Quand on vient au stade, c'est pour voir un spectacle

avec  Bepro - Analyse du foootball

Après 18 saisons passées au plus haut niveau en tant que joueur, Laurent Batlles est devenu entraineur. D’abord au sein de différentes équipes de l’AS Saint-Etienne, puis comme entraineur principal de l’équipe première de l’ESTAC Troyes.

Il nous propose un éclairage sur sa vision du rôle de l’entraineur, son approche du jeu et l’importance qu’ont toutes les parties prenantes d’un club, dans la réussite d’un groupe professionnel et inversement.

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Être entraîneur de football, qu’est-ce que cela représente pour vous ?

A la base, c’est le plaisir de pouvoir passer des messages et essayer de faire progresser une équipe. Que ce soit en termes de jeu, mais aussi de rapports humains avec l’ensemble des composantes d’un club. C’est un tout. C’est à la fois l’aspect football, qui est primordial, mais aussi tout ce qui est associé au rôle de l’entraîneur et qui peut avoir lieu hors du terrain. Tout cela, il faut l’appréhender et savoir le mettre en place. Donc, la priorité, c’est d’entraîner et de faire progresser les joueurs. Ensuite, c’est de faire vivre un club.

Comment l’arrivée dans un nouveau club s’aborde t’elle ?

Au départ, ce qui m’anime, c’est à la fois mon projet de jeu et la manière de le mettre en place. Comment donner vie à mes principes, d’un point de vue tactico-technique. Ça, c’est au niveau de l’équipe professionnelle, étant donné que lorsque vous rentrez dans un projet club, c’est cet aspect qui est prioritaire. Après, au fur et à mesure des mois, si vous avez la chance de rester, vous êtes amené à regarder ce qui se passe chez les jeunes pour améliorer votre effectif et commencer à créer une passerelle. Vous aurez aussi des réajustements à faire en fonction des transferts qui pourraient être réalisés. Mais au départ, vous évaluez les forces et les faiblesses de votre groupe et essayez de mettre en place votre projet avec les joueurs qui sont déjà là.

« Au départ, vous évaluez les forces et les faiblesses de votre groupe et essayez de mettre en place votre projet avec les joueurs qui sont déjà là. »

Donc, je vais d’abord être focalisé sur la progression des joueurs qui composent déjà l’effectif de l’équipe première, pour ensuite proposer des ajustements dont nous pourrions avoir besoin à certains postes clés. Par ailleurs, c’est important de connaître tous les rouages d’un club, connaître les éducateurs à la formation, de la réserve, pour voir ce qui peut être mis en place avec eux. Après, concernant mes idées, elles sont assez simples, mais jouer le plus simplement possible, c’est ce qu’il y a de plus dur. J’essaye de faire comprendre à mes joueurs qu’il y a des relations de jeu à trouver entre chacun. Parfois, il faut repartir de derrière, parfois il faut jouer long dans une zone spécifique, ce qui nous permettra d’obtenir un avantage… J’essaie de ne rien laisser au hasard en termes de schémas de jeu, notamment sur les sorties de balle, à la fois défensives et offensives.

La sortie du ballon semble être un aspect auquel vous êtes particulièrement attentif. Vous parlez souvent de ressortir le ballon proprement. Justement, cela veut dire quoi pour vous “ressortir le ballon proprement” ?

Ressortir le ballon proprement, c’est mettre en place une structure et une organisation qui vont nous permettre d’occuper certains espaces et empêcher l’adversaire de récupérer le ballon dans notre camp, qu’ils pressent ou pas. C’est être dans votre moitié de terrain et arriver à amener le ballon dans l’autre moitié de terrain, en définissant différentes options pour y arriver. À la fois par le gardien, votre sentinelle, vos centraux, etc. 

Pour cela, il faut des repères. Nous, en fonction de là où le gardien posait le ballon, nous savions plus ou moins ce que nous allions mettre en place. Mais cela dépendait aussi de ce que les équipes adverses allaient nous proposer, pour pouvoir trouver des zones où nos joueurs étaient totalement seuls. En fait, c’est essayer de mettre en difficulté l’équipe adverse, par l’exploitation de zones spécifiques.

Lorsque vous décidez de mettre en place ce 1-3-4-3 avec un losange à Troyes, ce qui est plutôt atypique, quels sont les facteurs qui vous amènent à faire ce choix ?

Lors de la saison 2020-2021, c’est un fait de match qui a entraîné l’introduction de ce 1-3-4-3 losange. Au départ, mon schéma préférentiel, c’était le 1-4-3-3, parce que la saison précédente, j’estimais que nous avions les joueurs pour jouer dans ce système-là. Nous avions d’ailleurs recruté en ce sens. Donc, nous étions repartis sur les mêmes bases, mais il y a ce fait de jeu contre Valenciennes (expulsion d’un défenseur central) et nous sommes menés au bout de cinq minutes. Après l’expulsion, je me dis que si je fais rentrer un défenseur et que je sors un attaquant, nous aurons peu de chances de revenir au score. Alors je fais le choix de ne pas faire de changement. Au lieu de défendre et couvrir la largeur à quatre, nous allons le faire à trois, avec un central et deux latéraux.

Bien sûr, sur le match de Valenciennes, cette organisation nous a demandé beaucoup d’efforts, mais nous avons eu la chance de revenir au score et de finir à 1-1. Alors le match d’après, contre Ajaccio, je me dis que comme cela a bien marché contre Valenciennes, au lieu de faire rentrer un défenseur que je n’avais de toute façon pas (suspendu), nous allons passer avec un numéro dix. L’objectif étant d’être encore plus offensifs et d’imposer encore plus de choses à l’adversaire. Ma démarche était celle-là et sur ce match, nous gagnons 4-0. Après avoir gagné 4-0, en plus à Ajaccio, qui est un terrain où il est difficile de le faire, cela a renforcé ma vision des choses et surtout celle des joueurs. A la sortie du match, ces derniers avaient pris énormément de plaisir et je ne me voyais pas revenir sur cela.

Quand on a commencé en Ligue 1, je voulais aussi jouer de cette manière, mais je n’avais pas tous les joueurs pour, étant donné que Tristan Dingomé et Florian Tardieu étaient blessés. Malgré tout, j’ai pu mettre le losange deux fois en place, avec une victoire contre Lorient et une défaite à Lille, ou cela s’est joué à la 85ᵉ minute. Je pense qu’on peut jouer dans ce système là en Ligue 1, mais il faut avoir les joueurs pour. Peut-être que nous avons pris un petit peu trop de risques, mais c’était assumé, pour essayer de prendre des points.

Vous dites “nous avons peut-être pris un peu trop de risques ». Justement, comment définiriez-vous cette notion de risque et la gestion associée ?

En fait, ces risques-là, avec le groupe, nous avions décidé de les assumer. Il fallait assumer de jouer comme cela collectivement. En partant de ce postulat, nous avons amélioré un certain nombre de choses au cours de la saison. Les sorties de balle, notre manière de défendre, etc. Par ailleurs, nous connaissions aussi les faiblesses de notre système et certaines équipes adverses s’étaient vite adaptées, ce qui nous avait mis en difficulté. Mais le risque, nous voulions l’assumer, parce nous estimions que c’était un système qui nous permettait d’avoir énormément le ballon.

Cependant, nous ne voulions pas le ballon, juste pour l’avoir. Nous le voulions pour faire mal à l’adversaire, marquer des buts et gagner des matchs. Néanmoins, il fallait assumer de voir le gardien se retrouver en 1c1 et que nos centraux se retrouvent en 3c3. Mais les joueurs avaient confiance en eux, en leur système et nous posions de gros problèmes à nos adversaires. En ayant le ballon plus haut dans le camp adverse, nous prenions moins de risques de prendre des buts. Donc, nous avons assumé tout cela et ça a payé. Nous savions aussi qu’il fallait trouver certaines adaptations, notamment lorsque notre sentinelle Florian Tardieu était prise en marquage individuel. Il fallait, par exemple, faire tourner notre losange pour trouver un joueur différent dans la zone où nous voulions ressortir le ballon.

Lorsque vous arrivez dans un club, il y a déjà un effectif qui correspond plus ou moins au projet que vous voulez mettre en place et vous avez certaines possibilités de recrutement. Comment abordez-vous cette phase de constitution d’un effectif ?

Ce qui est important pour moi, c’est d’aider les joueurs à progresser, de les amener à évoluer, de les faire réfléchir et qu’ils prennent énormément de plaisir. A Troyes, la première année, il restait dix joueurs qui étaient là la saison précédente. Dix joueurs, qui avaient joué les barrages. En plus, il y avait quatre joueurs qui avaient signé leur premier contrat pro et deux joueurs qui avaient été pris dans des équipes de National. Donc nous avions 16 joueurs. Il nous restait, en gros, cinq ou six joueurs à faire et à associer à ces joueurs-là, pour faire une saison intéressante.

Donc c’est là où il ne faut pas se tromper et qu’il faut vite trouver les joueurs en adéquation avec le projet de jeu que vous voulez mettre en place. Que ce soit sur les aspects techniques, les leaders, etc. Ensuite, c’est à vous de créer l’environnement qui les aidera à progresser, à adhérer à votre projet, à votre façon de voir les choses, mais aussi à ce qu’ils se connaissent mieux les uns les autres. Il faut faire attention à tout. Il faut faire attention à l’humain, il faut connaître le joueur, connaître les familles, etc. Il y a beaucoup de paramètres qui rentrent en compte, pour essayer de créer une osmose dans votre effectif.

On parle souvent du recrutement des joueurs, car ce sont eux qui sont sur le terrain. Néanmoins, la construction d’un staff cohérent est tout aussi importante. Qu’allez-vous recherchez, en termes de compétences métiers et humaines, pour constituer votre staff ?

Quand j’ai construit mon staff pour aller à Troyes, je suis arrivé avec Damien Ottmon entraîneur-adjoint, avec qui j’avais passé le BEPF. C’est quelqu’un qui a été entraîneur en National et au niveau amateur. Je voulais quelqu’un de frais, mais un peu plus âgé que moi, avec une expérience du terrain. Surtout, je voulais quelqu’un qui puisse être de temps en temps dans la contradiction et pas dans le “oui”, systématiquement. Parce qu’à un certain moment, le “oui” ne vous fait pas avancer. Ensuite, j’avais un analyste vidéo qui était déjà au club et avec qui, cela à de suite fonctionné. Il y avait un préparateur athlétique et l’entraîneur des gardiens arrivait du centre de formation, donc il était nouveau dans le staff professionnel. Nous avions aussi un team manager.

« Je voulais quelqu’un qui puisse être de temps en temps dans la contradiction et pas dans le “oui”, systématiquement. Parce qu’à un certain moment, le “oui” ne vous fait pas avancer »

Mais ce qu’il faut avoir en tête, c’est que si vous avez la chance d’être un grand entraîneur, vous arrivez avec votre staff dans votre nouveau club. Moi, il y avait déjà deux ou trois personnes qui étaient là. Je suis arrivé avec mon adjoint et il a fallu fédérer le staff autour de la vision dans laquelle on avait envie de travailler, tout en y intégrant leur manière de travailler. Ce rapport avec le staff est important, si vous voulez tous tirer dans le même sens.

Au fur et à mesure, nous avons fait évoluer le staff. Sur notre deuxième saison, nous avons fait rentrer un préparateur athlétique en plus, qui s’occupait de la réathlétisation et un deuxième analyste vidéo, qui filmait les séquences d’entraînement, analysait l’adversaire, etc. Un autre entraîneur adjoint, Stéphane Darbion, nous a ensuite rejoints. J’avais besoin d’avoir quelqu’un avec un profil différent, pour aider l’analyste vidéo sur certains aspects techniques, notamment sur l’évaluation des forces et des faiblesses de nos adversaires. Nous avions un staff assez étoffé que je devais, en tant qu’entraîneur, faire bien vivre, tout en essayant, comme avec les joueurs, de le faire progresser. Il est aussi très important d’être attentif à leur travail, parce que c’est important de valoriser ce qu’ils font.

Vous avez donc votre projet et une idée de la manière dont vous voulez le mettre en place. Comment cherchez-vous à « séduire » le  groupe dont vous avez la charge et auquel vous allez tenter de transmettre vos idées ?

Avec mon staff, nous étions tous les jours dans la réflexion pour proposer de la variabilité à l’entraînement. C’est-à-dire qu’il n’y avait jamais un entraînement qui ressemblait à un autre. Sur les gros jours de la semaine, nous abordions les aspects tactiques et techniques que nous voulions travailler, avec des exercices différents, des dépassements de fonction, etc.

Alors je ne dis pas que la veille des matchs, les entraînements n’étaient pas plus ou moins standards, avec peu de prise risque, mais nous essayions de ne jamais proposer la même chose. Les joueurs prenaient du plaisir à l’entraînement et ils étaient amenés à se poser des questions : « mais pourquoi il fait ça ? Pour quelles raisons fait-on comme cela ?”. Tout à base de ballon. Nous ne faisions pas énormément de travail physique ou athlétique isolé, à part peut-être en début de saison et des petits rappels.

« Lorsque vous arrivez sur le terrain le matin, que vous voyez que ça ne vous plaît pas, en rentrant aux vestiaires, vous êtes plus ou moins frustré. »

Nous avons souvent essayé de mettre en place des choses qui pouvaient faire progresser les joueurs, en prenant, je pense, énormément de plaisir. C’est quelque chose que j’ai gardé de ma carrière de joueur. Lorsque vous arrivez sur le terrain le matin, que vous voyez que ça ne vous plaît pas, en rentrant aux vestiaires, vous êtes plus ou moins frustré. Je ne voulais pas cela pour mes joueurs, je voulais essayer de les faire réfléchir tactiquement. Sur les aspects tactiques, parfois vous laissez un peu l’équipe faire et ensuite, vous êtes plus ou moins directif, en fonction de ce que vous voulez observer. Pour moi, cela fait partie du rôle de l’entraîneur.

Tout était fait pour que nos exercices simulent ce que nous vivions le week-end et la réalisation technique avait une grande importance pour moi, car j’estimais qu’il fallait jouer très juste, notamment en Ligue 2. En L2, l’équipe qui a le contrôle du ballon a malgré tout plus de chances de se maintenir. A l’échelon du dessus, il faut être encore meilleur techniquement. Quand vous êtes en L1, parfois, vous n’avez que quelques passes à réaliser dans un match. Il faut donc pouvoir les exécuter avec précision pour avoir une chance de marquer.

Face au déluge d’informations auxquelles l’entraineur principal peut être confronté, quels types d’indicateurs clés utilisez-vous pour y voir clair et « piloter » l’évolution de votre équipe durant la saison ?

L’indicateur « point » est obligatoire, notamment quand vous avez un objectif maintien où vous savez que ça se joue à 41-42 points. Avec 38 matchs à jouer, si vous prenez un point par match, vous êtes à 38 points. Donc, avec une ou deux victoires de plus ou deux trois matchs nuls de plus, vous arrivez à vous en sortir. Pour enlever une certaine pression à notre équipe, nous avions décidé de dire que les points d’étape se ferait tous les dix matchs. Au bout de dix matchs, nous faisions un bilan comptable. Avec mon analyste vidéo, nous faisions aussi un bilan sur les 10 matchs concernés. Nous relevions ce qui avait bien marché et ce qui avait moins bien marché, pour justement montrer aux joueurs comment nous voulions aborder les choses sur les dix matchs suivants. Petit à petit, cela nous amenait au 30ᵉ match. Les huit derniers matchs, ce n’est généralement pas là où vous allez énormément travailler. Vous avez travaillé sur 30 matchs, vous connaissez vos points forts et vos points faibles.

Donc, tous les 10 matchs, des bilans collectifs étaient établis, afin que tout le monde soit concerné. Au cours de l’année, il y avait aussi des bilans individuels avec certains joueurs. Par exemple, lorsque j’étais l’adjoint de Christophe Galtier, l’objectif était de jouer la Coupe d’Europe. Notre indicateur point était indexé sur le nombre de point moyen qu’il fallait pour atteindre les places européennes, ainsi que les temps de passage pour pouvoir atteindre cet objectif. Donc moi, en termes de maintien, cela voulait dire que c’était à peu près 10-11 points tous les dix matches. Vous arrivez à 33 points et il vous reste huit matchs pour atteindre une certaine forme de maintien. C’était un indicateur rationnel et assez simple à suivre.

Avec la pression et l’incertitude permanente qui peuvent venir altérer votre capacité de jugement, comment rester lucide et garder le cap ?

Pour faire une équipe, il faut prendre des décisions. C’est donc ma responsabilité de prendre les décisions sur le terrain et en dehors du terrain. Je parle aussi beaucoup avec mon staff, pour savoir comment ils ressentent les choses. A Troyes, je n’avais pas vraiment de doutes quant à ce que nous arriverions à mettre en place notamment au niveau du football. J’ai suivi une certaine ligne de conduite, tout en essayant de faire évoluer certaines choses, notamment quand il y avait des blessures, des suspensions ou des joueurs qui se révélaient.

Donc le système que vous avez, vous pouvez le faire évoluer. Par exemple, au lieu de jouer avec un losange, vous jouez à deux attaquants. Vous pouvez aussi jouer avec deux milieux et trois attaquants ou avec des pistons offensifs comme nous l’avons fait en 2020-2021. Sur 2021-2022, j’avais décidé d’avoir à la fois des pistons offensifs et des pistons défensifs. Ce sont des choix personnels, mais il faut croire en ce qu’on met en place.

Souvent, on dit que l’entraîneur meurt avec ses idées. Moi, je n’avais pas envie de mourir avec les miennes, j’avais juste envie de pouvoir les faire évoluer et de temps en temps, changer la donne. Lorsque vous avez les meilleurs onze ou quinze joueurs au monde, vous n’avez pas forcément besoin de changer, parce qu’ils vous font gagner régulièrement. Quand vous avez une équipe moyenne ou une équipe qui n’a pas un effectif important, il faut fonctionner différemment. Il faut essayer de trouver des solutions différentes pour améliorer votre équipe.

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La vidéo est un élément indispensable au processus d’observation et d’analyse du jeu. 

Avoir un outil simple mais puissant, à disposition, permet de lui déléguer les tâches à faible valeur ajoutée pour vous focaliser sur ce qui en a réellement : comprendre le comportement de votre futur adversaire ou analyser la dernière séance de votre équipe, par exemple.

C’est là que notre partenaire Bepro entre en piste. L’objectif ? vous aider à organiser, séquencer et collaborer simplement avec les membres de votre staff.

Des milliers d’équipes l’utilise déjà, nous aussi. Alors, pourquoi pas vous ?

L’analyse, sous ses différentes formes, a pris énormément de place dans le quotidien d’un club de football. Quelles sont les différences par rapport à la période où vous jouiez ?

La différence est énorme au niveau de la vidéo, de la data, au regard de ce que j’ai connu en tant que joueur. Aujourd’hui, la technologie peut vous aider à avoir un temps d’avance, en termes de recrutement notamment. Maintenant, cela ne veut pas dire que sur la base des informations collectées, il faut instantanément recruter tel ou tel joueur. Pourquoi ? Parce que vous ne connaissez pas son entourage, sa manière d’être, etc. Aujourd’hui, l’analyse est une compétence très importante, mais il faut aussi aller voir le joueur, savoir s’il peut se fondre dans votre groupe, connaître son état d’esprit…

Il faut donc que le joueur puisse se fondre dans votre équipe et qu’humainement aussi, vous preniez des renseignements. Le voir jouer pour observer ses attitudes. Même si vous les voyez à la télé, en direct, c’est malgré tout plus intéressant. Il faut peut-être aussi connaître l’agent, connaître un peu la famille, parler un peu avec lui. Aujourd’hui, ce sont aussi ces aspects-là qui vont permettre à un joueur de se fondre dans un collectif. Il est souvent question de l’ego que peuvent avoir les joueurs, mais vous savez, les bons joueurs et/ou les joueurs qui ont envie de se fondre dans le collectif, les choses se font naturellement.

« Il faut donc que le joueur puisse se fondre dans votre équipe et qu’humainement aussi, vous preniez des renseignements. Le voir jouer pour observer ses attitudes. Même si vous les voyez à la télé, en direct, c’est malgré tout plus intéressant. »

Sur l’analyse nous avions presque quatre personnes dédiées. L’un de mes adjoints s’occupait de l’analyse individuelle, notamment sur toute la phase offensive. Un autre regardait les matchs et se focalisait sur nos points forts et les points faibles. Mes deux analystes vidéo travaillaient aussi sur ces aspects. Chacun jouait un rôle défini et nous essayions de ne pas perdre de temps. Après nous mettions en commun le travail réalisé par chacun et un montage vidéo m’était transmis, afin d’y réfléchir et que je le valide.

Nous organisions une réunion, la plupart du temps en début de semaine, afin de planifier le travail de la semaine. Notamment sur les aspects liés à la manière dont nous voulions mettre en difficulté l’adversaire, mais aussi comment eux pouvaient aussi nous mettre en difficulté, afin d’avoir des repères. Lors de cette réunion, nous étions cinq, voire six avec l’entraîneur des gardiens, s’il y avait des aspects spécifiques aux gardiens. C’est une réunion qui allait de 2 à 4 heures, qui nous permettait d’analyser l’équipe adverse et de définir ce que nous pourrions mettre en place. Cette analyse conditionnait la semaine d’entraînements qui précédait le match.

Quelle est l’influence du prochain adversaire sur votre semaine d’entraînement ?

En Ligue 2, en respectant bien sûr toutes les équipes, nous avons toujours travaillé en nous focalisant sur notre jeu, puisque quand vous voulez atteindre la première place et être champion, vous vous focalisez sur vous-même. Maintenant, il faut savoir aussi regarder les points forts et les points faibles de l’équipe adverse. En Ligue 1, quand vous jouez contre le PSG, comme ce fut le cas lors de la 1ère journée, vous savez que de toute façon, même si vous mettez un 3-4-3 losange en place et que vous voulez avoir la possession, ce sera difficile. Donc, il ne faut pas non plus être incohérent. Sur ce match, nous avions décidé d’amener le ballon sur les côtés et de restreindre l’accès aux zones centrales. Nous préférions que le jeu se passe là car nous savions que ce serait compliqué pour nous autrement. Sur d’autres matchs, nous avons fait l’inverse. En préparation du match contre Lyon, par exemple, nous nous étions rendu compte qu’ils perdaient beaucoup de ballons à l’intérieur. C’est donc là que nous voulions que le ballon soit, tout en y mettant de la densité.

Même si nous ne pouvions pas concurrencer certaines équipes, on essayait de mettre en place des choses qui étaient assez simples défensivement, pour aider les joueurs à avoir des repères. Offensivement, en revanche, nous gardions notre façon de voir les choses. Cela étant, cela pouvait fonctionner ou pas. Notre objectif, c’était que les choses soient réalisées comme nous l’avions décidé, à la suite de la phase d’analyse vidéo. Ce mode de fonctionnement nous a permis de mettre certaines équipes en difficulté et de gagner certains matchs, comme face à Nice. Cela étant, vous ne maîtrisez pas tout. Vous ne maîtrisez pas tous les faits d’un match. Contre Marseille, par exemple, nous savions qu’il fallait que nous mettions quelque chose de très rationnel en place. Ce qui est dur contre eux, c’est que les joueurs dézonent beaucoup. Nous, nous voulions être très rationnels mais les embêter, avec des rotations entre certains joueurs, par exemple.

Quelle est la place du joueur dans tout ce processus ?

C’est une bonne question. Je l’ai vécu quand j’étais joueur, quand il y avait une séance tactique, parfois, nous parlions avec le coach sur le terrain : « oui, mais nous, on voit les choses comme ça ». Pendant les matchs, ça m’est arrivé d’aller voir le coach pour lui dire : « Il se passe ça, comment on fait ? ». A Troyes, j’avais des joueurs qui n’étaient pas trop comme ça. Ils respectaient ma façon de voir les choses et parfois je leur disais : « les gars, à un moment donné, ça vient aussi de vous. Tout en respectant l’aspect tactique ou ce que je vous demande, si vous ressentez les choses d’une certaine manière, je suis aussi capable d’évoluer et de me dire que, peut être, vous avez raison ». Il y avait des retours vidéo individuels ou par ligne, mais sur le terrain, il faut être directif, même si je pense que, malgré tout, le joueur a aussi un ressenti et que cela peut être intéressant qu’il le partage. C’est ce que j’ai fait dans ma carrière de joueur et cela ne m’a jamais dérangé.

Concernant les retours individuels, sur quoi allez-vous focaliser votre attention ?

En fait, cela dépend de ce que je vois du match. Bien sûr, je ne vais pas observer les mêmes choses chez un attaquant, un piston ou un latéral. En fait, vous vous focalisez sur ce que vous travaillez à l’entraînement et que vous voulez retrouver en match. Par exemple, si vous avez observé que dans certaines situations, un joueur ne fait pas les bons déplacements, vous les lui montrez. En revanche, vous lui montrez aussi que quand il se déplace correctement, cela fonctionne. En fait, la base de votre retour vidéo, c’est de toujours mettre le joueur dans les meilleures conditions. Il ne doit pas se sentir mis en difficulté. 

Il faut qu’il sorte de là en se disant qu’il a fait des choses de bien. Malgré tout, vous pouvez lui montrer ce qu’il a fait de mal ou de moins bien, pour l’aider à progresser. Par exemple, sur la saison 2021-2022, nous avons pris des buts qui nous ont couté cher, sur des erreurs de placement. Cela n’avait rien à voir avec ce que l’on entend trop souvent : « c’est normal, tel ou tel joueur n’a pas envie de courir ». Non, ce n’était pas ça. Il y avait juste un alignement, un positionnement, une passe, une faute ou un pressing qui n’était pas fait. Il y avait des choses qu’individuellement nous pouvions leur montrer. Parfois vous devez le montrer plusieurs fois et parfois vous ne le montrer qu’une fois et ça suffit.

Vous avez évoqué le fait d’être directif. Avez-vous choisi cette approche, parce que votre groupe réclamait cela ou est-ce tout simplement le mode de fonctionnement que vous préférez, même s’il y a de toute façon une coadaptation permanente avec le groupe que l’on accompagne ?

J’aime bien être directif parce que je veux que les zones et ce qu’on met en place soient respectés. Après, si les joueurs résolvent certains problèmes d’une autre manière, ça me permet de faire évoluer ma réflexion. Cela nous est arrivé de voir des choses qui fonctionnaient en match et de les travailler à l’entraînement, pour faire évoluer notre approche du match suivant. Parce qu’il faut aussi créer de l’incertitude chez l’adversaire. Vous ne pouvez pas toujours faire la même chose. Quand votre futur adversaire a vu une dizaine de vos matchs, il peut vite identifier ce qui est bien fait et ce qui ne l’est pas, pour l’exploiter. Donc, il faut créer une certaine forme d’incertitude. Néanmoins, j’aime bien être à la fois directif dans ce que je fais, amener beaucoup de choses à mon équipe, mais aussi, si cela ne nous met pas en danger, avoir des joueurs qui fasse évoluer ma réflexion. Parfois, vous avez une passe qu’un joueur va ressentir d’une certaine manière, qu’il fera et nous nous dirons que dans ce système-là face à tel ou tel type d’adversaire, cela fonctionne. Donc nous intégrerons cela à ce que nous proposons.

En L1 vous avez souvent répété que vous ne vouliez pas être les faire-valoir du championnat. Le contexte et les objectifs étant différents de la L2, comment avez-vous gérer cette transition et peut-être, l’évolution de votre discours auprès des joueurs et du staff ?

Oui, c’est vrai. Je l’ai toujours dit en causerie aussi, car j’estimais que le groupe avait de la qualité. J’estimais qu’on pouvait faire quelque chose de très intéressant, mais il fallait que les joueurs en prennent conscience. Il ne fallait pas se considérer comme étant le petit poucet du championnat, parce que nous avions la capacité d’être performants partout et nous avons obtenus quelques bons résultats. Mais à un moment donné, il fallait que l’effectif comprenne que nous avions notre mot à dire dans ce championnat.

La première saison à Troyes, l’objectif était de se maintenir et on a fini troisième avec le COVID. La deuxième année, c’était pareil. L’objectif était de se maintenir, mais quand vous avez fini troisième la saison précédente et que vous ne changez pas vraiment d’équipe, vous vous dites que l’objectif, c’est au moins de jouer les play-offs. Lorsqu’au 30ᵉ match, vous êtes premier et qu’il ne reste que huit matchs, votre objectif devient l’une des deux premières places. En L1 ou en L2, ma façon de travailler a été la même : le plaisir et donner beaucoup de confiance à mes joueurs, en essayant d’avoir le ballon le plus souvent possible, tout en sachant aussi qu’il y  aurait des phases où il faudrait beaucoup  défendre, sans vraiment toucher le ballon. Mais à un moment donné, je pensais aussi qu’on aurait la capacité d’avoir le ballon et de bien l’utiliser. Je n’ai pas changé ma façon de voir les choses.

Si jamais, j’entraine de nouveau en Ligue 2 ou en Ligue 1, j’arriverai sur les mêmes bases. Aider les joueurs à comprendre que techniquement, il faut être très bon, que les passes se font dans certaines zones, pas dans d’autres. Se demander pourquoi, à un moment donné, une passe est possible et à d’autres, elle ne l’est pas. Peut-être qu’un joueur n’a pas réalisé le déplacement adapté ou qu’il l’a fait, mais qu’un 3ème n’est pas dans le bon espace ? Il y a certaines idées qui sont immuables. Après la montée, je n’ai pas changé ma façon de travailler, parce que j’estimais que malgré le fait que nous puissions être un peu plus en difficulté en L1, nous avions les moyens de proposer la même chose. Cela étant, il faut essayer d’être le meilleur possible.

Les salariés et les supporters reviennent souvent dans votre discours. Généralement, c’est lorsqu’une personne n’est plus là que l’on apprécie réellement l’héritage qu’elle a laissé. Dans les clubs où vous êtes passé ou passerez, que voulez-vous laisser ?

Je veux laisser ma façon de voir le football. Je me suis toujours dit que quand on vient au stade, c’est pour voir un spectacle, avec de la prise de risques. Donc pour moi, c’est à la fois assumer cette prise de risques pour marquer des buts et en prendre le moins possible pour ne pas perdre des matchs. Parce que comme nous, les supporters veulent gagner des matchs. A mon arrivée à Troyes, je suis allé voir les gens, les salariés, parce ce que c’était important pour moi qu’ils prennent du plaisir toute la semaine, mais aussi le week-end. Quand vous gagnez des matchs, vous gagnez aussi parce qu’il y a tout un travail qui est fait en amont : la communication, la vidéo, les relations avec les supporters, les relations avec la presse, etc.

Il y a beaucoup de choses qui rentrent en ligne de compte. Nous, nous prenons du plaisir au niveau du terrain avec nos joueurs. Donc, à un moment donné, les autres parties prenantes du club doivent aussi prendre du plaisir. S’ils ne sont pas heureux au quotidien, cela peut rejaillir sur les résultats du club. Mon objectif, c’était que tout le monde soit heureux, que personne n’arrive avec la boule au ventre au travail le matin. Que chacun se dise que nous vivions de bons moments. Tout ce que j’ai mis en place pour les joueurs et pour l’équipe, c’était pour les libérer de certaines choses et qu’ils arrivent à faire des résultats.

« Ce que je veux laisser, c’est une certaine forme de travail, de simplicité, d’humilité, de jeu et d’harmonie sur le terrain, comme en dehors. »

Les supporters, c’est aussi leur donner beaucoup d’importance. Parce que c’est important d’avoir des supporters impliqués. Je l’ai vécu l’année dernière, quand on a eu le COVID pendant un an. Nous avons joué notre dernier match avec 400, 500 voire 1000 personnes à l’extérieur du stade, alors qu’on aurait pu avoir 20 000 personnes à l’intérieur. J’aurais préféré le vivre différemment. Aujourd’hui, ce que je veux laisser, c’est une certaine forme de travail, de simplicité, d’humilité, de jeu et d’harmonie sur le terrain, comme en dehors.

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