Éveiller et enrichir les perspectives des joueurs

Docteur en sciences du sport, Vincent Gesbert est responsable de la méthodologie au FC Lorient.

Il nous propose un éclairage sur son rapport au football et son rôle au sein du club lorientais, un système ouvert et en évolution perpétuelle.

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Qu’est-ce que le football représente pour vous ?

Beaucoup de choses. Familialement d’abord, à travers le lien avec mon papa que j’ai perdu il y a quelques mois. Mes premiers et plus beaux souvenirs avec lui resteront liés au football. Toutes les émotions que nous avons partagées, c’est au football que je le dois et désormais, c’est en étant sur les terrains de football qu’il est toujours avec moi.

Ensuite, du fait de mon histoire personnelle, j’ai aussi rapidement développé un intérêt accru pour le jeu et les relations humaines dans ce sport. C’est ensuite devenu une thématique de recherche et d’études dans mes différents travaux universitaires, jusqu’à devenir la raison de mon arrivée ici au FC Lorient

Avec le recul, quel regard portez-vous sur cette idée de dédier de nombreuses années de sa vie à un sujet spécifique, comme vous l’avez fait en thèse ?

Pour faire une thèse et passer autant de temps sur un sujet, il faut témoigner d’un intérêt profond pour lui. J’ai d’ailleurs eu cette opportunité de le choisir, c’est pour cela que j’y étais très engagé et que j’ai été ensuite en capacité d’exprimer une forme de ténacité parce que tout n’a pas été simple.

Ce travail a été très sinueux, notamment pour intégrer le département de performance du Stade Rennais. C’était quelque chose d’original à l’époque. Il a fallu d’abord trouver un entraîneur qui soit sensible au projet de thèse que j’avais imaginé. En l’occurrence, c’était Régis Le Bris.

« Pour faire une thèse et passer autant de temps sur un sujet, il faut témoigner d’un intérêt profond pour lui »

Il a fallu ensuite expliquer, réexpliquer, se faire « accepter » dans le club, interagir avec les joueurs, faire valider la méthodologie, apporter des éléments de réponse, réfléchir sur des dispositifs innovants, etc. D’ailleurs je ne suis pas allé au bout du projet tel qu’il avait été imaginé au départ, puisque Régis a quitté le Stade Rennais en 2012.

Toute la partie mise en place sur le terrain n’avait pas été réalisée, nous étions juste restés sur des idées, des propositions. Il a fallu s’adapter. Ce n’était pas possible d’aller vers une autre structure, parce que nous aurions perdu le sens entre l’analyse de l’activité préalablement réalisée et la conception de dispositifs.

Après coup, c’est vrai que l’histoire est belle, parce que neuf ans plus tard je retrouve Régis à Lorient. Nous avons toujours gardé le lien, mais ce n’était pas dit que les choses se passeraient de cette manière-là. Néanmoins, comme on le répète souvent, il faut savoir créer les opportunités. S’il n’y avait pas eu cette rencontre en 2010, il n’aurait probablement jamais fait appel à moi pour venir ici en 2021.

Vous êtes responsable de la méthodologie au FC Lorient. C’est une dénomination que l’on retrouve dans un certain nombre d’organigrammes, mais en fonction des clubs et des pays, elle n’a pas la même signification. Que veut dire être responsable de la méthodologie au FCL ?

Lorsque je suis arrivé, nous avions longuement hésité sur la dénomination du poste. Mon poste reste encore aujourd’hui très flexible, c’est plutôt atypique et en même temps c’est lié à ce projet qui est en perpétuel mouvement. Même en interne, mon rôle peut interroger parfois.

De façon plus générale, la méthodologie peut être considérée comme l’expression de notre vision (accompagner au minimum chaque saison trois joueurs en capacité de s’exprimer au sein du groupe professionnel et en ligue 1) et en tant que responsable, j’en suis un des garants tant dans les réflexions menées que dans son opérationnalisation avec l’ensemble des collaborateurs.

Dès mon arrivée, nous avions effectué par exemple avec Aziz Mady Mogne un important travail d’explicitation, de partage et de réflexion sur les représentations des scouts, des recruteurs, des éducateurs ainsi que des différentes responsables des groupes d’entraînement.

L’idée était d’identifier et d’analyser prioritairement les variables informationnelles auxquelles étaient sensibles l’ensemble des collaborateurs lorsqu’ils observaient un match pour décider ou non qu’un joueur pût intégrer le centre de formation du FC Lorient en dépassant le « moi j’aime bien ou le moi je n’aime pas ».

Nous nous sommes également intéressés aux ressources qu’ils considéraient comme cruciales pour que le joueur puisse se développer et les freins dont ils pouvaient témoigner au cours de leurs parcours entravant ainsi leur développement. Après 18 mois et nous appuyant sur l’évidence scientifique sur la thématique, nous avons pu construire un outil d’aide à l’observation, à la sélection et au suivi des joueurs, de notre préformation jusqu’à notre équipe réserve.

« La méthodologie peut être considérée comme l’expression de notre vision (accompagner au minimum chaque saison trois joueurs en capacité de s’exprimer au sein du groupe professionnel et en ligue 1) »

La façon avec laquelle nous exploitons ensuite ces données nous est propre et je ne pourrai pas en dire plus. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que notre responsabilité d’intégrer ou non un jeune joueur dans notre structure est énorme et il convient de ne jamais l’oublier. Aussi, le fait de partager les mêmes process crée déjà certaines conditions de minimiser le risque d’erreur.

Ensuite, il y a un pilier dont nous allons probablement reparler un peu plus tard et qui concerne les conditions de la responsabilisation du joueur. C’est un sujet sur lequel nous échangeons quotidiennement tous ensemble. Notre représentation est que le joueur à haut niveau se doit d’être responsable, tant sur le terrain que dans la prise en main dans son projet personnel.

Sur le terrain, il doit progressivement avoir cette capacité de décider et d’agir par lui-même, de prendre des initiatives et d’en assumer ensuite leurs conséquences, tant à son niveau que pour l’équipe. L’enjeu est de réfléchir aux différents contextes qui seront propices au développement de cette responsabilité.

Parmi ceux qui caractérisent le plus le FC Lorient, il y a la façon avec laquelle les débriefings vidéo collectifs sont animés au cours de la semaine par les staffs pour cultiver et enrichir les connaissances des joueurs sur les différents moments du jeu, l’implication progressive des joueurs dans les options tactiques prises avant le match ainsi que leur régulation pendant le match et leur évaluation post match ou encore, l’appui sur la création de « communautés » de joueurs issus de différentes équipes permettant à ces derniers d’expliciter, de partager et d’enrichir leurs représentations sur le jeu entre-eux (par exemple, la façon de défendre l’espace pour différents gardiens de buts ou l’exploitation du jeu en appui pour des joueurs offensifs).

« Notre représentation est que le joueur à haut niveau se doit d’être responsable, tant sur le terrain que dans la prise en main dans son projet personnel. »

Mais parfois, nous sortons également du contexte football comme par exemple lorsque nous faisons venir Alasdair McKenzie, un alpiniste du même âge que nos joueurs et qui fait des choses exceptionnelles (vouloir gravir les 14 « 8000 » de la planète). Il y a l’idée que peu importe l’âge, lorsqu’on a vraiment envie d’aller au bout de son rêve, on est capable d’engager des choses.

Pour le cas d’Alasdair, il est capable de faire l’école à domicile, mettre en place ses propres programmes d’entraînement en s’appuyant sur ses expériences passées en ski alpin, d’aller rechercher soi-même des sponsors parce qu’il a besoin de fonds pour monter ses expéditions jusqu’au bout du monde, etc…et il se donne tous les moyens d’y arriver.

C’est extrêmement inspirant. L’objectif c’est de les éveiller et d’enrichir au maximum leurs perspectives. Cela ne marche pas à tous les coups et pour tout le monde, mais nous pensons qu’avec cette ouverture, nous semons des petites graines qui leur permettront peut-être de se dire : « la balle est dans mon camp. C’est à moi de la saisir afin d’avoir de plus en plus de pouvoir et de contrôle sur mon projet »

En lien direct avec le point précédent, il y a le suivi des parcours de développement individualisé (PDI) depuis la fin de saison dernière. Notre ambition est que chaque joueur intégrant le centre de formation soit considéré comme un PDI et à ce titre, que la construction de son parcours soit spécifique en fonction de sa dynamique propre de transformation et des différentes ressources que nous lui pensons nécessaire de développer pour faire-face aux défis, challenges et/ou difficultés qu’il pourrait rencontrer très prochainement ou un peu plus tard comme la prise de responsabilité dans son projet de développement, l’analyse de ses performances, l’identification de ses super-pouvoirs et de ses axes de travail ainsi que ses capacités d’association avec ses partenaires mais également les différents staffs. Chaque joueur bénéficie d’un temps que nous jugeons comme nécessaire et adapté pour se développer.

Enfin, il y a tout un pan de mon activité qui porte sur l’accompagnement des staffs dont on évoquera certaines missions un peu plus tard, les conditions d’installation d’un ancrage territorial fort pour nos différentes équipes et enfin assurer une veille scientifique via notre propre laboratoire de recherche (FCL LAB) sur différentes thématiques.

Avoir conscience de soi, savoir quelles sont ses forces/faiblesses, connaitre ses motivations, mais aussi ses valeurs semblent être des aspects fondamentaux pour aller vers la performance. Néanmoins, la dimension « terrain » est encore très souvent celle qui prédomine dans l’analyse, comme l’évoquait Régis Le Bris afin d’illustrer la difficulté du parcours des jeunes footballeurs pour s’épanouir dans le football professionnel : « les représentations de notre milieu s’accordent généralement pour définir les meilleurs joueurs par rapport à un niveau de performance supérieur à la moyenne en instant t, en se focalisant prioritairement sur la dimension d’expression individuelle sur le terrain ». Aujourd’hui, comment accompagnez-vous les joueurs qui arrivent dans votre système, sur ces aspects ?

Pour répondre spécifiquement à votre question. Il y a plusieurs points.

Lorsqu’un joueur exprime de façon récurrente ses forces à un niveau de compétition et notamment face à des adversités de référence, alors cela signifie que ce contexte n’est plus suffisant pour lui offrir de nouveaux problèmes. C’est à ce moment-là que la bascule s’opère, afin de lui offrir un nouveau contexte de compétition et/ou d’entraînement pour lui offrir a priori de nouvelles conditions d’adversité et de nouveaux problèmes. Toutefois, ce nouveau contexte peut très rapidement ne plus être adapté.

L’année dernière, cela a été le cas avec un joueur. Il était U16 mais avait « validé » très rapidement le niveau U17 Nat, puis le niveau U18 R1 via des matchs avec le groupe Avenir et il avait terminé « logiquement » la saison en Nationale 2. Tout cela n’est pas écrit à l’avance. C’est d’ailleurs mon rôle d’être garant du respect de ses parcours et que l’ensemble des staffs y soit sensibilisé.

En effet, la logique pourrait être à leurs niveaux de conserver leurs meilleurs éléments mais cela serait contre-productif pour le développement de nos jeunes joueurs. Il est nécessaire de les confronter au niveau d’adversité le plus adapté pour leur expression.

« Lorsqu’un joueur exprime de façon récurrente ses forces à un niveau de compétition et notamment face à des adversités de référence, alors cela signifie que ce contexte n’est plus suffisant pour lui offrir de nouveaux problèmes »

Nous parlons désormais avec les joueurs de leurs super-pouvoirs en nous inspirant du milieu rugbystique et notamment de nos échanges avec Didier Retière, parce que nous trouvons que c’est quelque chose de très parlant pour eux. Mon super-pouvoir, c’est ce qui me distingue, ce qui me différencie positivement des autres joueurs.

Cela peut être mon intelligence des situations, ma relation au ballon, ma capacité à faire des différences grâce à ma qualité d’appui ou bien la façon avec laquelle j’arrive à m’organiser sur le plan moteur …Le but de Théo (Le Bris) face à Lille illustre d’ailleurs parfaitement cette idée (interprétation des situations, qualité d’appui et relation au ballon).

Cela renvoie ensuite le joueur à sa propre responsabilité : comment faire en match, pour me retrouver le plus possible en condition d’exprimer mon ou mes super-pouvoirs si c’est la condition pour résoudre les problèmes que l’on me pose ou à en créer chez les adversaires?

Nous cherchons par conséquent à ajuster au mieux les contextes dans lesquels nous allons pouvoir les situer afin qu’ils prennent « conscience de » leurs forces et « confiance en » leurs conditions d’expression. Aussi, lorsqu’ils seront avec les professionnels, le pari est qu’ils pourront capitaliser sur ces expériences.

Cette année (saison 2022-2023), sans trahir de secret, les joueurs qui sont montés du groupe réserve chez les professionnels étaient des éléments très inspirants à ce niveau, dans la capacité à faire face et s’appuyer sur l’adversité.

« Mon super-pouvoir, c’est ce qui me distingue, ce qui me différencie positivement des autres joueurs. Cela peut être mon intelligence des situations, ma relation au ballon, ma capacité à faire des différences grâce à ma qualité d’appui ou bien la façon avec laquelle j’arrive à m’organiser sur le plan moteur … »

En début de saison, un joueur a pu partir 21ème ou 22ème et se retrouver titulaire au bout de trois ou quatre mois notamment parce qu’il n’a jamais lâché. Sûr de ses forces qu’il a constamment cherchées à améliorer à l’entraînement pour les exprimer encore davantage, il a été en capacité de répondre présent le jour J.

C’est ce que l’on demande aux joueurs de haut niveau. Donner cette confiance aux staffs et à l’entraîneur afin qu’ils se disent : « vous pouvez me faire jouer ». Plutôt que se dire « si je ne joue pas, c’est normal ». Non, ce n’est pas normal. L’état d’esprit à avoir c’est : « que puis-je faire de plus pour essayer d’interroger le staff vis à vis de cela ? ». Pour cela, il faut que le joueur ait vraiment confiance en lui et c’est là que cette idée de super-pouvoirs est très importante.

D’ailleurs, il y a quelques mois Jimmy Briand avait pu assister à une revue que nous avons toutes les 10 à 12 semaines avec les joueurs des différents groupes et un joueur du groupe formation (U17) avait expliqué comment il avait vécu le dernier cycle de match. A un moment, il dit qu’il est satisfait d’avoir pu évoluer avec les U19 tout en précisant que c’était normal pour lui d’être remplaçant car il était plus jeune.

Nous avons eu la même réflexion à son égard « cet état d’esprit n’est pas bon car il sous-entend que ton tour va venir naturellement et ce n’est pas la culture de la performance que nous souhaitons promouvoir car rien ne dit que le U16 qui va bientôt arriver ne passera pas devant toi dans quelques mois ».

C’est un des effets que nous essayons de limiter, cette tendance des jeunes joueurs à penser que tout viendra naturellement alors que ce qu’ils souhaitent atteindre n’est souvent réservé qu’à une élite nécessitant un engagement remarquable.

En quoi consiste ces revues ?

A peu près tous les 10-12 matchs, nous instaurons un temps d’échange formel que nous définissons comme une revue entre le staff et le joueur. Tous les joueurs ont à un moment donné une opportunité d’interagir spécifiquement avec le staff, sur ce qu’ils ont pu produire et le sens qu’ils ont donné à la période écoulée. Le format de ces revues évolue selon les groupes d’entraînement (différence entre formation et réserve) et la maturité exprimée par chaque joueur en s’inspirant de l’éthique du pratiquant de François Bigrel.

Nous pouvons leur demander par exemple d’identifier ce qu’ils pensent être leurs super-pouvoirs (vidéo à l’appui), en indiquant à quelle fréquence ils pensent les exprimer par match ainsi que leurs conditions d’expression et lorsqu’il y a eu des difficultés, il s’agit d’expliciter les situations problématiques rencontrées par le joueur.

En faisant cela, nous créons les conditions d’échanges sur le jeu à partir de la perspective du joueur et où le staff devient une ressource pour le joueur. Le staff ne dira pas au joueur « tu pourrais faire telle ou telle chose », cela partira toujours de la perspective de ce dernier et nous l’aiderons ensuite à élargir sa perspective ou à adopter un nouveau regard sur les situations saillantes pour lui.

« Tous les joueurs ont à un moment donné une opportunité d’interagir spécifiquement avec le staff, sur ce qu’ils ont pu produire et le sens qu’ils ont donné à la période écoulée »

Très rapidement, nous sommes capables de mesurer les effets produits chez certains joueurs avec ce type de structure. Il devient de plus en plus maître de son projet et dégage une forme d’assurance sur le terrain.

C’est un autre élément de notre vision, nous voulons que le joueur devienne progressivement maître de son projet et si certains ont peut-être plus de ressources au départ grâce à leurs expériences de vie ou la façon avec laquelle ils ont été très tôt responsabilisé, il convient de s’ajuster à l’histoire de chacun en créant les contextes les plus adaptés et en leur offrant le temps opportun pour opérer ces transformations.

L’histoire est un élément récurrent dans vos propos. Pourquoi ?

En effet, nous accordons beaucoup d’importance à leur histoire. Dans le process de recrutement et avant qu’ils arrivent au club, nous essayons de « saisir » leur histoire. Johann Marien le responsable du recrutement au niveau du groupe formation l’incarne parfaitement en prenant le temps suffisant pour s’intéresser à ce qu’ils ont pu vivre avant, les modalités d’interaction qu’ils avaient avec leurs précédents entraîneurs, la façon avec laquelle ils ont grandi, les situations difficiles qu’ils ont pu rencontrer et sur lesquelles ils ont pu s’appuyer pour continuer à grandir, les événements saillants, etc.

Il est aussi impératif de connaître finement l’histoire du jeune de sa propre perspective, c’est-à-dire la façon avec laquelle il interprète et réinterprète des évènements qu’il considère comme saillants, d’identifier les expériences qu’il a pu construire dans le temps et sur lesquelles nous allons pouvoir nous appuyer et capitaliser ensuite. Par exemple, un joueur qui a déjà vécu difficilement l’éloignement avec sa famille et qui a réussi tout en étant aidé à dépasser cette difficulté, c’est pour nous une ressource supplémentaire à son intégration dans notre structure.

Ensuite, la façon avec laquelle il se comporte en présence de ses parents est riche d’intérêt. Est-ce que ce sont eux qui prennent les initiatives à sa place et il les suit ? Est-il déjà capable de s’affirmer en leur présence ? Peu importe l’âge, à 14-15 ans, certains joueurs possèdent certaines ressources qui sont déjà très intéressantes par rapport à ce que nous évoquions plus tôt sur le fait que le jeune porte déjà en lui ses rêves. Ensuite, et en lien avec la volonté du joueur de devenir maître de son projet, il faut qu’il soit capable d’être l’auteur de sa propre histoire et nous commençons à travailler sur cet aspect.

A travers les parcours de développement individualisés (PDI), vous vous focalisez sur l’identification et le développement des superpouvoirs par le joueur. Cependant, avoir conscience de ses faiblesses ou besoin est aussi un élément important ?

Je vais partir d’un exemple récent. Lorsque Bamo Meité est arrivé l’année dernière, son super-pouvoir s’exprimait dans les duels défensifs, mais il pouvait être aussi en difficulté sur les sorties de balles. Il n’avait probablement pas assez eu cette sensibilité sur l’interprétation du jeu dans son parcours jusque-là et ses performances exprimaient qu’il était plutôt démuni sur cette compétence lorsqu’il était sur le terrain.

Néanmoins, lorsqu’il a pu progressivement développer des connaissances sur le jeu par le jeu grâce, aux analyses et débriefings individuels et collectifs réalisés par le staff ou avec ses partenaires, certains espaces sont devenus progressivement perceptibles par lui-même au cours du jeu et il a pu alors commencer un processus d’exploration.

A ce niveau, il a ensuite pris conscience qu’il n’avait pas encore suffisamment de ressources techniques pour exploiter ces opportunités qu’il percevait pourtant de mieux en mieux ; il s’est alors mis au travail pour élargir ses possibilités d’action en mobilisant différentes ressources présentes dans l’environnement. Il travaillait d’abord individuellement pendant les séances avec cet objectif à l’esprit. Il travaillait aussi en dehors et là, une dynamique vertueuse s’est installée dont on ne peut jamais anticiper ce qu’elle va devenir.

Simplement, peu importe, réussite ou échec, il continuait. Maintenant, nous voyons un joueur qui semble s’exprimer assez naturellement sur ce moment du jeu. Ce n’est peut-être pas le meilleur, mais il est largement au niveau attendu et bien lui en a pris de réaliser ce travail avant son arrivée chez les professionnels.

Cet exemple est très inspirant pour nos jeunes joueurs car Bamo ne s’est jamais caché. Florian Delestrain (responsable du recrutement pour le groupe réserve) avait notamment identifié dans son parcours de formation, que c’était quelqu’un qui était capable de prendre des initiatives et qui ne craignait pas d’affirmer qui il était. Il a considéré qu’il avait de bonnes dispositions pour pouvoir travailler au sein de notre environnement. Bien lui en a pris.

Donc si nous revenons à votre question de départ, c’est l’analyse de sa performance match après match qui a été l’élément déclencheur pour Bamo de sa transformation. En partageant le même constat, à savoir que dans la construction du jeu, il n’était pas performant, il a fallu interagir avec lui pour en comprendre les raisons. Nous savions que cela n’allait pas être sa force principale, mais il était évident que c’était une compétence qu’il devait développer.

« Dans la méthodologie, il y a cette création de structures propres à chaque groupe et à l’histoire de chaque joueur, sur lesquelles le staff et moi-même allons ensuite pouvoir capitaliser. »

Cette année, pour le groupe formation, nous avons créé une nouvelle structure que nous avons défini comme « le solde du match ». L’un des aspects intéressants, c’est que pour faire le solde de son match, le joueur doit avoir revu et/ou analysé son match.

S’il n’a pas revu son match, il ne peut pas faire le solde, parce que nous n’aurons pas d’élément. Indirectement, cela crée les conditions d’apporter un sens nouveau à l’outil vidéo, parce que cela vient du joueur et de ce qui le touche. Il se dira : « est ce qu’au cours de ce match j’ai exprimé mes superpouvoirs ? Quelles en ont été les conditions, individuelles et collectives ? Quels problèmes ai-je rencontré ? Les ai-je surmontés ou non ?».

Cela donne des éléments d’information au staff et lorsque ce dernier aura fini son analyse, il y aura un deuxième temps dans la semaine pour redébriefer à partir de ce que le joueur avait exprimé et vécu. Petit à petit, nous observons des joueurs qui évoluent et donnent un sens différent aux séances d’entraînement.

Dans la méthodologie, il y a cette création de structures propres à chaque groupe et à l’histoire de chaque joueur, sur lesquelles le staff et moi-même allons ensuite pouvoir capitaliser. C’est mouvant, cela bouge sans cesse. Cette année, cela avait du sens en U17 parce que les joueurs extérieurs qui venaient d’arriver au club et nos joueurs issus de notre préformation n’avaient pas tous ces éléments de langage associé aux superpouvoirs.

Cela a donc été une première étape d’acculturation, mais cet espace ritualisé a créé les conditions de transformations remarquables et d’autres que nous n’avons pas encore perçues. Ces espaces ont eu notamment des effets sur la « qualité » de la collaboration entre l’entraîneur et le joueur car il ne faut pas oublier qu’un climat favorable est nécessaire à l’émergence de ces échanges, sinon cela peut aussi devenir rapidement une coquille vide.

Justement, un certain nombre d’éléments tendent à montrer que la sécurité psychologique est l’une des composantes clés partagée par les groupes les plus performants. En effet, leurs membres ont la conviction qu’ils ne seront pas moqués, ridiculisés ou punis, lorsqu’ils partagent des idées, posent des questions ou commettent une erreur. Comment développez-vous ces espaces permettant aux joueurs, staffs, etc. d’exprimer leurs pensées dans les meilleures conditions ?

Au niveau des joueurs, l’un des éléments qui me semble le plus important concerne la qualité de la relation établie entre les staffs et le joueur. Les revues et les soldes du match dont je parlais plus tôt ont notamment pour objectif de créer cette proximité entre eux, proximité qui va permettre au joueur d’exprimer de plus en plus librement sa perspective sur le jeu et ses performances. La répétition de ces structures dans le temps créé alors de façon insidieuse les conditions d’échanges plus informels et là ça devient vraiment très bénéfique sur le terrain.

Un autre élément participant à l’émergence de cette sécurité réside dans la façon avec laquelle chaque staff module l’analyse de la performance individuelle des joueurs. Sans rentrer dans les détails, chaque joueur dispose à l’issue de la compétition d’un montage vidéo de ses actions impactantes et qui repose sur une codification propre à chaque staff.

En s’appuyant sur les dynamiques individuelles de chaque joueur (c’est-à-dire sur ce qu’il exprime en situation de compétition), les staffs ajustent leurs analyses pour encourager par exemple le joueur à continuer à rechercher des solutions inhérentes à un problème de jeu ou en les sensibilisant au travail qu’il reste à accomplir par rapport à un niveau d’exigence supérieur.

Dans le parcours de formation, la représentation de l’erreur par les staffs apparaît donc comme un élément crucial à analyser et discuter car il s’agit de créer l’environnement où chaque joueur soit en capacité d’explorer et de tester librement de nouvelles façons de faire ou de mieux faire tout en devenant progressivement efficace. La littérature a d’ailleurs récemment interrogé les conditions d’expression de la sécurité psychologique dans le sport de haut-niveau, en insistant sur la relation entre certaines initiatives et les conséquences pouvant survenir (article de Taylor, Collins § Ashford, 2022).

Ensuite, concernant les staffs, le premier élément, c’est qu’aucun entraîneur n’est jugé sur la position occupée en fin de championnat. Le but que nous devons tous partager, c’est d’accompagner le maximum de joueurs en capacité de s’exprimer avec les professionnels. C’est ce sur quoi nous allons être jugés. Dans les PDI, lorsqu’un joueur exprime un certain nombre de potentialités face à des adversités de référence, répétées dans le temps, il doit devenir aisé de dire que le niveau est validé et que le joueur doit passer à une autre étape.

« Dans le parcours de formation, la représentation de l’erreur par les staffs apparaît donc comme un élément crucial à analyser et discuter car il s’agit de créer l’environnement où chaque joueur soit en capacité d’explorer et de tester librement de nouvelles façons de faire ou de mieux faire tout en devenant progressivement efficace. »

Nous avons par exemple un 2006, qui aurait pu jouer encore en U17 cette année, qui est passé au bout de 3 mois avec les U19 puis qui a intégré le groupe d’entraînement réserve en effectuant ses premières feuilles de match avec la N2. A partir du moment où il avait validé le niveau U17, il n’a plus jamais été question qu’il joue à ce niveau de compétition. Le niveau d’adversité généralement présent n’était plus assez suffisant pour qu’il continue à se développer. C’est quelque chose qu’il faut entendre et qui est facilité par cette vision partagée.

A certains moments, nous pourrons aussi réajuster. Peut-être que dans l’avenir, si nous avons l’opportunité de jouer un match pour un titre ou une place en playoffs, nous pourrions peut-être assurer la continuité au sein du groupe, par exemple, car il s’agirait d’une opportunité supplémentaire dans le parcours de nos joueurs.

Pour les staffs, nous avons aussi créé des structures que nous appelons comités d’entraineurs. Nous y abordons des problématiques exprimées par l’un d’entre eux avec des images et des éléments factuels. Nous mettons tout le monde en interaction autour de cette problématique et nous partageons. De mon côté, j’essaie d’enrichir les échanges et réflexions avec des apports scientifiques.

Nos staffs sont composés de personnes provenant d’horizons très divers. Frédéric Bodineau, le directeur du centre de formation vient du milieu fédéral tout comme notre responsable des gardiens de but Mickael Grondin. Arnaud Le Lan et Benjamin Genton ont leur vécu de joueur professionnel et même de staff pro pour Benjamin. Guillaume Moullec est également un ancien joueur professionnel. Nous avons de jeunes éducateurs comme Anaïs Bounouar et Ruddy Ebondo.

Moi, même si j’ai passé mes formations fédérales, j’ai plutôt un parcours universitaire tout comme nos deux préparateurs athlétiques Corenthin Cornet et Alexis Denissel ainsi que notre analyste vidéo Simon Guillou. Le staff pro peut aussi interagir pour présenter les difficultés qu’ils rencontrent et la manière dont ils les gèrent au sein du groupe professionnel. L’ensemble de ces interactions participant à l’émergence d’une culture partagée.

Je ne manque pas de souligner la coopération remarquable et la forte proximité qui existe entre l’ensemble des staffs.  Chacun étant disposé à échanger, aider ou soutenir son collègue sur le terrain et en dehors et je considère que c’est un élément qui nous caractérise et dont nous pouvons être fiers.

J’ai eu l’occasion de participer récemment au séminaire des staffs des équipes de France de rugby et c’était également très inspirant à cet égard. Les différents staffs des équipes de France jeunes (masculines et féminines) étaient réunis et c’était incroyable d’observer les échanges entre le sélectionneur du XV de France et l’entraîneur des U18 féminines, par exemple. C’est quelque chose de beau, mais je me dis que finalement ce devrait être aussi la base lorsque nous partageons les mêmes finalités.

Dans l’esprit, c’est un peu ce que nous faisons également à travers nos comités d’entraineurs. Lors de ces moments, nous pouvons retrouver des éléments en relation à notre jeu (expression des piliers du jeu FCL), au recrutement, aux conditions de la responsabilisation ou encore à l’activité des staffs en contexte de compétition. Ce dernier aspect est une aide que nous leur offrons. Nous interrogeons leur activité, eu égard à notre vision. Est-ce que vous avez favorisé la construction de l’autorité du joueur sur ce match ? Ce sont juste des questionnements et des axes de réflexion en lien avec le partage de notre vision.

« L’adaptation aux imprévus fait partie du jeu et la manière avec laquelle nous allons réagir va créer les conditions de l’expression de l’équipe et des joueurs. »

A titre d’exemple, nous souhaitons plutôt leur offrir un certain nombre d’informations comme le nombre d’interactions qu’ils ont eu avec chaque joueur, la nature de ces interactions (prescription, feedback, encouragement…), les moments de ces interactions, etc. et nous cherchons ensuite à observer les transformations dans le temps de ces interactions entre l’entraîneur et chaque joueur.

Nous pensons que dans le management des PDI, c’est quelque chose de crucial. Nous ne pouvons pas interagir de la même manière avec chaque joueur. Cela semble une évidence à dire, mais comment le manageons-nous ? L’apport de ces informations me semble être déjà un bon début pour questionner et aider les staffs.

Que l’entraineur se dise alors au début du match « OK, par rapport à tel joueur, voilà comment je vais me positionner sur ce match », c’est déjà une manière de se préparer à la compétition tout en accompagnant de façon plus pertinente le parcours de chaque joueur. Cela peut aussi lui permettre d’être moins vulnérable à des événements de jeu, des circonstances, des aléas qui font partie de la compétition, mais qui peuvent aussi le faire souvent sortir de sa mission première.

C’est ce que nous disait récemment Claude Fauquet sur les aléas. L’adaptation aux imprévus fait partie du jeu et la manière avec laquelle nous allons réagir va créer les conditions de l’expression de l’équipe et des joueurs. Sur certains matchs, l’activité des staffs a pu changer de façon brutale et nous avons alors observé quasi-systématiquement une influence immédiate sur l’expression de l’équipe et de fait sur la dynamique individuelle.

En National 2, c’est très intéressant à observer, parce que nous faisons face à des joueurs adverses qui sont beaucoup plus matures, rusés et très expérimentés. Lorsqu’ils voient, par exemple, que notre équipe est en train de prendre un peu le dessus, ils usent d’autres artifices pour nous déstabiliser. Parfois ils arrivent à nous leurrer, parfois pas et c’est très enrichissant. C’est là que nous développons de nouvelles ressources tant collectives qu’individuelles.

Au même titre que les joueurs, nous pourrions aussi dire que les coachs ont un PDI ?

Oui en effet. Lorsque nous analysons leur activité en compétition, nous prenons comme point de départ qui ils sont, leurs sensibilités, leurs préoccupations et un ensemble d’éléments qui orientent leur façon de se comporter en situation. L’idée n’est pas de leur dire « nous avons ce modèle là que nous voulons appliquer », c’est surtout de les amener à avoir de plus conscience de l’histoire et des dynamiques dans lesquelles sont en train de s’inscrire chacun de leurs joueurs tout en ayant cette grande image en tête : la construction de l’autorité du joueur.

Sur cette mission, Alexis Denissel (Stagiaire Préparateur Athlétique § M2 EOPS) m’a aidé sur la catégorie U17, dans le cadre de son mémoire. Nous avons observé quelque chose d’intéressant, c’est que sur cette catégorie, le nombre d’interactions entre Anaïs et les deux avant-centres était à un rapport de 1 pour 3.

Le joueur qui avait trois fois moins d’interactions est un garçon qui en plus est très sensible aux feedbacks apportés par le staff et il pouvait exprimer une forme d’incompréhension dans la façon avec laquelle il était accompagné. Sans éléments factuels, il était difficile de dire autre chose que si : « mais si, tu en as ». Nous avons donc analysé un match et effectivement, cela donnait plutôt des éléments en sa faveur.

Et pour le joueur qui avait reçu trois fois plus de communication de la part d’Anaïs, le danger c’était peut-être d’avoir l’illusion qu’il était en train d’avancer, alors que c’était peut-être plutôt parce qu’il a été un peu trop « éveillé » par le staff qu’il avait été capable de répondre à certaines problématiques de jeu.

Nous parlons « d’éveil » par exemple, en appelant le joueur par son prénom, cela peut l’alerter sur le fait qu’il a quelque chose à faire. L’enjeu a été alors de voir ce qu’il se passait, en modulant intentionnellement ses interactions avec lui. C’est ce qu’Anaïs a fait sur un match du championnat et nous avons pu tous constater que ce joueur était plus en difficulté sans cet éveil. Démuni de cette aide extérieure, il était incapable de résoudre les problèmes posés par l’adversaire.

Encore une fois, cela nous interroge sur la création des conditions qui vont permettre au joueur de développer sa propre autorité. À un moment donné de son parcours, l’éveil peut être intéressant, mais si cela devient récurrent cela va créer une relation de dépendance entre lui et l’entraîneur et ce n’est pas ce que nous recherchons.

Comme Régis l’a dit en arrivant chez les pros : « l’élément qui m’a le plus surpris, c’est que je ne peux plus interagir avec mes joueurs. Ils ne m’entendent pas ». En partant de cette idée-là, il faut donc que le joueur devienne capable de décider et d’agir par lui-même en coopération avec ses partenaires au cours de son parcours. C’est cette l’intention qui doit tous nous guider.

Mais attention, cela ne signifie pas qu’il ne faut plus interagir avec les joueurs, je dis juste qu’il faille le faire différemment et surtout en s’appuyant sur la dynamique d’évolution du joueur en relation avec l’interprétation des situations. Là est toute la compétence de l’entraîneur comme un des accompagnateurs du joueur.

Etant donné qu’à haut niveau, le coach n’est plus en mesure de se comporter comme un « marionnettiste » avec les joueurs durant un match, cela met en évidence l’influence de la situation de compétition sur la conception de situations d’apprentissage représentatives et les conditions de communication de feedbacks.

Tout à fait. Cela influence effectivement les opportunités offertes à l’entraînement et la façon avec laquelle nous nous représentons la place de l’entraînement dans le développement du joueur et de l’équipe.

Par exemple, en s’appuyant sur les travaux de Katrien Fransen et de ce qui est réalisé au rugby sur le développement du leadership, nous avons continué à avancer depuis la saison dernière sur l’animation de « bulles collectives » lors des entraînements.

L’entraînement offre pour différents joueurs les possibilités d’expérimenter l‘animation de ces bulles sur (a) un moment de reconnexion ou de relâchement (b) l’évocation du ou des problèmes rencontrés et/ou (c) les solutions envisagées pour résoudre ce ou ces problèmes entre-eux. Cette animation nécessite certaines compétences tant dans la connaissance et l’interprétation du jeu que dans la capacité de s’affirmer face au groupe.

Toutefois, la compétition reste une situation singulière qu’aucune situation d’entraînement ne pourra simuler totalement. L’exemple qui caractérise le mieux ce constat a été l’évolution du comportement d’un joueur évoluant avec les U19 Nationaux. Benjamin avait beau faire des debriefings avec lui et le sensibiliser à certains aspects du jeu notamment en défense placée, il n’arrivait pas à le toucher.

Un jour, à la 92ème minute de jeu, il n’a pas fait ce qu’il « aurait dû faire » pour résoudre le problème en situation, nous prenons un but et nous perdons le match. Le visage fermé, il l’a pris pour lui. Il l’a aussi compris à travers le regard de ses partenaires. A partir de ce moment-là, l’information est devenue audible pour lui. Les conditions étaient réunies pour que la transformation s’opère et elle s’est opérée.

La formation pour moi est l’espace où Il faut laisser l’erreur se faire et si nous revenons à ce que nous disions plus haut avec les U17, l’éveil peut empêcher cela malheureusement. Alors la question se pose pour les staffs en U17, U19 et même en National 2. Nous sommes en formation, nous ne sommes pas dans la compétition pure et dure. Laissons l’erreur se produire, ce qui sera peut-être la condition d’une prise de conscience de la part du joueur et d’évolution incroyable.

Fiodor Dostoïevski écrivait « la Nature ne vous demande pas la permission, elle ne se soucie pas de vos souhaits, ni du fait que vous aimiez ou non ses lois. Vous êtes obligé de l’accepter telle qu’elle est, et par conséquent tous ses effets ». En d’autres termes, nous devons naviguer en sachant que nous serons parfois confrontés à des vents contraires et parfois favorables. Nous devons les accepter pour ce qu’ils sont et essayer de tirer le meilleur de chacune des situations auxquelles nous sommes confrontées. Comment appréhendez-vous cette idée d’acceptation ?

Lorsque je suis arrivé à Lorient, Régis m’avait dit « prends le temps d’observer ». Après quelques semaines d’observation, je lui avais dit que j’étais déjà rentré dans un cycle routinier. Tout était bien structuré, ce qui donnait beaucoup de robustesse et de confiance, mais cela pouvait également générer un état non favorable à la gestion des aléas.

Pour les joueurs, ce rythme était quasiment en opposition à la nature de la compétition, c’est à dire d’être présent à la situation. C’est dans ce sens que lorsque nous avions organisé, en début de saison, un stage chez les fusiliers marins, nous n’avions pas dit aux joueurs où nous allions. Lorsqu’ils sont arrivés, ils ne connaissaient pas le programme de la journée et au fil du temps, nous avons pu observer comment chacun se comportait face à ce qu’ils n’avaient pas l’habitude de vivre.

Globalement, le dernier a mis quatre heures avant de se dire « mais qu’est-ce qu’ils vont nous faire ? ». Durant la nuit, après deux réveils inopinés via l’explosion de grenades, certains joueurs se sont dit qu’il valait mieux rester éveillé au cas où il y aurait un autre réveil. Jusqu’à 6h00 du matin, ils se disaient « il va nous arriver autre chose ».

Les conditions d’entraînement sont aussi concernées par cette idée. Au XV de France, ils nous avaient expliqué un aspect du fonctionnement du staff de Fabien Galthié, que j’avais beaucoup apprécié. En séance, chacun de ses adjoints propose un scénario et c’est lui qui décide du scénario retenu, sans leur communiquer son choix. L’incertitude est donc totale pour le reste du staff et les joueurs.

Je me dis que par moments, c’est aussi cela les vraies conditions. Nous devons aussi créer à la meilleure façon de créer ces contextes riches en imprévisibilité sinon, nous pourrons courir le risque d’être dans l’illusion.

C’est là ou l’expérience des fusiliers marins est très riche, parce que leur performance repose sur leur capacité à décider sous des situations imprévisibles et stressantes. À tout moment, une situation peut drastiquement se détériorer. Lorsque Alasdair McKenzie évoque ses ascensions, il nous dit qu’à tout moment, un sérac peut se détacher de la montagne. Les conditions météo sont tellement changeantes et évolutives qu’il est sans cesse en éveil et en train d’anticiper, de se réajuster au gré des contingences, etc.

Nous, à contrario, il nous arrive parfois de ne pas créer suffisamment ces conditions  lors des entraînements pour que les joueurs puissent être de plus en plus capables de faire face à l’incertitude. C’est un aspect auquel nous réfléchissons beaucoup et sur lequel nous nous interrogeons beaucoup.

Cette année, certaines équipes en Ligue 1 comme Marseille, Lens ou encore Reims, ont proposé des animations auxquelles nous n’étions pas habitués, mais auxquelles il a fallu faire face. Percevoir les espaces que ces équipes laissaient, qui pouvaient être parfois énormes, mais auxquels nous n’étions pas suffisamment sensibles en situation malgré leur identification à la vidéo.

D’ailleurs, cela ne concerne pas uniquement le terrain même s’il s’agit de la finalité, mais aussi ce qu’il s’y passe en dehors. Peu importe les contextes dans lesquels nous sommes situés, nous exprimons une façon d’être à la situation, qui est le fruit de l’ensemble des expériences que nous avons pu construire.
Dans le cadre des PDI, nous construisons par exemple des scénarios individuels sur cette dimension.

En partant du jeu et des difficultés que le joueur a pu exprimer et/ou que nous avons pu observer sur le terrain comme par exemple la capacité de décision sous stress ou de gérer des situations d’inconfort, il nous arrive de construire des scénarios dans d’autres contextes comme avec les fusiliers marins. Le joueur a sa propre mission, il va rencontrer des imprévus planifiés et non planifiés qu’il va devoir appréhender et dépasser s’il veut la réussir. Nous débriefons ensuite tous ensemble et nous observons dans le temps comment il est capable d’exprimer de nouvelles choses sur le terrain, etc.

Cela fait une nouvelle fois une pierre deux coups, en nourrissant les PDI et en renforçant notre ancrage territorial qui est fondamental pour nous. Il s’agit de l’élite de la marine française, ils sont situés à 10 kilomètres de chez nous, ils expriment une forme de dépassement, de rusticité, d’esprit de corps, cela semble assez logique de créer des connexions avec eux.

Finalement, pour faire évoluer la culture d’une organisation, la culture FCL, est ce que le meilleur moyen n’est pas d’être capable de s’extraire de cette culture pour mieux y revenir ?

C’est un moyen que nous utilisons beaucoup. Il faut être capable de s’ouvrir sur l’extérieur, de voir ce qui se passe dans d’autres clubs, dans d’autres sports, dans d’autres milieux. Nous essayons de nous ouvrir, mais aussi de nous exposer, en invitant des personnes de l’extérieur à venir chez nous. Nous présentons notre manière de faire, notre méthodologie à différents niveaux, nous échangeons et cela nous interroge en retour sur leurs façons de faire, sur les problèmes qu’ils rencontrent.

L’ensemble de ces échanges nous interroge sur notre propre culture et l’enrichit. Elle est sans cesse en mouvement. J’ai mon background universitaire, mais ce que j’ai le plus appris ici depuis deux ans, à travers les échanges avec tout le monde, c’est la nécessité d’une vision partagée, des structures nécessaires à la communication, à l’analyse et à l’enrichissement de cette vision puis de la méthodologie qui renferme l’ensemble des conditions pour favoriser l’émergence de jeunes joueurs en capacité de s’exprimer chez les professionnels.

Avant, ces concepts n’avaient pas forcément beaucoup de sens pour moi. Maintenant, je réalise que si ces aspects ne sont pas extrêmement clairs et partagés, c’est très compliqué. Il pourrait avoir beaucoup d’initiatives et de volonté individuelles, mais qui ne seraient pas suffisamment coordonnées vers un objectif ultime. C’est ce qu’il y a de plus dur et de plus beau aussi. Lorsqu’on voit Lens, c’est inspirant. Nous voyons tout ce qui se passe là-bas et nous nous disons, sans aucune jalousie, mais avec beaucoup d’envie « nous aussi, nous pouvons ».

La « capacité de devenir » semble aussi être un élément important du projet au FCL ?

Il se passe parfois des transformations insoupçonnées comme évoqué précédemment avec Bamo. Si quelqu’un nous avait dit au début de la saison qu’il s’installerait dans le 11 du FCL en deuxième partie de saison, nous nous serions peut-être dit que ce serait top, mais que nous partions de loin.

Dans le sport de haut niveau et le football, on peut pourtant observer ce type de transformation, qui ne part aussi jamais de rien. En étant à l’intérieur et en connaissant l’histoire, cela donne beaucoup de consistance à notre message et à notre méthodologie, sur les ingrédients à mettre, à exprimer, à développer, à incarner, pour pouvoir devenir un meilleur joueur et le produire sur le terrain. Parce que la finalité, c’est d’être performant sur le terrain.

C’est remarquable d’observer toutes les situations qu’il a rencontrées, qu’il a réussies à dépasser et sur lesquelles il s’est appuyé pour continuer à grandir. Maintenant, il va avoir d’autres défis qui vont arriver, c’est sans fin.

Ces imprévus peuvent être accueillis de différentes manières. Ils peuvent être envisagés comme une opportunité que nous n’avions pas imaginée, qui va nous permettre de pouvoir travailler différemment et de continuer à grandir. Lorsque nous sommes au plus haut, nous pourrions nous dire que l’objectif est de se maintenir, mais non, l’ambition c’est d’aller encore plus haut. Une culture, c’est aussi de créer cela chez l’ensemble des collaborateurs, d’avoir et de porter cette ambition de devenir meilleur chaque jour.

Donc, créer cette culture au niveau du club est quelque chose de très important ?

Exactement. A terme, nous pourrions avoir pour ambition qu’un joueur, lorsqu’il arrive au club, se dise que s’il veut rentrer dans ce groupe d’entraînement, il n’a pas le choix. Dans son livre (Grit), Angela Duckworth prenait l’exemple de nageurs qui, lorsqu’ils intégraient des groupes de natation de haut niveau, adoptaient la culture d’entrainement de ce dernier, sans se poser de question. C’était une condition tacite pour en faire partie et il n’y avait pas de discussions pour les présenter.

Nous manquons encore ici au club de modèles inspirants pour que justement, ce type de comportement émerge. Que le joueur se dise que pour rentrer dans tel ou tel groupe, il n’a d’autre choix que de s’engager d’une manière spécifique. Lorsque nous atteindrons ce point, nous franchirons alors une étape importante.

La première page de votre thèse introduisait vos travaux avec la citation suivante de Johann Wolfgang von Goethe : « Au fond, on ne sait que lorsqu’on sait peu ; avec le savoir croît le doute…». Pourquoi ce choix ?

Plus nous creusons un sujet, plus nous nous ouvrons à de nouvelles problématiques qui continuent de nous réinterroger. Plus notre connaissance avance et plus notre conscience de l’immensité de l’inconnu grandit. Finalement, ce que nous savons est relativement minime par rapport à toute l’étendue des savoirs.

C’est comme lorsqu’on lit un article et que celui-ci nous renvoie à la lecture de dix nouveaux articles. Ç’est un phénomène que tous les thésards et férus de lecture connaissent. Cette lecture nous aura peut-être permis de répondre à une question, mais dix autres en auront émergé.

Je n’ai jamais de certitude au sens « c’est comme ça et cela ne changera pas ». Les choses sont mouvantes. Nous avons une vision, des choses que nous pourrions qualifier d’assez solides, mais la manière de l’opérationnaliser, de l’interroger, de l’adapter, bouge sans cesse. C’est la confrontation sans cesse au réel, qui va nous permettre de dire « Est ce que nous sommes dans la bonne direction ? Est-ce que nous devons changer ? ».

C’est aussi le fruit de mon éducation d’une certaine manière. Il y a tellement d’éléments à prendre en considération, que je ne peux pas avoir la prétention de penser tout maîtriser. Avoir l’humilité de se dire que parfois, nous ne maîtrisons pas tout, c’est aussi accepter d’être démuni, de ne pas être performant à un instant donné. Faire le meilleur avec ce que l’on a à un instant donné.

C’est aussi une phrase que j’avais même imprimée en arrivant ici, parce que l’on m’avait rapidement collé l’étiquette d’intellectuel, ce qui est très facile lorsqu’on a un doctorat et que l’on arrive dans un club. Je leur avais dit « Si vous lisez ma thèse, vous verrez que la première page est peut-être la plus intéressante. J’ai plus de doutes qu’autre chose ». Des éléments de réflexion, des axes d’interrogation, j’en ai, en revanche, dire « il faut faire ci et ça », ne comptez pas sur moi.

Si nous voulons réellement que notre vision soit partagée, il faut que les coachs en soient porteurs.  Donc, à moi de les interroger et d’enrichir leurs perspectives au quotidien pour qu’ils le deviennent. Par exemple, sur les soldes de match, c’était une idée à l’origine que j’avais proposé à Anaïs, qu’elle s’est progressivement appropriée, qu’elle a pu expérimenter et façonner, constater les effets et maintenant, c’est elle qui le pilote. Finalement, une partie de mon rôle est là, c’est d’accompagner les staffs au service de notre vision.

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