Entraineure de l’équipe 1ère féminine du LOSC, Rachel Saidi nous propose un éclairage sur son approche du football, son rôle au sein du club lillois et sa transition de joueuse à entraineure.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Votre carrière de joueuse s’est presque arrêtée du jour au lendemain pour embrasser la fonction d’entraineure. Comment cette bascule s’est-elle opérée ?
En toute honnêteté, le club m’a proposé le poste d’entraîneur alors que je ne m’y attendais pas, d’autant que j’étais encore joueuse de l’équipe et que je n’avais pas prévu d’arrêter ma carrière à ce moment-là. Je n’avais pas du tout anticipé cette situation, même si j’avais la volonté de me reconvertir à ce poste-là, puisque j’avais tous les diplômes fédéraux et que j’occupais le poste de coordinatrice technique des équipes jeunes du club.
En février 2019, je rencontre ma direction qui me propose le poste d’entraineure de l’équipe première avec un délai de réflexion de 24 heures. J’avoue ne pas avoir vraiment réfléchi, je connaissais bien le groupe, ses qualités et ses lacunes. J’étais partagée entre l’excitation de prendre le poste et l’appréhension de ne pas être à la hauteur, puisque je n’avais aucune expérience à ce niveau-là. Je me posais beaucoup de questions notamment sur la gestion des joueuses avec lesquelles j’avais des affinités. J’ai rapidement sondé trois ou quatre joueuses cadres pour connaitre leur avis sur la question, malgré le peu de temps pour me décider.
Je n’ai pas répondu à toutes mes questions, mais j’ai vraiment senti que le groupe avait cette envie de changer et de me voir prendre le poste, c’est pourquoi j’y ai répondu favorablement. Dès le lendemain, ce n’est pas sans une certaine émotion que je suis rentrée dans le vestiaire des joueuses avec la tenue d’entraineure. Les filles se sont montrées très intelligentes pour accepter mon nouveau statut sans étaler nos affinités. Je crois même que cela a permis au groupe de se souder davantage, parce que j’avais une connaissance approfondie de chacune des joueuses.
Ma proximité avec certaines joueuses a été une force, l’expérience a été incroyablement riche, même si mentalement cela a été très lourd à gérer parce que je devais aller à l’essentiel avec très peu de temps devant moi et une pression réelle de maintien avec des enjeux économiques que vous pouvez imaginer et ses conséquences sur toutes les équipes féminines du club.
Au quotidien, j’étais contente d’être là, mais je ne mesurais pas l’importance des enjeux et ses conséquences de mon choix dans ma vie personnelle. Je ne regrette absolument pas mon choix, mais je ne cache pas que j’ai le manque de jouer depuis deux ans. Quand l’organisation de la semaine d’entraînement a été plus rodée, j’ai commencé à réfléchir à ma fin de carrière, sans un réel clap de fin …
Après un temps de réflexion très court, vous acceptez de relever le défi de l’équipe première féminine du LOSC, à 6 matchs de la fin du championnat de Division 1 avec pour mission de s’y maintenir. Au matin du premier jour d’entrainement, nouvelle tenue, nouvelle fonction, nouveau départ, par quoi avez-vous commencé ?
La première chose que je mets en place c’est la méthodologie d’entrainement, en m’appuyant sur celle qui avait été mise en place chez les garçons et que j’avais commencé à déployer chez les jeunes féminines. Je présente cette approche dans les grandes lignes aux joueuses, en allant à l’essentiel puisque nous étions dans l’urgence. Je modifie un peu notre façon d’appréhender les séances d’entraînement et je cherche à transmettre mes grands principes de jeu tout en capitalisant sur cette force collective pour faire face au changement d’entraineur. J’ai beaucoup insisté sur l’aspect football, je voulais que toutes les joueuses aient les mêmes intentions, que le groupe partage le même paysage mental.
J’avais très peu de marge de manœuvre et une réelle pression puisque chaque match allait être décisif pour le maintien dans un calendrier très compliqué. Au programme beaucoup d’équipes du top 4 comme Bordeaux, Montpellier, Lyon, puis Guingamp et Soyaux à domicile qui semblaient plus abordables pour nous.
Bien connaitre les joueuses qui étaient pour la plupart expérimentées en D1 a permis une communication très fluide. Mon premier match en tant qu’entraîneur, nous sommes menés 3 à 0 à la mi-temps contre Guingamp, je me pose mille questions mais je sens dans le vestiaire que les filles ne sont pas abattues. Au contraire, elles sont impliquées, à l’écoute des ajustements pour repartir sur la deuxième mi-temps et qui verra l’équipe revenir au score. Nous avons deux grosses opportunités de marquer un quatrième but sans y parvenir, mais je sens un déclic au niveau du groupe. Cela va se confirmer par une victoire contre Soyaux à domicile, avant de se déplacer chez l’Olympique Lyonnais.
A Lyon, le match se solde par une défaite 1 à 0 malgré trois face à face avec la gardienne lyonnaise Sarah Bouhaddi. En dépit de notre dernière place et de la défaite, je veux retenir l’expression collective de l’équipe et notre capacité à nous procurer de réelles situations face au leader du championnat. Je sens qu’un espoir est en train de naitre et que nous allons nous accrocher jusqu’à la dernière journée à Montpellier. Malheureusement la défaite 3 à 2 lors du dernier match laisse quelques regrets sur le manque de temps disponible au regard de la qualité du groupe. Les filles commençaient vraiment à comprendre ce que nous attendions d’elles sur le terrain et le contenu était cohérent.
Finalement, nous sommes reléguées en finissant à un point du FC Metz, mais l’expérience a été très riche notamment dans le challenge de me faire accepter par mes anciennes coéquipières comme leur entraineur, ce qui était loin d’être gagné. Il faut aussi souligner le fait que l’équipe atteint, cette saison-là, une finale de coupe de France, malgré une relégation en D2 trois jours plus tôt…
La connaissance du groupe mais aussi du staff semble être une condition sine qua non pour relever un tel défi sportif. Au regard de votre vocabulaire, vous semblez avoir apporté une forme de rupture dans l’approche méthodologique d’entraînement. Quels changements avez-vous opéré pour permettre à l’équipe en crise de résultats d’atteindre une expression collective difficilement quantifiable qui permette à terme d’obtenir des résultats ?
Tout d’abord loin de moi l’idée de critiquer mes prédécesseurs, puisque j’étais une joueuse de l’équipe et d’une certaine manière je ne peux pas être exempte de tout reproche. En football il y a une grande part d’aléatoire, mais j’avais besoin de montrer aux joueuses que du lundi au samedi, jour de match, il devait y avoir une continuité dans les principes de jeu à l’instar de ce que la cadre de la périodisation tactique propose.
Ensuite, avec le staff, nous avons amené des contenus d’entraînement qui favorisent les intentions communes tout en laissant aux joueuses la liberté de s’exprimer dans ce cadre établi. Le défi a été de parvenir à transmettre mon modèle de jeu et pour cela il a fallu construire un paysage mental commun.
J’apprends tous les jours en m’efforçant de toujours pouvoir transmettre les messages aux joueuses tout en tenant compte de leur singularité et de ce qu’elles vivent sur le terrain, pour mieux réguler. Cette première saison a été très riche sur ce point, grandement facilitée par ma connaissance du groupe et une vraie liberté de discussion, sans frustration ou de susceptibilité ce qui est un aspect essentiel dans une équipe de filles.
Nous proposions avec mon adjoint, Christophe Douchez, le contenu de la semaine et de temps en temps avec deux ou trois joueuses nous échangions sur les ajustements à faire. En parallèle, nous avons essayé de faire des retours vidéo un peu plus courts et un peu plus précis, mais encore une fois il faut saluer le travail effectué par les joueuses et une bonne communication avec le groupe malgré l’urgence sportive.
Nous avons lutté jusqu’à la dernière journée et jusqu’au bout il y avait une proximité avec les joueuses comme dans le staff notamment avec mon adjoint déjà en poste, qui a grandement faciliter mon passage du statut de joueuse à celui de sa « responsable ». Sur ce point, mon discours a toujours été très clair auprès de la direction, il n’y avait pas de Rachel numéro 1 et Christophe numéro 2.
Nous étions au même niveau, par respect pour Christophe qui était là avant moi dans le staff. J’ai essayé de me situer au même niveau que tout le monde, tout en prenant toute la responsabilité des résultats. En fin de saison j’avais déclaré que j’étais la première responsable de la descente en 2ème division, même si je n’avais que trois mois pour tenter de redresser la situation.
Notre grande victoire a été d’impliquer les joueuses dans la construction du projet et qu’elles l’incarnent en prenant leurs responsabilités, c’est d’autant plus important avec les filles. En effet, en football, les filles ont davantage besoin que les garçons de se sentir utile et de comprendre ce qu’elles font. A la tête d’un groupe de filles, si vous vous placez au-dessus en jouant à la « manette », petit à petit elles se tairont, elles feront poliment ce qui est demandé mais elles décrocheront et négligeront certaines informations.
Nous sommes au cœur du paradoxe d’une équipe de football. Les filles ont davantage besoin de se sentir utiles et de comprendre le sens de ce qu’elles font et en même temps elles ont souvent besoin d’une approche presque scolaire notamment dans les régulations. Dans quelle mesure, avez-vous adopté cette co-construction ?
On reproche au football féminin d’être trop scolaire, mais en se plaçant toujours dans une posture directive avec les joueuses, on conforte cette approche scolaire et il est difficile de les rendre actrice du projet. Ma carrière de joueuse n’est pas encore trop loin et j’ai le souvenir assez précis des entraîneurs que j’ai côtoyés. Mon expérience notamment de joueuse, me pousse à croire qu’il est fondamental de rendre actrice les joueuses. Joueuse, j’avais cette envie de comprendre le jeu et je regardais beaucoup de matchs des garçons, ce qui n’est pas le cas de toutes les femmes. Les garçons, regardent en général des matchs à la télévision, chez les femmes, c’est très loin d’être le cas. Souvent les filles sortent du match ou de la séance et ne pensent plus au football de la journée, pour ma part le foot c’est H24.
La première saison, je me suis sentie obligée de faire beaucoup participer les joueuses parce que je n’avais pas réellement d’expérience et j’avais la lucidité de leur dire que sans elles je n’étais rien. C’est d’ailleurs mon message au quotidien, sans les joueuses le staff technique ne peut rien, et sans le staff, il sera plus difficile pour les joueuses d’avoir les idées claires sur le terrain. En ce sens, mon mode de management influence grandement les profils que je vais recruter. Je recherche des joueuses capables d’échanger avec moi sur leur réalité du terrain, leur rôle, leurs fonctions. Je suis assez petite et lorsque je suis sur le banc à l’opposé du ballon, avec un angle de vue totalement différent des joueuses, je vois des choses, mais je ne perçois pas forcément tous les détails. J’ai bien un ressenti, mais j’ai besoin de connaitre celui des joueuses pour mieux valider notre plan de jeu et nos intentions en match.
J’aime bien observer les adversaires pour mieux ajuster nos comportements, je vis ma quatrième saison sur le banc de touche et il y a de moins en moins d’ex-partenaires. Cependant j’échange beaucoup avec trois-quatre joueuses de l’équipe, notamment sur leur ressenti à l’entraînement et en match. Je conserve cette approche de co-construction parce que je n’ai pas de problème d’ego pour réguler le projet de départ.
Les femmes ont davantage besoin d’objectifs de maîtrise, pour autant votre démarche d’entrainement s’inscrit et se construit autour d’objectifs de compétition. Comment organisez-vous la semaine pour répondre à ces deux versants de l’entrainement ?
J’organise la semaine dans le morphocycle issu de la périodisation tactique. Depuis 4 saisons, nous avons adopté cette méthodologie pour l’entrainement de l’équipe première féminine du LOSC.
Nous respectons un code couleur qui nous oriente sur les intensités recherchées, sur les filières énergétiques souhaitées, tout en optimisant le projet de jeu et la charge mentale. Nous passons beaucoup de temps à réfléchir sur différents procédés qui nous permettent de gagner du temps sur les intentions de jeux.
L’objectif de la semaine est de confronter les joueuses aux animations adverses, d’apporter les outils nécessaires tout en continuant de faire évoluer notre projet de jeu.
La joueuse est dans la co-construction au quotidien. Elle participe à l’évaluation de notre séance « bleue », à J+3, basée sur le travail de force excentrique. Cela nous permet aussi d’avoir des indicateurs pour continuer de faire évoluer tous ces jeux, tout en lui proposant un atelier qui répondra à nos sous-principes.
Le football est une activité sportive qui expose beaucoup plus les filles que les garçons aux graves blessures articulaires, pour les raisons évoquées précédemment. L’entorse du genou avec rupture des ligaments croisés représente un fléau pour les joueuses, or la périodisation tactique ne semble pas avoir abouti sa réflexion sur ces aspects de prévention. Comment avez-vous organisé dans votre cadre méthodologique le travail de prévention ?
J’ai pas mal échangé avec les staffs des équipes masculines du club et pour eux la prévention pouvait s’envisager dans des situations comme le rondo, notamment avec de la proprioception. Après réflexion, avec les filles cette approche me semble insuffisante. Nous avons ajouté des temps de travail préventif en lien avec le code couleur du jour d’entrainement de la semaine. Une étude a été réalisée avec le staff technique et les staffs médicaux chez les filles et les garçons. En s’appuyant sur la quantification des charges d’entrainement chez les garçons, nous avons construit une quantification propre aux filles parce que les données récoltées chez les garçons étaient trop éloignées de notre réalité.
Le contenu des préventions est orienté sur 3 critères : les antécédents de la joueuse, les spécificités du poste et le code couleur de la séance. Lors de notre séance à dominante « bleue », un travail préparatoire au travail de force excentrique est aussi intégré sur la récupération active du 1er jeu. En plus de la prévention, nous avons aujourd’hui une quantification des différentes formes jouées ajustée à la dominante de la séance. En parallèle, nous utilisons des outils pour évaluer la charge mentale supportée par les joueuses pour ajuster l’organisation et/ou les consignes afin de rester dans l’objectif. En travaillant de cette manière cela permet de confronter les joueuses à ce qu’elles peuvent vivre en match et de leurs permettre, de devenir plus intelligentes et lucides sur leur pratique.
Au terme d’une carrière de joueuse de football et de ces quatre années à la tête de l’équipe première féminine du LOSC, quels enseignements retirez-vous d’une vie tournée vers le collectif ?
Je prends conscience que le football de haut niveau, c’est beaucoup de contraintes et une charge mentale très importante pour un plaisir fugace. Pour autant, c’est du plaisir avant tout à travers les échanges, le partage et la transmission. Le football nous fait grandir à tout âge et nous procure des émotions qu’on ne vivra nulle part ailleurs.
Les enseignements que j’en tire ? Garder cette soif d’apprendre, continuer de vouloir partager et de transmettre, prendre de la hauteur et relativiser mais surtout garder cette notion de PLAISIR – PASSION.
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