Le mérite ne permet pas de gagner des matchs de football

Détentrice du record de sélections en Equipe de France (198) et à la tête de l’équipe 1ère féminine du Paris FC depuis 2018, Sandrine Soubeyrand a patiemment, mais surement, transformé le projet parisien.

Elle nous propose un éclairage sur son rapport au football et sa vision du rôle de l’entraineur.

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Qu’est-ce que le football représente pour vous ?

Le jeu et le partage. En tant que joueuse, le football m’a permis de vivre et de partager des émotions. En tant que coach, c’est aussi ce que je vais rechercher. Qu’elles soient positives ou négatives, ces émotions vont soit nous permettre d’emmagasiner de l’énergie pour continuer à progresser soit nous pousser à rechercher des solutions qui nous permettront de répondre aux problématiques posées par l’adversaire.

Après la qualification pour les phases de poules de la Ligue des champions 2023-2024, en éliminant Wolfsburg, finaliste de la compétition en 2022-2023, vous disiez que dans le sport de haut niveau, il n’y a pas de mérite. Qu’entendiez-vous par là ?

Dans le sport de haut niveau, on peut être très bon et ne pas gagner. A l’inverse, on peut aussi être très moyen et quand même gagner. Le mérite ne permet pas de gagner des matchs de football, c’est la consistance de l’effort dans le temps qui permet d’accroitre la probabilité de performer dans la durée et gagner.

Lorsque nous avons gagné contre Wolfsburg, j’estime que ce n’était pas au mérite. Nous avons été plus efficaces qu’elles, avec les opportunités que nous avons eues. A l’inverse, lorsque nous avons joué contre le BK Häcken (1ère journée de Ligue des Champions), nous méritions sans doute de gagner. Nous avons eu beaucoup d’occasions, mais nous avons perdu. Nous avons encaissé des buts quasiment à chaque fois qu’elles sont entrées dans notre surface.

« Le mérite ne permet pas de gagner des matchs de football, c’est la consistance de l’effort dans le temps qui permet d’accroitre la probabilité de performer dans la durée et gagner »

C’est très souvent l’attention aux détails qui aide à faire basculer le résultat en sa faveur. Ce sont des éléments qui peuvent paraitre insignifiants, mais qui vont transformer une situation en but. En football il est difficile de marquer, relativement aux autres sports. La force des grandes équipes, c’est d’arriver à concrétiser les situations qu’ils ont.

Définir une vision est un aspect important dans un projet. Définir cet idéal qui n’est pas immédiatement atteignable mais qui inspire toutes les parties prenantes du projet, jour après jour. C’est un peu ce à quoi l’on doit aspirer en permanence. Pour vous, quel est cet « idéal » ?

Ma vision, je l’ai construite à travers mon parcours de joueuse et mon parcours fédéral. Pour construire son projet, il faut développer une vision globale, à laquelle on va intégrer divers éléments qui seront en interaction et qui serviront de support à la performance.

Lorsque je suis arrivée au Paris FC, les éléments que j’ai principalement pris en compte étaient les joueuses et le staff que j’avais à disposition, ainsi que le contexte dans lequel j’allais évoluer.

Mon objectif à tout de suite été de développer un environnement qui nous permettrait de tendre vers la performance, voire la haute performance. Je le conçois comme un système qui est en perpétuelle mouvement, donc la vision et le projet sont tout le temps en évolution. Lorsqu’on fait évoluer certains éléments du système, cela a un impact difficilement prévisible sur les autres éléments. L’idéal n’est donc jamais atteint.

Si nous approchons les choses de manière systémique et dynamique, cela implique que nous devons constamment nous réajuster, nous réorganiser ou réévaluer le système, parce qu’il est mouvant et que nous devons être capables de rapidement nous adapter.

J’ai une vision des comportements que je voudrais que mon équipe adopte offensivement et défensivement dans un environnement stable, mais en ayant toujours en tête l’adversaire que nous allons rencontrer et les problématiques qu’il peut nous poser. Le projet de jeu doit nous aider à exprimer nos qualités, en fonction des joueuses, mais aussi de nous adapter ou de poser des problèmes à l’adversaire là où il est peut-être le moins fort ou un peu moins performant.

Vous avez abordé les notions de performance et de haute performance. Pour vous, quels sont les facteurs, en interaction, qui vont permettre d’atteindre ce niveau- là ?

Le premier élément, ce sont évidemment les joueuses. Il est primordial de construire un groupe dont les caractéristiques sont en adéquation avec le projet de jeu et qui peut permettre de tendre vers la haute performance. Ensuite, il y a les décideurs, le directeur sportif, la cellule de recrutement. Nous devons impérativement être alignés sur la vision, afin qu’ils puissent appuyer mon action au quotidien.

Pour finir, il est nécessaire d’avoir un staff ayant des compétences différentes des miennes, qui puisse apporter une plus-value au groupe de joueuses que nous entraînons. Il ne s’agit pas nécessairement de multiplier les personnes, mais de se compléter efficacement.

En arrivant au club, j’ai donc d’abord essayé de faire évoluer mon groupe afin qu’il soit plus en adéquation avec le projet de jeu et ma vision du vivre ensemble. Ensuite, je me suis beaucoup battu pour avoir certains profils dans mon staff, car qu’il nous manquait certaines compétences et que nous étions un peu sous-staffé.

Comment appréhende-t-on d’arriver seule, dans un projet où il y a déjà un staff en place et comment le fait on évoluer ?

Au départ, c’est vrai que je n’ai pas choisi mon staff. Etant arrivée seule, j’ai fait avec l’existant. J’ai seulement demandé à avoir un analyste vidéo, ce qui a été accepté par la direction. C’était une personne avec qui j’avais travaillé à la Fédération. Je ne me voyais pas arriver dans un club sans avoir quelqu’un sur cet aspect, parce que je sais que c’est chronophage et que c’est quelque chose de très important dans mon approche.

Le reste du staff étaient composé de personnes qui était déjà en place. C’est un contexte qui peut être difficile. Il y a une question de loyauté, mais aussi parce que les gens qui sont en place, même s’ils ont envie de bien faire, ils ne comprennent pas forcément la direction dans laquelle vous voulez aller. Il faut du temps pour pouvoir expliquer. Ayant rejoint le club en cours de saison, je ne pouvais pas forcément prendre le temps d’expliquer en permanence. Le staff s’est renouvelé progressivement.

Depuis mon arrivée, quand je décide de prendre quelqu’un dans mon staff, je vais évidemment prendre en compte le profil, mais je vais surtout chercher à savoir si nous sommes humainement compatibles. Les convaincre de mes idées, ce n’est pas, à mon sens, le plus dur.

J’ai une approche plutôt intuitive lorsque je rencontre les gens. Par exemple, le préparateur physique actuel m’avait été recommandé par le précédent et lorsque je l’ai rencontré nous nous sommes tout de suite bien entendu.

L’entraîneur des gardiens de but était venu sur un stage d’observation durant une semaine. Lorsqu’un poste s’est libéré, j’ai pensé à lui parce que les quelques échanges que nous avions eus pendant cette semaine s’étaient bien déroulés. Il a d’abord intégré le staff en tant qu’adjoint, puis il a pris en main l’entraînement spécifique des gardiennes.

Mon adjoint, je l’avais rencontré lorsque je travaillais à la Fédération et que j’étais responsable des Pôles Espoirs. J’ai suivi un peu son parcours après mon départ et nous avions gardé le contact. L’année passée, il est venu voir un match, nous avons discuté et quand j’étais à la recherche d’un adjoint je lui ai proposé et lui, ça l’intéressait. C’est donc pas mal le hasard des rencontres et du réseau, mais aussi beaucoup d’intuition.

Il nous manque certainement des choses pour tendre vers le très haut niveau, mais la structuration du staff me convient. Par ailleurs, dans le club dans lequel on évolue, nous ne pouvons pas multiplier les ressources humaines, donc il faut aussi choisir les staffs, en rapport avec nos moyens économiques.

Cette question de budget dicte de temps en temps mes choix vis-à-vis de mes collaborateurs. Mais de manière générale, ce sont les rapports humains qui vont d’abord m’intéresser. J’apprécie de travailler dans un climat serein, où on peut se dire les choses de manière professionnelle.

Comment caractériseriez votre approche du management et de la communication, avec votre staff ?

Au début, je me sentais mieux dans un management descendant. C’était ma première expérience et il y avait beaucoup de choses qu’il fallait faire évoluer. Aujourd’hui, c’est toujours un peu descendant, parce que j’occupe le poste, entre guillemets, où les responsabilités sont les plus importantes.

Néanmoins, au quotidien, j’essaie de déléguer au maximum. Lorsqu’il y a une décision à prendre nous échangeons avec les membres du staff et je tranche.

Comment appréhendez-vous la semaine d’entrainement, en prévision de la préparation du match suivant ?

J’ai choisi la périodisation en tactique comme approche méthodologique. Chaque semaine nous répétons des phases relatives au projets de jeu, et nous intégrons progressivement les caractéristiques propres à l’adversaire suivant.

Nous présentons ce qu’il est capable de faire offensivement, défensivement et comment nous pourrions les mettre en difficulté par rapport à ce que nous avons observé. Lorsqu’on joue les samedis, le dimanche est dédié à la récupération ou un complément pour celles qui n’ont pas joué. Le lundi, tout le monde est off et nous nous entrainons mardi, mercredi, jeudi, vendredi.

Donc, à J-4 ou J+3, nous allons plutôt travailler des aspects de conservation et progression, associés à notre projet de jeu. Le mercredi, nous allons nous focaliser sur comment déséquilibrer collectivement notre prochain adversaire. Mon adjoint ayant observé l’adversaire au préalable et l’ayant présenté aux joueuses.

Le jeudi, on est plus sur du déséquilibre individuel et de la finition. Le vendredi, nous allons répéter certaines choses vues précédemment, mais à vide, même si nous utilisons des mannequins pour matérialiser l’adversaire. Comment ressort-on la balle face à une, deux ou trois attaquantes ? Dans quelles zones peut-on les mettre en difficulté ?

La transition entre les Pôles Espoirs ou le centre de formation et le groupe D1 n’est pas aisée. Comment avez-vous appréhendé la construction de cette passerelle entre les équipes de jeunes et l’équipe première ?

Assez vite, les jeunes joueuses du club (à partir de 17 ans) que nous avons identifié comme ayant les capacités pour un jour rejoindre l’équipe première, viennent s’entraîner avec nous durant les vacances scolaires. A cet âge-là, toutes nos meilleures joueuses sont encore dans les structures fédérales.

La première semaine des vacances, souvent, nous les laissons récupérer. Elles passent la deuxième semaine avec nous, ce qui leur permet de prendre un peu la mesure du groupe de D1. Cela leur permet de se projeter un petit peu et cela nous permet de les évaluer face à des joueuses confirmées pour la majeure partie.

Si ce que nous observons correspond aux attendus pour prétendre à s’entraîner régulièrement avec le groupe D1, alors nous les invitons à venir faire le début de la présaison avec nous.

Lors de leur dernière année au Pôle espoirs, elles viennent faire la préparation estivale. Cela permet de passer quatre à cinq semaines ensemble. Nous aménageons la préparation pour qu’elles puissent avoir la capacité de s’entraîner pendant un mois avec la D1, puisque les charges d’entraînement sont différentes et plus importantes.

Cela leur permet de connaître le projet de jeu, de faire quelques matchs amicaux, de comprendre ce que l’on peut attendre d’elle à travers l’entrainement, la vidéo. Par exemple, ce sont parfois les joueuses qui débriefent les matchs à travers la vidéo, ce qui leur permet de s’en imprégner. Si je fais appel à elles dans l’année, elles connaissent le staff, les joueuses, nos attentes, ce qui facilite leur intégration.

Comme vous l’avez évoqué, le scouting et le recrutement sont des aspects clés d’un projet. Comment avez-vous intégré ces éléments à votre fonctionnement ?

C’est effectivement un support à la performance. J’ai fait en sorte d’intégrer la personne qui s’occupe de cet aspect à l’équipe. Il passe régulièrement du temps avec le staff. Nous avons beaucoup de discussions informelles et formelles par rapport au projet de jeu.

Il est arrivé au club avec le directeur sportif précédent, avec qui il travaillait précédemment au PSG. Il était sur les féminines et a un réseau très important. La problématique que j’avais, c’est que je ne pouvais pas en même temps m’occuper de l’équipe et rechercher d’autres joueuses pour compléter ou améliorer l’effectif, parce que cela prend beaucoup de temps. Ayant une vision assez similaire du football, nous avons donc rapidement été aligné.

Je lui ai présenté le type de joueuse que j’appréciais pour chaque poste et il a très vite compris ce que je voulais mettre en place dans le jeu. Il me propose des joueuses, nous évaluons et décidons ensemble. Nous essayons de nous projeter sur leur évolution à N+1, N+2, N+3. N’ayant pas forcément les moyens, il faut être malin pour aller recruter des joueuses à fort potentiel, qu’on peut développer et que ce soit économiquement réalisable.

C’est quelqu’un dont la présence est importante au club. En plus d’identifier les joueuses, c’est lui qui a les premiers contacts avec celles que nous faisons venir et qui reste en contact avec les joueuses qui ont déjà rejoint le club. Il est primordial que nous nous assurions de la cohérence entre ce qui leur a été proposé avant qu’elles ne rejoignent le club et ce qu’elles y trouvent. Il est le trait d’union entre les joueuses qu’on a fait venir et celles que l’on pourrait faire venir.

C’est quelqu’un qui est peu visible au quotidien dans le staff, mais qui contribue fortement à la performance de l’équipe. Le rôle de scout n’existait pas au début, mais dès que cela a été le cas, j’ai trouvé une vraie plus-value. Avec le temps, nous avons développé un pôle scouting chez les féminines qui est très performant, avec un vrai réseau et une vraie connaissance du public féminin.

Indépendamment des compétences spécifiques à un rôle ou poste, que recherchez vous chez les joueuses ?

Des joueuses capables de comprendre le jeu en situation et qui vont apporter des réponses collectives plutôt qu’individuelles aux problèmes posés par l’adversaire. Je vois le football comme un sport collectif et non pas comme une association d’individus. Je recherche plutôt des joueuses qui vont mettre toutes leurs qualités au service du collectif pour le faire performer.

À l’heure actuelle, je n’ai pas les meilleures joueuses de France, loin de là. Je n’ai pas les meilleures joueuses européennes ni mondiales, puisque nous n’en a pas les moyens. Néanmoins, notre équipe règle pas mal de problèmes collectivement.

Evidemment, face à des joueuses ou des équipes comme Lyon, PSG et en Europe, Chelsea, Barcelone, voire Häcken, c’est plus difficile. Les qualités, notamment physiques, font parfois la différence, mais je reste persuadé que nous pouvons résoudre pas mal de choses collectivement.

Le projet chez nous, est différent. On ne peut pas avoir des joueuses comme Samantha Kerr par exemple. En référence à Will Still qui disait « on est le stade de Reims, on n’est pas le PSG », je dirais que nous ne sommes pas le PSG, nous sommes le Paris FC. Nous devons donc être fort collectivement pour réussir à poser des problèmes aux adversaires.

Le leadership peut prendre plusieurs formes dans un groupe et être incarné par différentes personnes. Quel type de leader étiez-vous lorsque vous jouiez et comment cet aspect a t’il évolué depuis que vous êtes entraineur ?

C’est difficile de se définir. Je pense que j’ai toujours eu une forme de leadership, par l’exemple. Par l’action plus que par la parole, même si le métier que je fais aujourd’hui tend plus vers la parole que vers l’action. Lorsque je jouais j’essayais d’être un modèle à travers mon comportement sur le terrain, j’essayais de permettre aux autres de se dépasser et de s’améliorer.

Encore maintenant, j’essaye le plus possible d’aligner mes actes et mes paroles, même si je ne suis pas une grande expansive et que je peux grandement améliorer ma communication. Néanmoins, j’ai beaucoup avancé relativement à mes débuts en tant que coach.

La communication, au quotidien, c’est quelque chose de primordial dans la vie de tous les jours, mais aussi dans notre travail. Je reste persuadé que l’une des clés est d’incarner ce que l’on dit, en montrant l’exemple au quotidien à travers l’exigence, la consistance dans l’effort, la capacité à travailler. Il est difficile d’imposer aux autre ce nous ne sommes pas capables de faire nous-même.

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