Passé par l’Olympique Lyonnais, le FBBP 01, Lyon La Duchère ou encore le FC Lyon, Jordan Gonzalez est aujourd’hui l’entraineur principal du FC Versailles (National).
Il nous propose un éclairage sur son parcours, son rapport au jeu ou encore la modélisation de la performance.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Qu’est-ce que le football représente pour vous ?
Le football a façonné l’homme que je suis aujourd’hui. Je baigne dedans depuis petit parce que j’y jouais et parce que c’était un élément central de ma vie familiale. Un vrai moment de partage et d’échange avec mon père, mes frères, mes cousins. C’est également grâce au football que j’ai connu certains amis d’enfance, qui sont toujours mes amis.
Cela m’a aussi forgé une certaine personnalité, cela m’a ouvert. Je pense que j’ai vraiment évolué sur le plan humain et social grâce à lui. Si je n’avais pas pu faire du football un métier, je me serais peut-être orienté vers quelque chose en lien avec le social ou l’éducatif.
Cela a toujours été une passion et cela m’a toujours pris beaucoup de temps, mais au fil des années, cette passion a évolué. J’avais au début une passion de supporter comme beaucoup d’enfants et de jeunes, puis petit à petit elle a laissé la place à une passion pour le métier d’entraîneur.
Comment s’est opérée votre transition de joueur et passionné, à entraîneur ?
La transition s’est faite assez naturellement. J’ai commencé à entraîner à l’âge de 17 ans dans un petit club de quartier de la région lyonnaise, d’abord comme une seconde activité, tout en continuant de jouer. Au départ, je voulais simplement partager et découvrir une autre facette du football que j’appréciais.
J’ai très vite pris goût à ce rôle et je me suis dit : « pourquoi ne pas me former et me professionnaliser ? ». J’ai assez rapidement eu des propositions et des sollicitations pour travailler dans des clubs amateurs, et l’un d’entre eux m’a même proposé un contrat de travail.
C’est à ce moment que j’ai dû faire un choix. J’étais un joueur de niveau régional et j’ai décidé de prioriser le métier d’entraîneur. Je me suis donc progressivement détaché du statut de joueur. Je continuais de prendre des licences et de dépanner en équipe réserve, mais je me suis concentré et consacré à l’entraînement, pour me professionnaliser dans cette nouvelle voie.
Comment avez-vous abordé cette phase de professionnalisation, et quelle a été votre approche pour structurer vos idées et construire votre cohérence en tant qu’entraîneur ?
Mon seul regret, quand j’ai voulu me professionnaliser, c’est de ne pas avoir suivi un parcours STAPS, qui était le cursus de référence à l’époque. Par ailleurs, je n’étais pas très scolaire, et les opportunités de formation n’étaient pas aussi nombreuses qu’aujourd’hui.
J’ai donc commencé par les diplômes fédéraux (Initiateur 1, Initiateur 2 et Animateur Senior), avant de faire un BPJEPS sports collectifs mention foot. C’est grâce à lui que j’ai pu décrocher un contrat en alternance et mettre un vrai premier pied dans le monde des clubs. Cela m’a ouvert l’esprit et permis d’intervenir sur différents aspects du fonctionnement d’un club. J’étais une véritable ressource pour celui-ci, pas seulement un entraîneur et cela s’inscrivait dans une volonté de pérenniser cet emploi.
« Le fil conducteur de mon évolution est lié à ma vision de ce sport comme un vecteur de plaisir et de partage »
À 21 ans, j’ai continué ma progression en passant le brevet d’État, un diplôme plus en lien avec le terrain. Pour combler mes lacunes, j’ai même poursuivi avec un diplôme universitaire en management. C’était ma manière de continuer à élargir mes compétences et de rattraper le retard accumulé durant mon parcours scolaire.
Au fond, le fil conducteur de mon évolution est lié à ma vision de ce sport comme un vecteur de plaisir et de partage. Au début, je ne pensais pas en faire un métier, l’idée était de donner envie aux jeunes de prendre du plaisir, d’en donner au public, et de rendre fiers leurs parents. Je me reconnaissais dans des équipes qui avaient cette même démarche, alors j’ai gardé cette ligne de conduite.
« Je m’inspire de tout pour l’adapter à mon propre contexte et ma philosophie. »
Je n’avais pas d’ambition particulière, pas de plan de carrière. Mais les dirigeants du club où j’étais m’a donné de plus en plus de responsabilités, parce qu’ils étaient satisfaits de mon travail et de ma relation avec les joueurs. Face à ces nouvelles responsabilités, je me suis posé la question suivante : « Est-ce que j’ai les épaules pour assumer ? Et est-ce que j’ai les compétences ? ». C’est ce questionnement qui m’a poussé à toujours chercher ce qui me manquait.
Pour grandir, je suis allé chercher ces compétences par le biais de formations, d’échanges avec d’autres personnes, en essayant de m’approprier leurs expériences. C’est comme cela que je me suis construit. Aujourd’hui, je continue à me renouveler constamment, en regardant ce qui se fait de mieux ailleurs, mais aussi ce qui se fait à des niveaux plus modestes, car je n’oublie pas d’où je viens. Je m’inspire de tout pour l’adapter à mon propre contexte et ma philosophie. C’est cette approche qui me permet de progresser et de me sentir plus fort.
Définir une vision est un aspect important dans un projet. Définir cet idéal qui n’est pas immédiatement atteignable mais qui inspire toutes les parties prenantes du projet, jour après jour. C’est un peu ce à quoi l’on doit aspirer en permanence. Pour vous, quel est cet « idéal » ?
Ma vision se décline en deux idéaux que je poursuis. D’un point de vue personnel, c’est de me demander si je peux devenir un très grand entraîneur. Je ne me fixe pas de limites. Je me demande si, un jour, je pourrai être considéré comme les plus grands le sont aujourd’hui.
C’est un rêve, quelque chose qui peut paraître inatteignable, mais c’est aussi ce qui me pousse à me fixer des objectifs élevés pour avancer. Je m’inspire de ces grands noms tout en restant moi-même, car ma force, c’est ma personnalité. Mon objectif, c’est de savoir si, un jour, je serai un entraîneur de niveau européen, voire mondial.
D’un point de vue club, c’est de toujours essayer de trouver l’endroit adapté, où la philosophie et la vision sont alignées avec ma propre approche du management, des ressources humaines et du bien-être des joueurs. L’objectif est que mon équipe puisse mettre en place le projet de jeu que j’idéalise en tant que coach. Ces deux idéaux, l’un personnel et l’autre professionnel, sont mes leitmotivs au quotidien.
Justement, comment connectez-vous les deux ?
Les deux sont connectés parce que si j’aspire à travailler dans les meilleures organisations sportives, avec des joueurs de haut-niveau, il faut que je sois moi-même constamment en alerte et que j’approche mon métier avec la rigueur du haut niveau. Pour cela, le travail est essentiel. Depuis mes débuts, j’ai dû rattraper beaucoup de choses qui peuvent être handicapantes dans ce métier. Je n’ai pas d’expérience de joueur de haut niveau ou de jeunes en centre de formation, par exemple, qui sont des éléments particulièrement valorisés dans le parcours de développement de l’entraîneur.
« Si j’aspire à travailler dans les meilleures organisations sportives, avec des joueurs de haut-niveau, il faut que je sois moi-même constamment en alerte et que j’approche mon métier avec la rigueur du haut niveau »
J’ai donc cherché à développer d’autres compétences, notamment sur les aspects organisationnels et structurels, la communication, etc. Pour essayer de me différencier, j’ai également mis l’accent sur le jeu. Mon objectif, était que l’on dise de moi que je suis un entraîneur qui fait bien jouer ses équipes, au-delà des victoires. Toutefois, j’ai aussi eu des résultats, même si l’humain a toujours été ma priorité. Je suis entraîneur, avant tout pour la relation avec les joueurs, le partage et la proximité. Le jour où cette fibre humaine disparaîtra, j’arrêterai.
« Bien faire jouer son équipe » a une signification différente pour chaque entraîneur et paradoxalement, la perception des observateurs extérieurs au processus sert souvent de mètre étalon pour évaluer la qualité du jeu proposé. Pour vous, qu’est-ce que signifie bien jouer ?
Pour moi, bien faire jouer une équipe, c’est d’abord créer une cohésion et un état d’esprit commun. La notion de solidarité et de vouloir faire les efforts ensemble, que ce soit en attaque ou en défense, est primordiale. D’un point de vue du jeu, j’aime que mes équipes soient dominantes et j’ai eu deux manières d’approcher cet aspect.
Lorsque j’entraînais des jeunes, je voulais dominer à outrance avec le ballon et, sans ballon, presser l’adversaire le plus haut possible. J’étais peut-être un peu trop obnubilé par ce que pouvait faire le FC Barcelone à cette période. Avec l’expérience, on évolue et j’ai compris que plus le niveau de compétition est élevé, plus il est difficile de maintenir une telle intensité pendant 90 minutes.
Aujourd’hui, être dominant signifie surtout dicter l’intensité du match. Même dans un temps faible, je veux que mon équipe soit capable de contrôler le jeu, d’orienter l’adversaire, de l’amener dans des positions où même si c’est un peu plus dur pour nous à ce moment-là, nous restons quand même maître de la situation et de l’orientation que nous voulons donner au match.
« Être dominant signifie surtout dicter l’intensité du match »
Nous devons donc avoir cette capacité à dicter l’intensité d’un match à la fois défensivement et offensivement avec l’objectif de marquer un but de plus que l’adversaire. J’aime le côté spectaculaire que peut avoir le football et donc proposer un jeu structuré qui va dans ce sens à travers une équipe composée de joueurs qui comprennent le jeu, qui sont capables d’agir de manière adaptée et de jouer ensemble. Quand j’échange avec un joueur, notamment en phase de recrutement, je cherche aussi à évaluer sa passion pour le jeu et sa capacité à le comprendre.
Avec les années, un autre élément m’anime de plus en plus : gagner. Être compétiteur et gagner sont devenus des aspects fondamentaux. Je cherche donc également cet état d’esprit de compétiteur et de la gagne chez mes joueurs. Je veux qu’ils soient agacés par la défaite, même lors de petits jeux à l’entraînement.
Prenons un exemple pour illustrer cette idée de “bien jouer” et sa relation avec la notion de résultat. Lors de la saison 2018-2019 vous étiez entraîneur des U17 nationaux du FC Lyon et vous perdez 6-1 contre l’OL en championnat. Votre équipe avait pourtant proposé un jeu offensif, très cohérent collectivement et plaisant à voir ce jour-là. Vous aviez d’ailleurs ouvert le score et malgré son évolution, vous n’avez jamais abandonné votre approche, même face à une équipe composée de joueurs aux qualités intrinsèques bien supérieures (Rayan Cherki, Bradley Barcola par exemple). Après-match, vous aviez souligné que votre manque d’engagement et de rigueur tactique ne vous avait pas permis d’espérer autre chose. Aujourd’hui, en mettant (un peu) de côté le résultat, quelle est votre lecture de ce match par rapport à la cohérence de ce que vous aviez proposé dans le jeu ?
Nous savions que la rencontre serait difficile, car l’OL était au complet, contrairement à leurs précédents matchs. Toutefois, dès le début de la saison, nous nous étions fixé une ligne de conduite : peu importe l’adversaire, nous jouerions de la même manière. Notre modèle de jeu devait être appliqué à chaque match, que ce soit à domicile, à l’extérieur, contre un club pro ou un club amateur.
Lorsque nous avons présenté cette ligne de conduite aux joueurs, certains étaient sceptiques, parce que leurs expériences passées les avaient habitués à ce que les discours changent en fonction des contextes. Pour les convaincre, nous avons présenté notre modèle de jeu avec des vidéos illustrant ce que nous attendions sur les sorties de balle, le pressing, les transitions, etc. Farès Chaïbi nous avait d’ailleurs dit: « Vous dites ça, mais quand on va jouer contre un club pro, on va rester derrière et jouer en contre. » Nous lui avions répondu que nous verrions bien le jour J.
« Dès le début de la saison, nous nous étions fixé une ligne de conduite : peu importe l’adversaire, nous jouerions de la même manière. »
La mayonnaise a pris dès notre premier match contre l’ASSE. Les joueurs ont vu que nous ne nous cachions pas, que nous allions assumer nos idées et que nous les poussions à jouer avec un maximum de liberté. Face à l’OL, le contexte était particulier. Toute la semaine, il y a eu beaucoup de communication autour de ce match et pour les jeunes du club, c’était quelque chose de nouveau et difficile à gérer. On sentait qu’il y avait de la pression : il y avait la télé, c’était à l’OL, etc. Nous étions premiers et eux deuxièmes du championnat à ce moment-là. Il y avait la possibilité, sur ce match, de faire l’écart et de vraiment se déclarer comme une équipe qui pouvait jouer les play-off. C’est surtout de ce point de vue là que j’avais affirmé que nous avions déjoué et que tactiquement nous n’avons pas été à la hauteur.
Sur le plan tactique, il est vrai que nous sommes restés fidèles à notre modèle de jeu. Néanmoins, là où nous avons été défaillants, c’est dans la prise d’initiatives et la place accordée au droit à l’erreur. Nous avons eu peur de prendre des risques, de faire des erreurs, parce que l’enjeu était trop grand. Nous n’avons pas joué un football “libéré”.
Nos idées étaient en contradiction avec nos actions. Nous prônions un jeu où nous voulions avoir le ballon, où nous étions en mouvement et où nous attaquions sans peur. Mais ce jour-là, la volonté de le faire était là, mais la peur nous a bloqués.
L’enjeu et la pression de l’environnement extérieur ont pollué notre performance. Le fait d’avoir ouvert le score si tôt, après seulement dix ou quinze minutes, a même été une source de problèmes pour nous. Inconsciemment, les joueurs se sont dit : « On va reculer un peu pour tenir le résultat ».
« Nous avons eu peur de prendre des risques, de faire des erreurs, parce que l’enjeu était trop grand. Nous n’avons pas joué un football libéré. »
C’est quelque chose que nous n’avions jamais travaillé, jamais voulu. Du coup, nous ne savions tout simplement pas le faire. L’OL a accéléré et nous sommes devenus spectateurs. Mon analyse était déjà celle-là à l’époque, et je la maintiens. Ce match a d’ailleurs été la plus grosse claque que j’ai jamais prise, mais elle nous a aussi été la plus utile. Le lundi qui a suivi, j’ai apporté des couches dans les vestiaires. Chaque joueur en avait une à sa place et je leur avais dit : « Vous avez eu peur ». Tout le reste de la semaine, je les ai malmenés avec ça : la peur, le fait de ne pas avoir osé jouer. C’était quelque chose dont nous devions absolument nous débarrasser.
D’ailleurs, au match retour, nous avons fait une prestation de très haut niveau. Nous avons perdu 2-1, mais dans le jeu, l’intensité et les initiatives prises, nous étions totalement libérés. C’est ce que j’avais reproché aux joueurs au match aller : nous avions le droit de perdre, surtout contre une équipe intrinsèquement plus forte comme l’OL, mais nous ne nous étions pas montrés nous-mêmes. Je leur avais dit qu’ils n’avaient pas joué le jeu. Certains d’entre eux doutaient du fait que nous, staff, irions réellement au bout de nos idées, mais ce jour-là, ce sont les joueurs qui n’y ont pas cru. C’est ce que je leur reprochais un petit peu.
Cette expérience nous a tous fait grandir. Malgré le 6-1, nous n’avons pas changé nos idées. Nous sommes restés fidèles à notre plan de jeu, même quand le score s’est aggravé. D’ailleurs, nous avons ensuite enchainé 14 matchs sans défaite. Mais ce jour-là, il nous a manqué le supplément d’âme et l’insouciance que nous avions sur les matchs précédents.
Prenons un autre exemple, mais cette fois pour illustrer la relation entre apprentissage et performance. En arrivant au FC Versailles en cours de saison, dans une situation sportive compliquée, vous étiez confronté à un défi : concilier l’apprentissage et l’adaptation des joueurs à votre méthodologie, avec l’exigence de performance immédiate. Quelle stratégie avez-vous mis en place pour faire rapidement adhérer toutes les parties prenantes et vous permettre de survivre assez longtemps pour laisser l’opportunité à vos idées de fonctionner ?
Pour moi, c’est la plus grande difficulté du métier aujourd’hui. A Versailles, le club a fait le choix de me recruter parce qu’ils voulaient essayer d’arrêter de faire des one-shot. Leur volonté était de trouver un entraineur qui pourrait construire quelque chose sur la durée, quelqu’un avec des idées et une vision claire.
Leur projet s’appuyait sur un certain nombre de valeurs et une certaine image que le club voulait dégager. Le jeu de l’équipe devait être le reflet de cette image. C’est pour ça que j’ai été sollicité et que j’étais dans leur « shortlist ». Je suis donc arrivé au club avec cette étiquette, ce qui a été une vraie chance, car cela m’a offert du temps.
Maintenant, c’est une chose d’être recruté pour ses idées, mais c’en est une autre de les appliquer en cours de saison. Je me suis retrouvé seul à la tête d’un groupe qui avait déjà un vécu avec un autre coach et cela a été un grand défi. J’ai fait face à ma plus grande difficulté : l’implémentation d’une nouvelle méthodologie d’entraînement.
« C’est une chose d’être recruté pour ses idées, mais c’en est une autre de les appliquer en cours de saison »
J’exige une très forte intensité et un engagement maximal en lien avec le modèle de jeu, des choses auxquelles les joueurs n’étaient pas habitués. Il nous a fallu plus d’un mois et demi, pour être très bons sur la dimension de l’entrainabilité et que les joueurs s’adaptent à l’approche, un processus qui s’effectue habituellement en présaison.
La difficulté était double. Il fallait à la fois intégrer une nouvelle méthodologie et obtenir des résultats en compétition. En ce sens, les joueurs sont toujours contents quand on leur demande comment ils veulent jouer. Ils veulent tous proposer un football attractif, qui plait au public, mais quand ça ne gagne pas, ils disent tous qu’ils veulent juste gagner. Il faut également du temps et les bons profils de joueurs pour mettre en place un modèle de jeu collectif et réfléchi.
Le fait d’avoir enchaîné six défaites sur nos six premiers matchs ne nous a pas facilité la tache. C’était extrêmement dur, car c’est dans ces moments-là que des joueurs peuvent commencer à douter et remettre en question le projet de jeu. Par ailleurs, un certain nombre de joueurs avaient déjà l’expérience du National ou de niveaux supérieurs et pensaient que mon modèle de jeu n’était pas adapté au championnat. Ils me disaient qu’on ne pouvait pas jouer au football comme je le voulais, à ce niveau. Pour moi, c’est une idée reçue. Il y a bien entendu des caractéristiques propres à chaque championnat, mais il n’y a pas qu’une seule manière de gagner. J’ai donc dû confronter mes idées aux leurs et essayer de les faire adhérer à ma vision.
« Il nous a fallu plus d’un mois et demi, pour être très bons sur la dimension de l’entrainabilité et que les joueurs s’adaptent à l’approche »
Malgré le contexte, je m’étais fait une promesse avant de rejoindre Versailles et je m’y suis tenu: ne pas me dénaturer. Le club m’avait fait venir pour mes principes, j’avais pris le risque de les rejoindre et je ne pouvais pas faire l’inverse de ce que je pense pour quelques mauvais résultats ou parce que les joueurs avaient des réticences à s’adapter au départ.
J’ai donc pris une décision radicale : c’était à eux de s’adapter à moi. Alors que d’habitude, je m’adapte quand même un peu à mes joueurs, là, j’ai eu une discussion franche avec le club. Je leur ai dit : « Nous allons nous maintenir. Par contre, je vais faire des choix forts. Je vous explique ma démarche, mais la question est : est-ce que vous me suivez ? »
Je leur ai clairement exposé les deux options : soit ils me soutenaient et je pouvais mettre en place mon modèle de jeu, soit je devais m’adapter, me focaliser uniquement sur la performance et renoncer au développement d’un vrai projet de jeu. Le club m’a dit : « Non, on te suit. »
À partir de là, nous avons construit un noyau dur de joueurs avec qui nous avons travaillé le modèle de jeu. Les premières pierres du projet ont été posées, avec plus ou moins de réussite et nous avons vécu une deuxième partie de saison au cours de laquelle nous avons alterné les victoires, les défaites et les matchs nuls. Au final, nous avons eu peur jusqu’au bout, mais nous nous sommes maintenus. Ce fut difficile, mais pour moi, c’est la preuve que l’apprentissage mène à la performance.
« Il y a bien entendu des caractéristiques propres à chaque championnat, mais il n’y a pas qu’une seule manière de gagner »
Beaucoup de gens pensent que l’apprentissage est réservé à la formation, et qu’il est incompatible avec la compétition. Pour moi, c’est une idée fausse. Même en formation, nous recherchons la performance. La question, c’est de savoir ce que l’on met derrière ce mot. Pour la majorité des gens, en équipe première, la performance se résume aux trois points.
C’est là que j’apprécie la vision du club, car ils voient la performance de manière plus globale. Les trois points sont la finalité de la performance, mais la performance elle-même, c’est le socle qui doit nous y mener. En d’autres termes, l’apprentissage est la seule voie pour atteindre la performance.
Nous nous inscrivons dans cette démarche, et le club est très ouvert et favorable à cette vision. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai rejoint Versailles quand ils m’ont sollicité. J’ai trouvé que leur discours était parfaitement aligné avec mes idées.
Dans le football, beaucoup de personnes tiennent le même discours, mais quand les résultats ne sont pas là, ils disent : « Non, on se fout de ton modèle de jeu, arrête de repartir de derrière, de jouer à la baballe et balance. » Mais à Versailles, ce n’est pas le cas. Ils ont la même ouverture d’esprit dans leurs actes que dans leurs paroles.
Dans le football, il est souvent difficile pour les dirigeants d’évaluer réellement les compétences métiers d’un entraîneur, donc la qualité de leur travail, et dans bien des cas, le résultat devient malgré lui l’indicateur de performance n°1. En rejoignant Versailles, comment avez-vous appréhendé la modélisation de la performance, afin de rapprocher “vos positions” au quotidien et que toutes les parties prenantes puissent interpréter la progression de l’équipe, la cohérence de votre projet de jeu, et la validité de votre approche, notamment pour continuer à prendre des décisions éclairées, que les résultats soient positifs ou négatifs ?
C’est une excellente question. A Versailles, ce qui est intéressant et les dirigeants l’assument : c’est qu’ils n’ont pas une connaissance approfondie du football. Pour cette raison, en lien avec leur approche du management et du développement des collaborateurs, j’ai dû définir tous les facteurs qui constituent pour moi la performance. Chaque semaine j’effectue un rapport que je transmets au dirigeant et à travers un système de feux de signalisation – vert, orange ou rouge – j’indique l’état de chacun de ces facteurs et quelles sont les raisons associées à cet état.
Par exemple, pour nous, l’élément clé pour être performant, c’est d’avoir 100 % de notre effectif disponible le plus longtemps possible. Donc si ce facteur n’est pas au vert, nous savons que cela peut avoir une incidence sur la performance.
Ce travail s’inscrit dans le cadre de leur méthode, le Lean, à travers laquelle ils cherchent à pousser tous les collaborateurs de l’organisation à être dans un processus d’amélioration continue et donc à être meilleurs. C’est une approche qui pousse à réfléchir, à conduire des raisonnements, à se poser des questions et à essayer de répondre aux bonnes questions. L’objectif est de s’assurer que nous avons pris en compte tous les éléments pour optimiser notre performance.
« Ils cherchent à pousser tous les collaborateurs de l’organisation à être dans un processus d’amélioration continue et donc à être meilleurs »
Ils sont néanmoins conscients que tout peut être au vert et ne pas gagner un match. Pour eux, l’important est de comprendre le raisonnement, la structure et l’évaluation derrière notre travail. Cette démarche s’applique aussi aux matchs : je dois présenter mon plan de jeu, mon analyse de l’adversaire et justifier mes choix de joueurs. C’est une manière de nous assurer que nous nous sommes posé les bonnes questions en amont.
Nous partageons également un tableau qui répertorie tous les éléments de notre modèle de jeu. Nous l’adaptons ensuite avec des consignes spécifiques pour chaque match. Par exemple, le pressing haut peut être orienté vers l’intérieur ou l’extérieur, selon ce que nous identifions comme étant le point faible de l’adversaire. Nous définissons des critères et des seuils à atteindre. Après le match, nous nous appuyons sur la data et l’outil vidéo afin d’évaluer si nous sommes en accord avec notre modèle de jeu.
En résumé, le jeudi – nous jouons le vendredi – les dirigeants reçoivent ce rapport qui caractérise les facteurs associés à la performance et la justification de nos choix tactiques pour le match à venir. Pourquoi je pars sur ce plan de jeu ? Comment je vais approcher la causerie ? L’idée est qu’ils puissent comprendre mon raisonnement. Bien sûr, le résultat peut être positif ou négatif, parce que le football comporte une grande part d’aléas.
Ce qui les intéresse, c’est de voir mon évolution et ma progression. Si je fais un mauvais choix sur un plan de jeu, ils me challengent. Ils me poussent à chercher la cause de l’erreur en me demandant : « Pourquoi ? ». Mon rôle est alors d’identifier la ou les raisons ayant mené à cette décision afin de pouvoir prendre une meilleure décision la semaine suivante. Voilà comment ils associent la performance et l’évaluation.
« L’important est de comprendre le raisonnement, la structure et l’évaluation derrière notre travail »
C’est une approche qui me semble atypique dans le football. Cela représente une importante charge de travail pour moi et mon staff, car ce n’est pas quelque chose que nous avons eu l’habitude de faire, mais qui est essentielle car cela nous apporte beaucoup au quotidien.
Le club a également appris de ses erreurs passées. Dans le passé, un certain nombre de décisions ont été prises parce que dans le football, il fallait faire “comme ça” et au final les résultats escomptés n’ont pas été au rendez-vous. Ils ont donc constaté qu’ils n’avaient pas pris le bon virage et ont décidé qu’aujourd’hui, toute l’organisation devait être alignée sur cette approche en laquelle ils croient, même si ce n’est pas dans les standards de fonctionnement d’un club de football.
Aujourd’hui, la compréhension de notre modèle de jeu, nos principes et notre méthodologie par nos dirigeants permet d’évaluer notre travail en dissociant l’effort du résultat. Encore une fois, tout peut être « au vert », et nous pouvons perdre. Néanmoins, cela signifie que sur le long terme, la situation devrait s’inverser. À l’inverse, si nous gagnons en étant « dans le rouge », nous savons que ce modèle est fragile et que nous finirons par en subir les conséquences. Voilà comment nous travaillons pour évaluer la performance.
Le métier d’entraîneur est un rôle dans lequel chaque individu s’investit beaucoup et où l’enjeu peut rapidement dépasser le jeu. Que mettez-vous en place pour vous protéger et réguler vos émotions ?
La gestion de mes émotions est l’un de mes axes de progression principaux. Je suis quelqu’un qui vit les matchs avec passion et qui ne peut pas rester assis sur le banc de touche. Si je suis assis, c’est que nous perdons ou que nous gagnons 4-0 et que le match est un peu plus calme. C’est pour cela que je suis très dynamique et que je parle beaucoup aux joueurs.
C’est un point que je dois améliorer, car je me laisse emporter par mes émotions, notamment avec l’arbitrage ou les bancs de touche adverses. Je fais de gros efforts pour me canaliser et prendre du recul.
« La frustration peut parfois nous envahir, surtout quand elle vient de l’adversaire ou du public. Dans ces moments-là, il est essentiel de garder la tête froide et de prendre du recul sur notre modèle de jeu. »
En revanche, dans le vestiaire, je gère mes émotions de manière différente. Si je m’énerve, c’est que je l’ai voulu et que je le pense vraiment. Je n’ai jamais regretté d’avoir haussé le ton avec un joueur, car je sais que c’était nécessaire à ce moment-là. Je suis quelqu’un qui arrive à gérer son calme. Si je sais que ce que je vais dire pourrait dépasser ma pensée, je préfère me taire. J’arrive à prendre du recul avec les joueurs, mais je dois encore évoluer sur le terrain.
La frustration peut parfois nous envahir, surtout quand elle vient de l’adversaire ou du public. Dans ces moments-là, il est essentiel de garder la tête froide et de prendre du recul sur notre modèle de jeu. Le championnat National, avec ses rapports de force très variés, est un grand apprentissage pour moi. C’est un gros travail d’adaptation, mais c’est ce qui me permet d’évoluer.
La dimension humaine est fondamentale dans votre approche. Vous avez travaillé avec des publics très différents, des jeunes aux seniors, dans un milieu où les émotions sont exacerbées. Au fil de ces expériences, qu’avez appris sur la nature humaine ?
La plus grande leçon que le football m’a apprise sur la nature humaine, c’est que les individus sont très égoïstes. C’est une réalité à tous les niveaux. Le joueur est souvent centré sur lui-même, mais c’est aussi le cas de son entourage, comme les parents qui ne regardent que le cas de leur fils en U12 ou U17, sans prendre en compte la dynamique du groupe. Nous le retrouvons aussi dans le milieu des clubs, qui peuvent vous « jeter comme une vieille chaussette » après des années de travail.
J’ai réalisé que cet égoïsme se retrouve dans la vie de tous les jours, sur la route ou au magasin. Nous l’avons vu encore plus pendant le COVID, avec les gens qui achetaient des stocks de papier toilette, sans se soucier des autres. Cette prise de conscience m’a rendu meilleur, car j’ai cherché à être moins égoïste et à m’ouvrir davantage aux autres. C’est d’ailleurs le message que j’essaie de transmettre à mes enfants : nous avons plus à gagner en partageant, qu’en pensant uniquement à nous-même.
Ce principe me sert beaucoup dans mon métier. Pour contrer l’égoïsme du joueur, je laisse une place importante au dialogue. Les joueurs ont carte blanche pour venir me voir sur tous les sujets. Je n’ai pas peur de justifier mes choix, car je ne le vois pas comme une simple justification, mais comme une manière de faire progresser l’humain. C’est pour cela que je parle beaucoup de notion de groupe à mes joueurs et que je m’efforce de toujours privilégier le groupe sur l’individu.
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