© DAMIEN LG/OLWEB via OL.FR

Le département méthodologique, c'est le cœur du réacteur

L’une des pièces indispensables au puzzle de l’excellente Académie de l’Olympique Lyonnais a trouvé sa place : il s’agit du département méthodologique. Sous l’impulsion de Jean-François Vulliez, au club depuis dix ans et directeur du centre de formation, le club a décidé de définir et d’écrire ce qui constitue la « langue OL », afin qu’elle ne se perde jamais.

Fondamentalement, il s’agit d’un outil de gestion des connaissances et de diffusion de la culture OL au sein de son Académie, afin que toute personne participant au développement des jeunes footballeurs, connaissent les concepts essentiels du jeu OL, ainsi que les outils à disposition pour permettre au club de poursuivre sa quête de l’excellence, en proposant des contextes d’apprentissage cohérents et adaptés.

🚨 Avant d'aller plus loin, inscrivez-vous à la newsletter

Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.

Aujourd’hui, comment pourrait-on définir l’ADN OL ?

L’ADN OL, la culture OL, c’est quelque chose sur lequel nous avons travaillé, oui. A un moment donné, c’était important de comprendre quelle était l’histoire du club. L’histoire de la ville, l’histoire du club. C’est à partir de cette histoire que s’est construit, au fur et à mesure, une culture comme dans tous les clubs, avec une identité en lien avec les joueurs qui ont été pro et/ou qui ont été formés au club, où ceux qui sont arrivés au club plus tardivement.

Lyon, c’est une ville qui aime ce qui est beau, c’est une culture qui aime le spectacle, c’est une culture d’innovation. Si tu prends l’histoire de la ville, c’est aussi ça, c’est la capitale de la soie, ce sont les frères Lumière, c’est l’innovation dans les sciences, la gastronomie. L’OL s’est construit en lien avec sa ville et on ne peut pas être déraciné.

Ce n’est pas comme aux Etats-Unis, où tu peux déplacer les franchises d’est en ouest et du nord au sud, un peu comme tu le veux. En Europe, ce n’est pas possible et à Lyon, tu ne peux pas faire ça.

A Lyon, il y a vraiment cette culture du beau, du spectacle, du jeu, d’une équipe protagoniste qui veut maîtriser le jeu par rapport à l’adversaire. Alors je ne dis pas qu’on retrouve cela aujourd’hui, car bien sûr il y a des cycles, mais je parle surtout de l’histoire du football à Lyon.

« A un moment donné, c’était important de comprendre quelle était l’histoire du club »

Donc, un jeu spectaculaire, c’est un jeu d’attaque, c’est un jeu protagoniste, c’est un jeu où on aime marquer des buts. Même si on prend beaucoup de buts, on retient souvent qu’on a marqué beaucoup de buts, comme lors du 5/5 avec Marseille, il y a quelques années. Ce sont donc des matchs où on marque beaucoup de buts, mais où on est capable d’en prendre beaucoup. C’est un jeu avec de nombreux joueurs qui sont connectés, du jeu combiné, de la technicité, du jeu à une touche, des attaquants qui sont capables de finir, avec des déplacements soit dans la zone de progression, soit dans la zone de déséquilibre. En gros, des joueurs qui sont capables de se connecter et de se comprendre pour finir. Le jeu à la Lyonnaise, c’est ça.

Récemment, un journaliste a écrit un article qui traitait de la difficulté d’être entraîneur à Lyon, que ce soit pour Bruno Génésio, Alain Perrin ou Rudi Garcia. Rémi Garde y expliquait que le public lyonnais est très exigeant parce qu’il a vu ses équipes performer et qu’il veut voir un jeu spectaculaire, il veut des résultats et veut aussi qu’on puisse y associer des joueurs formés au club. C’est la synergie de ces trois éléments qui va amener le club à être aimé, à répondre à son identité et à sa culture.

Donc, l’ADN OL c’est ça. D’ailleurs, le jeu spectaculaire et les joueurs formés au club vont, même parfois, être des aspects beaucoup plus prégnants chez les supporters, que le résultat. Bien sûr qu’à un moment donné, le résultat doit être associé au reste, mais la notion de spectacle et de joueurs formés au club, sont des éléments Majeurs.

Le joueur qui réussit à Lyon est un joueur qui s’approprie les codes de la ville et du jeu lyonnais, qu’il soit natif de Lyon ou d’ailleurs.

Justement, une fois que vous avez défini cela, ce qui est un énorme morceau, comment le département méthodologique va servir d’intermédiaire pour que cette culture-là soit traduite en principes, qui vont ensuite se matérialiser dans le recrutement, chez les éducateurs, sur les séances et le plus important : chez les joueurs ?

Avant de répondre à cette question, je voudrais revenir sur le travail qui a été fait sur l’histoire, la culture du club et parler du travail qui s’est fait depuis 40 ans au centre de formation. Nous avons étudié les grandes époques du centre et il y a des éléments forts qui sont ressortis, notamment la notion d’intensité et de discipline, que ce soit chez les joueurs qui ont été formés au club ou les anciens formateurs qu’on a interviewé.

« Comme le disait les coachs que nous avons interviewé, les joueurs qui réussissaient à l’OL, mais aussi ailleurs, aimaient s’entraîner, aimaient le foot »

Il y avait deux notions qui étaient très importantes. D’abord la notion d’attaque et ensuite, l’intensité des séances. Une intensité, pas seulement de course, mais aussi une intensité technique. Des passes fortes pour travailler, à la fois sur la technicité, mais aussi sur le niveau optimal de concentration, avec la volonté en match, d’attaquer, d’être un rouleau compresseur et de broyer l’adversaire pour aller gagner.

Ensuite il y a l’amour du Jeu, car comme le disait les coachs que nous avons interviewé, les joueurs qui réussissaient à l’OL, mais aussi ailleurs, aimaient s’entraîner, aimaient le foot. C’étaient des joueurs qui aimaient profondément le jeu et qui étaient sur des motivations très intrinsèques. Il y a aussi des motivations extrinsèques, mais il y avait une forte détermination liée au jeu à l’intérieur du club.

Cela a été le premier travail du département méthodologique, poser un diagnostic de fond et comprendre le contexte.  La fonction du département méthodologique, n’était pas de dire on change, on révolutionne, mais de dire : comment peut-on capitaliser sur ce qui s’est fait de bien pendant 40 ans ? Parce que pour ma part il y a 10 ans, j’ai souffert quand je suis arrivé au club, du fait qu’il n’y est pas d’écrit, pas d’archives.

Rémi Garde, par lequel je suis arrivé au club, avait écrit son mémoire de BEES 2 et retraçait une partie du patrimoine de la formation. Cela a été le point de départ de nos travaux pendant 6 ans à l’école de football et à la préformation.  Nous avons pu expérimenter et imaginer l’avenir. L’année dernière, avec un contexte favorable, j’ai estimé que c’était le bon moment pour nous doter d’un département méthodologie. La méthodologie est un département névralgique pour la formation et l’avenir de l’OL, pour valoriser l’héritage et se tourner vers l’avenir. Les plus grands clubs européens ont institutionnalisé ce travail au sein de leur club.

Une des choses importantes lorsque tu travailles sur ce type de projet, c’est qu’il ne faut pas que ça soit uniquement des personnes qui réfléchissent dans leur coin. Au début Il faut intellectualiser pour débattre, raisonner, rechercher, se cultiver pour ensuite faire le choix des orientations. Cette sphère de réflexion doit être capable ensuite de produire et déployer des outils adaptés, compréhensibles et qui fonctionnent.  Il faut toujours trouver un équilibre pour créer un contexte d’apprentissage pour l’encadrement.  Il faut rester pragmatique. Le but, ce sont les performances collectives et le progrès des jeunes.

A un moment donné, si nous intellectualisons dans l’excès, nous rencontrerons des difficultés lorsqu’il faudra « accrocher les wagons » avec nos coachs. Aujourd’hui, il y a 80 salariés au centre, donc il faut que je les emmène tous derrière la méthodologie avec leur personnalité et leur conviction. Parce qu’effectivement, ça doit transpirer dans le recrutement, ça doit transpirer dans les coachs, ça doit transpirer au centre d’hébergement, ça doit transpirer jusqu’aux administratifs… Le but n’est pas d’aller vite, le but est de rester en mouvement !

« La méthodologie est un département névralgique pour la formation et l’avenir de l’OL, pour valoriser l’héritage et se tourner vers l’avenir »

Donc à un moment donné, la méthodologie, c’est de réunir des personnes ayant eu des parcours différents, car je pense que ce qui est important, c’est la richesse des parcours. Comme je l’ai dit, j’ai créé ce département parce que je sentais que c’était le bon moment par rapport à un contexte qui était favorable. Nous avons réussi à créer une harmonie au sein de l’Académie avec des personnes qui ont une certaine ouverture d’esprit, de la personnalité et des convictions. 

J’ai donc mis autour de la table du comité de pilotage, des personnes qui venaient d’univers différents : des anciens joueurs professionnels comme Jérémie Bréchet ou Sonia Bompastor, des personnes issues du monde universitaire comme Jean-Michel Jars, moi-même qui viens de ce monde-là, Jean-Yves Ogier qui venait du monde fédéral, Pierre Sage qui venait du monde universitaire, avec aussi des expériences en National et une culture du jeu sur les principes des entraineurs espagnol et portugais.

Ça c’était le début, nous étions 7 avec mon responsable de la préformation et de l’école de foot. Ensuite, j’y ai associé une personne qui est un expert du management et une autre qui est experte de l’apprentissage. Ces derniers ont aussi entraîné dans d’autres clubs professionnels, mais aussi travaillé dans des entreprises. L’idée, c’était de réunir ces personnes autour de la table et de traiter des sujets.

Le premier sujet que nous avons abordé l’année dernière, c’était bien sûr l’ADN et l’histoire du club, puis les « contenus terrain », donc la méthodologie d’entraînement. L’objectif était de capitaliser sur ce qui se fait de bien à l’OL et d’identifier ce qu’on pouvait amener en termes d’innovation, pour pouvoir continuer à mettre en place des contenus et processus d’apprentissage, qui vont permettre aux joueurs et aux joueuses d’atteindre le très haut niveau.

Nous avons déployé la méthodologie d’entraînement en début de saison et nous demandons aux staffs de la faire évoluer par rapport aux caractéristiques de chaque catégorie afin de pouvoir en fin de saison avoir un « parcours méthodologique de formation ». Au niveau du comité de pilotage, nous débattons de la méthodologie d’enseignement et de management afin de pouvoir déployer cette expérimentation en deuxième partie de saison ou la saison prochaine.

En fait, le département méthodologique, c’est le cœur du réacteur, ce qui permet d’orienter la politique sportive de l’Académie. Au sein de ce département, il y a le département technique, le département de la performance, le département préparation mentale, le département préparation athlétique, le département médical, département veille et recherche…L’idée directrice, c’est que la méthodologie soit un lieu où se retrouvent toutes les expertises au service de la performance.

« Notre objectif, c’est de bien connaître le jeune, pour pouvoir lui proposer les meilleurs contextes d’apprentissage, en respectant l’ADN de culture d’entrainement »

Nous avons deux formes de travail, le travail en staff et le travail par métier (spécialités), c’est la synergie des deux qui crée les outils pour organiser les contenus d’entrainement et d’accompagnement. C’est ce que j’appelle le travail de la performance, car pour moi, la performance ne s’arrête pas au travail athlétique. La performance est à la fois cognitive, motrice, énergétique, mentale. Dans chaque staff, il y a un représentant de chaque univers et toutes les semaines, ils travaillent sur le projet hebdomadaire. Ensuite, il y a un travail et une réflexion par métier, mais le travail par staff doit nous permettre d’avancer de la manière la plus cohérente possible, dans tous les domaines.

Notre objectif, c’est de bien connaître le jeune, afin de pouvoir lui proposer les meilleurs contextes d’apprentissage en respectant l’ADN de culture d’entrainement. Le foot, c’est à la fois du collectif, avec le développement du joueur dans un modèle de jeu et un développement individuel afin qu’il puisse améliorer ses points forts et faire que ses points faibles ne soient pas rédhibitoires pour le haut niveau. L’enjeu de nos travaux, c’est cela.

Alors qu’avez-vous été chercher ailleurs ?

Nous avons simplement mis des mots sur ce qui existait déjà. Quand je dis qu’aux entrainements OL il y avait du travail technique et du jeu, eh bien le jeu, en vulgarisant et en fonction des objectifs de la forme jouée c’est de l’approche systémique. Nous prétendons, mais nous ne sommes pas les seuls, que le football est un sport intelligent, alors il faut créer des contextes d’apprentissage qui sont intelligents. Si tu veux rendre les joueurs intelligents, ton challenge, c’est de savoir comment tu vas faire pour atteindre cet objectif.

Donc l’approche systémique, c’est à dire mettre le joueur dans une dimension collective, connectée et développer ses compétences cognitives en même temps que ses compétences motrices, athlétiques et techniques, est un des éléments importants de l’orientation de la méthodologie.

En revanche, on ne s’interdit pas de faire du travail technique via de l’analytique, du travail de sensibilité de pied parce que ça fait partie de l’ADN du club. Lorsque j’ai été formé, j’ai été bercé par le travail technique, le travail analytique et ensuite je suis allé vers l’extrême inverse, avec du travail comme on l’appelait, global, même si c’est un mot qui commence un peu à disparaître.

Avec l’expérience que j’ai aujourd’hui, les séances vécues, les joueurs que j’ai vu en formation durant 10 ans, je pense qu’il n’y a pas de vérité et que le chemin se construit entre les deux extrêmes et qu’à un moment donné, l’objectif c’est de trouver la voie la plus équilibrée pour que chaque joueur progresse.

« Nous prétendons, mais nous ne sommes pas les seuls, que le football est un sport intelligent, alors il faut créer des contextes d’apprentissage qui sont intelligents »

Pour finir sur l’approche systémique, quand je suis arrivé à l’école de football et à la préformation, nous avons travaillé avec Christian Bassila et Amaury Barlet, sur les repères de jeu et les principes de jeu OL. Quels sont les repères visuels importants ? C’est assez magique, car dès que le joueur a compris le repère et le perçoit sur le terrain, il adapte tous ses comportements tactiques. Avec les coachs, nous avions identifié une dizaine de principes de jeu, que ce soit l’appui-soutien, comment trouver le déséquilibre, le jeu dans les intervalles…

On avait cinq principes offensifs, cinq principes défensifs et on avait aussi intégré deux principes sur la transition. Maintenant, nous avons un peu modifié notre approche parce que nous estimons que la transition ne fait pas partie d’un principe et qu’elle doit faire partie du jeu, intégrée aux autres principes. Dans nos principes, dans notre travail tactique, on doit retrouver à chaque fois la transition. C’est quelque chose qui doit perpétuellement exister dans nos séances.

Nous avions identifié, des principes de jeu OL, de U8 à U20, en partant de repères perceptifs. Exemple : quand je veux déséquilibrer, que dois-je voir ? Où dois-je porter mon regard ? On était partis là-dessus, car ce qui nous paraissait le plus important, c’était que le joueur comprenne ce qu’il doit voir sur le terrain. Nous avions identifié, par principe, 3 à 4 repères que le joueur doit voir : l’espace, les partenaires, les adversaires… Le but était de répéter ces principes de jeu de manière très simple en U8-U9 et d’aller vers des formes plus complexes au fur à mesure de l’avancée dans les catégories d’âge.

Donc, nos principes de jeu sont encore là et il y a le Jeu de Position qui est quelque chose de nouveau et que je connaissais très peu il y a deux ans. J’ai commencé à me documenter, à échanger avec des coachs et j’ai trouvé que c’était vraiment un élément pertinent qui venait se connecter avec nos principes. Avec les principes animant la structure fonctionnelle et le jeu de position, élément de la structure organisationnelle, nous pouvons travailler sur le modèle de jeu de chaque équipe.

 Au-delà du modèle de jeu, déterminer pour un joueur les positions et ses fonctions relatives à la position, crée une responsabilité pour chaque jeune dans le jeu de son équipe. C’est une démarche de prise de conscience de ma position et de ma fonction dans une équipe. Si les coachs arrivent à développer cette conscience de position et fonction, le jeune sera capable de comprendre sa mission et de comprendre les positions et fonctions de ses partenaires, c’est une des clés de l’intelligence collective et de la capacité à anticiper nos mouvements ensemble.

« Si les coachs arrivent à développer cette conscience de position et fonction, le jeune sera capable de comprendre sa mission et de comprendre les positions et fonctions de ses partenaires »

La dernière innovation, c’est la périodisation tactique, que l’on découvre, bien que tout le monde utilise une forme ou une autre de périodisation. C’est quelque chose que nous n’avons pas encore vraiment intégré et il y a encore des discussions au sein du club afin de savoir quelle est la meilleure périodisation à mettre en place, en fonction des catégories.

Il y a aussi des questions qui se posent avec nos experts sur l’apprentissage : comment le jeune apprend ? Est-ce qu’on doit être sur des cycles d’apprentissage qui doivent être répétés et continu sur x semaines ? Est-ce que l’on va du problème de match au match et du coup, l’apprentissage du problème de jeu on va peut-être l’étudier sur une semaine, mais peut-être qu’on ne le reverra plus ? Il y a encore des questions qui se posent sur l’apprentissage et sur lesquelles on doit avancer. Mais en tout cas, les débats seront intéressants.

Donc aujourd’hui, nos cinq orientations sont : l’ADN OL, l’approche systémique, le Jeu de Position, les principes OL et la périodisation tactique. Nous avons déployé ces cinq orientations auprès de tous les staffs, garçons et filles et puis nous avons ensuite travaillé sur le modèle de jeu OL. Nous avons laissé une liberté et une créativité à chaque staff dans la conception de leur modèle. Les staffs, par conviction ou par certitude, ont créé leur modèle de jeu qui n’est pas forcément identique aux autres.  Nous avons simplement gardé des repères communs offensifs et défensifs.

L’idée, c’était de mettre un cadre, mais aussi de laisser la liberté à chaque coach, à chaque staff, de sortir de ce cadre pour qu’il y ait de la créativité.

Nous demandons aux joueurs d’être créatifs, ce qui fait partie de l’ADN OL, nous leur laissons de la liberté de penser, d’agir, de s’exprimer, donc il fallait aussi laisser la liberté au staff, de construire et de créer. A un moment donné, construire et créer ensemble, ça fait aussi parti du développement des compétences de chaque staff.

Ils ont donc cette liberté de pouvoir faire leur propre cuisine, si on peut dire ça comme ça, mais y a-t-il quand même des choses que l’on doit retrouver ? C’est à dire si nous comparons plusieurs équipes de l’OL, même si chaque staff à sa sensibilité, devrions-nous retrouver des éléments communs ?

Tout à fait. Normalement, tu dois retrouver l’ADN OL, avec des équipes protagonistes, une intensité dans le jeu, un jeu spectaculaire, de la créativité de la part des joueurs et en même temps, tu dois retrouver la notion de position dans la largeur et la profondeur, d’utilisation des espaces intérieurs et des principes liés à la possession. Une équipe protagoniste qui doit être capable, à un moment donné, de maitriser le jeu dans la moitié de terrain adverse. Une équipe qui doit gagner son rapport de force par le jeu qu’elle pratique.

« Nous demandons aux joueurs d’être créatifs, ce qui fait partie de l’ADN OL, nous leur laissons de la liberté de penser, d’agir, de s’exprimer, donc il fallait aussi laisser la liberté au staff, de construire et de créer »

Normalement, tu dois retrouver ça dans les équipes, mais attention, je ne dis pas que tu le trouveras à chaque fois ! Aujourd’hui, l’équipe où c’est le plus difficile, c’est l’équipe réserve qui joue en N2, parce que le rapport de force est parfois compliqué. Malgré ça, on veut conserver et proposer cet ADN OL avec cette équipe. Parfois, on subit les matchs et d’autres fois on arrive à être protagonistes, ça dépend des matchs et quelquefois à l’intérieur des matchs, vous passez par différentes phases.

Il y a quelque chose d’assez singulier lorsqu’on observe la constitution des staffs OL, c’est que vous fonctionnez avec des binômes. D’ailleurs, la communication du club est quasiment toujours faite en ce sens. On pourrait se dire « c’est normal, l’OL a les moyens, donc ils peuvent en mettre deux », mais il semble que la réflexion sous-jacente à ce mode de fonctionnement, c’est que deux « cerveaux » qui interagissent, cela vaut peut-être mieux qu’un seul. Aujourd’hui, c’est peut-être systématique dans tous les clubs, mais il semble que vous ayez été des pionniers là-dessus ?

Effectivement, l’interaction de deux « cerveaux » vaut peut-être mieux qu’un seul. Le principe des binômes, c’était d’essayer de créer de l’émergence. Nous sommes dans une société où les jeunes, les staffs aiment coopérer. Quand il n’y a qu’une seule personne, eh bien elle peut avoir certaines convictions ou certaines certitudes sur le jeu. Mais elle peut aussi avoir des certitudes sur les jeunes, c’est à dire sur le développement des joueurs.

Lorsque nous sommes coachs, nous sommes d’abord des êtres humains et nous pouvons être amené à mettre des étiquettes sur les joueurs. Nous sommes naturellement amenés à porter des jugements et je trouve que le plus dangereux dans nos métiers, c’est de porter des jugements trop rapides sur les joueurs, surtout en formation. Quand nous sommes deux, nous allons réfléchir ensemble à une séance d’entraînement que l’un va animer, pendant que l’autre va prendre du recul et qu’ensuite on analysera à deux. Donc il y a coopération.

« Le principe des binômes, c’était d’essayer de créer de l’émergence »

Ensuite, il y a aussi de la coopération dans l’analyse des joueurs. L’idée, c’est que si je suis tout seul, je vais peut-être avoir un avis sur un joueur, mais à deux, mon binôme aura peut-être un autre avis ou peut-être qu’il modérera mon avis. L’idée, c’est de ne pas porter de jugements trop hâtifs sur les joueurs, parce qu’on sait qu’un joueur en formation, il va se transformer au fur à mesure.

C’est aussi pour cette raison que nos staffs ne suivent pas les joueurs d’une année sur l’autre, parce que l’idée, c’est qu’à l’image des problèmes que les joueurs vont rencontrer dans le jeu, ils devront s’adapter à des coachs différents. Il y aura des coachs avec qui cela se passera très bien et d’autres avec qui la saison sera plus difficile. Donc il faut faire très attention à avoir de la variabilité dans l’enseignement, la pédagogie, l’accompagnement des joueurs, pour que le joueur soit dans les meilleures conditions pour réussir, c’est essentiel !

Auparavant, dans la constitution de nos binômes, on se disait « il faut mettre des anciens joueurs de l’OL », sauf que nous savons très bien qu’un joueur de très haut niveau n’a pas forcément la compétence pédagogique ou l’ouverture d’esprit pour être à la formation. Donc, ce n’est pas la compétence du maillot qui compte, c’est d’abord la compétence pédagogique, l’ouverture d’esprit, la volonté de se questionner sur l’apprentissage, sur la formation, la volonté d’être positif, de travailler dur, ce sont les critères prioritaires. Après, si l’éducateur a porté le maillot de l’OL, qu’il a été formé à l’OL, c’est exceptionnel, parce qu’il va amener une valeur ajoutée dans l’apprentissage.

Le but, c’est d’associer deux personnes d’univers différents ou ayant des conceptions différentes pour pouvoir, à un moment donné, créer de l’émergence. Que ce soit de l’émergence sur la construction des situations d’apprentissage, les contenus ou l’accompagnement pédagogique des jeunes. C’est très important, on essaie d’associer des univers avec des coachs qui viennent du football amateur, du monde universitaire, du football professionnel.

« Il faut faire très attention à avoir de la variabilité dans l’enseignement, la pédagogie, l’accompagnement des joueurs, pour que le joueur soit dans les meilleures conditions pour réussir »

L’idée, c’est d’associer toutes ces personnes afin d’être en permanence dans le mouvement, dans l’ouverture, dans le questionnement. Parce que les joueurs/joueuses doivent progresser et il faut à la fois, des convictions et tout en se questionnant, avancer sur nos processus d’apprentissage.

Concernant les joueurs, il y a effectivement ces questions qui reviennent assez souvent : « pourquoi autant de bons d’attaquants sortent de l’OL ? », « pourquoi autant de très bons milieux de terrain sortent de l’OL ?», mais au-delà des « qualités footballistiques visibles », qu’allez-vous rechercher chez un joueur ?

Le recrutement, c’est quelque chose de majeur, parce que si tu n’as pas de très bons joueurs, c’est difficile. Aujourd’hui, la technicité c’est quelque chose qui se voit assez vite, en revanche, l’intelligence du joueur, ça se voit déjà un peu moins vite. Regarder où le joueur se déplace, où il regarde quand il n’a pas le ballon dans les pieds… Ensuite il faut faire attention à sa maturité. Quelque chose que nous avons aussi dans notre ADN, nous sommes assez patients avec nos jeunes, me semble-t-il. L’expérience nous montre qu’il faut être patient.

Nous avons beaucoup de joueurs à maturité tardive et d’autres plus précoces que nous surclassons lorsque nous estimons qu’ils sont prêts. Il y a beaucoup d’impatience dans l’environnement avec une volonté de passer les étapes en « avance rapide », une course vers l’avant qui ne mène nulle part… Il suffit de laisser la nature s’exprimer et de bien comprendre que chaque étape de la formation est clé pour construire des fondations solides. Chaque jeune a son chemin.

« Des très bons joueurs il y en a, mais des joueurs qui aiment courir, beaucoup moins »

On va aussi rechercher des joueurs qui ont des appuis dynamiques sur les deux trois premiers mètres et des joueurs qui courent, parce que c’est une denrée rare ! Je le disais récemment à ma cellule recrutement « des très bons joueurs il y en a, mais des joueurs qui aiment courir, beaucoup moins ».

Aujourd’hui, quand on regarde le haut niveau, il faut courir. Si en plus le joueur a cette qualité de projection, de course, de réaction sur les transitions, c’est une valeur ajoutée. Alors, ça ne viendra pas supplanter les autres qualités, mais c’est un élément qui est vraiment majeur aujourd’hui, dans la construction et dans la personnalité du joueur. Quand un joueur court et fait les efforts, c’est quand même du temps gagné.

Est-ce qu’à un moment donné, malgré toutes les qualités footballistiques que peut avoir un joueur, vous pouvez estimer qu’il peut être incompatible avec le modèle OL ?

Quand on recrute, parfois on se dit « est-ce que ce joueur sera compatible au modèle OL, au jeu lyonnais ? ». Oui, pour certains, d’autres pas forcément, mais si c’est un très bon joueur, on se donne le droit de penser que peut être, on pourra le rendre compatible. Aussi, c’est intéressant d’avoir des profils qui sont différents, parce que ça peut amener une valeur ajoutée au groupe.

C’est vrai qu’on a tendance à voir le joueur lyonnais comme quelqu’un de pas très grand, bon dans le jeu combiné, technique, etc., mais un joueur d’espace, qui est capable de répéter des courses dans la profondeur, va peut-être aussi amener une valeur ajoutée à l’entraînement. Il va faire travailler nos défenseurs, il apportera peut-être une dimension athlétique, que les autres partenaires devront aussi savoir contrecarrer.

Il ne faut pas s’interdire d’avoir des profils qui sont différents, même si bien sûr, ce ne sera pas la majorité. En U18, par exemple, nous avons un profil qui est complètement différent de ce qu’on peut retrouver dans le jeu lyonnais. Mais le joueur a une telle technicité, capable de comprendre et s’adapter au jeu combiné que l’on propose. Donc l’idée, c’est de conserver ses points forts, car on l’a recruté parce qu’il était différent et parce qu’on avait besoin de profondeur. Une qualité que nous n’avions pas.

Nous nous apercevons aussi de certaines limites dans ce que nous pouvons proposer, car même si nous travaillons beaucoup sur les notions de déséquilibre, de courses… à un moment donné, les jeunes veulent tellement jouer dans les pieds, avoir du jeu combiné, des décalages, des redoublements, des une-deux, qu’on oublie d’utiliser l’espace dans le dos. Donc on a besoin de ce type de joueur qui savent utiliser la profondeur.

« On a tendance à voir le joueur lyonnais comme quelqu’un de pas très grand, bon dans le jeu combiné, technique, etc., mais un joueur d’espace, qui est capable de répéter des courses dans la profondeur, va peut-être aussi amener une valeur ajoutée à l’entraînement »

Parfois, nous nous autorisons des profils différents, avec une dimension athlétique peut être supérieure et qui peut permettre de faire progresser les autres partenaires à l’entraînement et nous apporter aussi une alternative dans le jeu. Il est aussi dangereux de s’enfermer dans un modèle.

Bien sûr que nous formons des joueurs à la lyonnaise, que nous aurons toujours cette identité et qu’à l’entraînement nous travaillerons sur cet ADN, et nous avons des joueurs qui doivent pouvoir s’adapter. Ils ne joueront pas tous à l’OL, ils joueront avec des entraîneurs différents, certains joueront dans d’autres championnats européens ou en Ligue 2, etc.

C’est aussi cela, la réussite de l’OL, former des joueurs qui peuvent s’adapter à d’autres championnats ou à d’autres coachs. A un moment donné, grâce à leur intelligence, leur technicité, ils arrivent à s’adapter à d’autres systèmes, d’autres partenaires. Je crois que nous devons le garder et qu’il ne faut pas s’enfermer dans un modèle, c’est pourquoi nos coachs utilisent les systèmes qu’ils souhaitent et que les joueurs peuvent découvrir deux à trois systèmes dans la saison. Il faut avoir des convictions et un cadre mais il ne faut pas être dogmatique, notamment dans la formation.

Quel est le rôle d’un expert de l’apprentissage dans un centre de formation ?

Nous avons plusieurs experts de l’apprentissage et nous avons une cellule d’habiletés mentales qui travaille depuis six ans et qui accompagne les jeunes. Nous n’avons pas souhaité intégrer un psychologue dans le club, mais construire le chemin avec Jean Yves Ogier qui s’est intéressé au développement des habiletés mentales. Aujourd’hui, nous avons deux personnes en plus, une personne qui pratique l’hypnose et une préparatrice mentale. Depuis cette année nous avons demandé à chaque staff de désigner une personne en charge de ce travail et du relais avec la cellule d’habilités mentales.

L’idée, c’est de pouvoir aider le jeune quand il a des blocages, que ce soit personnel ou sportif, mais aussi quand tout va bien, afin de le rendre meilleur grâce à des outils, des routines qu’il puisse utiliser. Je pense que la responsabilité d’un directeur de centre, c’est de pouvoir mettre tous les outils à disposition d’un jeune. Outils d’entraînement, outils sur les plans mental, athlétique, moteur, médical, perceptif (développement de la perception), etc.

Ce sont les coachs qui vont choisir, en fonction de leurs convictions, mais ce que je dis aux coachs, c’est « vous avez une vision qui est influencée par la formation de joueur que vous avez reçu et vous devez vous en détacher pour avoir une vision la plus objective », mais attention, tous les joueurs sont câblés différemment. À un moment donné, il y en a un qui aura peut-être besoin d’un outil sur le plan perceptif, d’autres auront besoin du yoga ou des entretiens d’objectifs, un autre de respirations, un autre n’aura besoin de rien car il est déjà câblé pour être pro, etc.

Mais notre responsabilité, c’est de leur proposer tous les outils parce qu’il y en a un et un seul qui fonctionnera peut-être avec un joueur, c’est peut-être la clé qui lui permettra de passer un cap. Ça c’est de notre responsabilité de formateur.

« La responsabilité d’un directeur de centre, c’est de pouvoir mettre tous les outils à disposition d’un jeune »

Concernant nos situations d’apprentissage, nous devons nous demander si elles sont ouvertes ou fermées ? Est-ce que l’enseignement est uniquement directif ou interactif ? Bien sûr, tous ces types d’enseignements sont utilisés. En fonction du contexte d’apprentissage, on va utiliser du directif ou de l’interactif, on va être dans la bienveillance, dans la fermeté, dans l’exigence voire quelquefois, dans l’excès ou dans le stress.

Je le dis souvent aux coachs, nous devons être compétent sur ces différentes méthodes d’apprentissage parce qu’au-delà de concevoir la séance d’entraînement, tu dois être capable d’accompagner différemment, chaque type de joueur.

Certains auront besoin que le coach soit directif et d’autres auront besoin de beaucoup de bienveillance. Donc, il faut bien identifier les préférences à la fois motrices et mentales pour que nous puissions adapter nos contextes d’apprentissage à chaque joueur. Nous devons être capable d’actionner les leviers qui vont permettre à chaque joueur de progresser. Avant de porter des jugements et de diriger toujours nos regards vers les autres, ce qui est majeur c’est d’apprendre personnellement à se connaître.

Nous ne sommes que des « antennes de communication », à chacun d’entre nous de mieux comprendre son propre fonctionnement intérieur, de faire un chemin d’intériorisation pour « grandir en conscience », valoriser nos canaux de communication, et développer nos capacités intuitives.

🤔 Cet entretien vous a plu ? 

Rejoignez + de 4500 passionnés en vous inscrivant à notre newsletter et vous recevrez nos entretiens, directement par email.

La plateforme de référence