Passé notamment par le NK Domžale, l’Union Saint-Gilloise, l’Amiens SC et champion de France de Ligue 2 avec le Havre AC, Luka Elsner est l’entraineur principal du Stade de Reims.
Il nous propose un éclairage sur son rapport au football, son parcours et sa vision du rôle de l’entraineur.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Qu’est-ce que le football représente pour vous ?
C’est une passion intergénérationnelle. Mon grand-père a été joueur, puis entraîneur. Mon père a été joueur. Mon oncle travaille dans le football. Mon frère a été footballeur et a fait une carrière. J’ai l’impression que c’est même de l’ordre de la génétique maintenant.
C’est quelque chose qui est ancré en nous, dans notre ADN. Le football fait partie de mon quotidien depuis tout petit, c’est une passion constante et une flamme qui, je pense, me suivra jusqu’à la fin.
Vous semblez avoir un rapport particulier à la littérature, vous aviez notamment créé une bibliothèque lors de votre passage à l’Union Saint-Gilloise. Quel est le livre qui a eu le plus d’impact sur vous?
Si je m’en tiens au sport, ce serait Jonny, l’autobiographie de Jonny Wilkinson. On y trouve une telle obsession de la performance, de la progression, de la compétition, presque le niveau ultime du champion.
On retrouve ce trait de caractère chez Kobe Bryant et Michael Jordan. Cette obsession maladive du progrès, de l’entraînement, d’être le meilleur possible. Je pense que ce livre est celui qui symbolise le plus cet aspect du sport de compétition.
Hors du domaine du sport, ce serait toute la collection de la Comédie humaine de Balzac. J’en suis un fervent lecteur depuis très longtemps. C’est quelque chose que j’ai découvert au hasard, mais que je relis régulièrement. C’est une collection que je trouve extrêmement juste dans la description de la société, très pertinente malgré le temps qui s’est écoulé. Il y a beaucoup d’éléments que nous pouvons retrouver dans ce qu’est la société aujourd’hui.
Néanmoins si je devais m’en tenir à un livre, je dirais que celui que je préfère est Of Human Bondage (Servitude humaine), de Somerset Maugham. Il m’est souvent arrivé de flâner dans des librairies, de prendre des livres au hasard et j’étais tombé sur celui-là. J’ai été subjugué par le style, la qualité de l’écriture, l’histoire et le développement du personnage principal. J’ai ensuite lu plusieurs livres de cet écrivain que j’adore.
J’avais cette habitude de passer du temps dans des librairies, mais j’ai moins le temps maintenant parce que j’ai des occupations familiales et tout ce que je vis en tant que coach. Passer une heure ou deux à la FNAC ou dans des librairies, c’est plus difficile. Néanmoins, je l’ai souvent fait par le passé et la lecture est quelque chose de très important pour moi. C’est un vrai mode de relaxation.
Votre principe cardinal vous vient de Napoléon Bonaparte : « toujours être en première ligne, sur le front, et batailler avec ses soldats ». Comment cela se manifeste-t-il dans votre quotidien d’entraîneur ?
Je l’illustrerai par mon attitude sur le banc. Je ne vis pas les matchs de manière passive, je les vis avec les joueurs. J’essaie de transmettre de l’énergie, de vivre leurs inquiétudes, leur stress quand les choses ne vont pas bien, de leur insuffler du positif, mais aussi de les recadrer quand il le faut. Je pense qu’il est important qu’ils sentent que nous sommes là, moi et le staff. Ils ne sont pas tout seuls et ils peuvent compter sur nous pour aller au combat.
Le dernier match de championnat de Ligue 2 contre Dijon où, avec Mathieu Bodmer, nous avons essayé de remettre en tribune les gens qui étaient descendus sur la pelouse, symbolise bien le fait que nous sommes là au combat avec les joueurs pour réussir quelque chose. Je peux aussi l’illustrer par mon implication dans les séances. Je mets beaucoup d’énergie, je m’investis énormément dans la qualité de celles-ci. Pour moi, c’est ça être en première ligne. Cela passe aussi par prendre ses responsabilités en protégeant l’équipe, lorsque nous faisons face aux médias.
Lorsque l’on est l’un des garants d’un projet, définir clairement et partager une vision est quelque chose d’indispensable. C’est l’idéal vers lequel un groupe cherche à tendre. C’est ce qui inspire tout le monde jour après jour et ce à quoi il faut constamment aspirer. Pour vous, quel serait cet idéal ?
Mon idéal, c’est d’avoir une culture club de qualité. C’est ce qui a été le plus marquant cette saison au HAC (2022-2023). La culture collective ressemblait beaucoup à l’idéal que j’ai d’une culture club ou d’une culture d’équipe. Une culture club de qualité, c’est avoir des valeurs fondamentales qui sont bien posées et qui ressemblent à l’environnement dans lequel nous travaillons. Il y a une tendance collective à penser en termes de sacrifice et de bien collectif.
C’est l’un des points les plus importants lorsque l’on travaille sur un projet à moyen ou long terme. Il faut arriver à installer une culture qui ressemble aux gens, où les gens ont envie d’être et dans laquelle ils se sentent bien. Je pense que c’est pour cela que nous avons été performants. Travailler dur était devenu habituel et le fait d’être heureux d’être ensemble était un sujet important. C’est dans la combinaison de ces deux aspects que je me retrouve le plus. C’est ce à quoi j’aspire.
« Il faut arriver à installer une culture qui ressemble aux gens, où les gens ont envie d’être et dans laquelle ils se sentent bien »
Avec tout le monde et l’appui des joueurs, nous avons réussi à installer cette culture. C’est sur cette culture profonde qu’il faut le plus travailler. Pour le reste, les idées s’entremêlent, s’entrechoquent, il y a des tendances naturelles au sein du club et au sein du staff qu’il faut réussir à nouer ensemble. J’ai la chance de travailler avec Mathieu Bodmer, qui est le chef du sportif et je pense qu’il m’a choisi parce qu’il y avait une compatibilité sur ces tendances et la manière dont on voyait le football.
Quand la culture est bien ancrée, forte et juste, je pense que les opinions diverses sont bienvenues et arrivent toujours à s’aligner. Mais cela doit être quelque chose qui est constamment en mouvement, parce que dès que l’on s’arrête, on n’y prend plus garde et on n’y travaille plus. C’est un peu comme un mariage. Lorsqu’on s’engage, il y a l’idéal du début, mais il faut y travailler constamment pour que cela tienne, pour que cela évolue et que l’on puisse y être constamment heureux.
Le HAC possède une longue histoire, qui est fortement liée au développement des jeunes. Comment avez-vous abordé ce mariage entre vos idées justement et celle du club, afin de développer une vision commune des choses ?
Ce mariage fonctionne bien parce que c’est un club qui est modélisé autour du développement des jeunes, ce que j’adore faire. J’adore travailler avec des jeunes à juste dose, mais en faire des gagnants. C’est-à-dire, ne pas simplement simplement se focaliser sur les aspects footballistiques, mais aussi sur tous les autres aspects qui influencent la performance.
Il y a une culture de la ville, de l’environnement, de la structure sociale qui est ouvrière, où les notions d’effort et de collectif ont leur importance. C’est une ville portuaire avec beaucoup de métiers difficiles, des dockers, etc. Cela donne un caractère et une personnalité à l’équipe qui, de nouveau, m’est chère. Travailler dur, cela fait partie des valeurs avec lesquelles je me suis construit.
« Il y a la recherche d’un football réfléchi, qui anime et entretient l’intellect »
Ensuite, je ne sais pas si cela a toujours été présent au HAC, mais ça l’est par la construction du management (Mathieu, Mohamed El Kharraze ou encore Julien Momont), il y a la recherche d’un football réfléchi, qui anime et entretient l’intellect. Ce sont des paramètres qui se marient bien avec ce que j’ai envie de faire et ce que je sais faire. Le mariage a bien pris, parce que nous avons aussi réussi à transmettre tout cela aux joueurs.
Si nous n’arrivons pas à embarquer les joueurs dans cette idée, il n’y aura pas d’efficacité. C’est quelque chose que nous avons à peu près réussi à faire, mais qui est constamment en mouvement et qui est aussi d’une certaine fragilité, donc nous sommes attentifs à ce que cela continue.
Dans l’analyse de la performance d’une équipe, l’évaluation de l’influence de l’entraineur (et de son staff) sur celle-ci, manque souvent de finesse et/ou de nuance. Indépendamment des joueurs, ce serait le « génie » de l’entraineur ou son absence (qui fluctue en fonction des résultats) qui serait clé de tout. Il est plus rarement question du produit des interactions joueurs-(entraineur) staff. Guardiola disait d’ailleurs : « le jeu appartient aux joueurs, nous sommes là pour leur donner un coup de main ». Pour vous, où se trouve le point d’équilibre et comment définiriez-vous votre rôle d’entraineur ?
En début de saison, lorsque je réunissais le staff avant que les joueurs arrivent, je leur montrais la vidéo d’un arrêt d’une Formule 1 durant un pit stop, qui se déroule parfaitement. Les pneus sont changés très rapidement, la voiture est ravitaillée, tout est nickel. En moins de 4 secondes, la voiture est repartie. J’avais tendance à leur dire « ça, c’est nous ». Nous sommes au service de cette Formule 1. Nous devons, chacun dans notre domaine de compétences, essayer d’être des experts dans le savoir-faire et avoir la capacité de délivrer au moment où nous sommes attendus.
Si nous savons très bien changer un pneu, mais qu’au moment où cela arrive, sous pression, nous nous ratons, toute la théorie et tout ce que nous savons faire n’a aucun sens. Je trouve que le rôle de responsable de la stratégie, celui qui décide à quel moment la voiture doit s’arrêter, la stratégie à entrevoir, ressemble un petit peu à celui de l’entraîneur. Nous fixons les principes avec lesquels nous pensons qu’une équipe donnée sera en capacité de gagner. Nous sommes au service des joueurs pour qu’ils puissent délivrer cela, parce que nous ne tapons dans aucun ballon.
Nous ne sommes rien sans les joueurs, mais sans nous, les joueurs ne seraient pas dans des conditions optimales. Avec certains groupes, le coach peut s’effacer et laisser les joueurs gérer seuls, mais c’est quelque chose de rare et surtout, c’est une approche plutôt à court terme. Pour moi, joueurs et staff forment une entité. Nous apprenons auprès des joueurs et inversement.
« Nous ne sommes rien sans les joueurs, mais sans nous, les joueurs ne seraient pas dans des conditions optimales »
C’est pour cela qu’il faut construire un projet où il y a une interaction joueur/staff. Le projet se construit ensemble. Finalement, c’est autant, si ce n’est plus, leur aventure et leur projet, que celui du coach. Je suis quelqu’un de très ouvert avec mon staff, nous parlons de tout et nous définissons les choses tous ensemble. C’est moi qui porte ensuite le message et eux le font filtrer. Les joueurs, c’est pareil. Nous essayons de leur donner des clés, des principes qui leur permettront d’être performants et ensuite ils ont cette responsabilité de délivrer.
Nous devons être là, leur donner un coup de main quand il faut et leur donner la bonne direction. Si le responsable de la stratégie de l’écurie RedBull se rate sur le moment où il faut faire l’arrêt, la Formule 1 a beau être superbement bien pilotée et être hyper performante, la course sera perdue.
Mon rôle, c’est de ne pas me rater sur les changements à apporter, les principes à fixer, la stratégie à utiliser par rapport au contexte dans lequel nous sommes, c’est-à-dire le type de course et aussi en fonction de l’outil à disposition, la Formule 1. Sur quoi est-elle performante ? Quelles sont ses forces ? Quelles sont ses faiblesses ? C’est comme cela que je le vois.
Justement, afin d’aider votre groupe à apporter des réponses adaptées, au moment opportun, c’est à dire en situation de compétition, comment abordez-vous la conception de situations d’apprentissage à l’entrainement ?
Pour moi, l’entraînement est une source de plaisir presque supérieure au match. A l’entraînement, il n’existe pas le stress de se rater. Chaque fois que nous sortons d’une séance où les joueurs ont bien travaillé et que nous avons la sensation d’avoir progressé en tant que collectif, j’ai une satisfaction absolue. Je suis hyper heureux.
Le cœur du métier d’entraîneur, c’est l’entraînement. C’est par cette présence sur le terrain que nous pouvons développer des choses, faire passer des idées, créer la stratégie, développer et progresser. La méthodologie d’entraînement, c’est-à-dire la manière par laquelle nous allons concrètement transmettre nos idées, installer nos principes et faire progresser les joueurs, c’est ce qui m’anime le plus. Il faut s’inscrire dans une démarche de recherche perpétuelle.
On ne peut pas avoir un catalogue de 20 exercices et proposer quelque chose de fixe. Tel jour, on fait ça, demain on fait ça et puis, constamment répéter la même chose. Nous sommes dans un laboratoire et nous recherchons constamment. De plus, avec la quantité d’entraînement que nous avons, c’est absolument nécessaire, il faut de la variété.
« Pour moi, l’entraînement est une source de plaisir presque supérieure au match »
Il faut des chemins différents pour arriver à la même destination. Il faut un stimulus intellectuel. Il faut une certaine dureté dans le travail, c’est-à-dire souffrir ensemble. C’est tellement complexe, il y a tellement d’angles d’attaque. C’est d’une richesse absolue et je veux essayer de profiter de cette richesse constamment. Je ne supporte pas d’être endormi et de répéter des choses sans arrêt.
Je suis un vrai partisan de l’entraînement et de cette satisfaction que l’on peut avoir en créant un nouvel exercice qui se passe bien, où l’on sent que l’on a tapé juste. C’est quelque chose de génial, c’est là où je m’amuse le plus et où je prends le plus de plaisir. Je suis content quand les joueurs ont travaillé, qu’ils sortent de là lessivés, mais qu’ils disent « c’était une bonne séance. J’ai appris des trucs, je me suis amusé. J’étais en compétition ». Nous avons travaillé, mais en y mettant du sens. C’est travailler beaucoup, mais travailler juste. L’entraînement, parler des exercices, en créer de nouveaux, récupérer des idées à adapter chez nous, tester, j’adore ça.
A l’instar des joueurs sur le terrain, vous prenez des décisions dans un environnement incertain, dont les conséquences ne sont pas forcément prévisibles. À quoi ressemble votre processus de décision ?
Dans le football, un grand nombre de décisions sont prises en se basant sur des informations partielles. Toute notre carrière, nous devons réussir à déceler ce qui est important, grâce à nos compétences et notre expérience, afin de prendre les décisions les plus justes possibles. Nous devons essayer de voir juste à partir d’une image plus ou moins floue.
Les entraîneurs qui réussissent le mieux, sont ceux qui arrivent à déceler ce qui est juste et quelle est la bonne décision dans un contexte incertain. Pour réduire cette incertitude, il faut s’entourer d’experts, de personnes qui ont une meilleure vision que nous de certains domaines et qui peuvent nous orienter. C’est avoir des joueurs qui sont capables de gérer cette incertitude là et de nous apporter parfois des réponses.
C’est aussi travailler en sachant que l’on ne pourra pas tout réussir, qu’il y aura des erreurs. Que si nous commettons des erreurs, la prochaine fois, dans une situation similaire, nous pourrons mieux nous adapter et mieux décider. C’est peut-être une des qualités que je possède. Si j’ai raté certaines choses, je n’ai aucun problème à d’abord le voir moi-même.
C’est quelque chose d’important, parce que si l’on attend à chaque fois que quelqu’un nous informe que nous avons raté quelque chose, nous perdons beaucoup de temps et dans ce laps de temps, nous pouvons rater beaucoup d’autres choses. Il faut donc être très autocritique.
« Les entraîneurs qui réussissent le mieux, sont ceux qui arrivent à déceler ce qui est juste et quelle est la bonne décision dans un contexte incertain. »
C’est quelque chose que j’ai récupéré de mon père. Toute ma carrière, chaque fois que je jouais, il me demandait : « qu’est-ce que tu aurais pu faire mieux ? » Il ne m’a jamais dit « C’était super, tu as fait ça et ça». C’était plutôt « Qu’est-ce que tu aurais pu améliorer ? ». Ce regard critique, permet de faire mieux la prochaine fois et de ne pas uniquement se focaliser sur le résultat final. Il permet de regarder quel processus a permis d’arriver à ce chemin là et de décider.
Parfois en tant que coach, nous décidons seul. Mais souvent, et c’est là où c’est important d’avoir un top staff, la décision est collégiale. Ensemble, nous sommes capables de voir plus de choses. Néanmoins, la décision finale doit m’appartenir et c’est à moi d’en porter la responsabilité.
Décider avec des gens compétents, bienveillants et qui sont là pour les bonnes raisons, facilite la prise de bonnes décisions. Néanmoins, ce n’est pas une science exacte. Comme les joueurs, nous ratons des choses. Moins nous en ratons, mieux nous aiderons notre équipe. Je ne m’autoflagelle pas à chaque fois que j’ai raté quelque chose, j’essaie d’avancer.
Qu’est-ce qui vous motive le plus : l’amour de la victoire ou la haine de la défaite ?
Je hais vraiment la défaite. C’est bateau et je pense que beaucoup de coachs l’ont dit, mais je n’ai jamais autant de plaisir que je n’ai de déplaisir lorsque nous perdons. Je prends presque la victoire comme quelque chose de normal. Le résultat par défaut doit être la victoire.
S’il n’y a pas la victoire, c’est qu’il y a quelque chose qui ne s’est pas bien passé et que nous n’avons pas su gérer correctement. Pour moi, la défaite est synonyme d’erreurs et c’est quelque chose qui m’embête vraiment.
« Je comprends très bien que dans le football, on peut perdre un match même lorsqu’on a tout bien fait, mais j’ai toujours la sensation que « j’aurais pu faire différemment » »
Aujourd’hui, j’arrive à prendre sur moi et à ne pas transmettre trop profondément cela aux joueurs. Par le passé, j’ai eu tendance à rester trop longtemps sur cela et à être trop agressif dans ces moments-là. Je comprends très bien que dans le football, on peut perdre un match même lorsqu’on a tout bien fait, mais j’ai toujours la sensation que « j’aurais pu faire différemment ». Si j’avais fait cela, alors peut-être que cela ne se serait pas passé comme ça.
En fait, je ne veux pas laisser des éléments de côté. J’ai une obsession du détail et de la préparation. Je veux que tout le monde ait tout donné pour que ça passe. La victoire est mon mode par défaut, pour autant, j’ai vécu des saisons où j’ai beaucoup perdu. Je ne trouve pas que la victoire soit quelque chose d’exceptionnel. Je ne pense pas dire cela par manque d’humilité, mais parce que si la victoire n’est pas au bout, je me dis toujours que je n’ai pas bien effectué mon travail.
John Wooden (entraineur de basketball américain) disait, « le succès n’est jamais final, l’échec n’est jamais fatal. Ce qui compte, c’est le courage ». Vous venez d’être sacré champion de L2 et l’on pourrait considérer que vous êtes en haut de la vague. Néanmoins, vous avez aussi connu des périodes plus difficiles. Comment cette phrase de Wooden résonne-t-elle au regard de votre parcours ?
C’est une phrase qui résonne pas mal. C’est d’ailleurs une citation que j’ai consignée dans un document où je regroupe toutes les citations extraites de mes lectures. Je considère que dans la vie, et parfois de manière un peu aléatoire, il y a des cycles. Des cycles positifs et des cycles négatifs. Parfois, il n’y a pas de raison pour l’un ou pour l’autre, mais il faut les accepter. Ce sont des cycles de la vie. C’est vrai dans le travail et c’est tout aussi vrai dans la vie personnelle.
Il y a des hauts et des bas. Les hauts ne sont plaisants que parce qu’il y a des bas. Quand il y a des bas, il faut tout faire pour avoir cette résilience qui nous permettra de nous en sortir. Ces cycles-là, je les accepte d’autant plus facilement car je me suis aperçu au cours de ma carrière que les cycles difficiles, où je me tuais à la tâche et que résultat n’était pas forcément à la hauteur de mes espérances ou de mon investissement, pouvaient être une bonne préparation à ce dont j’allais avoir besoin pour réussir dans le projet suivant.
Un exemple concret. J’ai entraîné à Paphos (Chypre) pour ma première expérience à l’étranger, après la Slovénie. La situation était catastrophique à notre arrivée. Le club montait de D2 en D1 et un repreneur russe avait racheté le club à ce moment-là. Nous démarrons avec deux joueurs sous contrat et 20 ballons. Il n’y a pas de terrain d’entraînement, nous déménageons toutes les semaines. Je suis obligé d’amener un staff entier de Slovénie, plus un intendant qui s’occupait du linge. Des problématiques incroyables à gérer.
La saison se passe très bien au début et beaucoup moins bien à la fin. En sortant de là, je me dis « mais à quoi vont me servir toutes ces catastrophes que j’ai vécues ? Pourquoi ai-je fait ça ? ». Trois mois plus tard, l’Union Saint-Gilloise, qui a été reprise par le propriétaire de Brighton, m’appelle. J’arrive et je retombe sur le même environnement qu’à Chypre. Tout est à faire, nous ne savons pas où nous allons nous entraîner et il y a huit joueurs sous contrat. Il y a des moyens, mais nous ne partons de rien.
« Tout est une histoire de cycles et d’acceptation de ces derniers. Il faut se dire que les cycles négatifs ne durent pas si l’on continue d’avancer »
Avec mon expérience chypriote, je me dis que je sais ce qu’il faut faire. Je sais comment y arriver vite. Sur l’organisation et sur la méthodologie d’entraînement, je sais comment optimiser le temps très court que j’ai à disposition. Je me dis aussi que si je n’avais pas vécu ça l’année dernière, je serais arrivé ici et peut être que je me serais planté. Je réussis dans ce nouveau contexte parce que j’ai cette expérience-là.
Finalement, une expérience très négative m’a énormément servie pour réussir l’étape d’après. C’est un peu comme cela que j’essaie de voir les moments difficiles. Dans les moments négatifs, il faut se dire que l’on est dans un tunnel, mais que la sortie est au bout. Il faut juste continuer à marcher. Cela permet de garder de l’énergie et la motivation pour continuer, malgré les difficultés. Parfois c’est très dur. Au Standard de Liège par exemple, cela a été très difficile.
Néanmoins, tout est une histoire de cycles et d’acceptation de ces derniers. Il faut se dire que les cycles négatifs ne durent pas si l’on continue d’avancer. Lorsque c’est positif, il faut être lucide et savoir que cela ne durera pas éternellement. Il faut profiter, être heureux, mais également se préparer à ce que demain peut-être, ce ne soit pas le cas. Il faut faire en sorte que son quotidien soit le meilleur possible. C’est peut-être d’ailleurs cette vision à court terme qui me plaît le plus, c’est à dire « que puis-je faire aujourd’hui pour que la journée se passe bien ? ». Que ce soit personnellement ou professionnellement.
De cette manière, on ne s’expose pas à trop de déceptions et de doutes. On m’a souvent posé la question : « où vous voyez-vous dans cinq ans ? ». Pour moi, c’est une question qui n’a pas de sens. En pensant à où l’on veut être dans cinq ans, on se projette et si nous ne sommes pas là où nous voudrions, il y a une grosse déception. Pour moi, c’est au jour le jour et puis on voit comment ça se passe. Certaines portes s’ouvriront, d’autres se fermeront, mais chaque journée est une nouvelle opportunité.
Finalement, il faut prendre les aléas comme ils sont et savoir que le succès n’est pas éternel.
Certainement pas. Parfois, on arrive le matin au centre d’entraînement, tout va bien, tout est nickel, la préparation du match se passe bien et là il y a un imprévu. Par exemple, j’ai déjà eu dans ma carrière un joueur qui s’est fait rouler dessus par sa propre voiture. Un joueur qui devait démarrer le prochain match. Lorsque quelque chose comme cela arrive, on se demande « mais comment c’est possible ? ». C’est arrivé la veille du match, nous avions tout préparé et il a fallu tout changer.
C’est ça la vie. Ce sont des imprévus constants qu’il faut négocier, gérer et essayer d’anticiper, d’avoir des solutions et de surtout réagir. Il y a des choses sur lesquelles nous n’avons pas d’influence, mais il faut être très bon sur celles que nous pouvons influencer.
Vous avez côtoyé de nombreux joueurs et collaboré avec un certain nombre de personnes dans des environnements très différents. Qu’est-ce que toutes ces expériences vous ont appris sur la nature humaine ?
J’ai appris à ne pas attendre trop des gens, donc ne pas avoir de rancune, de déception. Finalement, ne pas me poser trop de questions sur la nature humaine. Je n’attends pas la perfection de qui que ce soit. J’attends juste que la personne ait de bonnes intentions et qu’elle essaie de faire au mieux. Pour ne pas être trop déçu, il ne faut pas trop en attendre.
La multiplicité des situations, l’éducation, l’environnement, la génétique, les relations créées dans l’adolescence et dans l’enfance, vont former un être humain complexe. Il sera très différent de son voisin, de son coéquipier. Comme l’avait dit Wooden : « je n’ai pas un style de management, j’ai autant de styles de management que je n’ai de joueurs ». Il faut savoir s’adapter à la diversité des personnalités, des caractères et des histoires.
J’ai appris qu’il y avait pratiquement tout le temps des raisons au comportement de l’être humain, à sa motivation et qu’il était bon de rechercher ces éléments là pour pouvoir répondre à son besoin et pouvoir lui apporter des réponses afin qu’il puisse être épanoui et performant.
« En mettant de la distance, on ne comprend pas les joueurs. On ne sait pas de quoi ils sont faits, quelles sont leurs peurs, quelles sont leurs motivations, comment les enflammer »
Cette recherche-là, cet approfondissement, ce sont des éléments qui sont du domaine de l’attention. Il faut s’intéresser aux personnes, poser des questions qui ne sont pas tout le temps connectées au football et créer cette relation humaine qui permet de comprendre pour être juste. C’est quelque chose que j’ai créé au fur et à mesure de ma carrière.
Je n’étais pas proche de mes joueurs au début. Par peur peut-être, par manque de confiance certainement. Peur que mon âge soit un frein à mon autorité, ce qui n’a aucun sens. Même s’il y a une différence d’âge avec les joueurs, si l’on sait de quoi on parle, l’autorité sera là, elle sera naturelle. Néanmoins, j’ai eu cette peur en début de carrière, donc je mettais de la distance.
Cependant, en mettant de la distance, on ne comprend pas les joueurs. On ne sait pas de quoi ils sont faits, quelles sont leurs peurs, quelles sont leurs motivations, comment les enflammer. Au fur et à mesure j’ai su calibrer différemment et essayer de me rapprocher d’eux, pour mieux les comprendre, mais aussi pour prendre du plaisir au quotidien.
« Il faut s’intéresser aux personnes, poser des questions qui ne sont pas tout le temps connectées au football et créer cette relation humaine qui permet de comprendre pour être juste »
Nous ne sommes pas des robots. Si nous voulons vivre une histoire collective sympa et qui soit productive, il faut que nous soyons un bon groupe et le coach fait partie de ce groupe. Je dois donc m’attacher à faire partie du groupe, en essayant de les emmener dans une bonne direction.
Sur cette nature humaine, il y a beaucoup de diversité et il faut essayer de l’appréhender au maximum avec les outils que nous avons à disposition. Au cours du recrutement, si nous pouvons choisir des joueurs qui sont plus facilement compatibles avec nous, nos idées et nos principes, nous nous enlèverons des difficultés. D’où l’importance d’un recrutement réussi pour ne pas perdre de temps sur le management du quotidien, parce que nous nous comprendrons facilement.
Si nous recrutons des joueurs qui n’aiment pas le football que nous aimons, qui ne possèdent pas les mêmes valeurs, ce sera compliqué. Ce n’est pas négatif, c’est simplement qu’ils se sont développés dans un contexte différent et possèdent des valeurs différentes. Néanmoins, si nous arrivons à être compatibles sur ces aspects, nous perdrons moins de temps et nous serons plus performants ensemble. Aujourd’hui, j’ai vraiment besoin d’arriver au centre d’entraînement et de ressentir le plaisir d’être avec les joueurs et le staff. C’est ce qui me rend heureux et c’est ce dont j’ai besoin.
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