© FÉDÉRATION FRANÇAISE DE FOOTBALL

Développer les plus gros potentiels, dans des contextes favorables

Responsable de toutes les équipes de France jeunes féminines, Sabrina Viguier et les différents staffs dont elle a la responsabilité, ont un objectif clair : permettre à un maximum de jeunes joueuses d’accéder à la sélection nationale A.

Elle nous propose un éclairage sur la coordination de ce projet au long cours.

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Etant responsable des sélections nationales féminines, quelles sont vos missions au quotidien ?

Mes missions sont nombreuses et diverses, mais j’ai trois grands axes de travail auprès de toutes les sélections jeunes nationales féminines, des U16 aux U23. Je suis responsable de l’ensemble des staffs et je veille particulièrement à leur bon fonctionnement. Cette saison entre les sélections U16, U17, U19, U20, U23 je coordonne en étroite collaboration avec le « team manager » de chaque sélection, les calendriers, les déplacements, le choix des matchs, des terrains.

Je réalise le suivi de toutes les joueuses, des U16 jusqu’aux U23, par une relation étroite avec les pôles espoirs et les clubs. Je suis donc en relation avec les clubs de D1, de D2 mais aussi quelques clubs de Régionale 1, ainsi que les clubs dont les équipes évoluent au niveau national U19.  L’objectif commun est très clair, nous devons permettre au maximum de joueuses d’accéder à la sélection nationale A. 

Evidemment, nous travaillons avec le staff de l’équipe nationale A, afin d’être au plus près de leur réalité et des exigences de la très haute compétition. Notre travail est de permettre à cette équipe, de remporter un titre. Même si cela ne dépend pas que de nous, notre quotidien est tendu vers cet objectif. Beaucoup y travaillent depuis longtemps, avant même mon arrivée. J’ai essayé d’apporter ma pierre à l’édifice sur le terrain (93 sélections entre 2000 et 2012), je tente de poursuivre le travail désormais en tant que technicienne.

Enfin, je coordonne un volet assez vaste et plus politique, notamment les relations entre la Fédération Française de Football et les sélections nationales. L’objectif est de développer les ressources humaines, matérielles, financières, allouées aux sélections féminines et au-delà à l’organisation de la pratique féminine du football en France. L’objectif est d’améliorer les conditions de pratique en sélection, mais aussi dans les championnats, puisque les rassemblements sont courts.

En parallèle, nous travaillons à améliorer la qualité des championnats, les conditions de pratique dans les clubs et les pôles, l’accompagnement des filles sur un double projet, autant d’éléments qui profiteront in fine aux sélections nationales. Être responsable des sélections, entre les sélections, les clubs, les pôles espoirs, les compétitions c’est un métier très vaste et incroyablement riche sur le plan humain.

Les joueuses à fort potentiel sont-elles identifiées et retenues selon leur compatibilité avec le projet commun des sélections ou seules leurs qualités intrinsèques sont prises en compte ? 

Les deux aspects comptent, mais chez les plus jeunes, un important travail est réalisé en amont dans tous les districts et les ligues pour détecter les joueuses. Progressivement à travers les stages régionaux, notamment en U15, les filles sont aiguillées vers la sélection nationale U16. Il faut savoir aussi que chez les filles, le réservoir est moins important que chez les garçons. L’identification des potentiels d’une année d’âge est donc plus aisée. Rapidement un groupe élargi est identifié avec lequel nous allons travailler, bien qu’il y ait toujours quelques filles qui émergent un peu plus tard vers 17 ou 18 ans. A partir de 19 ans, le groupe de joueuses amené à aller vers l’élite est identifié.

En France, nous ne voulons pas travailler sur un projet de jeu identique des U16 aux U23. Je pense que nous avons dans nos effectifs des joueuses avec des profils différents. Ceci doit être une force dans ce que nous pouvons proposer. Je crois davantage au fait de travailler avec nos meilleures joueuses, puisque seules quelques-unes accéderont à la sélection A. Nous devons nous concentrer sur ces quelques filles à très fort potentiel et leurs proposer des contextes favorables. Notre idée c’est de préparer les joueuses à évoluer dans différents systèmes pour qu’elles puissent s’adapter à toutes les situations quand elles seront avec les A. Nous souhaitons développer leurs capacités d’adaptation, plutôt que de les habituer à une organisation, mais c’est plus difficile. En France nous avons des joueuses aux profils variés et nous devons pouvoir les utiliser dans différents systèmes, pour être le moins lisible possible pour nos adversaires.

Pour reprendre l’idée que le potentiel compétitif repose en partie sur une pyramide avec une base large de pratiquantes, est-il envisageable de voir des passerelles entre le futsal en milieu scolaire, qui représente aujourd’hui la première pratique féminine dans le cadre de l’Union Nationale du Sport Scolaire (UNSS) et la Fédération Française de Football ?

Je parlerais davantage d’une pratique complémentaire à celle du football à 11. Elle permettrait d’offrir des heures de pratique supplémentaires, qui est un paramètre essentiel pour tendre vers le haut niveau. Aucun joueur, ni aucune joueuse, n’atteint le très haut niveau sans avoir vécu un grand nombre d’heures de pratique. Donc pour les filles, en particulier, tout ce qui peut être pris est à prendre. Je crois à cette offre complémentaire, notamment pour les filles qui n’ont pas les conditions suffisantes d’entrainement. Cependant, une fille qui ne pratique que le futsal, aura des difficultés sur certains aspects dans la pratique du foot à 11. 

Un transfert des habiletés entre le futsal et le football à 11 est-il envisageable ou a-t-il déjà été constaté ? 

Oui, pourquoi pas, mais je différencie la pratique des filles de celles des garçons. Les garçons jouent davantage en dehors du club, en bas de chez eux et cumulent des heures de pratique supplémentaires par rapport aux filles. La pratique du futsal apporte une plus-value technique qui peut être transférée au football à 11. En revanche d’un point de vue athlétique, notamment au regard des exigences du haut niveau et la capacité à répéter les efforts il faut être plus mesuré. Actuellement, peu de joueuses qui émergent au plus haut niveau, viennent du futsal.

Le cursus de sélection et d’identification des meilleures joueuses est construit depuis plusieurs années. Dans quelles proportions les joueuses retenues en sélection nationale U16 accèdent à la sélection nationale A ?

C’est très variable selon les générations. De manière générale, les générations qui gagnent chez les jeunes sont les promotions les mieux représentées en A. Selon les générations, il y a entre 2 et 6 joueuses retenues en sélection U16 qui accèdent à l’équipe nationale A. Parmi ces filles, il faut encore distinguer celles qui passent un moment en sélection nationale A et celles qui sont régulièrement retenues. Aussi, c’est un calcul très complexe puisqu’il y a trop variations d’une promotion à l’autre.

Quel est le parcours de formation et la place de la pratique mixte pour une joueuse de niveau international chez les jeunes ?

Pour l’instant, chez les U16, elles ne sont pas issues des pôles espoirs féminins. Contrairement aux garçons, les filles intègrent ces structures pendant leurs années « lycée ». Souvent ce sont des filles qui ont joué en mixité, parce qu’il y a très peu de clubs, pour l’instant, qui ont une école féminine de football capable de promouvoir leurs filles vers les équipes en formation. Le plus souvent, les clubs vont recruter des filles passées par la mixité, en général jusqu’en U15, pour les intégrer dans leurs effectifs.

Les pays scandinaves semblent en avance sur la pratique féminine du football, comment expliquez-vous cela au regard de vos deux passages en Suède, pendant votre carrière de joueuse ?

Leur culture est complètement différente et le football suédois est à l’image de la Suède où les hommes et les femmes sont au même niveau. Dès leur plus jeune âge, les filles pratiquent le football avec les filles et le rapport est inversé à celui de la France, où très peu de filles jouent avec les garçons. La Suède, tout comme les Etats-Unis au niveau international, se hisse régulièrement dans le dernier carré, voire mieux dans les coupes du monde ou les Jeux Olympiques. En France, le modèle culturel est différent. Les filles jouent depuis peu au football, même s’il y en a de plus en plus. Aujourd’hui une très bonne joueuse aura tout intérêt à poursuivre avec les garçons. En Suède ou aux Etats Unis, les filles jouent entre elles et développent toutes les qualités requises, tant sur le plan athlétique, que technique ou mental, puisqu’elles restent devant nous. Actuellement, nous ne pouvons pas nous inspirer de ce modèle. D’ailleurs, la plupart des joueuses internationales françaises ont joué avec les garçons jusqu’à très tard.

La cohérence entre les différentes sélections est un élément important du projet fédéral, avec en point de mire la sélection A. Quels sont les dispositifs mis en place pour tendre vers cette cohérence ?

Tout d’abord, nous avons travaillé sur les attendus d’une joueuse de niveau international en fonction de son année d’âge, avec une exigence progressive des qualités requises sur les plans athlétiques, techniques, physiques et mental. Par exemple, un travail de fond est actuellement mené à l’aide des GPS pour construire des repères et des points d’étape tout au long du parcours.

Nous échangeons beaucoup sur les pratiques avec les différents staffs et nous réfléchissons sur les besoins de chaque sélection afin d’anticiper sur les années à venir. C’est pourquoi, un travail quotidien est mené avec les pôles et les clubs afin de modéliser nos pratiques. Sur le plan du jeu, rien n’est imposé, puisque nous souhaitons développer les plus gros potentiels dans des systèmes de jeu favorables et les rendre adaptatives pour répondre au mieux aux exigences du haut niveau.  

Le temps en sélection est très court donc, pour gagner en cohérence, partagez-vous la feuille de route des attendus de chacune des sélections aux clubs et aux pôles espoirs ?

D’une certaine manière, oui. Parmi les filles retenues en sélection, certaines s’entrainent dans les pôles, d’autres dans leurs clubs. Evidemment la proximité avec les pôles espoirs, qui sont des structures fédérales, favorise le partage des informations sur le travail mené, en sélection, sur les questions de la programmation des contenus, par exemple, en fonction des problématiques rencontrées en sélection. Pour les clubs, nous ne pouvons évidemment rien imposer, mais nous faisons le même métier, à savoir de la formation. Aussi, j’échange beaucoup avec mes collègues en club, qu’ils soient en D2 ou U19, voire D1. Bien que leurs problématiques soient différentes, nous échangeons sur nos difficultés, nos lacunes, mais aussi nos attentes qui sont souvent assez proches de celles des clubs. Chacun travaille comme il veut, mais je pars du principe que nous travaillons tous au service des joueuses pour les accompagner le plus haut possible.

L’essentiel, c’est que nous soyons dans l’échange et depuis mon arrivée, je crois que les relations se sont améliorées. Tout le monde comprend que nous travaillons tous pour la même chose. J’ai longtemps été internationale et j’ai adoré jouer en club comme en sélection, c’est même complémentaire et compatible, mais c’est difficile parce qu’il y a parfois des tiraillements.

Les problématiques rencontrées en sélection peuvent-elles ressembler à celles des clubs et réciproquement notamment sur les années d’âge ?

Oui, c’est souvent la même histoire que ce soit en club, en pôles espoirs ou en sélection nationale. La plupart des filles n’ont pas vécu de réelle préformation. Elles arrivent en formation avec des lacunes qu’il va falloir tenter de combler pendant ces 3 années, tout en proposant des contenus liés à la formation et les préparer à évoluer, au sortir de cette période, en Division 1ou en Division 2. De plus, il faut anticiper le fait qu’elles ne vivront probablement pas de post-formation. Du fait du nombre d’équipes féminines, nous devons travailler un peu différemment. Les 3 années de formation sont très denses, c’est parfois compliqué pour les joueuses de tout assimiler et nous le retrouvons lors des rassemblements nationaux.

Dans la compréhension du jeu, la lecture des espaces, la culture tactique ou sur le plan athlétique, passer de 2 séances hebdomadaires d’entraînement par semaine avec les garçons, à quatre ou cinq voire six dans un pôle espoirs ou en club, est difficile. De la même manière, enchaîner trois matchs en une semaine en sélection n’est pas évident.

La difficulté des filles à enchainer les semaines à 6 séances ou des semaines internationales avec 3 matchs est délicat parce qu’elles n’ont pas connu ces charges avant ou parce que la nature même de l’activité est propice aux risques importants de blessures, notamment articulaires chez les filles ?

Pour toutes ces raisons. L’anatomie féminine est plus sujette aux blessures (notamment les entorses du genou) mais aussi parce que passer de 2 à 6 séances par semaine n’est pas anodin sur le plan athlétique. Par ailleurs, contrairement aux garçons qui jouent au foot en dehors des clubs, (à l‘école, dans la rue), les filles pratiquent peu le football en dehors des créneaux encadrés, qui sont autant d’heures de pratique qui ne permettent pas de préparer leurs organismes.

Sur cette saison post covid-19 et retour à la compétition, nous constatons une recrudescence des entorses du genou, avec rupture des ligaments croisés, qui s’explique en partie par le fait que les filles ont peu cette pratique libre du football. En parallèle, le manque de temps et la perspective de la reprise des compétitions a empêché les filles de se consacrer pleinement à la préparation du corps à l’effort comme il aurait été intéressant de le faire pendant 6 à 8 semaines. Ce temps a souvent été consacré pour combler certaines lacunes dans d’autres domaines. 

Ce soin apporté au travail de préparation athlétique, notamment dans les pays nordiques ou aux Etats- Unis, fait partie intégrante de la culture sportive des joueuses. En Suède, par exemple, la préparation de la saison s’étale de janvier à avril, avant de commencer le championnat qui se terminera fin novembre. L’hiver, saison pendant laquelle la pratique du football est difficile, est mis à profit pour suivre une préparation fondamentale, pour jouer tout au long de la saison régulière avec une coupure pendant le mois de juillet. Les joueuses sont vraiment des sportives de haut niveau, d’ailleurs ce sont les joueuses étrangères, notamment à Lyon, qui nous ont vraiment transmis cette culture de la préparation du corps à l’effort.

Comment abordez-vous la question de la composition des staffs, à une époque où la parité entre les hommes et les femmes est un enjeu important ?

La question du sexe est secondaire, mon premier critère est celui de la compétence. Peu importe la fonction, que ce soit sectionneur, adjoint, préparateur physique, médecin, analyste ou kinésithérapeute.  J’apprécie la mixité dans les staffs, parce qu’au-delà des compétences, les hommes et les femmes amènent des qualités différentes dans la gestion humaine. Je trouve intéressant de proposer des alternatives dans le dialogue avec les filles, mais surtout je recherche des personnes ouvertes, capables d’échanger et de se montrer constructives dans la critique, au sein d’un projet commun, pour faire progresser les sélections nationales. Je crois que mon expérience en Suède m’a conforté dans ma vision d’un management « horizontal », fondé sur le partage, la confiance, pour permettre à tout le monde de travailler sereinement. Evidemment, la décision finale m’appartient, mais je cherche à emmener tous les staffs dans mon sillage. En ce sens, je partage beaucoup avec chaque sélectionneur pour la constitution des staffs, pour que le vivre ensemble soit agréable, car il est fondamental lors des grandes compétitions internationales.  Aussi, les membres du staff, qu’ils soient des nouveaux arrivants ou plus anciens, doivent être capables de s’adapter tout étant force de proposition, à l’instar de ce que nous demandons aux joueuses sur le terrain. La relation humaine prime, doit être qualitative et réciproque, entre membres du staff ou entre les joueuses et le staff, même s’il existe une hiérarchie. C’est pourquoi je consulte beaucoup les sélectionneurs et les membres du staff, qui doivent aussi être porteurs de convictions.

Les staffs des équipes nationales sont-ils constitués uniquement de cadres techniques salariés de la Fédération ou la porte est-elle encore ouverte à des techniciens venus de club ?

L’ensemble de staffs sont constitués par des cadres techniques fédéraux, mais je m’autorise à voir ailleurs. Néanmoins, c’est difficile de prendre quelqu’un d’un club pour des raisons de concurrence. C’est pourquoi, de manière générale, l’immense majorité sont des cadres techniques nationaux, régionaux, départementaux, salariés de la Fédération Française de Football.

En tant que joueuse,  pourquoi avoir fait le choix de partir en Suède, après avoir joué dans différents clubs français comme, Toulouse FC, Montpellier Héraut ou l’Olympique Lyonnais ?

J’ai eu la chance de toujours jouer dans de belles équipes et chaque fois c’est moi qui ai fait le choix de partir, même de Toulouse qui est ma ville de cœur où j’y aurais bien accompli toute ma carrière, mais je ne m’y retrouvais plus après 7 saisons passées au club. J’avais besoin de nouveaux défis, je souhaitais rester au top niveau pour continuer ma carrière internationale, je suis donc parti à Montpellier. A 29 ans, j’allais arrêter ma carrière, quand j’ai eu l’opportunité de signer à l’Olympique Lyonnais, qui devait être un dernier projet. Finalement, j’y suis resté quatre années ponctuées de nombreux titres. A la fin de ce cycle, j’avais 33 ans.

En toute fin de carrière, je suis parti à l’étranger, davantage dans une perspective de développement personnel et découverte de ce qui pouvait s’y faire. J’ai eu la chance de vivre une carrière pleine, mais cette expérience à l’étranger a été géniale, elle m’a apporté beaucoup de choses, tant sur le plan sportif, mais surtout humain.

J’ai beaucoup appris de la société suédoise, mais je suis consciente qu’il n’est pas possible de tout importer. Ils sont moins nombreux, leur culture est différente, comme leur climat. C’est parfois difficile pour nous, Européens du Sud, de vivre dans ces pays nordiques. Leur éducation est différente, notamment dans leur volonté de tout partager, de consulter tout le monde. Parfois, dans la prise de décision, nous aurions envie d’accélérer les choses. En revanche, cela m’a permis de ressentir le sentiment d’être étrangère dans un pays et de comprendre aussi ce que parfois, les étrangers peuvent ressentir en France. Enfin j’ai appris l’anglais et à voir les choses sous un angle différent et relativiser.

Quelle est l’influence de cette expérience en Suède sur votre management et notamment votre processus de prise de décision ?

J’apprends mon métier chaque jour en l’exerçant, puisque je n’ai pas une formation de management, mais j’ai accepté de prendre ce poste et de grandir au rythme de ma prise de fonctions. Les relations humaines et le respect de l’autre représentent mon socle de fonctionnement. La parole de chacun est importante, le vécu aussi, puisque je dois manager des personnes bien plus expérimentées que moi et ce n’est pas tous les jours évident.

Je m’appuie beaucoup sur la compréhension de l’autre en m’inspirant de la culture suédoise où tout le monde est au même niveau, avec le souci que chacun soit épanoui tout en respectant son histoire, ses qualités et ses défauts.

Ce souci de l’autre et cette volonté de comprendre l’autre transparaissent-elles dans toutes les sélections nationales féminines ?

Je ne sais pas trop … Je pense être fondamentalement dans ce processus, à l’image de l’éducation que mes parents m’ont transmise, dans un foyer où la notion de bonheur de chacun primait sur tout le reste. Au-delà du talent, je crois beaucoup en ces valeurs pour permettre à chacun d’être le plus performant possible au sein du collectif que constituent les joueuses et le staff. Pour que le collectif soit performant, chacun doit tenir compte de la singularité des autres, sinon le groupe ne pourra pas réussir. Le lien entre les personnes est essentiel et aligner des joueuses ou des joueurs très forts ne suffit pas. Pour se mettre au service des autres, il faut déjà prendre conscience de l’importance des autres. Aujourd’hui, les nouvelles générations sont plus individualistes, mais je crois aux vertus du collectif que j’essaie de transmettre au staff, pour permettre aux joueuses de s’élever au point de comprendre que toute seule ce sera très difficile. Une équipe qui gagne, c’est de fortes individualités pleinement au service d’un collectif, au-dessus de tout.  

En Suède, par exemple, bien que certaines joueuses soient très talentueuses, la qualité intrinsèque de leur sélection est moindre que la nôtre. En revanche elles ont une force collective incroyable. Pour l’avoir vécu de l’intérieur dans les équipes suédoises et bien connaitre certaines de ces internationales, elles ont une force terrible et sont accrochées au maillot ou au drapeau qu’elles placent au-dessus de tout !

Certains outils tel que le Myers & Briggs Type Indicator (MBTI) existent pour évaluer les préférences cognitives de chacun et dresser le profil d’une personne. Utilisez-vous ce genre d’outils pour constituer des staffs complémentaires et dans la lignée du projet fédéral ?

Nous avons entamé une expérience de ce type avec les joueuses, mais pas encore pour les staffs. Je ne constitue pas les staffs sur cette base-là. Je suis convaincue de la richesse de réunir des profils différents, cela signifie aussi des problématiques différentes, mais c’est dans la différence que va résider la force du collectif, dont un des enjeux majeurs sera son management. En France, nous sommes capables d’avoir des sélections remplies d’individualités, ce qui rime avec égo et divergences de pensée. C’est pourquoi il est essentiel de travailler sur la compréhension de l’autre, mais cela réclame du temps. En sélection, les joueuses se voient assez peu finalement, c’est donc un défi pour nous et les joueuses à comprendre comment les autres fonctionnent. Il y a des outils ou des personnes qui permettent d’aller plus vite sur ces questions, auparavant nous avions cette démarche, notamment dans les échanges, mais de façon plus intuitive.

De l’extérieur, le football des filles fait souffler un vent de fraicheur, avec une pratique qui semble pour le moment un peu épargnée, des excès d’individualisme et des travers du football business. Cette impression est-elle fondée vue de l’intérieur ?

Cela commence un peu à changer mais ce que je trouve le plus difficile, c’est de faire face à un public très différent pour s’adapter aux modes de fonctionnement actuels des filles, leurs centres d’intérêts. Elles zappent davantage, elles ont des repères différents et des attentes différentes.

A nous d’évoluer, tout en gardant un cadre. Nous devons nous transformer pour nous adapter à ce nouveau public, souvent avec une cellule familiale recomposée, voire décomposée et des problématiques que nous n’avions pas à leur âge. Nous avions certes des difficultés, mais nous cherchions à trouver des solutions, sans tout cette influence extérieure, entre les conseillers, les agents, internet, les réseaux sociaux, les psychologues…  

Les filles aujourd’hui semblent plus fortes, mais beaucoup cachent des fragilités qu’il nous faut découvrir, pour ensuite travailler en dehors du terrain, mais cela passe par la connaissance de l’autre. La performance ne se limite pas au terrain, la dimension psychologique est essentielle, c’est même selon moi 80% de la réussite, puisque toutes les joueuses retenues en équipe France ont des qualités fortes. Aujourd’hui nous débutons un projet sur la préparation mentale, pour nous permettre de mieux connaitre les filles, mais surtout qu’elles se connaissent mieux elles-mêmes, bien que le temps soit très limité pour travailler avec une joueuse.

Il est indispensable de connaitre la personne, pour aider la joueuse à être performante, afin qu’elle-même se connaisse mieux pour faire face au succès comme à l’échec. Le problème aussi, c’est que nous leur donnons tout, sur la préparation physique, la vidéo, les aspects mentaux, la tactique et qu’à l’arrivée les filles prennent beaucoup mais intègrent assez peu. Selon moi, le projet dans les sélections, c’est avant tout le projet des filles, c’est donc à elles d’analyser et de trier ce qui leur convient le mieux pour performer.

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