Le football nous met en relation

En plus de 30 ans, Nasser Larguet a occupé différents rôles au Stade Malherbe de Caen, au Havre AC, au Racing Club de Strasbourg, à l’Académie Mohammed VI, à la Fédération royale marocaine de football, et à l’Olympique de Marseille. Il est est aujourd’hui directeur technique national de la Fédération saoudienne de football.

Il nous propose de découvrir sa perspective sur des thèmes comme l’importance du tryptique éducation-scolarité-football, l’Académie Mohammed VI comme modèle, le processus d’identification des talents au Maroc ou encore l’intégration et la gestion des binationaux.

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Comment la place qu’a occupée le football dans votre enfance a-t-elle façonné une passion si profonde qu’elle influence encore aujourd’hui votre manière d’aimer, de transmettre et de penser ce sport ?

Ma relation avec le football a commencé très tôt, au Maroc, dans mon quartier, avec mes copains, mes voisins, puis à l’école. À cette époque, il n’y avait ni smartphones ni écrans d’aujourd’hui. Notre seul vrai passe-temps, c’était un ballon, on jouait partout, dans la rue, dans la cour de l’immeuble, à l’école.

Quand j’étais en primaire, j’étais inscrit dans un établissement français, la Mission française Honoré de Balzac à Kénitra. Pendant les récréations, on passait tout notre temps à jouer entre copains. J’avais la chance d’avoir un groupe d’amis du quartier qui étaient aussi dans la même école que moi. On avançait ensemble d’une classe à l’autre, et au fil du temps, on a tissé une véritable amitié autour du ballon.

Après le primaire, nous sommes tous passés au collège, toujours ensemble. C’est seulement à l’arrivée au lycée, en seconde, première et terminale, que nos chemins ont commencé à se séparer. Le collège au Maroc avait alors supprimé l’enseignement français, ce qui nous a obligés à nous orienter vers différentes structures. Certains de mes copains sont partis à Rabat pour poursuivre leurs études au lycée, tandis qu’une autre partie, dont moi, a rejoint Meknès, au lycée Paul-Valéry.

Malgré cette séparation, le football est resté notre passion commune. Quand nous revenions à Kénitra, notamment le vendredi, qui marquait le début de notre week-end, on se retrouvait systématiquement. On organisait des matchs entre quartiers, parfois même contre des adultes, des militaires, du haut de nos 15 ou 16 ans, on jouait avec la même envie, la même insouciance et la même détermination.

Quand je suis arrivé à Meknès, le football a naturellement continué à occuper une place centrale dans ma vie. J’aimais profondément les sports collectifs, je jouais au basket, au handball, et bien sûr au football. Cette année-là, nous avons d’ailleurs été champions du Maroc des lycées français. La finale était à Rabat, nous avons remporté le titre de football et de handball et j’ai eu la chance de jouer dans les deux équipes.

Le sport était une passion immense, mais il ne prenait jamais le dessus sur l’école. Il y avait une exigence familiale forte, et puis, à l’époque, au Maroc, le football n’était pas professionnel, pas de centres de formation, pas de parcours structurés. Pour moi, le football restait un loisir, quelque chose qu’on aimait profondément sans jamais imaginer que cela pourrait, un jour, devenir un métier. Cependant, un détail amusant qui me revient, mes copains m’attendaient systématiquement à la fin des cours pour que ce soit moi qui fasse la composition de l’équipe parce que nous jouions à 11, sans remplaçants.

Je ne sais pas vraiment d’où ça vient, sans doute de mon éducation, mais je plaçais toujours mes copains en premier, et mon frère qui jouait avec nous. Je choisissais leur poste, et ensuite, je prenais celui qu’il restait. J’ai joué partout, gardien, défenseur, milieu, attaquant. C’est Maged Benjelloun, un garçon extrêmement doué, le fils d’un médecin qui insistait pour que je joue avec lui en attaque. Grâce à lui, je me suis souvent retrouvé à évoluer en pointe, presque malgré moi.

Le baccalauréat en poche, il fallait partir en Europe, et pour moi, c’était la France. J’étais destiné à devenir pharmacien. J’avais donc fait mes vœux pour intégrer une faculté de pharmacie dans le sud à Montpellier, Marseille, Nice, Toulouse… Mais il n’y avait de place nulle part. Finalement, je me suis retrouvé parachuté à Caen, en Normandie, un endroit dont je ne connaissais même pas l’existence sur la carte de France. J’y ai été inscrit en première année de pharmacie.

Le football restait un simple loisir, je jouais avec mes copains de la fac, le dimanche matin et je participais aussi à des tournois de sixte, l’été. Je jouais avec l’équipe de la fac, dans le cadre du championnat organisé par la Fédération nationale du sport universitaire (FNSU). Dès qu’il y avait un ballon quelque part, j’allais jouer, sans jamais négliger mes études.

Malheureusement, en pharmacie, ça n’a pas fonctionné. J’ai redoublé ma première année et c’est pendant ma deuxième tentative qu’un événement inattendu a changé le cours de ma vie. Entre la cité universitaire Lebisey où j’habitais et la faculté, je prenais chaque jour le bus numéro 2. Ce bus s’arrêtait exactement au milieu du trajet, face à un stade : l’arrêt s’appelait Stade de la Hâche. C’était le terrain de l’ASPTT Caen, un véritable terrain en herbe, éclairé. À 19 ans, je n’avais jamais joué sur un gazon comme celui-là, encore moins un terrain éclairé. À chaque passage, je rêvais d’y mettre les pieds.

Un jour, j’ai pris mon courage à deux mains. Je suis descendu du bus. J’ai vu un monsieur poser des plots et je suis allé vers lui.

— Vous voulez quoi ? m’a-t-il demandé.
— Je voudrais savoir comment on peut jouer sur un terrain comme celui-là…
Il m’a demandé d’où je venais et je lui réponds :
— Je suis marocain, je suis inscrit à la fac, et j’aime le football.
— Tu es licencié ?
Je ne savais même pas ce que ça voulait dire et je réponds non.
— Tu joues dans un club ?
— Non, juste avec des copains.

Il m’a alors répondu :
— Ça tombe bien. Notre équipe réserve, qui joue en première division district, a un match amical dimanche prochain. Viens t’entraîner mardi et jeudi, et tu joueras le match. Si tu es bon, on te proposera de signer. Si tu n’es pas bon, tu rentres chez toi.

Le mardi, je suis venu, la séance était uniquement physique et j’ai failli vomir tellement c’était dur. Le jeudi, j’ai hésité à revenir, j’avais peur, mais je me suis forcé. Ce jour-là, c’était du jeu, de la technique et je me suis senti bien mieux.

Le dimanche, j’ai joué le match amical. Je suis fautif sur le but que l’on encaisse. J’évoluais en attaque, mais je me rattrape, en marquant le but de l’égalisation.

Après le match, comme c’était la tradition au club, toutes les équipes qui jouaient à domicile étaient réunies pour un petit pot. Il y avait du fromage, de la charcuterie, des boissons… Moi, je me contentais de fromage et d’un coca. Je voyais l’entraîneur de l’équipe avec laquelle j’avais joué discuter avec l’entraîneur général, celui qui m’avait autorisé à venir m’entraîner.

Il est venu vers moi et m’a dit :
— Est-ce que ça t’intéresserait de signer avec nous ? Ainsi, tu pourras t’entraîner régulièrement et jouer les matchs.

Je lui ai répondu :
— Écoutez, je ne demande que ça.

Il m’a alors expliqué la marche à suivre :
— Tu nous apportes tes photos, tu remplis le papier de licence, et tu signes avec nous.

C’est ainsi que j’ai signé ma première licence, à 20 ans, à l’ASPTT de Caen.

Le destin a voulu que l’ASPTT Caen soit un très bon club formateur. À cette époque, trois clubs se disputaient la place de meilleure équipe de la ville, le Stade Malherbe de Caen, alors en troisième division nationale, l’ASPTT qui évoluait en Division d’Honneur, et l’US Normande, un club corporatif lié à l’usine de métallurgie de Caen, récemment relégué en quatrième division.

Après une saison et demie à l’ASPTT, l’US Normande m’a sollicité et encore une fois, le destin a joué son rôle. À la fac, nous avions constitué des équipes par nationalité. 

Je jouais avec l’équipe des Marocains contre les Ivoiriens, les Algériens, les Sénégalais…

Dans l’équipe ivoirienne, il y avait un joueur presque semi-professionnel, Papi Loum. Et à chaque fois que nous affrontions leur équipe, je marquais.
Un jour, Papi est allé parler de moi à son entraîneur de l’époque, Zygmund Lysik, qui est venu me voir après un match et m’a proposé de signer chez eux. Je ne savais même pas comment on passait d’un club à l’autre et je lui ai répondu que j’étais bien à l’ASPTT.

À l’époque, ma bourse marocaine me permettait simplement de payer mes repas universitaires et ma chambre en cité U.

Il me demande :
— C’est toi qui t’achètes tes chaussures ?
— Oui.
— Et tes équipements ?
— Oui.
Alors il me dit :
— Si tu viens chez nous, on t’équipe entièrement. Et si tu as la chance de jouer un peu avec l’équipe première, tu toucheras des primes d’entraînement et de match. Ça pourra arrondir tes fins de mois.

Il a insisté, et j’ai fini par signer à l’US Normande. J’y suis resté cinq ans. C’était un excellent club formateur. J’ai commencé avec l’équipe 3, puis la réserve en division d’honneur, et j’ai ensuite intégré l’équipe première en quatrième division.

Au bout de deux ans, un événement inattendu est arrivé. L’entraîneur de l’équipe première, qui encadrait aussi les minimes le mercredi, me demande :
— Qu’est-ce que tu fais le mercredi ?
— Je suis à la fac, je n’ai rien l’après-midi.
— Alors viens encadrer les petits avec moi.

Je n’avais jamais encadré de ma vie, mais j’étais jeune, motivé, et je m’entendais très bien avec les enfants. Voyant cette alchimie, il me dit :
— Aux vacances de février, je t’oblige à aller passer ton initiateur de football.
— C’est quoi ça ?
— Le premier diplôme d’entraîneur.

Je ne savais même pas qu’il existait des diplômes pour devenir entraîneur !

Il m’a donc inscrit à la formation. J’ai obtenu mon diplôme et le courant est très bien passé avec le conseiller technique régional, Monsieur Richard Desremeaux.

Parallèlement, après avoir redoublé mes deux premières années de pharmacie, je me suis réorienté vers un DEUG de biologie, puis une licence et une maîtrise de microbiologie et biochimie alimentaire.

Dans les stages d’entraîneur, j’étais très à l’aise sur les aspects physiologiques. Je posais beaucoup de questions, très curieux et désireux de comprendre ce que je faisais et pourquoi je le faisais, sans doute mon esprit cartésien, universitaire et scolaire. 

Le Conseiller Technique Régional (CTR) me dit alors :
— Aux vacances de Pâques, je vais te confier la sélection cadets (U16) du Calvados.
Je lui réponds que je n’ai jamais entraîné à ce niveau-là.
— Ne t’inquiète pas, il y aura un dirigeant avec toi, Pierre Bleuzen. Et comme je n’ai personne d’autre, tu vas t’y coller.

Contre toute attente, nous atteignons la finale de ce tournoi qui regroupait six districts. Aujourd’hui encore, je ne sais pas comment j’ai réussi à mener ces gamins jusque-là. J’étais simplement très bienveillant, je ne les stressais pas avec les résultats, je leur donnais une organisation claire, mais aussi beaucoup de liberté dans le jeu.

À mon retour, le CTR me fait passer le Brevet d’État 1er degré, Il me fait enchaîner le spécifique et le tronc commun en quelques mois et me voilà titulaire de ce diplôme tout en continuant mon expérience pendant cinq saisons au club.

Ce technicien m’appelait régulièrement pour l’assister lors des rassemblements de jeunes, notamment les sélections du Calvados. À l’époque, il y avait aussi l’opération Guérin, pour identifier les meilleurs pupilles (U12). Tous les rassemblements se faisaient à Thury-Harcourt. Nous y passions plusieurs jours en stage, logés dans un collège d’enseignement catholique, Notre-Dame de Thury-Harcourt. Tout le staff y dormait, dont Philippe Troussier, qui était alors entraîneur de l’US Alençon.

Pourquoi Thury-Harcourt ? Tout simplement parce que le président du club local, tout juste élu président et succédant à Monsieur Maurice Grenon devenu président du district du Calvados, mettait le terrain à disposition. Un jour, le CTR m’annonce :
— Le président de Thury-Harcourt cherche un entraîneur. Je lui ai conseillé de te prendre.

À ce moment-là, j’étais en fin de cursus universitaire. Je voulais devenir maître auxiliaire ou professeur de sciences naturelles. Lorsque je rencontre le président, il me demande :
— Êtes-vous prêt à devenir le premier entraîneur diplômé de notre club ?

Je lui réponds :
— Vous savez, je n’ai pas beaucoup d’expérience…
— Ne vous inquiétez pas. Nous non plus, nous n’avons jamais travaillé avec un entraîneur diplômé. On va vivre cette aventure ensemble.

J’ai trouvé mille prétextes pour refuser, j’étais jeune, j’avais peur, et surtout, je n’avais pas de moyen de locomotion. Je venais de rencontrer celle qui allait devenir ma femme, et c’est elle qui m’emmenait et me ramenait au football, ou me prêtait parfois sa voiture.

Alors le président me dit :
— Venez avec moi.

Il m’emmène dans son garage. Sa belle-mère avait une vieille Renault 4L qui ne bougeait plus.
— Je vous la mets à disposition. Carte grise, assurance, vignette, carburant, tout est pris en charge et je vous donne un salaire.

C’est comme ça que j’ai obtenu mon premier travail en tant qu’éducateur.

Parallèlement, pendant les vacances d’été, je faisais des stages avec un ami, Pascal Théault, formateur emblématique du Stade Malherbe de Caen.

À 26 ans, je suis devenu entraîneur-joueur à Thury-Harcourt. J’étais responsable de toutes les catégories, des débutants jusqu’aux vétérans. J’avais annoncé clairement que je ne m’engageais que pour une seule saison. J’en avais assez de la fac et je cherchais quelques heures comme maître auxiliaire ou professeur.

Les gens de Thury-Harcourt étaient extraordinaires et ce club restera toujours dans mon cœur.

Le président est allé voir le directeur du collège Notre-Dame de Thury-Harcourt, Monsieur Michel Durand qui, à ses heures perdues, était aussi correspondant sportif pour Ouest-France. Il m’avait déjà posé quelques questions à l’issue de nos matchs, mais j’ignorais qu’il était directeur de cet établissement scolaire.

Dans la foulée, le directeur du collège me convoque et me propose un poste d’enseignant, huit heures de sciences naturelles, quelques heures de mathématiques et des heures d’EPS, puisque je possédais le Brevet d’État 1er degré. Il tenait absolument à me constituer un service complet de 21 heures.

Petite parenthèse, à l’époque, j’étais titulaire d’une carte de séjour en tant que ressortissant marocain et de confession musulmane. Je pensais qu’il serait difficile d’être recruté dans un établissement d’enseignement catholique. Mais le directeur a immédiatement présenté la situation à l’Union Régionale de l’Enseignement Catholique (UREC) en affirmant clairement qu’il souhaitait m’embaucher, et qu’il en assumait l’entière responsabilité.

J’ai donc passé trois années à Thury-Harcourt, qui ont représenté pour moi un apprentissage exceptionnel, une véritable école de la vie. Dans un club amateur, il faut savoir être débrouillard. J’y ai découvert des valeurs fortes comme le bénévolat, le don de soi, la bienveillance, le respect. J’y ai été accueilli comme un enfant du pays. Le club m’a donné carte blanche sur le plan sportif et s’est toujours montré disponible.

Au collège, j’ai appris la pédagogie, la relation avec des élèves de tous horizons, de la 6e à la 4e, y compris ceux des Classes Préprofessionnelles de Niveau (CPPN).

En juin 1989, je reçois un appel d’un ami de la fac, Pascal Boisroux devenu directeur administratif du FC Rouen. Il me propose de remplacer l’entraîneur de leur équipe évoluant en Division d’Honneur (DH), partie intégrante du club professionnel. Après de longues hésitations, ne connaissant pas le milieu professionnel, je me rends à Rouen, où je suis accueilli par Arnaud Dos Santos, ancien joueur professionnel et entraîneur de l’équipe première, ainsi que par Daniel Zorzetto, le directeur du centre de formation.

Ils me présentent leur projet. Je leur avoue venir du monde amateur et ne rien connaître à l’environnement professionnel. Leur réponse est immédiate :
« C’est justement ce que nous recherchons. »

Embarrassé, je réalise que mon emploi du temps au collège est déjà fixé et que, côté football, j’ai achevé le recrutement et la planification de la saison à Thury-Harcourt. 

J’appelle alors mon président pour lui expliquer la situation. Sa réponse restera à jamais gravée :
« Monsieur Larguet, c’est votre chance. Elle est faite pour vous. Vous devez y aller. Trouvez-moi simplement un remplaçant. Et si Rouen ne vous convient pas, je vous reprendrai. »

Lorsque j’annonce la nouvelle au directeur du collège, j’ai l’impression qu’ils s’étaient déjà concertés. Il me dit lui aussi :
« Vous devez accepter. Je vous interdis de refuser. Trouvez votre remplaçant. »

Je trouve alors un ami de la fac, Khalid Wali Alami, étudiant en biologie, totalement étranger au football… Il vient d’ailleurs de prendre sa retraite en novembre dernier, après avoir occupé ce poste depuis 1989.

C’est ainsi que j’ai quitté le monde amateur pour entrer dans le milieu professionnel, au FC Rouen.

À quel moment avez-vous compris que votre vocation se trouvait davantage dans la formation et la structuration du football que dans le rôle d’entraîneur classique, alors même qu’en parallèle vous aviez gravi tous les échelons du football français, des jeunes amateurs jusqu’à l’équipe première de l’Olympique de Marseille ?

Après un an et demi seulement, j’ai pris la direction du centre de formation. Arnaud Dos Santos était parti, Daniel Zorzetto avait été nommé entraîneur de l’équipe première. J’ai occupé ce poste pendant quatre ans et demi. Au bout de six ans au FC Rouen, le club dépose le bilan, je n’ai jamais eu de plan, je vivais l’instant, je ne me projetais jamais. Je reçois deux coups de fil, Patrick Rampillon, directeur du Centre de formation du Stade Rennais, et Guy Lacombe, directeur du Centre de formation de l’AS Cannes, vraiment pressant.

À l’époque, c’était l’âge d’or de la formation dans le club azuréen, avec le passage de Zinédine Zidane et Patrick Vieira. Guy Lacombe, me convoque à Cannes, c’était la première fois que j’y allais et une fois sur le terrain avec lui, je vois des extraterrestres, il y avait Peter Luccin, Jonathan Zebina, Sébastien Frey, Julien Escudé, Bernard Lambourde, David Jemmali … C’était un autre monde.

Je me posais beaucoup de questions lors des stages de formation, notamment lors du stage annuel de recyclage à Clairefontaine où se réunissaient tous les directeurs de centres de formation. La plupart étaient d’anciens joueurs professionnels, notamment dans les clubs les plus prestigieux, comme Patrick Rampillon à Rennes, Guy Lacombe à Cannes, Daniel Rolland à Auxerre ou Raynald Denoueix à Nantes… Je m’asseyais souvent près d’eux, et comme toujours, ma curiosité prenait le dessus. 

Je posais énormément de questions, le contact passait bien, et c’est au fil de ces échanges mais surtout devant l’insistance de Guy Lacombe, que j’ai commencé à comprendre que le monde de la formation dans le football professionnel était probablement fait pour moi. J’ai fini par m’engager à l’AS Cannes, avec un contrat de trois saisons prolongées de trois autres saisons, sous la responsabilité de Guy Lacombe. 

Très attaché à la dimension humaine, j’ai pourtant pris la décision de démissionner au bout de trois ans et deux mois, lorsque Guy a été démis de ses fonctions à la tête de l’équipe première. Je suis alors revenu à Caen, ma ville d’adoption, où je suis resté trois ans. Un malentendu avec le président nous a empêchés de trouver un terrain d’entente pour une prolongation. 

C’est finalement grâce à Jean-François Domergue et Jean-Pierre Louvel, président du Havre AC, que j’ai rebondi au Havre, à la tête de l’équipe réserve, avec un contrat de deux saisons prolongées de trois autres saisons. Je suis resté trois saisons et j’ai eu la chance d’y accompagner des joueurs exceptionnels, parmi lesquels Steve Mandanda, Anthony Le Tallec, Florent Sinama-Pongolle, Lassana Diarra ou encore Didier Digard. Je suis finalement retourné à la direction de la formation, à l’est de la France, au Racing Club de Strasbourg pendant 3 saisons, avant de recevoir un courrier du Palais-Royal.

J’avais l’opportunité de travailler sur un projet, en partant d’une feuille blanche, l’Académie Mohamed VI et j’y suis resté sept ans avant de devenir directeur technique national de la Fédération royale marocaine de football pendant 5 saisons. En 2019, nous nous sommes séparés avec la Fédération marocaine et je me suis engagé avec l’Olympique de Marseille pour prendre la direction du centre de formation pendant 3 saisons et depuis je suis Directeur Technique National de la Saudi Arabian Football Federation. 

Comment décririez-vous votre philosophie de formation des jeunes joueurs, et en quoi la dimension humaine et éducative demeure-t-elle essentielle dans leur développement, quel que soit le contexte ?

Pour moi, l’enjeu fondamental, dès le départ, est d’établir un cadre clair. Je dis toujours aux familles et aux joueurs que si le football nous met en relation, il repose sur deux règles absolument non négociables.

La première, c’est l’éducation. Dire bonjour, dire au revoir, respecter sa chambre, débarrasser sa table, ne pas utiliser son téléphone dans les espaces collectifs… Ce sont des bases qui façonnent le comportement d’un individu, pas seulement d’un joueur.

La deuxième, c’est la scolarité. Car je n’ai aucune certitude sur l’avenir sportif d’un jeune. Je ne peux pas garantir qu’il atteindra le niveau international, la Ligue 1, la Ligue 2 ou même le National. En revanche, je peux garantir que nous ferons tout pour l’accompagner le plus loin possible. La formation doit lui offrir un avenir, qu’il passe ou non par le football.

Ce n’est qu’en troisième position que vient le football. Et si le joueur ne s’engage pas pleinement dans les deux premiers domaines, il est inutile de poursuivre l’aventure ensemble.

J’ai toujours fonctionné ainsi. Concrètement, cela passe par un bilan trimestriel avec chaque joueur pour évaluer son comportement, sa vie au centre, sa scolarité et son football, ainsi que deux rencontres annuelles avec les familles. Chaque pilier compte, car un joueur peut être excellent sur le terrain et à l’école mais adopter un comportement inacceptable, ou au contraire, être exemplaire humainement et scolairement mais avoir besoin de progresser footballistiquement. À chaque fois, l’objectif est d’ajuster. Très honnêtement, les familles ont toujours adhéré à ce modèle basé sur ces trois piliers : éducation, scolarité, football, dans cet ordre précis.

J’ai adopté cette philosophie à mes débuts à Rouen, aux côtés de Daniel Zorzetto et d’Arnaud Dos Santos, qui étaient très rigoureux sur ces aspects. À Cannes, la culture était similaire. À Caen, il a fallu corriger certaines habitudes, car le football prenait trop de place, et il a été nécessaire de rééquilibrer les priorités. Au Havre, même si je n’étais pas directeur du centre, c’était Luc Bruder, la même exigence existait. Pour ma part, en charge du groupe élite, je travaillais davantage en étroite collaboration avec Jean-François Domergue, entraineur de l’équipe première. À Strasbourg, grâce à Marc Keller et Jacky Dugueperoux, avec Jean-Marc Kuentz, nous avons structuré ce cadre à deux, et cela a très bien fonctionné.

À l’Académie Mohamed VI, c’était une page blanche, mais le projet de vie présenté à Sa Majesté s’appuyait exactement sur ces fondements. Cela a donc été intégré dès le départ. Et à Marseille, bien que ce ne fût pas simple au début, le cadre a fini par être totalement adopté et accepté.

La création et le développement de l’Académie Mohammed VI sont souvent présentés comme l’une des grandes réussites de votre mandat. Inspirée des pôles espoirs français, quelles en ont été les étapes clés et, surtout, quelle vision vouliez-vous insuffler à travers ce projet ?

Le premier contact remonte à 2006. À cette époque, j’étais encore à Strasbourg, en fin de contrat. J’ai alors reçu un message du secrétariat particulier de Sa Majesté, qui souhaitait me rencontrer pour me présenter un projet.

J’ai effectué le déplacement de Strasbourg à Rabat, où j’ai rencontré le directeur du secrétariat particulier de Sa Majesté, M. Mohamed Mounir El Majidi. Il m’a exposé un projet qu’il souhaitait me confier et mener de A à Z.

Je lui ai immédiatement précisé : « Si cela concerne un club ou la fédération, je ne viens pas. » Je connaissais suffisamment la situation de mon pays pour savoir que, même si je n’avais pas vécu le football marocain de l’intérieur, les problèmes venaient essentiellement des clubs. Il n’existait pas de réelle structuration et le football national était alors en plein déclin.

Le projet d’académie n’était pas ma vision personnelle : c’était celle de Sa Majesté. Il s’était interrogé sur plusieurs points :

  • Comment se fait-il que nous ne parvenions plus à nous qualifier pour la Coupe du monde ?
  • Comment expliquer que nous ne dépassions plus le deuxième tour de la Coupe d’Afrique ?
  • Pourquoi les grands clubs marocains, comme le Wydad AC ou le Raja de Casablanca, étaient éliminés dès les premiers tours de la Ligue des champions africaine ou des autres compétitions continentales ?

Dans son entourage, un constat revenait : le Maroc avait perdu la culture de la formation. Pourtant, le pays avait su produire par le passé des joueurs tels que Badou Zaki, Mustapha El Haddaoui, Abdelaziz Bouderbala, Tarik Sektioui ou encore Merry Krimau, qui avaient pu s’exporter vers l’Europe. Mais à ce moment-là, il n’y avait plus rien.

Les équipes nationales, jeunes comme seniors, commençaient à dépendre presque exclusivement de joueurs nés et formés en Europe : près de 90 % de l’effectif était alors composé de binationaux.

Face à cette situation, Sa Majesté a adressé une lettre royale à Skhirat en 2008, alertant l’ensemble de l’écosystème sportif. Il y soulignait que notre sport était malade et que la racine du problème se trouvait dans la gouvernance. Il a affirmé qu’il fallait agir. Il ne s’est pas contenté de le dire : il a agi. Il a immédiatement demandé à son cercle de travailler sur un projet de formation. L’idée était de créer une académie de standard international.

Dès le premier contact, j’ai expliqué que, pour garantir une réussite totale, il fallait à la fois des infrastructures solides et des ressources humaines compétentes, sans vraiment savoir jusqu’où ce projet pourrait nous mener dans les années à venir.

Pour moi, cette opportunité a été exceptionnelle. J’ai pu mettre au service du projet tout ce que j’ai appris en 25 ans passés à Rouen, Cannes, Caen, Le Havre et Strasbourg : les points forts de chaque centre de formation, qu’il s’agisse des infrastructures, des ressources humaines ou des méthodologies. Tout cela m’a permis de visualiser clairement ce que devait être l’académie.

J’ai eu la chance d’avoir carte blanche pour le recrutement, le choix des infrastructures et la définition du projet de vie. Cela a donné une dimension unique à cette aventure, et je tenais absolument à être à la hauteur, car c’était un projet de Sa Majesté, et c’était surtout sa vision.

En tant que Marocain ayant passé 25 ans dans les centres de formation en France, je me suis souvent interrogé : comment se fait-il que tant de joueurs nord-africains et subsahariens soient formés en Europe, alors que nos pays disposent d’un potentiel immense ? Pourquoi n’arrivons-nous pas à former chez nous ? Je me disais que, si un jour j’avais la chance de revenir au pays et de créer un projet de ce type, je n’hésiterais pas. C’est pour cela qu’en 2007, j’ai foncé. C’était un projet de vie, un projet pour mon pays, convaincu du potentiel de nos jeunes.

Pendant les deux années de construction, j’ai parcouru tout le Maroc pour recruter des jeunes. Je tenais absolument à constituer un vivier doté d’un véritable parcours de préformation et de formation, car nous observions de grandes lacunes chez les 12/13 ans.

Nous avons choisi de dimensionner l’académie de manière raisonnable au départ, 60 joueurs, puis rapidement 80, âgés de 12 à 18 ans. Ils étaient répartis en quatre groupes, 12-13 ans, 14-15 ans, 16-17 ans et 18 ans et les meilleurs jouaient dans la catégorie supérieure. Pour qu’ils puissent être compétitifs, il fallait les accompagner sur le plan physique et mental, et les préparer à faire du football leur métier.

La scolarité n’a jamais été négligée. Je ne pouvais pas concevoir la formation d’un jeune uniquement sous l’angle sportif. Quand je prends un jeune, pour moi, c’est d’abord l’éducation, ensuite la scolarité, et enfin le football. Mon objectif était de former un homme équilibré, capable de s’insérer dans la société. S’il devient professionnel, nous avons gagné tous les deux. Sinon, j’ai tout de même contribué à former un homme capable d’affronter la vie.

Lors de l’inauguration du projet, Sa Majesté a posé des questions profondément sociales. Il demandait : si un enfant est gravement blessé, que faites-vous ? Le sortez-vous de la structure ou l’accompagnez-vous jusqu’au bout ? Et s’il échoue scolairement ? Son attention était portée sur l’accompagnement global des jeunes. 

Avec mon président, le directeur du secrétariat particulier, nous nous interrogions souvent sur la présence de nos jeunes académiciens dans les sélections nationales U17, U20 et U23 (olympiques).

La première année, nous avons disputé 60 matchs amicaux pour évaluer notre niveau face à la réalité du football marocain. Nous participions à quatre compétitions : le championnat régional des U15, le championnat national des U15, le championnat national des U17 et celui des U19, contre des joueurs souvent plus âgés d’un an. Dès notre première participation, nous avons remporté le championnat national des U15 et celui des U19. Cela signifiait que nous ne nous étions pas trompés dans le recrutement et que l’organisation mise en place permettait réellement de gagner.

Mais une question demeurait : ces joueurs étaient-ils capables d’atteindre le très haut niveau ? Nous avons rapidement obtenu une réponse claire, toutes les équipes nationales comptaient entre cinq et sept joueurs issus de l’académie dans chaque catégorie. Cela représentait près d’une vingtaine de joueurs régulièrement appelés en sélection et notre objectif était que le plus grand nombre possible d’académiciens intègrent ces équipes dans les compétitions officielles.

Il faut rappeler que, dès le lancement du projet, nous faisions face à une forte opposition des clubs. Malgré le fait que ce projet soit porté par Sa Majesté, certains n’hésitaient pas à affirmer que nous dépensions « l’argent du peuple », alors que l’académie était financée exclusivement par les fonds personnels de Sa Majesté. D’autres nous accusaient de ne recruter que des enfants issus de milieux aisés, alors que 90 % des jeunes venaient de villages ou de quartiers défavorisés. Au début, rien n’était gagné : l’écosystème du football nous combattait ouvertement.

Ma plus grande fierté s’est révélée lors de la Coupe du monde 2022 au Qatar, où quatre joueurs de la première promotion de 2009 représentaient l’académie, un gardien Ahmed Reda Tagnaouti, un défenseur Nayef Aguerd, un milieu Azzeddine Ounahi et un attaquant Youssef En-Nesyri. Aux Jeux olympiques 2024 à Paris, cinq joueurs étaient issus de l’académie, et lors de la Coupe du monde U20 au Chili, ils étaient six, appartenant à la dernière génération que j’avais recrutée, certains depuis l’âge de huit ans tels que Zabiri, Khalifi et Essadek.

Face à la résistance des clubs, un recruteur m’a donné une idée décisive, aller chercher les joueurs encore plus jeunes. Beaucoup quittaient les clubs pour tenter leur chance dans notre académie. J’ai alors créé de petites structures d’accueil pour une trentaine d’enfants de 9 à 12 ans, à Marrakech, Casablanca, Fès, Tanger et Laâyoune, dans le Sahara.

Je les suivais personnellement, je finançais les éducateurs, les équipements, les entraînements quotidiens et les matchs du week-end. Régulièrement, je les faisais venir à l’académie à Rabat pour des rencontres internes. Chaque année, 10 à 12 de ces enfants venaient remplacer les joueurs arrivés en fin de cursus à 19 ans. L’objectif était simple : intégrer de très jeunes joueurs à fort potentiel, capables d’atteindre le haut niveau.

Deux anecdotes illustrent cette vision. La première concerne un jeune que j’avais repéré au Wydad Athletic Club (WAC) de Casablanca. J’ai demandé à son éducateur s’il pensait que ce joueur pourrait tenter un essai à l’académie. Il m’a répondu, presque en se moquant, « qu’il avait les pieds carrés ». Je l’ai malgré tout accueilli. Certes, il rencontrait quelques difficultés, mais il est devenu international à 19 ans, sélectionné par Hervé Renard pour participer à la Coupe d’Afrique au Gabon, puis à la Coupe du monde en Russie. 

Je savais qu’il avait encore des lacunes, mais le potentiel était évident : il allait très vite, possédait une excellente gestuelle de course et n’avait aucune appréhension dans les duels. Je me suis dit : S’il a des manques techniques, c’est justement mon rôle d’éducateur de le faire progresser. Résultat : il est devenu professionnel.

Le deuxième exemple est celui de Youssef En-Nesyri, devenu célèbre pour son but contre l’Espagne lors de la Coupe du monde au Qatar. Je l’ai repéré sur une qualité très marquante : son jeu de tête.

C’était la première fois que je voyais un jeune Marocain avec une telle détente. À 12 ans, il sautait plus haut que tous les autres, mais surtout il frappait la balle de la tête avec la puissance d’un tir du pied. Ensuite, nous avons poursuivi son développement, notamment sur le plan tactique.

La vision de Sa Majesté était claire : élever le niveau du football marocain grâce à la formation, et l’Académie constituait le moteur de cette ambition.

Le Maroc a souvent été critiqué pour sa dépendance aux joueurs binationaux au sein de ses sélections. Comment avez-vous concilié la détection locale avec la valorisation des talents issus de la diaspora, à l’image de la fédération argentine qui repère très tôt et intègre de nombreux joueurs nés à l’étranger ? 

Ma réflexion était très claire et après sept années à l’académie, dont cinq années effectives avec les joueurs. Je me suis dit qu’on n’était pas plus idiots que les Européens pour pouvoir former des joueurs, on avait adapté notre formation à la culture marocaine, à l’état d’esprit marocain. On commençait à voir le fruit de notre travail à travers les sélections nationales de jeunes et j’avais dit que les binationaux devaient être au-dessus des joueurs locaux, pour être retenus.

J’ai au Maroc des jeunes joueurs qui ont commencé le football « structuré » à 12 ans. En France, en Europe, ils ont joué dans un club entre 6 et 12 ans, ils ont une expérience qui est supérieure aux marocains. Donc, si les jeunes marocains sont au moins au même niveau, je me dis qu’avec le travail ils vont être meilleurs dans le temps, c’est juste une logique mathématique. 

En arrivant à la DTN j’ai rassemblé les 24 meilleurs joueurs moins de 16 ans, que j’ai confiés au sélectionneur des U17. Dans le même temps, avec les scouts qui travaillent en France, en Espagne, en Belgique et en Hollande, on a constitué une équipe de 14 joueurs d’Europe et on est allés à Ploufragan avec les deux équipes pour faire un stage. J’ai demandé au directeur du pôle espoir de Ploufragan, Sylvain Remignac de trouver des matchs amicaux. On a joué contre Rennes, Caen, Lorient et une sélection du Gabon qui était là-bas.

Rennes a affronté les joueurs marocains formés au Maroc, Lorient a joué contre les Marocains d’Europe, puis nous avons organisé une rencontre entre les Marocains du Maroc et ceux d’Europe, ensuite Caen a été opposé aux Marocains du Maroc. Enfin, une sélection composée de joueurs marocains du Maroc et d’Europe a affronté le Gabon. Nous avons remporté ces quatre matchs, et c’est dans ce cadre que nous avons identifié notre premier joueur issu de ce système, un certain Achraf Hakimi, alors âgé de 16 ans.

Pour être honnête, je trouvais déjà cela un peu tard, toutes les nations européennes disposent d’une sélection U16. J’ai donc créé la catégorie U15, que j’ai prise en charge, tout en développant parallèlement un travail d’observation sur les joueurs dès 13–14 ans. Chaque joueur binational repéré recevait une convocation, tout comme ses parents, afin de leur expliquer clairement notre projet sportif. Nous ne leur mettions aucune pression : ils restaient totalement libres d’accepter une opportunité avec leur pays d’adoption, puisque le changement de nationalité sportive reste possible tant qu’ils n’ont pas joué avec l’équipe A.

Honnêtement, je n’ai jamais essuyé de refus à ces âges, y compris de la part d’Achraf Hakimi, qui a passé près d’un an et demi avec nos sélections de jeunes avant d’être convoqué par la Fédération espagnole. 

Lorsque l’Espagne l’a appelé, il jouait avec la réserve du Real Madrid entraînée par Zinédine Zidane et il a cessé de répondre à notre recruteur, ce qui n’était pas dans ses habitudes.

J’ai donc appelé son père, qui m’a expliqué la situation : Achraf avait reçu une convocation de l’Espagne.

Je lui ai dit :
— Aucun problème. Passez-moi votre fils, s’il le souhaite.

Quand Achraf a pris le téléphone, je lui ai demandé :
— Quel est le souci ?
Il m’a répondu :
— Si je n’accepte pas la convocation, le Real Madrid risque de ne pas me proposer de contrat, et je perdrai aussi l’opportunité d’un contrat avec Adidas.

Je lui ai alors répondu :
— Il n’y a aucun problème. Oublie notre convocation et va avec l’Espagne. Je ne veux surtout pas que tu penses un jour que je t’ai bloqué, ni que tu m’en veuilles pour le reste de ta vie. Va comparer les deux sélections et choisis en ton âme et conscience. Si tu choisis le Maroc, j’en serai très heureux ; si tu choisis l’Espagne, nous serons fiers d’avoir été les premiers à te découvrir.

À cette époque, le Complexe Mohammed VI n’existait pas encore, nos installations étaient très loin du niveau que l’on connaît aujourd’hui. À l’inverse, en Espagne, Achraf découvrait La Ciudad del Fútbol, des infrastructures incroyables. Mais malgré cela, il était complètement perdu et ne savait plus quoi faire.

Je l’ai rappelé et je lui ai dit :
— Ne prends aucune décision. J’arrive à Madrid.

J’ai rencontré son père et ses deux agents espagnols, qui m’ont expliqué les questions contractuelles. Je lui ai dit :
— C’est tout à ton honneur de penser à ton avenir. Mais ce n’est pas moi qui signe ces contrats. Je peux éventuellement voir ce qu’il est possible de faire avec Puma, notre équipementier, mais nous n’entrerons pas dans des discussions financières.

Puis j’ai ajouté :
— Parlons plutôt de sport : combien y a-t-il de latéraux droits devant toi en équipe A d’Espagne, en U23, en U20 ?

Il me cite alors un certain nombre de latéraux déjà présents dans les différentes sélections espagnoles. Je lui réponds :
— De notre côté, nous avons Nabil Dirar, qui joue latéral droit, binational belge-marocain, et qui a 33 ans. Si tu continues à travailler comme tu le fais et à performer, cette place peut devenir la tienne. Quand ? L’an prochain, dans trois ans, dans cinq ans… je n’en sais rien. Mais ici, une vraie opportunité existe. Avec l’Espagne, tu risques peut-être d’attendre dix ans avant d’avoir une chance.

Je lui dis ensuite : 

— Je te laisse vingt minutes pour réfléchir.
Quand je suis revenu, il avait choisi de jouer pour le Maroc.

Pour répondre à la question, j’ai ensuite convaincu notre président de la Fédération, Fouzi Lekjaa, d’adopter une ligne claire : ne convoquer que les meilleurs joueurs marocains évoluant à l’étranger. Parallèlement, il était indispensable de continuer à élever le niveau de la formation au Maroc. L’Académie joue un rôle central pour produire des talents, et nous encourageons les clubs à poursuivre ce travail. Ainsi, nous permettons au sélectionneur de disposer d’un vivier riche, composé à la fois de joueurs issus de la formation marocaine et des meilleurs Marocains évoluant à l’étranger.

Comment avez-vous structuré la formation des entraîneurs au Maroc durant votre mandat, et quelles ont été vos sources d’inspiration pour mettre en place un curriculum cohérent et une véritable montée en compétences des techniciens, alors que, dans un premier temps, un nombre important d’entraîneurs français et étrangers avaient été sollicités ? 

À mon arrivée au Maroc, j’ai eu la chance de retrouver Jean-Pierre Morlans, qui était alors Directeur Technique National. Il avait derrière lui vingt années d’expérience à la Fédération Française de Football. La Fédération marocaine l’avait recruté en 2008, en même temps que Roger Lemerre.

À cette époque, il existait bien les licences C, B et A CAF (CAF : Confédération Africaine de Football), ainsi que quelques modules de préparation physique ou spécifiques aux gardiens de but, mais il n’y avait pas de véritable système de formation structuré. Les diplômes étaient délivrés par l’Amicale des éducateurs, qui faisait venir ponctuellement des instructeurs de la FIFA ou de la CAF. En réalité, il n’y avait pas une formation complète et cohérente, et les jeunes entraîneurs peinaient à trouver leur place.

Jean-Pierre Morlans a alors totalement repensé le dispositif : il a mis en place un système de formation semblable à celui de la France et a revu l’ensemble des contenus pédagogiques, tout en étant très exigeant dans la sélection des entraîneurs. Malgré ce travail colossal, son contrat n’a pas été renouvelé en 2013. Pendant un an, il n’y a eu qu’un intérim, jusqu’à l’arrivée de Fouzi Lekjaa à la présidence de la Fédération, qui m’a proposé le poste de DTN.

Je lui ai répondu :
— Je n’ai jamais été DTN. Selon moi, la personne qu’il vous faut, c’est Jean-Pierre Morlans. Reprenez-le, et vous verrez que vous n’aurez pas besoin de moi.

Ils se sont rencontrés et le courant est très bien passé. Mais le président m’a dit ensuite :
— J’engage Jean-Pierre Morlans, à condition que vous, vous soyez le DTN.

J’ai donc consulté Jean-Pierre. Nous nous sommes mis d’accord pour travailler ensemble, mais je lui ai dit très clairement :
Le président veut que je sois la tête d’affiche… mais dans le travail au quotidien, nous serons deux en un !

Le fait de devenir DTN m’a permis d’être nommé au sein de la Commission technique de la CAF. À mon arrivée à la DTN, le diplôme le plus élevé en Afrique était la licence A CAF, équivalente à la licence A UEFA, et qui autorisait l’entraînement d’une équipe professionnelle. De nombreux techniciens binationaux, franco-marocains, franco-algériens, franco-tunisiens se présentaient alors au Maroc avec leur licence UEFA A pour postuler à la tête d’équipes professionnelles.

J’ai commencé par refuser ces candidatures, ce qui a suscité quelques tensions. Mon argument était simple. En Europe, leur licence A ne leur permettait pas d’entraîner une équipe professionnelle, la même règle devait donc s’appliquer chez nous.

En Commission technique, j’ai exposé cette problématique et proposé la création d’un cursus menant à une licence Pro CAF, afin d’aligner les parcours de formation africains avec ceux d’Asie et d’Europe. La proposition a été acceptée et, en collaboration avec Jean-Pierre Morlan, nous avons mis en place la première licence Pro africaine en 2018, aidé par les membres de cette commission technique de la CAF. Une session pilote a été organisée pour 20 candidats, avec des entretiens de motivation devant un jury de sept personnes (CDES de Limoges, Amicale des entraîneurs, Université du sport, etc.).

Cette promotion reflétait une véritable diversité continentale et bénéficiait des interventions d’entraîneurs de référence comme Aliou Cissé (Sénégal), Jean-Florent Ikwange Ibenge (RDC), Pitso Mosimane (Afrique du Sud) ou encore Hassan Shehata, figure emblématique égyptienne auteur de trois CAN consécutives.

Nous avions 24 candidats, dont plusieurs figures devenues majeures, Walid Regragui (sélectionneur du Maroc à la Coupe du monde au Qatar), Tarik Sektioui (sélectionneur olympique, médaillé de bronze à Paris), Hussein Ammouta (sélectionneur de la Jordanie, finaliste de la Coupe d’Asie 2024) ou encore Jamal Sellami, qui a mené la Jordanie à sa toute première qualification pour la Coupe du monde 2026.

À l’image du travail mené par Jean-Pierre Morlans au Maroc, nous avons revu l’ensemble des formations d’entraîneurs, renforcé le niveau d’exigence à l’entrée en formation et réorganisé toutes les licences sur le modèle de l’UEFA : licences C, B, A et Pro, complétées par un diplôme Youth, un diplôme de formateur, ainsi que deux niveaux de préparateurs physiques et deux niveaux pour les entraîneurs de gardiens de but.

Aujourd’hui, le Maroc dispose d’un important vivier de joueurs et a considérablement progressé sur le plan des infrastructures, notamment grâce à la construction des centres fédéraux. L’enjeu était de disposer d’entraîneurs compétents pour accompagner cette dynamique. Nous avons donc élevé le niveau d’exigence. Lorsque j’ai pris la tête de la Direction technique nationale, le président m’a demandé de diffuser la méthodologie et l’esprit de l’Académie au sein des clubs. Il m’a également donné l’autorisation de recruter un directeur de la formation et un préparateur physique pour chaque centre de formation : 18 en première division et 18 en deuxième division, soit 36 postes à pourvoir.

À mon départ, en 2014, le président de la Fédération a eu une idée très pertinente, en allant chercher des techniciens binationaux marocains formés en Europe. C’est ainsi que des profils comme Nabil Baha, aujourd’hui sélectionneur des U17 marocains lors de la dernière Coupe du monde au Qatar, ou encore Mohamed Ouahbi, Belgo-Marocain et sélectionneur des U20, vainqueur de la Coupe du monde au Chili après avoir effectué l’ensemble de son cursus d’entraîneur en Belgique ont été intégrés à la fédération. 

Fort de votre expérience et de toutes les rencontres qui ont jalonné votre parcours, qu’aimeriez-vous transmettre aux prochaines générations de techniciens et de formateurs, qu’ils soient de Rouen, de Strasbourg, du Maroc ou d’ailleurs ?

Cette expérience renforce en moi la conviction que nous devons croire en nous et en nos capacités. Sur le chemin qui s’offre à nous, certaines personnes sont prêtes à nous tendre la main, à condition que nous le méritions par :

  • Notre humilité,
  • Nos compétences,
  • Nos valeurs et notre bienveillance,
  • Notre résilience,
  • Notre capacité à échanger,
  • Notre esprit collectif,
  • Notre qualité d’écoute,
  • Notre curiosité,
  • Notre capacité à aller vers les autres.

Rêvez en grand, car rien n’est impossible. Restez vous-mêmes, nourrissez-vous des autres, et gardez à l’esprit que le hasard n’existe pas vraiment. Le mot « hasard » vient de l’arabe az-zahr, qui signifie « dé à jouer ». Nous l’employons souvent lorsque nous ne parvenons pas à expliquer ce qui nous arrive. Comme l’a dit Stéphane Owana : « Le hasard, c’est notre incapacité à lire et comprendre le monde. » 

Alors pour conclure : soyez curieux, observez, écoutez, expérimentez… et osez.

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