Gardiens de but : s'adapter au projet de jeu, sans négliger les fondamentaux

Entraîneur de football spécialiste des gardiens de but, Nicolas Dehon a accompagné le développement de certains des meilleurs gardiens français durant plus de deux décennies.

Il nous propose un éclairage sur son parcours, le rôle du gardien de but moderne et l’adaptation constante de l’entraîneur des gardiens au projet de jeu de l’entraîneur principal.

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Qu’est ce que le football représente pour vous ?

C’est une passion. Un sport collectif qui m’a permis de faire de nombreuses découvertes, tant sur le terrain qu’en dehors. Grâce à lui, j’ai eu l’opportunité de voyager dans de nombreux pays que je n’aurais probablement jamais visités.

Il y a également le contact humain. J’accompagne trois ou quatre gardiens au quotidien, ce qui implique de nombreux aspects : la psychologie, la technique, la tactique et le physique. Il faut savoir combiner ces différents éléments pour former des athlètes de haut niveau, de véritables Formule 1. L’objectif est de les amener au plus haut niveau de performance.

En vous basant sur votre propre expérience de gardien de but et sur votre vécu auprès des gardiens que vous accompagnez depuis plus de 20 ans, quelles ont été les évolutions majeures en termes d’entraînement ?

L’entraînement des gardiens a énormément évolué. Lorsque j’étais joueur, l’entraîneur des gardiens n’intervenait qu’une seule fois par semaine. Les staffs n’étaient pas aussi étoffés qu’aujourd’hui.

L’un des changements les plus profonds concerne le comportement du gardien. Auparavant, lors des entraînements spécifiques, nous nous focalisions principalement sur le fait que le gardien devait avoir une attitude agressive, monter rapidement sur le ballon, fermer les angles, etc.

Étant donné l’évolution des règles et du jeu, maintenant, le gardien doit s’adapter au bloc équipe. Cela implique qu’en fonction de la situation, il peut être positionné assez haut sur le terrain. Ce qui veut dire qu’il a de l’espace dans le dos, qu’il devra éventuellement reculer et ajuster son positionnement en fonction des angles. Cet aspect du jeu n’était pas travaillé en spécifique auparavant.

« L’idée est de se rapprocher le plus possible de ce que nous rencontrons en match, à travers des situations complexes et variées »

La façon d’entraîner a aussi changé. Avant, nous pensions qu’un gardien qui avait beaucoup travaillé, avait forcément bien travaillé. Le spécifique était essentiellement axé autour des frappes. Maintenant, l’idée est de se rapprocher le plus possible de ce que nous rencontrons en match, à travers des situations complexes et variées. Nous nous concentrons davantage sur la qualité et la spécificité des exercices.

L’entraîneur des gardiens doit faire preuve d’imagination et s’inspirer des situations de matchs pour créer des exercices pertinents. Malgré tout, il reste difficile de reproduire les conditions réelles d’un match à l’entraînement. L’imprévu, les émotions et la pression sont difficiles à simuler. Le défi est de recréer des situations de stress pour que les gardiens soient prêts le jour du match, ce qui n’est pas facile.

Historiquement, les entraîneurs de football spécialistes des gardiens de but ont eux-mêmes été gardiens. Assez logiquement, leur approche de l’entraînement et du rôle a été fortement influencée par leur propre expérience. Comment votre rapport au métier et votre intégration au sein des différents staffs techniques, dont vous avez fait partie, ont évolué depuis vos débuts ?

Le métier a également beaucoup évolué. Lorsque j’ai commencé à entraîner, mes responsabilités étaient limitées aux gardiens de but. Puis, mon rôle s’est élargi. Aujourd’hui, il englobe les coups de pied arrêtés, l’analyse des attaquants et des gardiens adverses, sans oublier l’utilisation de l’outil vidéo, qui est devenu indispensable.

Par ailleurs, les entraîneurs principaux ont également évolué. Bruno Genesio, Christophe Galtier, Laurent Blanc ou encore Didier Deschamps sont des entraîneurs qui n’ont pas hésité à me demander mon avis sur des situations tactiques ou une composition d’’équipe. Auparavant, j’étais cantonné à mon domaine et nous étions un peu assimilés à une « secte ». Les gardiens étaient entre eux et je n’étais moi même pas réellement intégré au staff.

Aujourd’hui, l’entraîneur des gardiens est impliqué dans d’autres aspects que sa spécialité. Il y a les coups de pied arrêtés, les sorties de balle… Maintenant, nous sommes confrontés à de nouvelles problématiques organisationnelles. Lorsqu’on a quatre gardiens en séance, dont deux qui travaillent sur les aspects tactiques avec le reste du groupe, comment faire ?

Nous devons nous occuper des deux qui reste avec nous, mais ceux qui effectuent le travail tactique avec les autres joueurs ont également besoin de nous. C’est pourquoi, il est essentiel d’intégrer un deuxième entraîneur de gardiens en support, comme cela peut déjà se faire dans certains clubs.

« Auparavant, j’étais cantonné à mon domaine et nous étions un peu assimilés à une « secte ». Les gardiens étaient entre eux et je n’étais moi même pas réellement intégré au staff. »

Le troisième et le quatrième gardien étant souvent des jeunes, l’entraîneur du centre de formation peut remplir ce rôle. Cela permet à l’entraîneur principal de se concentrer sur les aspects tactiques, les coups de pied arrêtés, etc. Pour moi, il est inconcevable de laisser un gardien ne rien faire pendant que les autres travaillent. Je préfère m’occuper de lui, plutôt que d’aller sur la séance tactique avec le gardien qui va jouer le week-end. Un jeune gardien à besoin de travailler, de progresser.

Pour cela, il faut choisir la bonne personne, quelqu’un qui partage la même philosophie, qui connaît votre façon de travailler. Il faut également faire attention à sa personnalité, car un jeune entraîneur peut être fougueux et chercher à vous faire de l’ombre.

Je pense donc qu’à terme, les staffs vont évoluer et compter deux entraîneurs de gardiens. Cela permettra de renforcer l’intégration de l’entraîneur principal des gardiens au staff, de discuter des situations avec les défenseurs et l’entraîneur, afin d’optimiser la coordination sur le terrain.

Au quotidien, comment partagez-vous votre expertise et votre compréhension du poste avec le reste du staff, afin d’essayer de rapprocher les représentations que les uns et les autres peuvent avoir ?

Je partage mon expertise avec le staff à travers des vidéos et des échanges. J’essaie d’apporter ma contribution en soulignant l’importance du rôle spécifique du gardien. J’essaie d’interpeller l’entraîneur en lui disant : « Mon poste est important car… », et je lui donne des exemples concrets : « J’ai remarqué que les attaquants adverses font telle action, ou que sur les coups de pied arrêtés, l’équipe adverse a telle stratégie, et le gardien avait tel positionnement, etc ».

L’entraîneur prend alors conscience de l’importance de ces détails. Je transmets ensuite mes analyses au staff, qui peut ainsi étudier les spécificités du gardien adverse. Si par exemple, je leur montre que le gardien adverse a des difficultés sur sa droite et que pendant le match on marque de ce côté, cela permet d’ancrer plus facilement certaines choses. Même s’ils ont confiance en moi, qu’ils pensent que j’ai des compétences, cela crédibilise l’approche.

 « Je n’impose jamais mon point de vue. J’essaie d’influencer en apportant des éléments concrets et pertinents. »

Ce qui peut être aussi difficile, c’est quand un nouveau staff arrive. On part d’encore plus loin. Il faut faire ses preuves et gagner la confiance de chacun, alors qu’en travaillant avec un staff que l’on connaît, c’est plus facile. On gagne du temps et la crédibilité vient plus naturellement, à travers les échanges et les analyses vidéo.

Je suis convaincu que la vidéo est un outil essentiel pour partager mon expertise. Je l’utilise pour montrer les points forts et les faiblesses des gardiens adverses, leurs difficultés sur les centres en retrait, etc. Le staff est attentif à ces observations et les utilise pour préparer les matchs.

Personnellement, je n’impose jamais mon point de vue. J’essaie d’influencer en apportant des éléments concrets et pertinents. J’ai la chance de travailler avec des staffs ouverts et à l’écoute. Au LOSC, Bruno Genesio me consulte régulièrement et m’associe aux analyses de matchs. C’est très valorisant de se sentir ainsi intégré et reconnu.

Comment vous assurez-vous que votre travail est en phase avec la vision de l’entraîneur, sa perception du rôle de gardien qui est souvent influencée par sa propre expérience de pratiquant, mais aussi les besoins et les caractéristiques des gardiens à disposition ?

Lorsque je travaillais à l’OGC Nice, avec Patrick Vieira et Adrian Ursea, j’ai vécu une expérience intéressante. Ces techniciens sont très axés sur la tactique, les sorties de balle, la recherche de l’homme libre, l’orientation corporelle, etc. C’est une approche à laquelle j’ai adhéré et qui m’a fait progresser. Mais, je me suis également aperçu que lors des spécifiques, j’avais été trop loin. Ces aspects prenaient de plus en plus de place, au détriment des aspects associés au rôle premier du gardien : arrêter les ballons.

J’ai réalisé que je devais trouver un équilibre. Le projet de jeu était stimulant, mais je ne devais pas oublier que mon rôle principal était de préparer le gardien à être performant dans la défense de son but. Il fallait adapter l’entraînement aux besoins du gardien, tout en tenant compte des exigences du jeu prôné par Patrick Vieira.

« Il est donc important de s’adapter à la philosophie de jeu de chaque entraîneur, tout en veillant à ne pas négliger les fondamentaux du poste de gardien. »

Je me suis alors recentré sur l’efficacité du gardien sur sa ligne tout en continuant à travailler les sorties de balle et les aspects tactiques. Cette expérience a été très enrichissante. Elle m’a permis de mieux comprendre le jeu et les attentes des entraîneurs, notamment sur le plan tactique. Je suis désormais capable d’analyser les matchs et les actions avec un regard plus précis, en tenant compte des mouvements de l’homme libre, des stratégies de relance, etc.

J’ai également travaillé avec des entraîneurs qui ne sortaient pas le ballon depuis une position basse. Ils préféraient sauter les lignes via du jeu long et cela à forcément une influence sur le comportement du gardien et ce qui va être attendu.

Il est donc important de s’adapter à la philosophie de jeu de chaque entraîneur, tout en veillant à ne pas négliger les fondamentaux du poste de gardien. Il faut trouver un équilibre entre les exigences du jeu moderne et les qualités essentielles du gardien, qui sont avant tout l’efficacité et la solidité sur sa ligne.

Vous dîtes que vous avez été “trop loin”. Qu’est ce qui vous a mené à ce constat ?

J’avais pris cette direction, parce que le profil du gardien ne correspondait pas à ce que Patrick Vieira voulait mettre en œuvre. Un certain nombre d’entraîneurs, comme c’est le cas pour Guardiola, choisissent leur gardien lorsqu’ils arrivent dans un club. Nous ce n’était pas le cas. Nous n’avions pas un gardien capable de jouer haut, de couvrir l’espace ou qui pouvait participer aux sorties de balle. Il avait un bon pied droit, mais son pied gauche était moins sûr, et il avait du mal à se positionner correctement pour avoir une vision globale du jeu

Du coup, je me suis dit qu’il fallait absolument l’aider à progresser sur ces aspects parce qu’il n’avait pas l’habitude. C’était une valeur sûre de Ligue 1 et il était important qu’il puisse répondre aux attentes de l’entraîneur et s’intégrer pleinement au projet de jeu de l’équipe. C’est ce qui a grandement orienté ma façon de travailler avant de réajuster.

Dans le football actuel, quelles sont les caractéristiques indispensables pour un gardien de but de haut niveau ?

A très haut niveau, comme à Marseille ou au PSG, j’ai réalisé une chose essentielle : le mental est primordial. À Marseille, avec Steve Mandanda que je connaissais bien, je ne m’en étais pas vraiment rendu compte. Au PSG, l’expérience a été différente. On m’a par exemple demandé de participer au recrutement d’un gardien, d’évaluer les candidats.

Au début, je me suis concentré sur les aspects techniques et tactiques, comme je l’avais toujours fait, mais j’ai vite compris que je faisais fausse route. Dans ces clubs-là, la dimension mentale est prépondérante. Si vous n’êtes pas capable d’assumer l’événement, de le maîtriser, de réguler vos émotions afin de vous adapter aux exigences du haut niveau, ce n’est pas la peine.

« A très haut niveau, comme à Marseille ou au PSG, j’ai réalisé une chose essentielle : le mental est primordial. »

J’ai vu des gardiens, pourtant performants à l’entraînement, perdre leurs moyens en match. Ils étaient impressionnés par l’enjeu et la stature de leurs coéquipiers. Par exemple, lors d’exercices de conservation de balle, certains gardiens étaient impeccables, mais en match, dès qu’ils portaient le maillot, c’était fini.

Ils hésitaient à qui donner le ballon, paniquaient et finissaient par faire des erreurs, comme dégager en touche alors qu’à l’entraînement, ils c’étaient des choses qu’ils réussissaient parfaitement. Face à des joueurs comme Ibrahimovic ou Thiago Silva, la pression était énorme. Ce qui est intéressant, c’est que ces mêmes gardiens, quand ils rejoignaient des clubs moins prestigieux, retrouvaient souvent leur niveau et leurs performances.

« Le jeu au pied, souvent critiqué, est un bon exemple. Il ne s’agit pas seulement de technique, mais aussi et surtout d’être capable de jouer sous pression. »

J’ai compris que la capacité à gérer la pression, à prendre les bonnes décisions et à exécuter les gestes justes malgré le contexte était fondamentale. Le jeu au pied, souvent critiqué, est un bon exemple. Il ne s’agit pas seulement de technique, mais aussi et surtout d’être capable de jouer sous pression.

Cela se décompose en trois actions : la prise d’information (savoir où sont tes coéquipiers avant de recevoir le ballon), la prise de décision (choisir à qui donner le ballon) et enfin l’exécution du geste, tout en restant calme et lucide. Et dans ces trois actions, le mental joue un rôle énorme.

Dans ces clubs, j’ai appris que le mental fait la différence. Si on ne maîtrise pas ses émotions, si on ne sait pas gérer la pression, si on ne sait pas maîtriser l’événement, c’est très difficile de réussir, même avec des qualités techniques indéniables.

Vous avez souligné l’importance de « maîtriser l’événement » pour les gardiens de haut niveau. Comment développer cet aspect chez les jeunes gardiens, dès le centre de formation, afin de les préparer au mieux aux exigences du haut niveau ? »

Je pense que les préparateurs mentaux ont un rôle important à jouer auprès des jeunes gardiens, les proches, la famille également. Ils peuvent les aider à définir leurs objectifs à court et à long terme, à maîtriser leurs émotions et à gérer la pression. L’entraîneur de gardiens peut aussi apporter un certain accompagnement sur ces aspects, mais le préparateur mental apporte une expertise spécifique.

L’idéal serait de mettre en place un véritable accompagnement pour ces jeunes, avec un préparateur mental et un entraîneur des gardiens qui travaillent main dans la main. Ils pourraient être comme des copilotes pour le jeune gardien, le guidant sur la voie du haut niveau.

Bien sûr, il n’y a pas de garantie de réussite. Tous les jeunes, même bien accompagnés, ne parviendront pas au plus haut niveau. La compétition est rude et les places sont chères. Il faut être solide mentalement pour faire sa place, un peu comme dans la vie active où il faut être costaud pour réussir.

« L’idéal serait de mettre en place un véritable accompagnement pour ces jeunes, avec un préparateur mental et un entraîneur des gardiens qui travaillent main dans la main. Ils pourraient être comme des copilotes pour le jeune gardien. »

C’est pourquoi il est essentiel de commencer ce travail de préparation mentale dès le centre de formation. C’est à cette période que l’on a le temps de construire les bases, de développer les qualités mentales nécessaires. Chez les professionnels, le temps manque souvent pour ce type de travail, nous sommes plus dans l’urgence.

Néanmoins, même si nous mettons tout en place pour aider les jeunes, avec un préparateur mental, un entraîneur des gardiens et toute une structure d’accompagnement, il y a une part de subjectivité et de personnalité qui entre en jeu. Certains sont naturellement plus calmes et plus résilients que d’autres. On ne peut pas changer la personnalité de quelqu’un du jour au lendemain. Mais l’accompagnement peut aider chacun à développer son potentiel et à progresser.

L’important est de donner aux jeunes les outils pour réussir, tant sur le plan mental que sur le plan technique et tactique. Après, c’est à eux de faire leur chemin et de saisir les opportunités qui se présentent. Le chemin vers le haut niveau, c’est comme une pyramide : il y a de la place pour tout le monde au début, mais plus on monte, plus la compétition est forte et moins il y a de places disponibles. Certains seront plus forts mentalement, d’autres auront plus de chance. Mais même si on n’atteint pas le sommet, on peut réussir une belle carrière, à différents niveaux.

Pour caractériser les gardiens de but, la taille ou encore l’envergure sont souvent mis en avant. Vous, vous insistez sur l’importance de la perception. Comment travaillez-vous cet aspect fondamental avec seulement trois ou quatre gardiens en spécifique ? D’autre part, comment vous assurez-vous de sa cohérence avec le reste du collectif ?

Pour moi, l’aspect cognitif est essentiel dans le travail avec les gardiens. Je travaille beaucoup sur la prise d’information et la prise de décision, en utilisant des exercices spécifiques. Par exemple, avec les gardiens, j’utilise des couleurs et des plots pour simuler des situations de match. J’utilise des coupelles de couleurs différentes dans les mains, et je me déplace autour d’eux en leur demandant de réagir à la couleur que je leur montre. Le gardien doit analyser rapidement la situation, doit adapter sa posture (ouverture épaules), prendre une décision et agir en conséquence, un peu comme lorsqu’il doit gérer une frappe ou un centre.

L’objectif est de le mettre dans des situations de stress et d’incertitude, pour qu’il apprenne à gérer ses émotions et à prendre les bonnes décisions malgré la pression. Nous utilisons aussi les nouvelles technologies pour travailler la réactivité et la prise d’information.

« Un gardien qui se situe le plus souvent au point de penalty n’aura pas les mêmes repères cognitifs qu’un gardien qui évolue sur la ligne des 16m50 ou celle des 5,50m »

Il est important que le gardien vive des situations similaires au match à l’entraînement, car même s’il ne touche pas toujours le ballon, il est constamment sollicité mentalement. Il doit être capable de lire le jeu, d’anticiper les actions et de se positionner en conséquence.

Le positionnement est d’ailleurs un élément clé, et cela rejoint la notion de repères cognitifs. Un gardien qui se situe le plus souvent au point de penalty n’aura pas les mêmes repères cognitifs qu’un gardien qui évolue sur la ligne des 16m50 ou celle des 5,50m. Un gardien qui a l’habitude de jouer bas et à qui l’on va demander d’avancer, va se sentir perdu. Il aura l’impression d’avoir perdu ses repères.

Il faut donc travailler ces différents positionnements à l’entraînement, pour que le gardien soit à l’aise dans toutes les zones du terrain et qu’il puisse gérer l’espace entre les défenseurs et lui, en s’appuyant sur des repères cognitifs solides.

On travaille aussi beaucoup sur les centres, en utilisant des mannequins de différentes couleurs pour simuler les positions des joueurs adverses. Par exemple, je place un mannequin rouge près du poteau de corner et un bleu plus loin. Le gardien doit analyser la situation, prendre une décision et se positionner en fonction de la zone à défendre. Si le ballon est sur le mannequin bleu, il doit se positionner différemment que si le ballon est sur le mannequin rouge. L’objectif est qu’il développe ses repères cognitifs pour réagir vite et bien.

« Il est important que le gardien vive des situations similaires au match à l’entraînement, car même s’il ne touche pas toujours le ballon, il est constamment sollicité mentalement »

L’idée est de le mettre constamment face à des choix et à des situations variées, pour qu’il développe son intelligence de jeu et sa capacité à s’adapter à toutes les circonstances. C’est un travail mental intense, qui demande beaucoup de concentration et de réactivité.

Nous essayons de recréer les émotions et le stress du match à l’entraînement, afin que le gardien soit prêt à affronter toutes les situations. C’est un peu comme un voyage, on l’emmène dans des zones où il n’a pas l’habitude d’aller, afin qu’il découvre de nouveaux repères et qu’il développe sa capacité à s’adapter. Par exemple, je peux lui demander de sortir de sa surface et de gérer la profondeur, en lui indiquant des zones à défendre. Ce n’est pas toujours facile à mettre en place, mais nous essayons de nous rapprocher au maximum de la réalité du match.

C’est important de faire découvrir au gardien tous les aspects de son rôle, de le faire sortir de sa zone de confort. Il faut qu’il apprenne à gérer ses émotions, à surmonter ses peurs, comme celle d’être lobé par exemple. Tout ça, ça se travaille à l’entraînement, avec des exercices spécifiques et des mises en situation. De manière analytique, c’est un vrai défi de concevoir des exercices qui intègrent tous ces aspects, mais on essaie de faire au mieux.

En ce sens, même si les gardiens peuvent à certains moments sembler inactifs physiquement, ils ne le sont pas cognitivement. Ils doivent en permanence observer, analyser et anticiper. Comment les accompagnez-vous afin qu’ils maintiennent leur attention, leur concentration et qu’ils soient prêts à intervenir à tout moment ?

Il y a deux moments clés dans ma relation avec les gardiens : avant le match et à la mi-temps. Avant le match, une fois l’échauffement terminé, je prends un moment avec le gardien pour lui donner un objectif précis. C’est un moment que j’apprécie particulièrement. Je ne dis jamais la même chose, j’essaie de trouver un objectif adapté à la situation, à l’adversaire, à la série de matchs, à l’état d’esprit du gardien.

Par exemple, si le gardien a fait une erreur au pied lors du match précédent, je peux lui dire : « Concentre-toi sur ton premier ballon au pied, c’est celui qui va te mettre dans le match. » Ou alors, je peux lui rappeler une situation positive qu’il a vécue dans le passé : « Tu te rappelles sur ce match, cette sortie aérienne que tu as réussie ? Tu avais confiance en toi, tu étais bien placé. Garde cette confiance aujourd’hui. » L’idée, c’est de lui donner un déclic, de le mettre en confiance.

À la mi-temps, je peux lui donner un autre objectif, même s’il n’a pas touché beaucoup de ballons. Par exemple, je peux lui dire : « Tu vas avoir un arrêt important à faire en deuxième mi-temps. Soit prêt. » Ça le maintient en alerte, ça l’oblige à rester concentré.

Bien sûr, je ne suis pas devin, je ne peux pas prédire l’avenir. Il m’arrive de me tromper sur les objectifs que je donne. Par exemple, un jour, avant un match important contre Arsenal, j’ai dit à Steve Mandanda : « J’espère que tu as la petite boule au ventre, le petit stress qui te dit que c’est un match important. » Et il m’a répondu : « Non Nico, je ne l’ai pas. » Mais même si je me trompe, ça fait réfléchir le gardien, ça le met en alerte.

L’important, c’est de donner des objectifs réalisables, de maintenir le gardien sous pression, de le faire réagir. Je peux aussi lui donner des conseils sur l’adversaire, sur les penaltys, sur les situations de jeu qu’on a travaillées à l’entraînement. Tout ça, ça permet au gardien de rester concentré et d’être performant.

« L’important, c’est de donner des objectifs réalisables, de maintenir le gardien sous pression, de le faire réagir »

Et puis, il y a mon attitude sur le banc de touche. Même si je suis quelqu’un de discret, je n’hésite pas à me lever et à encourager les gardiens, à les remobiliser quand il le faut. C’est tout ça qui fait le sel de mon métier. J’adore concevoir des séances d’entraînement, mais ce que je préfère, c’est le côté psychologique, la relation avec les gardiens. C’est une vraie satisfaction pour moi de trouver le bon objectif, le bon mot pour les aider à se surpasser.

Bien sûr, il faut s’adapter à chaque gardien, à chaque situation. Il y a des jours où il vaut mieux ne rien dire. Mais en général, j’essaie de maintenir une certaine pression, de les garder en alerte. C’est comme pour les entraînements : ce ne sont jamais les mêmes exercices, mais ils savent qu’ils vont devoir travailler dur. Et en match, c’est pareil, ils se demandent toujours quel objectif je vais leur donner, qu’est-ce que je vais leur dire à la mi-temps. J’essaie de les surprendre, de les stimuler.

Et puis, il y a la concentration pendant le match. Même si le gardien n’est pas toujours sollicité, il doit rester concentré, faire partie du jeu, communiquer avec ses défenseurs, se replacer en permanence. C’est ce qui lui permet de rester dans le match et d’être performant.

Vous avez travaillé avec différents entraîneurs, chacun ayant sa propre compréhension du jeu. Adaptez-vous votre approche de développement des gardiens en fonction du projet de jeu de l’entraîneur, des caractéristiques de l’adversaire et des besoins spécifiques de chaque gardien ?

Ma priorité, c’est le gardien. Je dois m’assurer qu’il ne soit pas mis de côté, car ça peut aller très vite. Si le gardien ne s’adapte pas au jeu de l’entraîneur, il risque d’être remplacé. Comme on dit, il ne faut pas qu’il devienne « la carie » du groupe. C’est pourquoi je dois constamment évoluer avec lui, l’accompagner et l’aider à progresser.

C’est ce qui rend notre métier si riche et passionnant : nous sommes toujours dans la recherche, dans l’observation des nouvelles tendances, dans l’analyse du jeu des autres équipes et des demandes des différents entraîneurs. Par exemple, quand un nouvel entraîneur arrive, j’essaie de comprendre sa philosophie, comment ses équipes jouent, ce qu’il attend de son gardien. Je regarde comment il plaçait ses défenseurs sur les coups de pied arrêtés, comment il gérait les centres, etc. 

Je dois ensuite transmettre ces informations à mon gardien, l’aider à comprendre le projet de jeu et à s’y adapter. C’est essentiel pour lui, comme pour moi. L’entraîneur est là pour gagner des matchs, et si le gardien ne répond pas à ses attentes, il n’hésitera pas à le changer.

« Ma priorité, c’est le gardien. Je dois m’assurer qu’il ne soit pas mis de côté, car ça peut aller très vite. Si le gardien ne s’adapte pas au jeu de l’entraîneur, il risque d’être remplacé »

J’ai eu la chance de travailler avec plusieurs entraîneurs aux profils variés, et cela m’a beaucoup enrichi. Chacun a sa propre vision du jeu, ses propres exigences. Par exemple, certains entraîneurs accordent une grande importance aux sorties de balle et aux centres, d’autres préfèrent un jeu plus direct. Il faut savoir s’adapter à chaque situation, comprendre les attentes de l’entraîneur et les traduire en exercices concrets pour le gardien.

Le plus important, c’est de créer une relation de confiance avec l’entraîneur, d’échanger avec lui pour bien comprendre ses attentes. Si l’entraîneur sent que je ne travaille pas dans le même sens que lui, il risque de douter de mes compétences. Il faut donc être à l’écoute, observer, analyser et s’adapter en permanence.

C’est pourquoi il est bénéfique de changer d’entraîneur de temps en temps, pour découvrir de nouvelles méthodes, de nouvelles approches. Cela permet de progresser et de se remettre en question. J’ai beaucoup évolué au fil des années, et je continue d’apprendre chaque jour. Je m’inspire des autres, je suis les nouvelles tendances, je cherche toujours à m’améliorer. C’est essentiel pour rester performant dans ce métier. Je ne travaille pas avec Lucas Chevalier comme je travaillais avec Tony Heurtebis ou Steve Mandanda. Chaque gardien est différent, chaque entraîneur est différent, et il faut savoir s’adapter.

Vous avez évoqué le fait d’amener le gardien dans le projet de jeu. Comment co-construisez-vous les repères du gardien avec l’entraîneur principal et le reste du staff, afin que le travail individuel soit en phase avec le projet de jeu collectif, éviter les décalages entre les deux et que le gardien ne “découvre” certaines situations le jour de match ?

Pour moi, il est essentiel d’intégrer les gardiens aux exercices de conservation et de jeu réduit. Cela leur permet de travailler dans des zones différentes, de développer leurs repères cognitifs et d’être confrontés à des situations de jeu plus réalistes.

Par exemple, lors d’une conservation, on ne travaille pas forcément dans les 16m50, mais plutôt sur les côtés ou plus haut sur le terrain. Le gardien se retrouve alors au milieu du jeu, avec des joueurs derrière lui, comme c’était le cas avec Steve Mandanda qui maîtrisait parfaitement ce genre de situations. Cela change ses repères et l’oblige à adapter sa prise d’information et sa prise de décision. Il doit gérer la pression, faire les bons choix et être conscient de la présence de ses coéquipiers. Il doit regarder s’il y a quelqu’un derrière lui, s’il doit attendre, contrôler le ballon ou jouer en une touche.

D’autre part, il y a cette pression supplémentaire, celle du regard des autres joueurs. D’habitude, le gardien est seul dans ses buts. Mais là, il est au milieu du jeu, et s’il fait une mauvaise passe, il sait que ses coéquipiers vont le regarder de travers et se dire : « Oh là là, qu’est-ce qu’il fait le gardien ?

Cela permet également à l’entraîneur d’observer le gardien de plus près et de lui donner des consignes spécifiques. L’entraîneur des gardiens peut également intervenir et ajuster son travail en fonction des demandes de l’entraîneur principal. Par exemple, si l’entraîneur demande au gardien d’attendre la pression avant de jouer, je vais intégrer cet aspect dans mes exercices.

Il est important de créer une connexion entre l’entraîneur principal et le gardien, car ce dernier fait partie intégrante du plan de jeu. Le week-end, il est dans le vestiaire, il participe aux causeries. En intégrant le gardien aux exercices collectifs, on renforce cette connexion et on lui permet de mieux comprendre les attentes de l’entraîneur.

« Il est important de créer une connexion entre l’entraîneur principal et le gardien, car ce dernier fait partie intégrante du plan de jeu. Le week-end, il est dans le vestiaire, il participe aux causeries »

Bien sûr, il faut trouver un équilibre et laisser du temps au gardien pour travailler ses fondamentaux : les plongeons, les prises de balles, la mise au sol, etc. Tout doit être structuré et organisé pour que le gardien se sente à l’aise et puisse progresser dans tous les aspects de son jeu.

L’intégration du gardien aux exercices collectifs lui permet également de sortir de sa zone de confort, de découvrir de nouvelles zones et de nouvelles situations de jeu. Il apprend à être un joueur comme les autres, à participer au jeu et à interagir avec ses coéquipiers. On peut même les intégrer à des parcours techniques, où ils doivent prendre le ballon, éliminer un mannequin et marquer dans un petit but.

Je suis convaincu que l’intégration des gardiens aux exercices collectifs est un élément clé de leur développement et de leur performance. Ce n’est pas concevable qu’ils ne voient leurs coéquipiers qu’aux vestiaires et qu’ils ne soient jamais en position de leur faire une passe durant la séance. C’est une manière de créer une dynamique positive, de renforcer la cohésion d’équipe et de favoriser la progression de tous.

Vous avez également évoqué l’importance de la connexion entre l’entraîneur principal, les gardiens et le reste de l’équipe. Cette connexion ne peut se construire du jour au lendemain. Comment se construit-elle au quotidien ?

Pour qu’une équipe fonctionne bien, il faut une vraie connexion entre tous les acteurs, et cela inclut évidemment le gardien. C’est comme pour les défenseurs centraux : ils ont besoin de repères entre eux, de savoir comment l’autre va réagir. C’est pareil pour le gardien et ses défenseurs. Si le gardien joue bas, les défenseurs vont serrer davantage. Si le gardien joue haut, ils vont pouvoir se permettre de monter plus. On parle de gestion de l’espace suivant la position du gardien de but.

C’est pour cela que je suis convaincu qu’il faut un gardien titulaire et un remplaçant. Que les rôles soient bien définis. L’alternance, c’est un fonctionnement qui est très compliqué. Cela perturbe les défenseurs, cela perturbe l’équipe. Quand les joueurs savent avec quel gardien ils vont jouer, ils peuvent créer des automatismes, des repères. « Je sais que si je me décale sur le côté, il va me faire la passe là, je ne vais pas lui demander de jouer de son mauvais pied », etc.

« Je suis convaincu qu’il faut un gardien titulaire et un remplaçant. Que les rôles soient bien définis. L’alternance, c’est un fonctionnement qui est très compliqué. Cela perturbe les défenseurs, cela perturbe l’équipe »

Cette connexion se crée à l’entraînement, bien sûr, mais surtout en match. Les joueurs observent le gardien, ils analysent son comportement. Comment il réagit quand il prend un but ? Est-ce qu’il est capable de remobiliser l’équipe quand ça va mal ? Est-ce qu’il communique avec ses défenseurs ? Tout ça, ça compte.

Il faut que le gardien soit un leader, qu’il soit capable de motiver ses coéquipiers, de les pousser à se dépasser. C’est comme ça que l’on crée une vraie connexion sur le terrain. Et ça se travaille aussi en dehors du terrain, bien sûr. Mais les matchs, c’est là que tout se joue.

C’est pour cela que je ne suis pas partisan de changer de gardien à chaque match. Il faut de la stabilité, de la cohérence, pour que l’équipe puisse fonctionner à son maximum.

La qualité de la relation entre l’entraîneur et les joueurs est essentielle pour la performance, la motivation, l’engagement, le bien être, etc. Comment travaillez-vous cette relation avec vos gardiens, et comment vous assurez-vous qu’ils perçoivent positivement cette relation et se sentent bien intégrés au sein de l’équipe ? 

Pour moi, la relation avec les gardiens, c’est avant tout une relation humaine. Quand je rencontre un gardien pour la première fois, je ne vois pas un joueur avec un maillot et des gants, je vois un homme. C’est comme un iceberg : il y a la partie visible, ce qu’il montre, et la partie immergée, ce qu’il cache.

Mon rôle, c’est d’aller explorer cette partie immergée, de comprendre sa personnalité, ses forces, ses faiblesses. Est-ce qu’il est aussi solide qu’il en a l’air ? Est-ce qu’il se met trop de pression ? Tout ça, c’est important pour créer une vraie connexion.

Je dis souvent : « Ce soir, physiquement, je ne peux pas faire la performance à ta place, mais mentalement, je suis là avec toi ». C’est important de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls.

J’essaie de leur transmettre ce que j’ai appris au cours de ma carrière. Lorsque j’étais moi même gardien, je me mettait beaucoup de pression, et cela m’a peut-être empêché d’aller plus haut. Je faisais de la sophrologie, de l’hypnose, pour essayer de gérer le stress. Du coup, j’essaie de donner à mes gardiens ce que je n’ai pas eu.

Et puis, il y a cette force mentale que je n’avais pas forcément quand j’étais joueur, mais que j’ai développée en tant qu’entraîneur. Je suis plus costaud mentalement aujourd’hui que je ne l’ai jamais été. Je pense que cela se ressent, cela crée une connexion avec les gardiens. Ils sentent que je suis là pour les soutenir, quoi qu’il arrive.

Bien sûr, il faut aussi s’adapter à la personnalité de chaque gardien. On ne peut pas imposer les choses. Il faut les amener progressivement vers ce que nous voulons qu’ils accomplissent, sans les brusquer. Il y a des entraîneurs des gardiens qui arrivent et qui disent : « Il faut faire ci, il faut faire ça. » Mais on ne peut pas toujours fonctionner comme ça. Il faut s’adapter à chaque gardien, à chaque situation.

« Il faut aussi s’adapter à la personnalité de chaque gardien. On ne peut pas imposer les choses. Il faut les amener progressivement vers ce que nous voulons qu’ils accomplissent, sans les brusquer. »

Le gardien titulaire est généralement en crise de temps. S’il fait une erreur, c’est peut-être parce qu’il est fatigué mentalement, donc il faut savoir le ménager. Si on lui impose trop de choses, on risque de le perdre. La connexion, c’est fragile. Il faut la préserver.

L’important, c’est de créer une relation de confiance, d’être à l’écoute, de comprendre les besoins de chaque gardien. Il y a des choses que je dis aux gardiens et que je ne dirais jamais à l’entraîneur. Cela reste entre nous. C’est comme cela que l’on crée une véritable connexion.

Par exemple, je n’aurais jamais demandé à Steve Mandanda de travailler la croix à 30 ans. Ça n’aurait eu aucun sens. Il faut respecter l’histoire de chaque gardien, ses forces, ses faiblesses. C’est pareil pour Salvatore Sirigu et Kevin Trapp au PSG, qui avaient des techniques très différentes, l’un italienne, l’autre allemande.

Par exemple, je n’aurais jamais demandé à Sirigu de travailler la croix. A l’inverse, je n’aurais jamais demandé à Trapp de plonger à la « française », les mains en premier pour protéger la tête. Il fallait travailler sur leur force, sur ce qu’ils aimaient, sur ce qu’ils savaient faire. Je ne leur demandais pas de changer complètement leur façon de faire. Il fallait accompagner, faire progresser, mais sans les dénaturer.

L’important, c’est de créer une relation de confiance, d’être à l’écoute, de comprendre les besoins de chaque gardien. Il faut qu’ils sentent que nous sommes là pour les aider, pour les accompagner, sans les juger. C’est comme cela que nous pouvons les accompagner vers le haut niveau.

L’entraîneur principal doit composer avec la perception que les joueurs peuvent avoir de ses décisions, qui peut être profondément influencée par leur temps de jeu. Vous, en tant qu’entraîneur des gardiens, vous n’avez pas à gérer cette pression. Comment le fait de ne pas avoir à décider de leur titularisation influence-t-il cette connexion et la qualité de votre relation avec eux ?

Ce qui m’a vraiment soulagé quand je suis arrivé au PSG, c’est que Unai Emery m’a dit : « Nico, tu vas me donner ton avis sur les gardiens, mais ce n’est pas toi qui va décider qui joue. » Franchement, ça enlève un sacré poids pour un entraîneur des gardiens. Parce que si le gardien sait que c’est vous qui avez choisi de le titulariser ou de le laisser sur le banc, cela crée forcément des tensions.

Quand vous êtes entraîneur principal, vous avez 20 joueurs, et il y en a toujours un ou deux qui ne sont pas contents de ne pas jouer. Comme ils sont 20, c’est gérable. Quand vous êtes entraîneur des gardiens, vous n’en avez que trois ou quatre et vous les avez sous les yeux tous les jours. Si vous commencez à faire du favoritisme, cela peut vite devenir explosif.

Pour moi, c’est très clair : l’entraîneur des gardiens ne doit pas décider qui joue. Il donne son avis, bien sûr, mais la décision finale revient à l’entraîneur principal. Cela permet de préserver la relation avec tous les gardiens. C’est très important de garder cette distance, pour ne pas briser la connexion.

Par exemple, quand le gardien qui est habituellement remplaçant s’apprête à jouer un match ou une série de matchs parce que le titulaire est indisponible, cela n’aurait aucun sens d’aller le voir la veille du match pour prendre de ses nouvelles s’il n’y a aucune connexion entre lui et vous. C’est pour cette raison qu’il faut être équitable avec tout le monde. Même le troisième ou le quatrième gardien, il faut continuer à travailler avec eux, leur donner des objectifs. On ne sait jamais, ils peuvent être amenés à jouer un jour.

Si demain, l’un d’eux me dit: « Nico, on peut venir à 7h00 du matin faire un spécifique ? », je vais venir obligatoirement. Parce que je me dis, peut-être qu’un jour, on aura besoin de l’un d’eux. Si j’essaie de créer une relation la veille d’un match, de donner des objectifs, ils me diront : « Attends, tu ne m’as jamais parlé, ce n’est pas maintenant que tu vas me donner un objectif ».

« L’entraîneur des gardiens ne doit pas décider qui joue. Il donne son avis, bien sûr, mais la décision finale revient à l’entraîneur principal. Cela permet de préserver la relation avec tous les gardiens. »

Il faut que tous les gardiens se sentent impliqués, qu’ils aient envie de progresser. J’essaie de créer une bonne ambiance de travail, de faire en sorte que tout le monde s’entende bien. Il faut que ça bouillonne entre les gardiens, que tout le monde soit intéressé, impliqué. Je suis attentif à la relation qu’ils ont entre eux. C’est une équipe qui doit vivre.

Au PSG, avec Trapp et Sirigu, ce n’était pas facile tous les jours. Il y avait une vraie concurrence entre eux, et puis il y avait Nicolas Douchez qui pensait être numéro 2… Il fallait jongler avec tout ça. Sirigu n’était d’ailleurs pas au courant de l’arrivée de Trapp. Je me suis demandé comment j’allais faire pour qu’ils cohabitent. Heureusement, Nicolas et Mike Maignan m’ont beaucoup aidé. J’ai beaucoup parlé avec Nicolas, qui était numéro 3, pour lui expliquer la situation et lui demander de m’aider à maintenir une bonne ambiance dans le groupe. Je lui disais : « Nico, il faut que tu m’aides. L’objectif pour toi, ce n’est plus de jouer, mais de m’accompagner et d’essayer de faire en sorte que tout se passe bien entre tout le monde. »

Le matin, je donnais les exercices en amont à Nicolas, et dès l’échauffement terminé, il prenait les choses en main. Il connaissait les exercices par cœur et il était un vrai leader pour le groupe. Je lui disais « Tu es le référent de ma séance. Je suis l’entraîneur, mais toi, tu es le référent et tu vas emmener le groupe. » Les autres gardiens le suivaient naturellement.

Avec Mike, j’ai eu une discussion un peu différente. Je lui ai dit : « Mike, à un moment donné, les autres ne vont pas être très agréables. Ils vont peut-être te chambrer, parce que tu es jeune. Mais il faut que tu l’acceptes, même si ce n’est pas toujours facile. Tu es important pour le groupe, tu apportes de la bonne humeur, tu fais en sorte que ça bouillonne. Même si tu te fais chambrer, il faut que tu l’acceptes ». Finalement, Mike et Nicolas ont réussi à entraîner les deux autres avec eux. Trapp et Sirigu se sont dit qu’ils étaient obligés de les suivre, sinon ils n’y arriveraient pas.

C’est comme ça que j’ai réussi à créer une bonne dynamique de groupe, malgré les difficultés. Il faut être à l’écoute, savoir s’adapter, et surtout, ne jamais laisser personne de côté.

Vous avez souligné l’importance de définir clairement les rôles au sein du groupe de gardiens. Comment procédez-vous pour établir ces rôles, en tenant compte des individualités et des attentes de chacun, mais aussi des contraintes liées au choix de l’entraîneur principal et des risques de conflits d’ego, comme vous l’avez illustré avec Sirigu et Trapp ? D’autre part, comment maintenir un climat motivationnel favorable à la progression dans ce contexte ?

Chaque gardien a ses propres objectifs, ses propres besoins. Il faut savoir s’adapter à chacun. Par exemple, pour Mike Maignan, l’objectif était de progresser techniquement et de jouer en N2. Pour Nicolas Douchez, qui était en fin de carrière, il fallait le ménager, lui donner de la considération, adapter les exercices à son âge. Pour Kevin Trapp et Salvatore Sirigu, qui étaient en concurrence, l’objectif était de les amener au plus haut niveau de performance, de les aider à s’imposer dans l’équipe.

Pour maintenir un climat motivationnel positif, il faut s’intéresser à chacun, donner des objectifs à court terme, des petits trucs qui les motivent. Par exemple, je pense qu’il est important de donner la Coupe de France au deuxième gardien. C’est une bouffée d’oxygène parce qu’il travaille toute la semaine et qu’il n’a rien en contrepartie. Donc lui, je vais lui dire : “Ton objectif, c’est la Coupe de France”. Pour un autre, ce sera le championnat, la Ligue des Champions. Ces objectifs vont permettre d’intéresser tout le monde.

Je fais aussi des montages vidéo pour chaque gardien, même le troisième, comme Marc-Aurèle Caillard au LOSC. Je fais des montages pour Lucas Chevalier, mais Marc-Aurèle aussi a le droit à ses montages vidéo et à ses objectifs. Cela lui montre que je suis attentif à sa progression, même s’il ne joue pas beaucoup.

Cela permet de corriger des petits défauts. Par exemple, je peux lui dire : « Tes coudes sont un peu écartés. » Il se dit alors : « Quand même, il a vu ça. Il est attentif, même si je suis troisième gardien. » C’est important de montrer à chacun qu’il compte.

En général, un gardien qui joue peu, je lui dis : « Le mieux que tu aies à faire, c’est d’apprendre. Moi, je vais te donner du travail, je vais continuer à t’entraîner. » Pourquoi ? Parce que tout ce qu’il fait à l’entraînement va lui servir. Peut-être qu’il aura envie de partir en fin de saison. Mais tout ce travail, ça va lui servir pour le mercato, pour rebondir ailleurs.

C’est comme un puzzle, il faut que chaque pièce soit à sa place. Le premier gardien doit emmener le deuxième, le troisième est plus proche des joueurs, il fait du travail devant le but, et puis il y a le jeune qui est là, qui observe et qui apprend des autres. Il faut définir le rôle de chacun, que ce soit le premier, le deuxième, le troisième ou le quatrième gardien.

L’important, c’est que tout le monde aille dans le même sens. C’est moi qui donne la direction, comme une locomotive et les gardiens doivent suivre. Je ne supporte pas de voir un gardien qui ne s’investit pas, qui fait la tête. Cela perturbe les séances, alors que l’on se donne du mal. Je ne peux pas laisser tomber.

Quand je vois un gardien qui fait un ou deux trucs inhabituels en match, comme mettre un ballon en touche alors qu’il ne le fait jamais, ou rater une sortie, ou relâcher un ballon, là, je me dis qu’il y a un problème. Les clignotants s’allument et j’interviens. J’ai une vraie relation avec les gardiens, basée sur la franchise.

Par exemple, à Marseille, il m’est arrivé de ne pas parler à Steve Mandanda pendant une semaine, même si nous étions extrêmement proches. Nous étions un peu dans le conflit, mais je savais qu’il fallait que je l’aide à se surpasser.

Il faut construire une relation vraie avec chaque gardien, basée sur la confiance et l’honnêteté. Je ne vais pas leur dire que tout est parfait quand ce n’est pas le cas. Si je vois un problème, je suis obligé de le dire, même si ça ne plaît pas toujours. Comme j’ai une relation forte avec eux, je peux me permettre de dire des choses que peut-être l’entraîneur principal ou les coéquipiers ne peuvent pas dire.

Par exemple, un jour, j’ai dit quelque chose à Christophe Revault qu’il n’a pas accepté. Il boudait un peu. Alors je lui ai dit : « Christophe, on a Dijon demain. Si tu me dis que tu as oublié tes gants au Havre, j’y vais à pied pour les chercher. » Je voulais lui montrer que j’étais là pour lui.

C’est ça, une vraie relation. Parfois ça bouillonne, j’attends un peu, je me dis qu’il ne faut pas que je le dise maintenant, mais une fois que je l’ai dit, je me sens soulagé. Le gardien, il se dit: “Quand même, il me dit ça, il est franc”. Ça ne nuit pas à la connexion, au contraire, parce qu’avant j’ai mis plein de choses positives en place avec lui. Depuis le début, pas depuis deux jours, mais depuis six mois. C’est comme l’iceberg, j’essaie de voir ce qu’il y a en dessous, ce que je peux lui apporter. Mes gardiens, ce sont un peu comme mes fils. C’est de la famille. C’est important.

Le poste de gardien de but et le rôle d’entraîneur de football, spécialiste des gardiens sont assez particuliers, avec des rapports et des enjeux spécifiques au sein du collectif. Qu’est-ce que votre expérience vous a apporté sur le plan humain ?

Le football, et plus particulièrement mon rôle d’entraîneur des gardiens, m’a appris l’importance de la dimension humaine. Dans un sport collectif, il est essentiel de penser aux autres, d’être attentif à ce qu’ils font, à ce qu’ils pensent et à ce qu’ils disent. Cela peut influencer nos propres actions, nos choix et notre manière de travailler.

Je suis convaincu que l’humain est au cœur de la performance. Sans une véritable connexion humaine, sans une compréhension profonde des individus qui composent l’équipe, il est difficile d’obtenir des résultats. C’est encore plus vrai pour un entraîneur des gardiens, qui doit créer une relation de confiance avec chaque joueur pour l’aider à se surpasser.

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