Responsable des données football au Toulouse FC, Julien Demeaux nous propose un aperçu sur le fonctionnement du club toulousain, afin d’être performant dans la durée.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
William Edwards Deming disait qu’une personne sans donnée, n’est qu’une personne de plus avec une opinion. Nous pourrions aussi dire qu’une personne sans opinion ou hypothèse à tester, n’est qu’une personne de plus avec des données. Où se situe le point d’équilibre pour vous ?
Deming est aussi l’une des personnes qui a théorisé toutes les notions de progrès et d’amélioration continue, dans l’industrie notamment, avec le cycle PDCA (Plan-Do-Check-Act) : planifier, mettre en œuvre, analyser, ajuster. Je trouve ça doublement intéressant parce que je suis plutôt d’accord avec l’idée qu’il faut s’appuyer sur la donnée, en tout cas de façon scientifique.
Être capable d’aborder l’analyse de données de manière scientifique, avec un process construit, cela permet de ressortir la « substantifique moelle » d’un signal ou d’une information, pour essayer de prendre de meilleures décisions.
En parallèle, je pense qu’il faut être capable de s’ouvrir aux nouvelles idées, aux nouvelles choses, parce que nous devons quotidiennement progresser pour continuer à être performant. Au-delà de l’analyse de données, il y a toute la notion de contexte qui est autour.
Savoir être critique et écouter les points de vue différents, cela permet aussi de se remettre en question et de continuellement améliorer la contextualisation qu’on fait des données. Tout cela dans le but d’améliorer la qualité du signal et des informations que nous pouvons extraire.
Dans notre milieu, le fait d’avoir une opinion et de s’y tenir est souvent valorisé au travers du prisme des convictions, mais en même temps avoir une opinion et ne pas vouloir la mettre à jour, quoi qu’il en coûte, ce n’est pas non plus très sain.
Comment intégrez-vous la donnée à votre processus de décision, afin de le rendre le plus robuste possible ?
Nous voulons et nous cherchons à construire des processus qui se veulent data-driven. L’idée qui se cache derrière ce mot, c’est que nous essayons d’appuyer un maximum de nos décisions sur des signaux qui proviennent de la donnée. Des signaux forts, robustes.
Pour être en mesure de faire cela, il faut comprendre ce qu’est un flux de données sain, comment construire des bases de données, savoir quels types de données nous voulons utiliser, comment construire nos tables pour être en mesure de répondre à différentes interrogations, etc. Toutes ces questions liées au traitement de la donnée sont universelles, elles ne sont pas uniquement liées au football.
S’ouvrir à ce type de questionnement c’est déjà faire un grand premier pas, parce qu’en restant dans une logique purement footballistique, on peut passer à côté de problèmes techniques qui peuvent nous ressortir plus de bruit, que de signal.
« Dans notre milieu, le fait d’avoir une opinion et de s’y tenir est souvent valorisé au travers du prisme des convictions, mais en même temps avoir une opinion et ne pas vouloir la mettre à jour, quoi qu’il en coûte, ce n’est pas non plus très sain. »
Avant même de parler de football, ne serait-ce que sur cette thématique du traitement de la donnée, il faut être en mesure de la comprendre et être capable de créer des processus propres, qui permettront d’avoir un support pour prendre des décisions cohérentes dans le temps.
Nous nous appuyons sur le groupe (RedBird Capital Partners) qui a racheté le club en 2020. C’est un groupe qui est ancré dans le sport américain depuis longtemps et qui possède déjà des logiques de travail relatives au traitement et à l’analyse de la donnée.
Cette expertise nous permet d’avoir des réponses adaptées à toutes ces questions techniques et d’avoir une donnée de qualité. En partant de là, nous pouvons nous focaliser sur les questions « terrain » que nous nous posons, en étant efficace le plus rapidement possible.
L’analyse de données est un peu la partie émergée de l’iceberg lorsqu’il est question de data. Les aspects associés à la collecte et à l’intégrité des données sont moins souvent abordés. Pouvoir s’appuyer sur des données «assez fiables» est un enjeu majeur, même s’il existera toujours des angles morts.
Même en essayant de réaliser l’analyse exhaustive d’une situation, pour répondre à une question, il est possible que nous n’arrivions jamais vraiment à prendre en compte tous les éléments de contexte, d’environnement, etc. Ce n’est d’ailleurs pas propre au football. C’est comme cela dans tous les domaines.
L’idée, c’est de comprendre et de maîtriser au maximum les paramètres qui ont un impact par rapport à la question que l’on pose aux données. C’est essayer de comprendre ce qui a un impact dans le temps et parfois, les effets de volume qui peuvent impacter la réponse (taille d’échantillon). Avec un échantillon trop faible, il y a des chances qu’on tombe sur une information qui ne soit pas fiable dans le temps et ne soit pas robuste.
« L’idée, c’est de comprendre et de maîtriser au maximum les paramètres qui ont un impact par rapport à la question que l’on pose aux données. »
Aujourd’hui, par rapport aux données qui sont accessibles pour un club de football professionnel, nous avons la capacité de tirer des enseignements généraux et à grande échelle, qui sont suffisamment robustes pour avoir confiance dans les décisions que nous pouvons prendre. Encore une fois, à condition d’avoir toute la structure, d’avoir bien capturé le contexte, d’avoir créé une donnée propre au départ.
Au niveau macro, il y a donc déjà des choses qui sont très intéressantes à sortir et, petit à petit, avec l’évolution des technologies, l’évolution du détail de la donnée qu’on va capter, nous pourrons aller un peu plus dans le détail. Mais aujourd’hui, il y a déjà des choses que nous pouvons apprendre en ayant une analyse froide et neutre de toutes ces données disponibles.
Comment définiriez-vous votre rôle à Toulouse ?
Je suis responsable des données football. Je couvre vraiment toute la partie sportive du club. Mon temps est réparti à 80-90 % sur les professionnels, un petit peu sur le centre de formation et encore un peu moins sur les féminines pour l’instant. L’idée, c’est qu’à terme, nous alignions les processus de travail et de prise de décision à tous les niveaux.
C’est à dire que si nous considérons que chez les pros, il faut s’appuyer sur telle donnée ou tel signal pour prendre une décision, il faudra que nous mettions aussi en place des outils et des processus similaires au centre et chez les féminines.
« Nous voulons qu’au niveau du club, il y ait une forme de « communauté » dans les processus et la façon dont nous pensons la prise de décision. »
Je dis « similaires » et pas « identiques », car nous n’avons pas toujours le même niveau de données en fonction des catégories. Nous voulons qu’au niveau du club, il y ait une forme de « communauté » dans les processus et la façon dont nous pensons la prise de décision.
En termes de parties prenantes, je suis en relation avec les propriétaires, le président, les différents staffs techniques, les préparateurs physiques, les scientifiques du sport, le médical, etc. En fait, tout ce qui va toucher à la préparation des joueurs et à l’analyse du jeu.
Comment sont organisées les différentes parties prenantes, afin que l’ensemble du club parle la même langue ?
Nous avons un fonctionnement qui est très « à plat » dans les interactions entre les différentes parties prenantes. Cela inclut aussi le président qui est très présent sur la partie sportive. Il mène un peu la cadence et le rythme de tous nos projets fondamentaux.
Le fait qu’il soit « sponsor » de cette façon de travailler au quotidien, donne beaucoup de poids à ce projet club, à ses valeurs qui ne sont pas juste des mots ou des idées. Cela se concrétise vraiment de façon quotidienne.
Nous effectuons des points très réguliers avec toutes les parties prenantes sur ces projets, sur la façon de mettre en place ces processus, sur les informations que nous en tirons, la façon dont nous prenons les différentes décisions au quotidien. Le fait d’avoir ces échanges qui sont très réguliers, apporte beaucoup de poids et beaucoup de valeur justement à la mise en place de tout cela.
Finalement, c’est quelque chose qui en très peu de temps, est devenu culturel ?
C’est clairement le mot. Très tôt, cela a fait partie des questions et des projets : « Comment créer une nouvelle culture ? » Il faut aussi prendre en compte le contexte dans lequel le club a été racheté, la descente en L2, l’arrivée d’un fonds d’investissement américain avec les exemples précédents qui n’apportaient pas beaucoup de garantie dans l’inconscient collectif, la présentation d’un projet novateur en interne…
Même individuellement, pour les personnes qui étaient déjà au club et qui venaient de vivre la descente, se retrouver dans un projet où beaucoup de choses allaient changer a sûrement été générateur de questions et d’incertitudes supplémentaires.
Une des premières choses qui a été réalisée, ça a été de se dire : que faisons-nous pour changer cette culture ? Comment revenons-nous vers une culture de la gagne ? Une culture de progrès, une culture ou tout le monde a envie d’aller de l’avant et s’identifie à cette façon de faire ?
Cette approche est devenue culturelle, c’est le bon terme. Nous avançons dans le bon sens. Cela fait deux ans que le président Damien Comolli et la responsable stratégie, Selinay Gürgenç, ont lancé ces démarches, mais nous avons déjà vu énormément de progrès sur cet aspect. Il y a encore du travail pour arriver à maturité, mais je pense que c’est un cycle qui reste vivant quoi qu’il arrive.
Comment est structurée l’équipe dédiée aux données ?
Sur tout le processus, en partant de l’acquisition des données, jusqu’ à la prise de décision, au signal que nous sortons de la donnée, nous nous appuyons sur l’expertise de RedBird, qui a dans son portefeuille une société qui s’appelle Zelus Analytics.
Ils travaillent depuis des années dans le sport sur des marchés américains et sur le football depuis quelques années maintenant. Donc c’est vraiment une équipe. Nous sommes à peu près une douzaine de personnes. Tout le monde n’est pas à temps plein. Cela correspondrait, à peu près, à six ou sept équivalent temps plein dans cette structure.
« Acquérir la donnée et la rendre accessible avec de la valeur »
Tout part de l’ingénierie de la donnée. Créer des pipelines, des bases de données, des tables, etc. Acquérir la donnée et la rendre accessible avec de la valeur, pour que nous puissions ensuite la traiter. Ensuite, il y a toute la partie data science et puis, la partie terrain que je représente.
Je suis plus dans cette dernière partie du processus où nous allons vraiment être dans la notion de ressortir les éléments importants de la donnée, les traduire en termes football, en termes compréhensibles pour le staff. Amener cette valeur là sur la chaîne.
Nous allons ensuite reboucler avec l’amont du process, en se demandant comment l’améliorer. On en revient à notre cycle PDCA cher à Deming.
Comment avez-vous approché ce « mariage » entre l’identité toulousaine et plus largement, un club football, avec cette approche qui est finalement assez nouvelle dans ce domaine ?
C’est un des éléments qui a été discuté lors du travail sur la culture, qui a été extrêmement important. C’est un travail qui a beaucoup aidé sur cette notion d’appartenance au projet. C’est un projet où tous les salariés du club ont été réunis.
Des anciens joueurs, des personnes qui représentaient le club et qui le représentent encore aujourd’hui. Des personnes qui ont encore l’étiquette Téfécé, même si elles ne font plus partie du club, ont aussi été invitées. On a tous été réunis dans une pièce pendant un après midi. Par groupe, nous avons essayé de répondre à la question : qu’est-ce que l’identité du Téfécé pour vous ?
De ce groupe de travail, ont émergé certaines valeurs, certaines pistes sur lesquelles nous continuons de travailler. Cela nous a permis de dégager des leviers d’action pour pousser toutes ces valeurs qui répondent à l’histoire du club.
« Nous avons essayé de répondre à la question : qu’est-ce que l’identité du Téfécé pour vous ? »
En même temps, cela nous permet de nous projeter sur les éléments sur lesquels nous appuyer, pour créer le club de demain. De là sont nés des valeurs communes, des projets structurants, une vision commune et partagée sur la façon dont on veut construire notre club.
Donc ça, c’est vraiment sur la partie culturelle. Sur la partie plus foot et modèle de jeu, nous avons questionné les données. Nous couvrons plus de 60 ligues. Sur certaines ligues, nous avons 10 à 12 ans d’historique de données.
Nous avons questionné les données en posant la question suivante : qu’est ce qui est efficace, dans le temps, pour avoir du succès dans le football professionnel aujourd’hui ? Quelles sont les variables sur lesquelles on ne peut pas négocier et sur lesquelles il faudra que nous soyons bons si nous voulons avoir du succès dans le long terme ?
Une fois que nous avons répondu à ces deux questions, nous nous sommes assis autour d’une table et nous nous sommes demandé : comment est-ce que nous allons marier tout cela ? La culture toulousaine, au-delà du club de foot, c’est une culture très terrienne. Il y a des notions de combat, d’être attaché à notre région, de défendre notre territoire comme on défend notre but.
« Nous avons questionné les données en posant la question suivante : qu’est ce qui est efficace, dans le temps, pour avoir du succès dans le football professionnel aujourd’hui ? »
Mais il y a aussi une idée aérienne avec l’industrie aéronautique et spatiale, qui est une industrie de pointe et qui instille une notion de performance et précision. Pour nous ça se traduit par cette volonté de jeu, de grandes envolées. Ce qui est intéressant c’est que ce sont des caractéristiques que l’on retrouve aussi dans le jeu du Stade Toulousain.
Donc, une fois que nous avons identifié tous ces points dans la culture, il s’agit de déterminer le modèle de jeu qui va permettre de répondre à cette culture, à l’attente de tout le peuple autour du Téfécé et qui permet de maximiser nos chances d’être performants dans ces variables qui peuvent nous permettre d’avoir du succès dans le temps. C’est comme cela que nous avons défini le modèle de jeu et donc ce vers quoi aller chez les pros et au centre de formation.
Même si un certain nombre de variables entrent en jeu (temporalité, finance, etc.), au cours du processus de recrutement d’un joueur, quel est le point de bascule où l’on se dit (que cela aboutisse ou non) : « stop, on décide » ?
C‘est intéressant parce que c’est multifactoriel et chaque cas est quasiment un cas unique.
C’est aussi pour éviter de s’éparpiller et de ne pas pouvoir identifier ce point de maturité qu’on a besoin de s’appuyer sur des processus disciplinés. Dès que nous considérons avoir suffisamment de feux verts (ou de feux rouges) par rapport à notre façon de travailler, nous allons globalement être en capacité à prendre la décision.
Ensuite il y a des éléments de contexte qui entrent en jeu. Est-ce que nous sommes proches de la fin de la fenêtre ? Est-ce que nous sommes tôt dans la fenêtre ? Quelles sont nos capacités financières à l’instant T, pour dire que nous allons vers tel ou tel joueur ? Ce qui est certain, c’est que nous sommes disciplinés. Nous avons identifié, par rapport aux données, le profil de joueur et le niveau de performance minimal que nous attendons et ça, nous n’y dérogerons pas.
« Dès que nous considérons avoir suffisamment de feux verts (ou de feux rouges) par rapport à notre façon de travailler, nous allons globalement être en capacité à prendre la décision. »
Si nous voulons avoir un club avec des processus data-driven, qui soient efficaces, c’est une discipline qui est fondamentale. Je ne peux pas me dire : « tiens, aujourd’hui la donnée nous donne un signal qui me conforte dans mes croyances, donc je la suis ». Puis le lendemain, si elle me dit quelque chose que je n’aime pas, ne pas l’écouter, parce qu’elle va à l’inverse de mes croyances. Sinon, autant ne pas le faire et ne pas investir dans cette approche.
Nous, nous croyons que les signaux que nous pouvons sortir de cette approche-là, sont suffisamment importants pour nous permettre d’avoir du succès à long terme. Donc si nous n’avons pas cette discipline, nous ne sommes pas cohérents avec nous-mêmes. Cela ne pourra donc pas fonctionner.
Comment minimiser vous l’influence des biais cognitifs sur votre processus de décision ?
Etant donné le fonctionnement de notre structure, avoir l’amont du processus (partie technique) qui soit physiquement fait ailleurs et décentralisé de la partie analyse/prise de décision quotidienne, c’est déjà une première sécurité. Le traitement initial de la donnée brute, la façon dont nous allons la structurer et la récupérer, est vierge de l’influence que pourrait avoir un ensemble de questions que nous nous poserons plus tard.
Nous ne rentrons pas dans le biais de : « je peux commencer à traiter ma donnée, pour répondre à la question, et par la même occasion, commencer à enlever des informations qui pourraient me pousser vers ce que je crois ou l’inverse ». C’est déjà une première sécurité.
« Si la décision ne repose pas sur les épaules d’une seule personne et qu’elle suit un processus défini et clair à chaque fois, cela nous permettra de limiter au maximum les biais »
Ensuite, le fait de mettre en place des processus auxquels nous nous astreignons, c’est une deuxième sécurité. Ce n’est pas moi qui dans mon coin, vais me poser une question, aller dans les données pour y répondre de manière définitive et prendre une décision en dix minutes. Cela n’arrive pas.
Nous savons que pour toutes les décisions, nous avons un process de travail. Nous posons la question en amont, nous travaillons sur la question, nous amenons les conclusions en petit comité (4 à 6 personnes), nous partageons ces conclusions et nous serons amenés à prendre la décision un peu plus tard. Cela permet de nous challenger les uns les autres et essayer d’éliminer au maximum les biais qui auraient pu rentrer dans ce processus.
Nous pensons que si la décision ne repose pas sur les épaules d’une seule personne et qu’elle suit un processus défini et clair à chaque fois, cela nous permettra de limiter au maximum les biais et d’avoir une décision plus robuste dans le temps.
Toutes les parties prenantes du club n’ont pas forcément besoin d’avoir le même niveau de compréhension des données et donc, le storytelling doit être personnalisé. Comment approchez-vous cet aspect avec le staff ou encore le management ?
Nous allons parler de façon théorique, parce que dans notre cas, nous avons la chance d’avoir un président qui a une forte culture foot. C’est un ancien entraîneur, ancien directeur sportif, etc. J’ai la chance de pouvoir lui parler comme si je parlais au staff. Je n’ai pas besoin de modifier fondamentalement ce côté storytelling. Ce serait peut-être plus le cas, si nous avions une présidence « plus classique », avec quelqu’un qui est plus manager d’entreprise, etc.
En partant de cette logique et de manière théorique, au niveau du top management, le but est d’amener les informations de manière à expliquer pourquoi c’est intéressant de prendre telle ou telle décision pour la santé du club. Parce que ce sera le type de problématiques qu’il y a au niveau d’une présidence.
« Quand nous parlons au staff, il faut avoir la capacité d’expliquer pourquoi prendre telle ou telle décision va amener un bénéfice immédiat, dès le samedi sur le terrain »
Si le top management prend une décision, il faut que le club s’y retrouve financièrement à termes. Il faut garantir une position du club en L1, il ne faut pas que l’on descende, etc. Donc nous sommes vraiment sur une dimension stratégique.
Quand nous parlons au staff, il faut avoir la capacité d’expliquer pourquoi prendre telle ou telle décision va amener un bénéfice immédiat, dès le samedi sur le terrain. Donc forcément, même si nous parlons de la même prise de décision, l’approche doit être fondamentalement différente. Nous devons faire passer un message qui correspond à l’audience qui nous écoute ou avec laquelle nous sommes en train d’échanger.
Quelle approche avez-vous adopté avec les joueurs ?
Les joueurs sont au courant de la façon dont nous pensons et dont nous travaillons, dans la globalité en tout cas. Cela étant, on est sur une approche individualisée. En termes de processus, nous ne fermons la porte à rien.
Si à un moment donné nous avons un besoin et que nous pensons que c’est pertinent d’aller voir un joueur en parlant de données pour lui apporter quelque chose en plus, nous le ferons. Si c’est par la vidéo, nous le ferons de cette manière. Si c’est par un mélange des deux, nous ne nous nous l’interdisons pas non plus. Il n’y a pas de barrière. Ce que nous allons rechercher, c’est mettre les joueurs dans les meilleures conditions pour qu’ils performent.
Nous avons des joueurs qui sont en demande et d’autres qui le sont moins. Il y en a qui s’y intéressent, d’autres moins. C’est quelque chose que nous respectons et donc nous ne forçons pas. Il n’y a pas d’obligation. Cependant, il m’est arrivé d’aller voir un entraîneur adjoint, un joueur seul ou avec l’un des adjoints. En tout cas, c’est toujours fait en accord avec le staff.
« Ce que nous allons rechercher, c’est mettre les joueurs dans les meilleures conditions pour qu’ils performent. »
Je ne vais pas voir un joueur pour lui donner telle ou telle information sans avoir validé le besoin et la façon dont nous allons le faire, avec le staff. Il faut aussi que la communication soit transparente auprès de toutes les parties prenantes. Je peux voir des joueurs en disant : « Voilà, on a identifié ça dans ton jeu. Si tu varies un peu plus, si tu fais telle course, tel appel ou telle passe un peu plus souvent, tu peux favoriser la probabilité qu’a l’équipe de marquer dans cette situation ».
Néanmoins, ce n’est pas systémique, dans le sens ou vraiment, nous n’allons pas le forcer. C’est plus répondre à une question ou une problématique à l’instant T. De façon générale, tout le monde, les joueurs y compris, savent comment nous travaillons. Ils savent que la donnée est importante pour nous, que ça fait partie de nos processus et que nous nous appuyons dessus.
Comment générez-vous des hypothèses à tester ?
Nous utilisons une fiche de processus qui nous dit : « j’ai telle problématique. Voilà la question à laquelle j’aimerais répondre. Voilà ce que ça peut apporter ». Ensuite nous itérons sur cette base-là, en regardant les données.
Avons-nous besoin de recréer une table ? Avons-nous besoin de traiter la donnée différemment ? Pouvons-nous y répondre avec la structure des données actuelles ? Si nous pouvons y répondre, comment voulons-nous y répondre ?
Nous suivons le processus jusqu’à avoir une conclusion. Cela veut dire que cette conclusion a été testée, qu’elle est suffisamment mature pour être présentée aux décideurs. C’est un processus qui est ancré, qui implique plusieurs personnes, que ce soit sur la partie technique ou dans l’analyse, avec plus ou moins de sensibilité foot, pour avoir aussi la capacité de se challenger les uns, les autres.
Cela peut aussi m’arriver d’être dans mes pensées, d’avoir telle question, de me plonger un peu dans les données et en quelques lignes de code, sortir quelque chose. Mais c’est plus pour prendre la température et voir si on peut répondre à ce type de questions avec les données que nous avons à l’instant T et la façon dont elles sont structurées. A partir de là on lance le processus qui est définit avec mes collègues aux États-Unis.
Il existe un aspect assez complexe dans le recrutement, c’est évaluer ce qu’un joueur venant d’un championnat donné réaliserait dans un autre championnat. Comment approchez-vous cet aspect ?
C’est effectivement une question que nous nous posons et à laquelle nous essayons de répondre via nos algorithmes. C’est ce que nous appelons la translation. C’est à dire : comment tel niveau de performance dans telle ligue, se traduit dans une autre ligue. Aujourd’hui, aller lire une feuille de stats sur les sites publics, comme Wyscout par exemple, c’est à la portée de tout le monde. La valeur ajoutée vient de la capacité à travailler dans une logique plus scientifique de prédiction.
Il n’y a pas de recette magique. Nous utilisons des méthodes et des approches qu’on retrouve aujourd’hui dans le domaine médical ou en météorologie par exemple. Ils utilisent les données qui ont été collectées dans le temps, pour construire des modèles prédictifs et avoir la capacité de déterminer le risque que telle maladie devienne pandémique dans les six mois. Actuellement, il y a du soleil, mais quelle est la probabilité qu’il pleuve dans l’heure ? Ce sont les mêmes logiques de réflexion.
Donc nous avons ces algorithmes de translation, qui nous permettent d’émettre l’hypothèse que tel joueur, venant de tel championnat, devrait performer à tel niveau en L2 ou en L1, dans l’année ou les 2 ans qui viennent. Cela fait partie de nos algorithmes et des questions auxquelles nous cherchons à répondre.
Justement, avec le temps et la démocratisation de l’accès à des données de plus en plus pertinentes, pensez-vous qu’il sera plus difficile de « profiter » d’éventuelles inefficiences du marché?
Je vais avoir du mal à répondre parce que cela présumerait que je sais exactement ce que tous les autres clubs sont en train de faire. Et ça, je ne sais pas. En tout cas, l’ordre des choses voudrait que tous les clubs soient au moins engagés dans ce type de démarche.
Ce n’est qu’un humble avis, mais je pense que c’est un outil qui est puissant lorsqu’il est bien utilisé. Ce que je peux aussi dire, c’est qu’au club, si je considère tout ce qui a été développé pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui, en termes d’équivalent temps plein, cela correspondrait à 20 à 30 ans de développement pour une personne seule.
Il y a donc un gros travail à faire pour avoir la maturité des algorithmes et arriver à commencer à répondre à des questions un petit peu plus fines que celles auxquelles on essayait de répondre il y a quatre ou cinq ans. Si des clubs sont déjà engagés dans la démarche, oui, ils rattraperont de toute façon ce retard-là, si on estime qu’il y a une forme de retard.
« L’ordre des choses voudrait que tous les clubs soient au moins engagés dans ce type de démarche. »
Maintenant, il faut aussi voir les choses de manière un peu plus globale. Aujourd’hui, nous avons peut-être un petit avantage concurrentiel sur le marché français, mais il ne faut pas oublier que des clubs anglo-saxons ou à culture anglo-saxonne de manière générale, sont aussi très avancés. Certains, peut-être même plus que nous sur ce type de projet. Déjà sur le marché, nous nous rendons compte que quand nous essayons d’aller sur certains joueurs, nous retrouvons très souvent les mêmes clubs, qui identifient les joueurs d’une façon similaire à la nôtre .
Donc cette concurrence elle existe déjà, surtout au-delà des frontières françaises. Maintenant, je pense qu’il y a aussi des clubs qui font un bon travail, même si ce n’est pas exactement la même approche que la nôtre. Il y a des clubs français qui ont compris qu’ils pouvaient tirer un bénéfice de la donnée et qui travaille très bien à leur façon dessus.
Donc la logique des choses fait que normalement, d’ici 4 à 5 ans, si nous restons immobiles, nous serons rattrapés. C’est donc tout notre enjeu, continuer à évoluer vers d’autres choses, continuer à démarrer de nouveaux projets, travailler sur d’autres problématiques, pour conserver cet avantage-là ou en développer d’autres, qui feront la différence demain.
En nous projetant un peu, à quoi ressemblerait le Téfécé, dans 5 ans justement ?
L’objectif annoncé par le président, et par RedBird lorsqu’ils ont acquis le club, c’était de remettre le club à sa place, en considérant que Toulouse est la quatrième métropole française. Même si historiquement, Toulouse n’est pas un bastion très fort du foot français en termes de palmarès, l’objectif est d’être dans la première moitié de tableau en Ligue 1.
C’est ce à quoi nous aspirons. Est-ce que nous réussirons ? Il n’y a que l’avenir qui pourra nous le dire. En tout cas, cela fait partie de nos objectifs et c’est ce à quoi nous travaillons.
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