C’est l’entraineur principal qui favorise l'expression de ses adjoints

Passé par le Tours FC, Valenciennes, le Havre, Lorient, l’Olympique Lyonnais et bien entendu le Stade Rennais, Philippe Bizeul nous propose sa perspective sur le rôle d’entraineur adjoint au sein d’un staff (professionnel).

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Pourquoi êtes-vous devenu éducateur de football ?

J’ai embrassé la fonction d’éducateur à 23 ans. Je menais une modeste carrière de joueur au niveau N2-N3 à l’AS Vitré et je commençais à beaucoup réfléchir sur la pratique du football. Etudiant en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (S.T.A.P.S), j’ai réalisé que je ne parviendrais pas à être à la hauteur de mes ambitions en tant « qu’acteur principal ». En parallèle de mes études, le Stade Rennais m’a proposé de rejoindre son encadrement et au bout de deux ou trois saisons, je suis devenu salarié du club en tant qu’éducateur.

Après les poussins à l’école de foot (U9, U10), j’ai encadré l’année suivante les U17 régionaux avec une intervention à la section sportive qui tenait à l’époque une place centrale dans le système de formation du Stade Rennais. J’ai alors eu la chance de découvrir  le plaisir de travailler avec des joueurs à fort potentiel, avec notamment Mikaël Sylvestre. Les saisons suivantes ont été l’occasion de pouvoir encadrer les différentes catégories du centre de formation évoluant dans les différents championnats nationaux.

Après l’obtention du BEES1 à 18 ans, puis le BEES2 à 24, je décide à 31 ans (2002) de présenter ma candidature au certificat de formateur. C’est l’envie de me confronter à l’entraînement des joueurs adultes qui m’amènera à accepter la proposition du Tours Football Club en 2006. Le club accédait à la Ligue 2 et cherchait un profil de formateur pour le poste d’entraineur adjoint.

Malgré la relégation et à l’intérim de 7 matchs à la tête de l’équipe professionnelle, cette première expérience fut très compliquée, mais riche en enseignements, puisque personne, ni le club ni moi, n’était prêt à évoluer à ce niveau-là. A la fin de la saison j’avais vécu plus de défaites que depuis mes débuts à la formation au Stade Rennais, ce qui forge le caractère.

L’année suivante, j’ai eu la chance de rencontrer Daniel Sanchez, alors nommé entraineur principal du TFC. Très intéressant, tant sur le plan humain que sur le plan du jeu et des idées, je l’ai ensuite suivi à Valenciennes, alors en Ligue 1, pendant presque 3 saisons.  J’ai pu affiner à son contact ma conception de l’entrainement, faire évoluer mon rapport avec les joueurs d’un groupe professionnel et me confronter aux exigences de la compétition de haut niveau.

La fonction d’entraineur adjoint est assez particulière, quelles sont les spécificités de ce poste ?

Depuis 2006, j’ai évolué dans 6 clubs différents. Toujours adjoint, j’ai parfois été choisi par des entraineurs principaux, parfois choisi par les clubs. Au gré des saisons, mon rôle était souvent de concevoir les séances en lien avec le projet de jeu de l’entraineur. Il a parfois été nécessaire que j’assure l’intérim, assurant alors la transition entre le départ d’un entraineur et la nomination d’un autre. Ce dernier m’octroyait parfois un rôle différent dans une approche du jeu qui l’était également.

« Des compétences technico-tactiques, des qualités d’adaptation, humilité, intégrité »

Les spécificités sont multiples et nécessitent, outre des compétences technico-tactiques, des qualités d’adaptation, humilité, intégrité. Ces spécificités dépendent en grande partie de l’entraîneur principal et du rôle qu’il décide de vous confier. Il peut alors s’appuyer sur nos compétences propres. Certains entraîneurs adjoints ont un profil de formateur, d’autres sont davantage orientés sur les conditions de la performance collective et d’autres sont plutôt focalisés sur le développement individuel des joueurs, quel que soit leur âge.

Au regard de votre long passage à la formation du Stade Rennais, puis d’une riche expérience dans plusieurs clubs de Ligue1 et Ligue 2, quelles sont les grandes dominantes de votre travail au sein du staff ?

Pour la gestion du groupe professionnel du Stade Rennais, Bruno Génésio a bien défini le rôle de chacun. Je suis, entre autres, en charge du pôle défensif. Par ailleurs, je fais la liaison technique entre l’équipe professionnelle et le centre de formation. J’essaie de suivre au maximum les joueurs du centre de formation, je visionne les matchs de nos jeunes joueurs qui évoluent avec notre équipe réserve, suivi d’un retour vidéo dans la mesure du possible.

Lorsque nous jouons tous les trois jours, l’emploi du temps est certes très dense, mais j’aime beaucoup cette fonction sans me limiter à la préparation du match à venir et m’inscrire aussi dans une logique de développement des individus et de potentiels titulaires de notre équipe première.

Vous avez fait vos premières armes en tant qu’éducateur au Stade Rennais aux côtés d’autres techniciens, comme Julien Stéphan, Franck Haise ou encore Régis Le Bris qui ont pris place à un moment donné sur un banc de Ligue 1. Existe-t-il une spécificité rennaise en matière de formation, non seulement de joueurs, mais aussi d’éducateurs ?

Mon histoire avec ces 3 entraineurs est légèrement différente : Régis Le Bris débutait sa carrière d’éducateur lors de ma dernière saison avec le centre de formation du SRFC, mais nous avons ensuite eu la chance de très bien collaborer pendant 2 années au FC Lorient . Avec Franck Haise, nos chemins se sont croisés sans jamais travailler ensemble (Rennes et Lorient) mais nous avons appris à nous connaitre lors de la session du BEPF à partir de juillet 2019, alors que j’étais avec la réserve de L’Olympique Lyonnais et lui avec celle de Lens. Quant à Julien Stephan, il m’a contacté pour intégrer le staff du Stade Rennais en juin 2020 alors que le club se qualifiait pour la Champions League pour la première fois de son histoire.

Je pense que c’est lié à la philosophie du club, qui souhaite depuis très longtemps que la formation soit un axe essentiel de sa politique sportive. Les éducateurs du Stade Rennais sont parfois d’anciens joueurs du club qui n’ont pas forcément tous réussi une grande carrière de joueurs professionnels, mais qui sont avant tout des passionnés par le football, le club, la ville, la région et qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour que les joueurs des générations à venir réussissent au mieux.

« C’est lié à la philosophie du club, qui souhaite depuis très longtemps que la formation soit un axe essentiel de sa politique sportive »

Enfin, il y a une certaine forme d’éducation instaurée au fil des années et qui s’est transmise aux différentes génération d’éducateurs qui ont suivi : Lorsque j’étais au centre de formation, les éducateurs n’étaient pas en concurrence les uns avec les autres. L’idée n’était pas de gagner nos matchs à tout prix pour éventuellement prendre la place de celui qui était au-dessus, mais plutôt de collaborer pour le développement des jeunes et du club.

Beaucoup d’éducateurs que j’ai croisé, pendant une quinzaine d’années, avaient ce mode de fonctionnement et ces valeurs. Ce mode de collaboration n’a toutefois jamais freiné les ambitions personnelles. A l’image de Christophe Lollichon, en provenance du FC Nantes qui est passé par le centre de formation avant d’aller entrainer les gardiens de but de l’équipe première, puis de faire une longue carrière à Chelsea, club avec lequel il a gagné de nombreux et prestigieux trophées.

 Yannick Menu est aujourd’hui le directeur du centre de formation au Stade de Reims, après avoir été éducateur avec les jeunes de la préformation puis directeur de la formation à Rennes en passant par l’AS Monaco en tant que directeur sportif adjoint. Eric Atta a été aussi un éducateur important du club, aujourd’hui responsable de la cellule de recrutement au FC Metz. Laurent Huard, formé au Stade Rennais, est rentré au centre de formation après sa carrière et dirige aujourd’hui, le centre de formation de l’AS Saint-Etienne.

Cette forme d’éducation à la transmission, qu’elle se réalise à travers la fonction d’éducateur, directeur sportif ou responsable du recrutement, s’inscrit-elle dans une approche qui peut être élargie à la Bretagne ?

En Bretagne, je pense qu’il y a une approche du football qui se situe entre la notion de compétition et l’esthétisme. Il y a cette recherche de style depuis longtemps. J’ai été influencé par le FC Nantes de Jean-Claude Suaudeau puis de Raynald Denoueix. A mes débuts au centre de formation, le FC Nantes était loin devant nous.

En tant qu’éducateur, avec les jeunes rouges et noirs, j’ai d’abord voulu rivaliser contre les équipes du FC Nantes. J’ai cherché à comprendre ce que ces équipes recherchaient, ce qui m’a permis de progresser et finalement de me forger une éducation footballistique. On peut très bien aider des joueurs, une équipe ou un club à se développer tout en progressant soi- même. Je crois que le football du grand ouest de la France accorde un petit peu moins d’importance aux résultats ou du moins ce n’est pas l’unique priorité.

Pour être performant à haut niveau, il faut vivre la situation de compétition et y réussir. N’y a-t-il pas une forme de paradoxe dans cette approche du football dans le grand ouest et la densité de clubs évoluant les 3 premiers échelons du football français ?

En fait, c’est une construction, voire un processus, pendant mes 13 années à la formation du Stade Rennais, malgré mon âme d’éducateur, j’ai d’abord été un compétiteur. J’ai voulu que l’équipe gagne les matchs, mais petit à petit, je me suis aperçu qu’on pouvait gagner et perdre de différentes manières et j’ai cherché celle qui me correspondait le plus. En prenant des risques, on pouvait parvenir à encore plus de satisfaction que la simple victoire.

Cette approche ne nous a pas empêché pendant toutes ces années d’être performant en compétition chez les jeunes, de gagner des tournois importants, de devenir champions de France avec la génération Jacques Faty, Grégory Bourillon, Jimmy Briand, Arnold Mvuemba, etc. D’ailleurs sur cette génération championne de France U19, 12 des 16 joueurs participant à la finale sont devenus professionnels.

Au-delà du résultat du match, l’expression collective et individuelle représente pour vous un enjeu majeur. Dans quelle mesure dans votre fonction d’adjoint vous pouvez exercer une influence ?

Dans une équipe professionnelle, nous sommes quand même dans une réalité et une temporalité assez différente. Je regrette une précarité grandissante chez les formateurs, néanmoins ils ont un peu plus de temps pour aider les jeunes à se développer.

Chez les professionnels, nous sommes beaucoup plus dans l’urgence de gagner le match à venir et aider les joueurs à devenir plus performants pour le match suivant. Il ne faut pas se tromper, la priorité c’est la gestion des objectifs de la compétition et l’urgence c’est le match à venir.

Vous avez la responsabilité du pôle défensif, quelle est votre marge de manœuvre dans la transmission de vos convictions et comment sont-elles partagées avec l’entraîneur principal ?

On touche ici à la spécificité du rôle : Même si j’ai obtenu le BEPF avec l’idée de devenir un jour auteur, décideur et entraineur d’un projet sportif ambitieux, je ne peux surtout pas penser aujourd’hui comme un entraineur principal.  Par respect, et en juste retour de la confiance que Bruno Génésio a su m’accorder à son arrivée, je me dois de veiller à me comporter comme un facilitateur dans la transmission de ses idées.

Avec le temps et ma sensibilité, je me suis forgé des convictions tant sur le plan technico-tactique qu’en matière de management. Elles continuent d’évoluer au fil de mes expériences, mais aujourd’hui, ma mission ne consiste pas à m’interroger sur ce que je ferais en étant à la tête de l’équipe, mais de tout faire pour que les joueurs puissent répondre aux attentes de l’entraineur. J’ai travaillé avec 10 entraineurs différents et d’un point de vue collectif, il est primordial, de s’imprégner au maximum des idées de l’entraineur, mais pour cela il faut passer beaucoup de temps ensemble.

D’un point de vue individuel, il y a une logique de développement avec des joueurs qui nous arrivent de différents horizons, de la formation, en post formation, de niveaux inférieurs et/ou de l’étranger. Ma responsabilité, c’est d’être en mesure de leur transmettre des éléments afin qu’ils soient encore meilleurs demain, parce je pense que l’on progresse à tout âge.

Les organisations collectives performantes, utilisent le débat contradictoire comme une source d’apprentissage et de progrès. Dans quelle mesure cette approche est-elle souhaitable dans un staff technique ?

C’est quelque chose que l’on peut retrouver à haut niveau et j’ai pu l’expérimenter, notamment ici à Rennes, mais cela reste encore assez rare. Le modèle dominant est plutôt descendant. Le problème c’est que ce mode de fonctionnement ne favorise pas le partage d’idées et confortent les uns et les autres sur leurs positions, notamment en période de crise de résultats.

Ce statu quo dans les positions des uns et des autres est souvent un accélérateur de crises sportives. Néanmoins, j’observe de plus en plus ce système de concertation, de partage, d’échange pour arriver parfois à une troisième voie, qui convient à tout le monde et qui favorise la performance collective.

Il faut cependant manipuler cet outil avec beaucoup de précaution et de préparation, sans craindre la contradiction ni s’inquiéter d’une éventuelle perte d’autorité. Un tel fonctionnement réclame en amont un réel travail pour bien appréhender l’ensemble des éléments.

Je pense, par exemple, que l’entraineur principal doit être capable de s’adjoindre une compétence qui saura observer, écouter  et accompagner chaque membre du staff, entraineur compris. Mon expérience m’invite à penser que les non-dits sont sources de tensions, les tensions peuvent entrainer des conflits intra staff ou bien staff/ joueurs qui inévitablement entraineront une crise sportive

Le débat stratégique semble pouvoir s’envisager qu’au sein d’un staff technique qui partage un long vécu. Dans quelle mesure un entraineur peut choisir délibérément de travailler avec un adjoint dont il sait pertinemment qu’il sera régulièrement en désaccord avec sa vision stratégique ?

Certains entraîneurs ont besoin de contradiction. D’ailleurs Bruno Génésio n’hésite pas à nous consulter sur des sujets qui dépassent le cadre de la séance d’entrainement.  Parfois il se range à notre avis, parfois non.

C’est l’essence du poste d’adjoint d’accepter de donner son avis sans pour autant considérer que l’entraîneur principal se trompe s’il n’en tient pas compte. Mon rôle est parfois de suggérer des choses mais c’est aussi d’accompagner et de soutenir l’entraîneur dans ses choix quand il semble convaincu.

Au regard de votre longue expérience du poste d’adjoint, quelle est la qualité incontournable qu’il faut posséder ?

Outre les compétences techniques et tactiques, l’observation est sans aucun doute une qualité incontournable. Un adjoint doit avoir la faculté à observer non seulement l’entraineur, mais aussi les joueurs, l’équipe, le club et son environnement.

Une connaissance approfondie du contexte est essentielle, parce qu’en tant qu’adjoint je dois être un atout pour permettre à l’entraineur principal de mieux appréhender toutes les situations qui se présentent à nous.

L’observation est une qualité incontournable pour un adjoint, mais est-il possible de dresser un profil idéal d’adjoint ou existe-t-il autant de bons profils d’adjoints qu’il y a de staffs ?

Je dirais qu’il y a autant de bons profils d’adjoints qu’il y a d’entraineurs, parce ce que c’est véritablement l’entraineur principal qui favorise l’expression de ses adjoints. Certains entraineurs principaux cantonnent les adjoints à des rôles très sectorisés ou des taches plus mineures, d’autres au contraire, délèguent énormément. Il y a quantité de profils différents chez les adjoints, avec des personnalités assez différentes mais l’essentiel c’est que chacun puisse exprimer ses compétences dans l’intérêt du collectif.

Depuis près de 30 ans vous exercez sur les terrains avec les petits, les jeunes ou les adultes, qu’ils soient professionnels en Ligue 2 ou en Ligue 1. Le football est une activité humaine, quels enseignements en tirez-vous ?

Avoir des certitudes, c’est déjà se tromper un peu, surtout dans le football qui évoluent très vite, à l’image des mentalités et de la société en général . Pour ma part, j’essaie d’être en éveil permanent sur ce que sont les hommes d’aujourd’hui, les jeunes de demain, pour mieux m’adapter dans leur accompagnement et la construction d’un futur meilleur. Sur le plan humain, je me suis rendu compte qu’il était vital pour moi d’évoluer dans un environnement sain et bienveillant où la contradiction voire le conflit ont leur place à condition que cela serve l’intérêt collectif.

Si ma mission auprès de Bruno Génésio devait s’arrêter, et si des dirigeants de club  souhaitait me présenter un projet sportif qui correspond à mes ambitions, je m’attacherai à créer et entretenir un climat facilitateur de performance pour le staff et les joueurs.

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