En plus de 30 années passées au recrutement à l’Olympique Lyonnais, Patrice Girard a contribué, entre autres, à faire de l’académie du club rhodanien, l’une des plus performantes de France et d’Europe.
Aujourd’hui, il est responsable des projets football pour Sportiw, plateforme aidant les athlètes à avancer dans leurs projets sportifs, grâce à à la mise en avant de leurs profils auprès des recruteurs / clubs et agents.
Il nous propose un éclairage sur son parcours, son rapport au football, ainsi que sa vision du scouting et du recrutement.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Qu’est-ce que le football représente pour vous ?
C’est une passion, une invitation à la découverte. C’est la possibilité d’unir plusieurs générations, plusieurs continents. Le football est quelque chose d’universel. Vingt-cinq langues peuvent être réunies dans un même stade, pour vivre les mêmes émotions.
Je ne considère pas avoir exercé un métier, mais une passion. Vivre de sa passion, ça n’a pas de prix. Cette passion, j’ai pu la partager aussi bien dans des stades de campagne que dans de très grands stades. J’ai eu la chance de voyager dans le monde entier et le football a été mon premier passeport.
« Il faut aussi avoir en tête que tous les jeunes joueurs ne veulent pas forcément faire du football leur métier »
Partout où j’arrivais, le football m’a ouvert des portes incroyables. Mon objectif a toujours été de prendre du plaisir à aller voir un match, quel qu’il soit. On apprend toujours d’un match.
Très souvent, lorsque les gens vont voir un match de jeunes, ils parlent des joueurs de manière assez désobligeante, notamment lorsqu’ils disent que les joueurs ne sont pas bons. Je trouve cela assez irrespectueux, parce que ces joueurs peuvent ne pas sembler bons à leurs yeux, mais, pour d’autres yeux, ce sera différent. Par ailleurs, il faut aussi avoir en tête que tous les jeunes joueurs ne veulent pas forcément faire du football leur métier.
Comment avez-vous intégré ce monde, d’un point de vue professionnel ?
Je viens d’une campagne dans l’Allier. J’ai commencé à passer mes diplômes d’entraîneur avec Erick Mombaerts, lorsque j’avais 16 ans. J’ai eu mon BE à 18 ans. Je suis ensuite parti à Paris et j’ai rejoint le Stade Français où j’avais la responsabilité des éducateurs et où j’entraînais également.
Cette expérience m’a permis de découvrir Paris et de développer une passion pour le football parisien. À l’époque, il y avait le challenge Maratrat et nous nous déplacions avec un groupe formé de nos U13, U15 et U17 pour jouer contre un autre club durant le même après-midi . C’était très enrichissant parce que toutes les catégories se connaissaient, tout le monde avait le résultat de tout le monde, etc.
Par la suite, nous avons été en partenariat avec l’Olympique Lyonnais et j’ai eu le bonheur de rencontrer Alain Thierry, qui était responsable du recrutement. Il a été l’un de mes mentors. Il m’a ouvert les portes du club, il m’a fait découvrir ce métier. C’était en 1986-1987 et le mot recrutement n’avait pas du tout le même sens qu’aujourd’hui.
Il m’a ouvert les portes, m’a formé et il m’a aidé à avoir ce qu’il appelait un œil. Parce que dans le recrutement, ce que l’on appelle un œil, tout le monde ne l’a pas ou l’a différemment. J’ai par exemple connu des entraîneurs professionnels, qui ont gagné des trophées, mais qui n’avaient pas l’œil pour le recrutement.
J’ai rapidement eu la passion du recrutement des jeunes. Pourquoi ? Parce qu’il fallait être sur les terrains et c’est ce qui me plaisait. Sur une saison, je passais 270 jours à l’extérieur de chez moi, entre les Pôles Espoirs, les déplacements sur le continent africain, etc.
Lorsque j’ai commencé à l’OL, l’objectif était le recrutement régional, parce que nous avions la chance d’avoir une grande métropole. Nous partagions les joueurs avec l’AS Saint-Étienne, avec qui je me suis toujours bien entendu. Avec Gérard Fernandez, il y avait toujours un rapport courtois. Lui, faisait ses joueurs et nous, avec Gérard Bonneau, Titi, nous faisions les nôtres.
En parallèle, la Coupe Nationale (U15) à Vichy, puis à Clairefontaine, nous permettait de voir l’ensemble du football. Nos observations commençaient donc sur du football à 11 et c’était très intéressant de recruter sur ce format et à cet âge-là.
Ensuite, avec l’évolution des Pôles Espoirs, nous avons commencé à recruter à partir de la fin de la catégorie U13, avant l’entrée dans les pôles. Pour moi, c’était quelque chose de très compliqué, parce que j’observais beaucoup de joueurs dans les différents pôles, avec des degrés de maturité qui pouvaient être extrêmement différents. Néanmoins nous devions continuer à prendre des décisions.
Cela a toujours été très dur et, avec Gérard Bonneau, nous nous sommes posé un certain nombre de questions concernant notre manière d’opérer. Nous avons finalement décidé de nous focaliser sur ce qui a toujours été la force de Lyon, c’est-à-dire le travail régional.
Avec une concurrence qui est aujourd’hui nationale, voire internationale, cela peut contribuer, parfois, à une certaine déconnexion entre le scouting, le recrutement et le programme de formation proposé par le club ?
Pour moi, la perception et la définition de la formation par le club sont fondamentales dans l’approche qui va être adoptée pour le scouting et le recrutement. Il faut recruter en fonction de critères qui correspondent au club dans lequel le joueur va arriver. À Lyon, mon intérêt pour un joueur ne pouvait être défini par le nombre de clubs qui était intéressé par celui-ci.
Si le joueur ne correspondait pas aux critères que nous avions définis avec nos directeurs de centre et avec la méthodologie développée avec nos éducateurs, nous ne nous positionnions pas. Nous n’allions pas surenchérir, si un joueur ne correspondait pas à ce que nous recherchions.
Dans notre recrutement, nous recherchions certains points forts, mais surtout, l‘objectif était d’évaluer quelles seraient nos possibilités de limiter l’impact des points faibles du joueur, si ce dernier était amené à rejoindre le club. Nous nous posions beaucoup de questions avec les éducateurs.
Nous avions une certaine liberté de recrutement, d’ailleurs, à l’époque où José Broissart était directeur du centre de formation, c’est nous qui avions toujours plus ou moins le dernier mot. Il nous disait toujours: « si vous avez vu ce garçon et qu’il vous semble intéressant, je ferai avec ».
Il ne faut pas oublier que, lors de notre travail de « recrutement », les joueurs étaient vus quatre, cinq, six, sept fois dans la saison, par différents observateurs et que, lorsque nous les faisions venir au centre, sur une demie journée ou sur un match, ils pouvaient passer à travers pour diverses raisons. Même les plus grands joueurs, il y a des jours où ils passent à côté. Donc, en ne nous basant que sur cet événement, le travail de six ou sept observations aurait pu être anéanti.
« L‘objectif était d’évaluer quelles seraient nos possibilités de limiter l’impact des points faibles du joueur, si ce dernier était amené à rejoindre le club »
Pour moi, ce qui est important, c’est l’adéquation entre le joueur qui va être recruté et le système de formation mis en œuvre par le club. Il faut que ça colle. Lors de nos observations, la première chose à laquelle nous étions attentifs, c’était la technique, notamment la première prise de balle. On m’a toujours dit: « regarde la première prise de balle, cela va te donner une indication ».
J’ai eu la chance de croiser de nombreux formateurs à travers le monde, avec lesquels j’ai beaucoup appris. C’est au cours de ces voyages que j’ai vu pour la première fois des gens donner des paires de chaussettes de couleurs différentes aux enfants. La bleue pour le bon pied, la rouge pour le mauvais pied. Lorsqu’on est engagé dans ce type de réflexion, c’est qu’on a pensé à pas mal de choses.
En ce sens, Jean-Marc Guillou est l’un de ceux que j’admire beaucoup. J’ai vu les enfants qui étaient dans ses académies au Ghana, en Algérie, en Côte d’Ivoire, au Mali, faire des choses incroyables. Il est parti d’une feuille blanche en se disant: « je vais faire faire aux enfants ce que moi j’ai toujours voulu faire à l’entraînement et je vais enlever tout ce que je n’aimais pas faire ». C’est simple comme concept, mais cela a donné des résultats très intéressants.
Florian Maurice avait fait une réflexion au sujet de Jean-Marc Guillou et de ses académies qui m’a beaucoup marquée. Il était allé voir un match de Champions League en Belgique et il ne savait pas quoi faire l’après-midi. Je lui avais suggéré d’aller voir Jean-Marc, dans son académie qui était à côté de Beveren.
Après son passage, il m’avait dit: « Tu imagines que, depuis que j’ai arrêté ma carrière, en voyant les enfants de l’académie, c’est le seul moment où j’ai eu envie de rejouer au football ? ». Jean-Marc avait également un rituel avec Arsène Wenger. Tous les jeudis, à 13h00, ils s’appelaient. J’ai eu l’occasion d’écouter un certain nombre de ces conversations et je me suis toujours demandé s’ils parlaient vraiment de football. Leur expertise était tellement surdimensionnée, c’était incroyable.
« Ce qui est important, c’est l’adéquation entre le joueur qui va être recruté et le système de formation mis en œuvre par le club »
Pour en revenir à notre modèle à Lyon, il y a des joueurs que j’aurais aimé prendre, mais qui ne correspondaient pas aux profils recherchés par le club. D’autre part, empiler les joueurs, ce n’était pas dans notre philosophie. Avant d’envisager de recruter un joueur, nous voulions avoir de la visibilité sur trois ans. Par exemple, si j’étais intéressé par un latéral gauche U15, je regardais ce que nous avions au-dessus en U16 et en dessous en U14. C’était une manière de laisser la chance un petit peu à tout le monde.
D’autre part, Armand Garrido, qui entraînait les U17, avait une philosophie très simple. Lorsqu’un bon joueur arrivait au club, d’août à décembre, il jouait avec les U16. De janvier à décembre de l’année suivante, il s’entraînait et jouait avec les U17. Au bout de cette période de 18 mois, nous décidions si le joueur devait aller en 19 ans, en CFA, voire avec les pros. Le joueur n’avait alors pas l’impression d’avoir fait deux ans de suite en U17. Nous ne le faisions pas avec tous les joueurs, mais c’était un petit peu notre philosophie.
Je me suis souvent battu contre des parents qui voulaient la garantie que leur enfant s’entraîne avec telle et telle catégorie. C’est là que cela devient dangereux, parce que c’est au joueur d’aller chercher ce qu’il mérite. C’est à lui de nous montrer ses intentions et à nous de choisir avec qui il va s’entraîner.
Le recrutement, c’est une histoire magique, une histoire d’homme, une histoire de relations. À l’époque, nous avions des contrats qui s’étendaient sur trois ans. Les recruteurs, les entraîneurs et les directeurs de centre signaient en même temps leurs contrats et étaient donc susceptibles de partir en même temps. Cela a créé des liens forts, nous étions soudés.
La notion de résultat n’a jamais vraiment été une priorité, parce que chez les jeunes, c’est très aléatoire. Sur un match, on peut taper deux fois le poteau, concéder un pénalty, ne pas avoir certains joueurs parce qu’ils sont en équipe nationale, passer à travers, etc. J’ai eu une chance incroyable de faire partie de ce club et d’avoir une telle liberté. Ça, n’a pas de prix.
« C’est au joueur d’aller chercher ce qu’il mérite. C’est à lui de nous montrer ses intentions et à nous de choisir avec qui il va s’entraîner »
Avec tous les directeurs de centre successifs, j’avais carte blanche dans mes déplacements. Avant de passer responsable du recrutement, je n’étais pas souvent au club. Je venais de temps en temps quand j’avais des joueurs, notamment le mercredi. Mon métier, c’était d’être sur les autres terrains.
Alain Thierry, Gérard Bonneau et Louis Perelle m’ont appris trois choses. Lorsqu’on allait voir un match dans des clubs amateurs, il fallait signaler sa présence. C’était une obligation. Nous donner ou pas la feuille de match, c’était aux clubs de voir. Néanmoins, par respect, se signaler était la moindre des choses. Deuxièmement, il fallait toujours respecter le choix d’un joueur. Même s’il ne signait pas chez nous, il fallait féliciter le joueur et sa famille. C’était son choix, il avait le droit. Troisièmement, il ne fallait pas combattre les autres clubs professionnels. Chacun faisait sa vie et c’était très bien comme ça.
Pendant des années, entre tous les clubs professionnels français, il était entendu que les uns n’allaient pas chez les autres pour sortir des joueurs. Ensuite, cela a malheureusement évolué, mais pendant 20 ans, jamais nous n’avions fait ça. Le joueur avait fait un choix et il fallait l’assumer jusqu’au bout.
Étant donné qu’il est très difficile, voire impossible, de prédire ce qu’un enfant de 12-13 ans sera à 18 ou 19 ans, comment vous êtes-vous adapté pour aborder le processus de recrutement avec ce public ?
L’approche du recrutement pour un joueur à 12-13 ans n’est pas la même que pour un joueur de 16 ou 17 ans. Pour les 12-13 ans, la mise en confiance est fondamentale. Alors, que mettre en œuvre pour atteindre cet objectif ? Déjà, il ne faut pas faire venir un enfant tous les mercredis au club et le noyer au milieu des joueurs qui y sont déjà.
Au début, ce que nous avions préconisé, c’était de faire des matchs amicaux ou des mini tournois en semaine, avec les clubs des joueurs qui nous intéressaient. Ils venaient avec leur club, ce qui les mettait en confiance, car ils avaient l’habitude de cet environnement. Si nous faisions venir une équipe U13, ils jouaient contre nos U12. L’objectif était que nos U12 profitent aussi du match. Il fallait trouver un équilibre.
Durant ce match, nous observions le joueur, comment il se comportait et seulement ensuite, nous commencions à le faire venir régulièrement. Notre but, c’était la mise en confiance de l’enfant, qu’il ne se sente pas observé.
D’autre part, lorsqu’il jouait avec son club, il fallait faire très attention à ne jamais envoyer la même personne pour l’observer. Pas à cause d’un manque de confiance en l’œil de l’observateur, mais c’était intéressant d’avoir des perspectives différentes. Certains préféraient les joueurs plus costauds, d’autres plus techniques, etc. Même si chacun avait les critères de valeur du club, c’était très important d’avoir des regards différents.
« L’approche du recrutement pour un joueur à 12-13 ans n’est pas la même que pour un joueur de 16 ou 17 ans. Pour les 12-13 ans, la mise en confiance est fondamentale«
Lorsqu’on arrive sur des joueurs évoluant en U16-U17, l’approche est presque inversée. Par exemple, si je voyais un joueur intéressant en U17 nationaux à Paris, nous lui proposions de venir à un match amical le mercredi. À une certaine époque, ces matchs amicaux du mercredi étaient très importants pour nous. Ils nous permettaient de jouer les uns contre les autres avec de vrais arbitres et cela permettait d’avoir du temps de jeu. C’était un vrai match.
Nous incorporions les joueurs que nous souhaitions observer, avec des joueurs plus vieux qu’eux et qui s’entraînaient tous les jours. Nous voulions voir comment ils allaient se comporter dans un environnement difficile. Il y a avait donc vraiment une différence d’approche entre les petits et les plus grands.
Les plus petits, nous les mettions dans des situations où nous ne voulions pas les mettre en difficulté et qu’ils soient complètement perturbés. Les plus grands, par contre, nous les mettions dans des situations où ils devaient aller chercher des choses. Si un garçon performait contre nos 18 ou 19 ans, on pouvait commencer à se dire que c’était intéressant.
Chez les plus jeunes, s’il y avait par exemple trois joueurs d’une même catégorie à Saint-Priest qui nous intéressaient, nous ne les faisions jamais venir en même temps. Pourquoi ? Parce que les clubs amateurs continuent à s’entraîner, ont des compétitions, etc. Il fallait les mettre dans un système où la confiance était fondamentale.
Lorsqu’on accueillait des enfants, j’aimais bien passer dans les vestiaires, parler et rire avec eux, afin qu’ils ne soient pas tout seuls dans un vestiaire qu’ils ne connaissaient pas. Les jeunes qui venaient chez nous devaient sentir que c’était leur moment au centre de formation.
Comment se déroulait l’arrivée d’un jeune joueur au centre de formation ?
Nous recevions d’abord l’enfant tout seul et, ensuite, nous recevions les familles sans les enfants. C’était bien d’avoir l’enfant tout seul parce que nous pouvions lui poser des questions hors football.
Nous essayions de comprendre à quoi ressemblait son environnement familial : comment étaient ses relations avec ses grands-parents, ses tantes, ses oncles ? Qui avait joué au football ? Est-ce qu’il avait pratiqué d’autres sports ? Que regardait-il à la télé ? Quelle était sa vision de l’école ? Etc.
Par exemple, la visite du centre de formation était toujours faite par Didier et Catherine, un couple qui travaillait au club. Pourquoi ? Parce que c’est eux qui allaient côtoyer les joueurs au quotidien, sur leur lieu de vie.
Ils les responsabilisaient, s’occupaient du linge, de la scolarité, étaient en relation avec les parents. Sur la partie médicale, ils étaient pris en charge par le médecin du centre. Toutes ces personnes accompagnent un joueur au quotidien.
Lorsqu’un recruteur dit: « moi, j’ai fait signer tel joueur et il est devenu pro parce que je l’ai trouvé », je réponds que ce n’est pas vrai. C’est tout le cursus d’accompagnement qui a optimisé les chances du joueur de devenir pro. Ce sont tous les entraîneurs, les éducateurs, les intendants, les dirigeants qui sont très importants.
Les dirigeants dans un club de football, ce sont presque les personnes les plus importantes, parce qu’ils n’ont ni fonction d’entraînement ni fonction avec la scolarité. Ils apportent l’eau, ils donnent les tenues, ce sont des confidents, etc. Ils sont très importants dans le football, que ça soit amateur ou professionnel.
J’ai toujours eu du respect pour eux. Ils remplissent toutes ces missions bénévolement, parce qu’ils aiment le club et les enfants. Au centre, le joueur est entouré d’une dizaine de personnes qui vont l’accompagner. Le recruteur est très important, mais il ne l’est que si derrière, il y a toutes ces personnes et cette organisation. Sans cela, il n’est rien. On a toujours besoin des autres dans le football.
« Lorsqu’un recruteur dit: « moi, j’ai fait signer tel joueur et il est devenu pro parce que je l’ai trouvé », je réponds que ce n’est pas vrai. C’est tout le cursus d’accompagnement qui a optimisé les chances du joueur de devenir pro »
Par exemple, lorsque je suis arrivé en Afrique, il y a des gens qui m’ont accompagné. Ils me disaient d’aller voir tel ou tel joueur. Par respect, j’allais toujours contrôler, même si le joueur ne correspondait finalement pas à ce que je recherchais.
Peut-être qu’au départ, cette personne va nous orienter vers un ou deux joueurs qui ne correspondent pas, mais peut-être que le troisième correspondra. Il faut toujours vérifier l’information et essayer de la bonifier.
Si j’ai un conseil à donner à ceux qui veulent faire du recrutement, c’est que c’est un métier où il faut se battre. On se bat pour trouver le joueur, on se bat contre les autres clubs et on se bat à l’intérieur de nos clubs pour faire rentrer le joueur. C’est un combat permanent, donc il faut être prêt à l’affronter.
D’autre part, une fois qu’il a signé, il faut être prêt à entendre : « ah, peut-être qu’il n’a pas le niveau, il n’a peut-être pas telle qualité, etc. ». Donc, on est toujours dans un combat. Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que le recruteur est toujours à l’extérieur du club. Il fait partie du club, sans être au club. Ce n’est pas facile à vivre.
Il faut aimer partir de chez soi, avoir une famille qui soutient ce choix de vie et ça, ce n’est pas permis à tout le monde. Lorsqu’on a des enfants, que l’on part sans arrêt, c’est difficile. Nous n’avons pas de vie de famille, pas de vie sociale.
Nous passons une grande partie de notre temps à l’hôtel, seul. Nous mangeons régulièrement seuls le soir, dans notre chambre et nous repartons au stade le lendemain. En revanche, une fois que l’on a compris et accepté tout cela, c’est un métier exceptionnel. C’est un métier de solitaire, qui est exceptionnel.
C’est un métier dans lequel il faut toujours se remettre en cause. Sans remise en cause, on ne progresse pas. Sur un match, il faut essayer de comprendre pourquoi tel ou tel joueur est en échec. Louis Perelle, avec qui je travaillais au recrutement, me disait souvent : « au stade, tu dois toujours ressortir avec une information. Quelle que soit l’information ».
C’est cette recherche d’information qui peut permettre de comprendre pourquoi un joueur est en échec. Quelqu’un peut par exemple vous dire : « Lui, il a été en difficulté parce que d’habitude, il joue avec un latéral gauche qui est suspendu, et, aujourd’hui, il n’a pas les mêmes automatismes ». Un autre peut vous dire : « on a joué contre Guyancourt la semaine dernière, ils avaient un gamin qui nous a mis cinq buts. Incroyable ». Voilà ce qu’est une information.
En football, l’attention semble souvent portée sur le joueur et les caractéristiques généralement associées à la performance sportive, moins à l’adéquation entre ces caractéristiques, le contexte dans lequel celles-ci devront s’exprimer et l’influence de l’environnement social du joueur sur son développement.
Nous essayions de garder les enfants au maximum dans leur environnement, notamment en les faisant venir avec leurs équipes. De cette manière, ils se sentaient protégés en restant dans une atmosphère qui leur était familière. En revanche, si nous faisions venir à l’essai une dizaine de U12-U13 qui ne connaissait personne, ils se regardaient les uns les autres, se demandaient s’ils allaient être pris, etc. Le contexte que nous avions créé était différent. Ils venaient avec leur équipe, pour jouer contre une équipe de Lyon.
En termes d’environnement social, il faut bien comprendre que les choses ont énormément évolué. Depuis une quinzaine d’années, le jeune joueur est devenu un porte-monnaie, avec une obligation de réussite. Le joueur ne signe peut-être pas toujours là où il a envie d’aller. La question que je me posais toujours, par rapport à ces enfants qui aspiraient à faire du football leur métier, c’était : « est-ce que vous aimez vraiment le foot ? »
Parce qu’attention, c’est un chemin difficile, il y a de la concurrence et il y a une triple pression. Celle de la scolarité, qui était très importante pour nous. La pression familiale. La pression du club, à travers la concurrence, le résultat, etc. Donc, la question fondamentale est: « est-ce que votre amour pour le football va être beaucoup plus fort que tout cela?”
« Depuis une quinzaine d’années, le jeune joueur est devenu un porte-monnaie, avec une obligation de réussite »
De manière générale, je peux comprendre l’évolution de l’environnement social, parce qu’il ne faut pas se le cacher, nous vivons dans un pays où la misère s’installe. J’ai eu la chance de faire beaucoup de clubs parisiens ou dans le Sud et nous avions plus un rôle d’éducateur social que d’éducateur sportif. Quand les clubs pros viennent taper à la porte, pour la famille, pour l’environnement, c’est équivalent à avoir les bons numéros à la loterie nationale, ce qui est un peu dommage.
Une autre chose qui a beaucoup changé dans l’environnement du football, c’est que les clubs amateurs ont progressé. Que ce soit dans l’accueil des enfants, dans le rôle des éducateurs, dans les infrastructures. Dans la région lyonnaise, lorsque j’allais voir des clubs partenaires, je voyais qu’ils s’entraînaient autant que les jeunes de l’OL.
Par ailleurs, j’ai le sentiment que les joueurs ne jouent plus tout seuls dans la rue, dans les champs ou à l’école. Le football dans la rue, où il y avait un lien social avec son quartier, semble avoir quasiment disparu. Ce lien social que l’on pouvait avoir, même à l’école, en apportant un ballon pour jouer, a aussi quasiment disparu.
Avant, les enfants jouaient dans la rue en posant des t-shirts pour faire des buts. Ils trouvaient tout seuls un équilibre dans la composition des équipes. Ils mettaient un petit ou un grand de chaque côté et c’est comme cela qu’ils avançaient, qu’ils progressaient. J’ai aussi souvent vu ça en Afrique. Je m’arrêtais souvent dans des quartiers et je prenais plaisir à regarder les enfants jouer.
Il y a 20 ans, je voyais également arriver des enfants à l’école de football qui avaient toujours joué dans la rue, etc. Ils avaient déjà une certaine aisance technique, une motricité déjà très développée. Aujourd’hui, je pense qu’il y a des clubs amateurs où les enfants n’ont pas ce niveau de développement.
Il faut laisser de la liberté aux enfants. Les clubs sont contraints de proposer un cadre à minima, à travers un système d’horaires, de terrain, néanmoins, nous avons trop voulu formater nos écoles de football, afin qu’elles ressemblent à ce qui se fait chez les pros, alors que cela ne devrait pas être l’objectif.
Les enfants ne veulent pas tous vivre du football. Le football, c’est le plaisir d’être avec des copains que l’on ne voit peut-être pas à l’école, de se mélanger et d’avoir cette notion de dépense physique autour du ballon.
Maintenant, s’il faut mettre un cadre en disant que la coupelle doit être invariablement à 1,50 mètre, parce que l’on a lu ou vu ça quelque part, cela devient compliqué. Tout n’est pas bon à prendre. Pourquoi ? Parce que ceux dont nous reprenons les idées ne connaissent pas le profil de nos joueurs, les terrains ou le matériel que nous avons à disposition, etc. Nous devons avoir une initiative personnelle par rapport à la qualité de notre effectif.
D’autre part, la notion de résultat a pris une place trop importante, parce que, lorsqu’un enfant rentre chez lui, la première question qu’on lui pose reste invariablement : “tu as gagné ?”. C’est une question que tout le monde pose, alors que l’on devrait leur demander : “est-ce que tu as été heureux de jouer ? Est-ce que tu as pris du plaisir à jouer ?”. Comme moi, j’ai eu du plaisir à aller les voir jouer.
« Nous sommes arrivés dans un football où l’humain n’est plus central. On prend et on jette. Le football, c’est, quelque part, une machine à jeter »
Je me suis toujours appliqué, lorsque j’assistais à des matchs de jeunes, à rester jusqu’au bout. Par respect pour ceux qui jouent pour toi, il faut rester jusqu’au bout. En Afrique, il m’est arrivé de passer la journée sur un terrain.
Les enfants savent que vous êtes là et on ne peut même pas s’imaginer ce qu’il peut se passer dans leur tête, si l’on part pendant qu’ils jouent. Il faut respecter les enfants, il faut respecter les éducateurs, il faut respecter tout le monde.
Nous sommes arrivés dans un football où l’humain n’est plus central. On prend et on jette. Le football, c’est, quelque part, une machine à jeter. C’est dommage, car c’est l’un des sports les plus beaux. On peut y jouer à un contre un, deux contre deux, onze contre onze. On peut y jouer n’importe où. Tout le monde connaît, plus ou moins, les règles du jeu et chacun peut les adapter en fonction de sa situation.
Par exemple, un exercice que j’aimais bien, c’est le 3 vs 3 dans la surface de réparation. C’est un format où les dimensions technique, tactique, physique et mentale sont sollicitées. Les joueurs ne peuvent pas se cacher. Il n’y avait plus qu’à prendre du recul, observer et se régaler.
C’est sur ce genre de format que l’on voit des choses. À 11 contre 11, c’est plus difficile, parce qu’une équipe peut dominer l’autre, le joueur peut ne pas évoluer à son poste, etc. À 3 vs 3, dans une petite surface, on voit tellement de choses…
Justement, la transition du football à 8 vers le football à 11 peut s’avérer difficile. À quel type d’éléments étiez-vous sensible pour essayer d’imaginer comment un joueur s’adapterait au football à 11 ?
Ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que, pour être un très bon footballeur, il faut avoir les trois vitesses. La « vitesse intellectuelle-tactique », la « vitesse technique » et la « vitesse pure ».
Sur l’aspect intellectuel, dans les petites catégories, si j’observe un joueur qui joue sur un côté, par exemple, je vais être attentif à sa manière de se déplacer en fonction des situations, sa manière d’aider le milieu qui est du même côté, etc. Pour la vitesse technique, je vais être attentif à sa capacité à enchaîner un contrôle et une passe, à utiliser les deux pieds, à faire avancer son équipe sur le terrain.
L’une des questions majeures va être de déterminer si le joueur fait progresser son équipe sur le plan de la compréhension du jeu et techniquement. Les dimensions intellectuelle et technique sont essentielles pour moi.
Ensuite, il faut déterminer si, en rejoignant le club, nous pouvons aider le joueur à améliorer ces aspects et l’accompagner dans sa progression vers un système de football à 11. Pour réaliser cette transition, le joueur doit avoir des points forts et, des points faibles qui peuvent être limités. À 14, 15 ou 16 ans, le joueur a une marge de progression importante. Il y a d’ailleurs toujours une marge de progression en football.
En reprenant l’exemple de notre joueur de côté en foot à 8, on va essayer de voir s’il est capable de courir sur 20, 30 ou 40 mètres, puis de centrer, s’il est capable, à un moment donné, de trouver cette passe à l’intérieur qui va aller à 10 mètres, 15 mètres, puis 20 mètres, etc.
Est-ce que c’est un garçon qui est déjà capable de s’aligner dans une défense à trois, comme on peut le voir chez les plus petits ? Lorsqu’il passera à quatre, est-ce qu’il aura l’instinct de regarder, de s’aligner sur les quatre ? Comment défend-il ? Est-ce qu’il va tout de suite au contact du joueur qu’il a en direct ? Est-ce qu’il va plutôt être en tampon ? Etc. Il peut donc y avoir un certain nombre de critères d’évaluation.
Étant donné les différentes perspectives et représentations qu’il peut y avoir au sein d’une cellule de recrutement, comment fait-on pour harmoniser les interprétations des uns et des autres ?
Nous avions une grille d’évaluation commune et nous prenions en compte tous les avis. Nous échangions aussi beaucoup par téléphone. Chaque observateur avait des rapports à effectuer tous les lundis sur les matchs qu’ils avaient vus durant le week-end. Chaque joueur se voyait attribuer un nombre d’étoiles (d’une à trois étoiles).
Comme je le disais précédemment, nous faisions venir au club les 10, 11, 12 ans qui nous intéressaient, mais, sur les plus grands, avec Gérard Bonneau, nous allions voir en situation. Le but n’était pas de contredire l’observateur, le scout, mais d’avoir une observation supplémentaire.
D’autre part, chaque scout peut avoir une manière différente d’observer un joueur. Par exemple, moi, je ne prenais pas ou très peu de notes au stade. Comme j’étais beaucoup sur la route, je refaisais le match dans ma tête en roulant. J’avais un dictaphone sur lequel j’exprimais ce que je pensais de chaque joueur observé. Ensuite, je réalisais mon rapport en fonction de ce qui était enregistré sur le dictaphone.
Lorsque je prenais des notes, j’utilisais un petit calepin où je mettais de petites annotations, des aide-mémoires, en utilisant la feuille de match : chaussures rouges, jeu long, etc. Cela me permettait de repenser au match, de le réanalyser.
Lorsque je vois des observateurs, qui sont deux ou trois, les uns à côté des autres, je trouve qu’il est difficile de travailler, parce qu’il y en a toujours un qui parle, etc. Le mieux, c’est d’être tout seul, de regarder et, ensuite, d’y repenser.
Ces expériences chez les jeunes m’ont beaucoup servi quand je suis passé chez les pros. Travailler sur ce public est incroyablement formateur. Je ne dis pas que, chez les pros c’est facile, mais il y a tellement d’outils pour observer. Il y a beaucoup de vidéos, de la data, etc. C’est un travail commun avec le directeur sportif, le responsable du recrutement et plus ou moins le coach actuel.
« Les centres de formation sont des laboratoires, donc il faut laisser le temps aux jeunes, aux directeurs de centre et aux éducateurs«
Se tromper chez les jeunes, pour l’observateur, c’est important et formateur, mais pour l’enfant concerné, c’est dur. Nous nous sommes trompés plus d’une fois, ce qui est très dur. D’ailleurs, pour l’anecdote, l’utilisation de données chez les jeunes a, en quelque sorte, commencé il y a 25 ans pour nous.
À l’époque, chaque district envoyait un relevé des championnats. Avec Gérard Bonneau, nous étions attentifs à des indicateurs simples comme : meilleure attaque, meilleure défense, sur les catégories U14, U15 et U16. Nous regardions quelles étaient les oppositions et nous nous disions par exemple : « tiens, ils n’ont pas pris beaucoup de buts, ça doit être intéressant » ou alors « ils ont marqué beaucoup de buts, cela contre tel ou tel adversaire, cela doit être intéressant », etc.
Il faut avoir une approche professionnelle de son métier. Je trouve que ceux qui ont le plus progressé sur cet aspect, ce sont les agents. Ils ont compris qu’il fallait qu’ils créent des cellules de recrutement et ne pas attendre que les gens les appellent. Les grandes sociétés d’agents ont toutes des cellules de recrutement ou des recruteurs aujourd’hui.
La situation financière des clubs étant difficile en France, ils devraient envoyer des observateurs partout en France, à la recherche de joueurs qui leur correspondent, de joueurs qui leur coûteraient peut-être moins cher. Ils devraient tenter des choses en se disant : « peut-être que ce joueur à quelque chose, on va le prendre, l’accompagner, l’aider à progresser. Peut-être qu’il serait intéressant à tel ou tel poste”.
À l’OL, nous aimions bien attribuer un poste principal au joueur et nous demander où nous le verrions également. Cela nous donnait aussi des perspectives sur le futur de ce dernier. Par exemple, nous avons eu beaucoup de joueurs qui ont commencé milieu et ont évolué vers un autre poste.
Malo Gusto fait partie de cette catégorie. Il a commencé au milieu, puis a évolué vers le poste de latéral droit. Il joue latéral en pro. Lorsqu’on recrute un joueur, rien n’est défini sur son poste. Bien au contraire.
Les centres de formation sont des laboratoires, donc il faut laisser le temps aux jeunes, aux directeurs de centre et aux éducateurs. Tant que nous n’aurons pas compris qu’il faut leur laisser entre trois et cinq ans pour faire un travail correct, ce sera compliqué.
Nous, nous avons eu la chance de travailler ensemble durant 25 ans. J’ai travaillé avec des gens que je voyais plus que ma famille. Gérard Bonneau, Armand Garrido, Rémi Garde, Florian Maurice ou encore Juninho à la fin.
Concernant les anciens joueurs qui aspirent à devenir directeur sportif ou observateur, une question intéressante à se poser c’est, est-ce qu’en ayant été de grands joueurs, ils feront de bons directeurs sportifs ou de bons observateurs ? Je n’ai pas vraiment de réponse, néanmoins, j’ai remarqué que l’intuition et le poste où ils ont évolué sont très importants.
Juninho était très fort dans l’observation des milieux de terrain. Florian Maurice était très fort sur les attaquants, même si ensuite il a fait de bons défenseurs. Quelque part, ils ont une relation avec le poste qu’ils ont occupé, qui est différente. Ils savent ce qu’il faut mobiliser pour atteindre le plus haut niveau.
Parfois, j’ai emmené Florian Maurice voir des jeunes qui évoluaient dans un rôle de numéro neuf et il me disait: « lui, il a telle et telle qualité, regarde. » C’était très riche parce que, parfois, je ne voyais pas ces qualités. Dans le métier de recruteur, on apprend de tout le monde.
La meilleure école pour apprendre l’observation et le recrutement, c’est à l’intérieur de son club. Même si c’est une activité qui a un tronc commun, on n’observe pas de la même manière à Lyon, Monaco, Lille ou Saint-Étienne. Les profils recherchés ne sont pas les mêmes.
Par exemple, dans la formation de leurs éducateurs, les Pays-Bas ou encore les pays nordiques l’ont très bien compris. Ils ont eu l’intelligence de se dire: « nous allons prendre nos éducateurs, les mettre dans telle ou telle catégorie, accompagner leur développement et certains vont se spécialiser sur un certain type de public”. C’est fantastique d’arriver à ce résultat-là.
Lors des réunions d’éducateurs, celui qui était en U12 il y a 4 ans et qui est maintenant avec les U14 connaît bien les besoins de cette tranche d’âge, les profils ou les raisons de l’évolution de tel ou tel exercice. Il va donc pouvoir renseigner l’éducateur qui est aujourd’hui en U12. C’est un modèle auquel je crois beaucoup. Ce n’est pas évident, mais je crois beaucoup à la formation réalisée par les clubs.
En ce sens, j’admire les clubs basques. Ils ont tout d’abord une identité régionale avec laquelle ils n’ont pas fait n’importe quoi et ils ont formé leurs éducateurs, leurs joueurs et leurs recruteurs. Ce qui n’est pas évident. C’est un plaisir de voir comment ils fonctionnent.
Lorsque j’allais voir des matchs en Coupe d’Europe aux Pays-Bas ou en Belgique, j’aimais beaucoup aller voir les écoles de football travailler l’après-midi. PSV, Ajax, lorsque l’accès était permis. En allant dans ces pays, le but n’était pas de copier, car essayer de copier à 100%, cela ne sert à rien, la culture et la population étant différentes. Ce qui était très intéressant, c’était de voir l’approche de leur public, comment ils structuraient leurs entraînements, etc. Le but était de faire l’éponge.
« Il faut être comme une éponge, prendre des choses à gauche, à droite, et construire sa propre identité »
On m’a souvent demandé d’aller dans des clubs et d’expliquer comment nous recrutions à l’OL. Je répondais : « je veux bien vous expliquer, mais cela ne servira à rien de nous copier. Vous ne pourrez pas mettre en place exactement ce que nous faisons.Ce n’est pas de la prétention, mais vous ne serez tout simplement pas dans le même contexte. Soyez à l’initiative de votre propre identité. C’est cela qu’il faut créer ». Il faut être comme une éponge, prendre des choses à gauche, à droite, et construire sa propre identité.
Dans ces pays, c’est l’éducation qui m’a le plus marqué. Le respect des horaires, le respect de l’entraîneur, etc. Tout est une question d’éducation. Mais pour avoir le respect, être respecté, il faut être respectable. Qu’est-ce qui est respectable ? Un entraîneur qui arrive à l’heure, qui a déjà mis en place plus ou moins ses exercices, qui parle aux enfants, qui les éduque, mais qui n’interagit pas avec eux de manière (con) descendante. L’éducateur doit être capable de transmettre, à travers la parole, le respect et le savoir. C’est quelque chose de très dur à atteindre.
Par exemple, lorsque nous accueillions les familles à l’OL, nous leur disions : « vous signez à l’Olympique lyonnais. Nous ne vous garantissons pas que votre enfant deviendra professionnel. C’est comme lorsqu’on rentre chez Bocuse. On peut y apprendre un métier, mais on n’a aucune garantie d’y travailler. En revanche, ce que le club va vous transmettre, si vous l’exercez bien, si vous écoutez bien, vous pourrez plus ou moins l’exercer dans beaucoup d’autres clubs ».
Il ne faut pas mentir aux gens. C’est la ligne de conduite que nous avons essayé de suivre. Par ailleurs, la famille ne peut décider du groupe d’entraînement ou de l’équipe avec laquelle le jeune va jouer. S’ils voient le fonctionnement de cette manière, ils se sont trompés de club et il ne faut pas qu’ils viennent, car le joueur s’entrainera là où il mérite de s’entraîner.
Pour en revenir à l’œil de l’observateur, même si chacun a des perspectives différentes, plus celui-ci va voir de matchs de différents niveaux, plus il va s’améliorer. Chez les jeunes, il y a deux sortes de contextes d’observation. D’une part, celui où on arrive sur un match, avec des renseignements préalables, pour observer un joueur défini et se focaliser sur lui. D’autre part, celui où on a très peu de renseignements et où on découvre un match. Ce n’est pas le même type d’observation.
Découvrir un match, c’est très dur. C’est un autre métier. Sur ces matchs, il y a un certain nombre d’éléments à noter au préalable, avant de pouvoir passer à l’observation proprement dite. Lorsqu’on a des renseignements précis de la part du club, sur un joueur à observer, c’est plus simple. On connaît déjà plus ou moins ses qualités, ses défauts et c’est à l’observateur de retranscrire si ce qu’il voit est cohérent avec ce qui a été observé auparavant.
Chaque observation ne remplit donc pas le même objectif ?
On essaye toujours de trouver, généralement, les points forts du joueur. On va observer si le joueur est capable de dribbler, d’éliminer, quel type de frappe de balle il a, s’il est précis dans le jeu long, s’il est capable de casser des lignes, etc.
En parallèle, on peut trouver, par exemple, qu’il a des difficultés dans le jeu de tête. On va alors essayer de comprendre pourquoi c’est le cas, donc on va le noter. Lors d’une observation suivante, on s’apercevra peut-être qu’il recommence à mettre des têtes, etc.
Tous ces points qui nous paraissent faibles, on ne va peut-être pas les noter dans un premier temps, lorsqu’on découvre un ensemble de 22 joueurs. C’est au fur et à mesure que l’on va commencer à réduire la masse d’informations, pour arriver plus ou moins à ce que l’on recherche.
Ensuite, ce qu’il faut se demander, c’est si la formation qui serait potentiellement proposée au joueur pouvait lui correspondre, pourrait réduire l’impact de tout ou partie de ces points faibles et surtout, est-ce qu’il y aura le temps de le réduire ?
Par ailleurs, accompagner la progression du joueur sur ses points forts, ce n’est pas non plus facile. C’est pour cette raison que, lorsqu’il y a de la continuité dans le travail collectif, avec les éducateurs notamment, c’est magnifique. Parce qu’on sait ce qu’ils peuvent proposer ou ne pas proposer. S’ils ont de la patience ou non…
Lorsqu’on fait signer un joueur, qu’on l’emmène au club, on essaye d’être là au départ de son aventure, parce que la première personne qu’il connaît, c’est nous. Sa première connaissance au sein d’un club, c’est le recruteur. Après, ce sont les éducateurs, etc. Donc, on va essayer d’être présent un petit peu aux entraînements, voir comment cela se passe, etc.
Parfois, on peut entendre un éducateur dire: « je ne vais pas y arriver avec ce joueur là ». En tant que recruteur, lorsqu’on entend cela, c’est dur. On se dit : « ce n’est pas possible… ». Néanmoins, deux semaines après, ça va généralement mieux… Toutefois, nous avons tous fréquenté des éducateurs qui n’arrêtaient pas de dire en début de saison : « je n’ai pas un bon effectif, nous n’avons pas une bonne génération » et à la fin de l’année, il y avait cinq internationaux, ils avaient gagné des choses, etc.
Qu’est-ce que toutes ces expériences, tous ces joueurs et éducateurs rencontrés, toutes ces années dans le football vous ont appris sur la nature humaine ?
Il ne faut pas juger tout de suite. Il faut toujours prendre le temps de juger. On ne peut pas s’entendre avec tout le monde. Surtout, le football doit rester une joie, une communion. Il doit être à l’initiative de plein de choses.
J’ai connu le football sans les réseaux sociaux. L’influence des réseaux sur le football me fait peur. Un jeune peut être complètement détruit. C’est dommage parce qu’Internet devrait permettre de rassembler les gens à travers le football. Là, on ne les rassemble pas, on les éloigne.
J’ai aimé mon métier parce qu’on m’a laissé la liberté. J’ai travaillé avec des messieurs extraordinaires, que ce soit mes directeurs de centre, Gérard Bonneau, Alain Thierry, qui est parti maintenant. J’étais content de les voir, nous étions contents d’être ensemble. C’est quelque chose d’important.
J’ai également connu des périodes où l’entraîneur des U16 était content d’être en U16. Il n’envisageait pas d’aller entraîner la Nationale 2. J’ai connu cette période où les uns n’enviaient pas le poste des autres. J’ai aussi aimé la relation que j’ai eue avec les recruteurs d’autres clubs, parce que, finalement, nous passions beaucoup de temps ensemble.
J’ai aimé cette relation où chacun faisait ses joueurs, ce qui était normal, car personne ne pouvait faire tout le monde. Il y avait du bon sens à l’époque, aujourd’hui, je trouve que nous avons perdu le bon sens. Avant, lorsqu’on faisait signer un enfant dans un village, tout le village était là et ils étaient heureux pour lui. Maintenant, lorsqu’un jeune signe dans le même village, tout le monde veut savoir combien il a pris et s’il est en difficulté dans un an, ils seront tous contents. Voilà ce qui a changé.
En conclusion, je ne pouvais rêver mieux que mon expérience à l’Olympique Lyonnais, avec les gens qui étaient à l’intérieur du club. J’ai toujours beaucoup d’émotion à parler de certains, parce qu’ils sont morts maintenant. Ce sont des gens qui m’ont tellement appris humainement que je suis obligé d’essayer de transmettre les choses humainement. C’est ça le plus important.
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