement, que ce soit sur et en dehors du terrain.

Au regard de votre expérience, la différence entre deux joueurs du groupe Pro 2 est souvent infime. Beaucoup auront une opportunité, à un moment ou un autre, de côtoyer le groupe professionnel, mais quels sont les éléments qui permettront à un jouer de s’y installer durablement ?

L’efficacité au poste est déterminante. Un joueur doit être capable de faire basculer le cours d’une rencontre en faveur de son équipe. Un défenseur le fera différemment d’un attaquant, mais la fiabilité reste essentielle. Très souvent les garçons avec une certaine maturité sont ceux qui font la différence. Certains joueurs de 18-19 ans ont déjà cette capacité à jouer comme des garçons 24, 25 ans.

Aujourd’hui, le football réclame beaucoup de précocité, c’est dommage parce que certains garçons auraient besoin d’un peu plus de temps pour devenir professionnels. En tous les cas, au Stade de Reims nous avons mis en place un système où les garçons qui sont matures rapidement dans le jeu et en dehors, parviennent à jouer et à exister en Ligue 1.

Comment travaillez-vous au quotidien pour permettre aux joueurs d’acquérir cette maturité, au-delà de les faire évoluer à N+1, N+2, ce qui semble être un outil intéressant ?

Effectivement nous faisons jouer des garçons à N+1, N+2, voire plus depuis quelques années. Aujourd’hui dans le groupe Pro 2, deux garçons U17 y évoluent régulièrement. Il y a six ou sept ans, des garçons aussi jeunes à ce niveau-là, ça n’existait pas ici. C’était déjà bien quand un joueur de 18 ans jouait en Championnat National 2, nous essayons de gagner du temps un peu partout.

Je ne dis pas que c’est bien, mais dans notre modèle, nous n’avons pas forcément d’autres alternatives. Un joueur U16 avec du potentiel doit jouer en U17, voire U19, etc. Cette saison, Valentin Atangana Edoa (2005) a fait ses premiers pas en Ligue 1, certains joueurs nés en 2004 apparaissent régulièrement, deux joueurs nés en 2003 s’imposent en équipe première comme Kamory Doumbia, Cheick Keita.

C’est notre modèle et je ne prétends pas que c’est le meilleur. Nous l’assumons pleinement, même si au fond il n’y a rien de dramatique à débuter en Ligue 1 à 23 ou 24 ans. Certains joueurs ont besoin de plus de temps pour devenir performants en Ligue 1, à l’image de Boulaye Dia qui a intégré le groupe Pro 2 quand il avait déjà 20 ans ou Ilan Kebbal, voire Billal Brahimi, mais depuis deux saisons ce n’est plus la tendance.

De très jeunes joueurs évoluent régulièrement dans les équipes de Ligue 1, comme le Stade Rennais, l’Olympique Lyonnais, le Stade de Reims, l’AS Monaco ou le Paris Saint Germain. Est-ce une tendance lourde à la précocité de notre championnat ou une volonté ponctuelle des clubs ?

Je crois que c’est une volonté des clubs de répondre à une réalité économique. Le constat est simple : plus un joueur est jeune quand il évolue en Ligue 1, plus sa valeur marchande augmente. A qualité égale, un garçon qui joue en Ligue 1 à 18 ans représente une valeur marchande plus importante que si ce joueur avait 22 ans.

Aujourd’hui la dimension économique est centrale, tous les clubs cherchent à augmenter leur budget et gagner de l’argent. Dans cette optique il existe deux options : jouer la Ligue des Champions régulièrement ou vendre des joueurs issus de sa formation au prix fort.

Hugo Ekitike, jeune joueur né en 2002 et issu de notre centre de formation, a montré une grande précocité dans sa capacité à marquer des buts. S’il avait eu 3 ou 4 ans de plus, le montant de son transfert (37 millions d’euros) aurait probablement été divisé par 3 ou 4. C’est glaçant comme constat, mais c’est la réalité économique.

Le football est par essence une activité collective ou l’autre a une très grande importance. Or, cette tendance à la précocité avec comme perspective une spéculation économique, favorise les trajectoires individuelles des plus jeunes, qui resteront moins longtemps dans la structure et finalement avec lesquels les relations seront peut-être plus superficielles. Comment gérez-vous cette contradiction sport collectif versus rendement individuel au quotidien dans le groupe d’entrainement ?

Selon moi, c’est la plus grande évolution dans notre métier ces dernières années. C’est difficile, de mettre de côté certains garçons, alors qu’au fond de nous, en tant qu’éducateur, on se dit « lui, il a sa place chez nous », même si un joueur plus jeune arrive, auquel il faut faire de la place parce qu’il a le potentiel à court terme d’atteindre l’équipe première.

Après, ce sont les limites de notre système, mais c’est aussi ce même système qui a permis au Stade de Reims de doubler, voire tripler son budget en quelques années. Je constate chaque jour, que mes propres conditions de travail se sont améliorées, que nous avons accès à davantage de choses, qui permettent au club de grandir. L’idéal serait de parvenir à un équilibre entre la richesse humaine et la rentabilité économique, mais c’est aussi le plus difficile à réaliser pour osciller entre la croissance économique et la promotion des jeunes.

Le football, sport collectif par excellence où l’état d’esprit, les valeurs d’un groupe et le plaisir de vivre ensemble, permettent de faire basculer des matchs en notre faveur, ne doit pas être perdu de vue. Cependant, les moyens financiers sont vitaux pour construire des effectifs performants, c’est pourquoi les clubs se lancent de façon massive dans le « trading » de joueurs, et qu’un jour ou l‘autre il y aura peut-être le retour de manivelle. Il faut tendre vers une forme d’équilibre, mais cela réclame du temps et dans notre modèle, nous n’avons plus le temps, même si certains garçons mériteraient d’en avoir.

Votre travail repose en grande partie sur les relations humaines avec les membres de votre staff, ceux des équipes de jeunes, ceux de l’équipe professionnelle, mais aussi les joueurs qu’ils soient jeunes ou expérimentés. Quel enseignement tirez-vous sur la nature humaine, après 20 années dédiées à l’entrainement ?

L’environnement de manière générale, a beaucoup évolué autour du football, des joueurs. Ce n’est pas à moi de juger si l’évolution est positive ou négative, mais quand j’ai commencé à entraîner en U17, je n’ai pas souvenir qu’un joueur avait un agent ou un conseiller, voire les deux. J’étais en relation directe avec les parents et nous réalisions le suivi régulièrement de manière transparente.

Aujourd’hui, en U15, les joueurs ont déjà un agent et autour des terrains il y a beaucoup de monde, ce qui fausse la perception des jeunes sur le football. Le football est davantage perçu comme un sport individuel, où les joueurs s’intéressent d’abord à leurs statistiques, leur contrat, leur image et leur carrière.

Je dirais que c’est à l’image de notre société, mais le football produit un effet loupe sur les centres d’intérêt des jeunes et qu’ils soient footballeurs ou non, les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus centrés sur eux-mêmes. C’est une tendance lourde de notre société et que l’on veuille ou non, le football n’y échappe pas.

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