Entraineur principal du Paris FC, Stéphane Gilli nous propose sa perspective sur la transition entre le rôle d’entraineur adjoint et celui de numéro 1.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Qu’est-ce que le football représente pour vous ?
Le plaisir. Le football, c’est du plaisir et c’est ce que je dis souvent à mes joueurs en début de saison. Lorsque j’étais jeune, j’attendais le match du samedi après-midi avec impatience. C’était la récompense. J’arrivais au stade en tenue et c’était un drame si le match était annulé. Je pense que tous les jeunes footballeurs ont ressenti cela.
C’est ce que je voudrais que mes joueurs n’oublient pas. Aujourd’hui, nous sommes des privilégiés, nous vivons de notre passion. Lorsqu’on commence à jouer au foot, c’est d’abord pour s’amuser et pour le plaisir que cela procure.
Dans le football de haut niveau, il y a d’autres contraintes, mais cela doit quand même rester un plaisir. C’est ce qui anime l’entraînement et le projet de jeu que je veux mettre en place. Il y a bien entendu le plaisir avec le ballon, mais également le plaisir sans ballon, être capable de prendre du plaisir à défendre, faire des courses, etc.
Avant de devenir entraineur principal, vous avez été longtemps été adjoint. Qu’est-ce que cette première partie de carrière vous a apporté dans votre transition vers ce nouveau rôle ?
Quand j’ai commencé il y a plus de 20 ans, je regardais les entraîneurs principaux et je me disais que j’étais à des années-lumière de ces personnes-là. Je remercie souvent ceux avec qui j’ai pu travailler parce qu’ils ont été bienveillants à mon égard, ils m’ont souvent donné beaucoup de responsabilités. J’ai commencé avec Bernard Boissier, puis travaillé avec Silvester Takač, qui est quelqu’un d’exceptionnel, mais aussi Jean Tigana, René Girard, Vahid Halilhodzic et bien sûr Mécha Baždarević avec qui j’ai collaboré pendant plus de quinze ans.
Toutes ces expériences m’ont permis de voir différentes méthodologies de travail. Chaque entraîneur ayant ses propres spécificités, que ça soit sur le management, sur la gestion de l’effectif, sur les idées et principes de jeu, même si le football a évolué depuis toutes ces années.
« Une part très importante du métier, c’est le management de la relation avec son groupe, ses joueurs et leur adhésion à vos idées »
Ce qui m’a le plus marqué, c’est que toutes ces personnes m’ont donné beaucoup de responsabilités. C’est ce qui m’a certainement amené à réfléchir et à me dire que j’étais capable de devenir numéro un. Ce qui a aussi joué, c’est que j’ai eu deux ou trois sollicitations il y a quelques années, mais je n’avais pas le diplôme à ce moment-là.
Ce métier est d’une richesse incroyable. J’ai travaillé au Qatar, en Tunisie, au Maroc, en Bosnie et j’ai pu être confronté à des types de football différents, mais surtout des cultures différentes. Cela m’a beaucoup aidé parce qu’une part très importante du métier, c’est le management de la relation avec son groupe, ses joueurs et leur adhésion à vos idées. En étant adjoint, on est souvent bien plus proche des joueurs que le coach principal, cela m’a permis, avec l’expérience, de ressentir comment un groupe appréhende un coach, sa philosophie, les séances, etc.
Lorsqu’on passe numéro un, on a donc un peu ce feeling, ce ressenti de ce que peuvent penser les joueurs sur certaines choses, comment vit un vestiaire. C’est quelque chose qui a été très important dans ma construction. Appréhender cette partie psychologique, lorsqu’on est n°1, est primordiale. On peut avoir les meilleures idées, être le meilleur tacticien, si à un moment donné votre groupe n’adhère pas et que vous ne tirez pas dans le même sens, il manquera quelque chose.
Comment appréhendez-vous cette connaissance de votre vestiaire, depuis que vous êtes devenu entraineur principal ?
Le statut a peut-être changé, mais mon rapport aux joueurs n’a pas énormément évolué. Tous les matins j’aime bien passer dans le vestiaire des joueurs pour leur dire bonjour. Avec un petit mot ou une petite phrase, parfois on ressent des choses. Je vois la tête des joueurs, je vois s’ils sont fatigués, si un joueur est souriant habituellement et que là il ne l’est pas, etc. Je continue à aller dans la salle de kiné et dans la salle de musculation pour sentir vivre le vestiaire.
En début de saison, j’avais fait un entretien avec tous les joueurs. Je leur avais dit que je souhaitais les connaitre en tant que joueur, mais que c’était surtout l’homme qui m’intéressait. On peut être bien physiquement, techniquement, tactiquement, néanmoins, si psychologiquement il y a un souci, il n’y aura pas de performance.
D’ailleurs, une des choses que j’avais demandée en arrivant au club, mais que nous n’avons pas encore pu mettre en place, c’est d’avoir un psychologue du sport. Je ne suis pas un psychologue, il y a un certain nombre de choses que les joueurs ne diront ni à moi, ni au staff, ni aux docteurs.
Comme dans la vie de tous les jours, voir un psychologue n’est pas une maladie, c’est un accompagnement. Il est essentiel que les joueurs puissent travailler avec quelqu’un sur ces aspects.
L’aspect humain est primordial. On peut tous à un moment donné avoir du mal à dormir, des soucis avec sa famille, avec ses enfants, etc. J’essaie de créer une atmosphère qui permet aux joueurs d’être à l’aise avec moi ou avec mon staff et de pouvoir s’exprimer lorsqu’ils ont des soucis. Cela m’aide à prendre des décisions adaptées.
Je peux par exemple laisser des jours de repos à un joueur pour qu’il puisse régler ses soucis, etc. Si je n’ai pas accès à cela, je peux avoir une mauvaise interprétation du rendement d’un joueur à l’entrainement. Cela peut permettre d’éviter des conflits.
Dans une activité où la pression est forte et ou l’entraineur peut rapidement perdre ses repères, lorsque les résultats sont moins bons, comment appréhendez-vous la régulation de vos émotions et l’alignement avec les valeurs que vous avez définies ?
Cela peut paraître paradoxal, mais au fond de moi, je me dis tous les matins que je suis un privilégié et j’essaie de travailler du mieux possible. Je commets des erreurs et j’en commettrai encore, mais je n’ai pas honte de le dire devant les joueurs. Pour ma première expérience, nous avons vécu un début de saison très compliqué. Sur les dix premiers matchs, nous avons pris sept points sur trente. Malgré cela, je croyais en notre travail, mais surtout, j’ai senti que le groupe ne lâchait pas, qu’ils étaient à fond derrière le projet.
J’ai assez d’expérience pour sentir quand un groupe n’est pas impliqué. Par ailleurs, malgré cette entame difficile, j’ai eu la chance d’avoir un président et une direction sportive qui ont continué à me faire confiance.
Durant cette période, j’ai souvent félicité les joueurs, que ce soit en conférence de presse ou directement. Nous nous sommes parfois entraînés à 8 ou 10 joueurs et ils ont toujours répondu présents dans la concentration, dans l’intensité. Parfois cela peut être difficile avec le groupe dont vous avez la charge, notamment s’il n’est pas réceptif à votre approche. Néanmoins il faut tout donner.
Je le répète, je suis un privilégié. Je sais très bien qu’il y a énormément de personnes qui rêveraient d’être à ma place. Il y en a sûrement qui mériteraient d’être à ma place aussi. Le football est une passion, même si parfois c’est extrêmement difficile d’être entraineur.
« Malgré cette entame difficile, j’ai eu la chance d’avoir un président et une direction sportive qui ont continuer à me faire confiance »
Après certains matchs, on peut être déçu ou frustré, néanmoins nous devons tout de suite essayer de savoir pourquoi il s’est déroulé de cette manière. Essayer de comprendre ce que le staff aurait pu faire autrement. C’est en se réfugiant dans le travail qu’on oublie un peu les baisses de régime.
Je suis de nature optimiste, et même si je n’avais pas de certitude, je pensais que nous étions sur le bon chemin et que nous allions réussir à ressortir la tête de l’eau lorsque nous aurions récupéré des joueurs.
Nous avons entamé cette saison avec 20 départs et 10 arrivées plus des retours de prêt. Nous avons eu des blessures, nous avons fait évoluer le projet de jeu. Lorsque vous avez immédiatement des résultats, c’est déjà un long processus à mettre en place, alors lorsque cela va moins bien…
Par exemple, je voulais jouer à quatre défenseurs, mais dès le troisième match de la saison, je n’avais plus d’attaquants à disposition. J’ai donc essayé de camoufler un peu ce déficit en passant à cinq, avec de faux pistons, etc. Malgré toutes ces contraintes, les joueurs ont continué à être réceptifs. Je voyais que ce qu’on mettait en place fonctionnait, mais nous manquions de justesse.
Je considère que tout est bon à prendre. Ce sont des expériences, que ce soit dans la difficulté ou dans la défaite. Il faut essayer de se servir de ce qui s’est passé pour progresser et s’améliorer. Par ailleurs, j’ai la chance d’avoir un staff qui est tout le temps dans la recherche. Mickaël Boully, Alexis Baudet, Armand Sene, Thibault Combin. Nous ne détenons aucune vérité, nous voulons toujours nous améliorer et c’est ce qui nous anime et nous fait avancer.
Lors de la constitution d’une équipe, la compétence est souvent l’élément premier, mais si nous considérons les choses à moyen ou long terme, la fiabilité, la confiance et l’intégrité sont des éléments tout aussi importants, peut-être même plus. Comment avez-vous abordé la constitution de votre premier staff ?
Avant de prendre l’équipe, j’avais travaillé au club cinq ans auparavant et j’avais eu l’occasion de collaborer avec Mickaël Boully, par exemple. Je savais que nous étions sur la même longueur d’onde, avec beaucoup d’idées en commun. Que ce soit sur le travail cognitif, les préférences motrices, nous avions déjà mis en place un certain nombre de choses. Donc sur le poste de gardien de but, j’étais convaincu de la personne qui était là.
Par ailleurs, j’avais aussi travaillé avec Armand Sene lors de ma précédente expérience au club, lorsque Mécha était le coach. Je savais que ces deux personnes étaient compétentes et surtout de confiance. La compétence est importante, mais la confiance est fondamentale.
Armand étant spécialisé sur les attaquants, je voulais un autre adjoint sur les aspects défensifs. J’ai choisi de travailler avec Alexis Baudet, avec qui j’étais en contact et qui arrivait du centre de formation du Havre où il avait collaboré avec la réserve et les jeunes. Nous avons beaucoup échangé sur la manière de travailler, ce que je voulais mettre en place et nous étions en phase.
Dans l’ensemble, le staff a été assez aisé à constituer et nous avons gagné pas mal de temps parce ce que la majorité de ceux avec qui je souhaitais collaborer connaissait déjà le club. Dans un autre club, il aurait fallu que nous apprenions à nous connaitre, que ce soit chez les pros ou à la formation. Ici, je connaissais déjà le directeur du centre, le directeur général, etc. Une relation de confiance existait avant mon arrivée comme entraineur principal.
« Je voulais m’entourer de personnes qui soient meilleures que moi sur des aspects spécifiques et que je puisse associer leurs compétences, aux idées directrices du projet de jeu »
Les gens avaient peut-être à me découvrir en tant que numéro un, mais ils se sont assez rapidement aperçus que je n’avais pas changé, que ce soit dans le comportement ou les idées. Je suis d’ailleurs assez content de la complémentarité qui existe au sein du staff. Je voulais m’entourer de personnes qui soient meilleures que moi sur des aspects spécifiques et que je puisse associer leurs compétences, aux idées directrices du projet de jeu.
Je ne connais pas tout, loin de là. Avoir des personnes plus compétentes que soi sur certains aspects est fondamental pour moi. Je ne veux pas que l’on me dise toujours oui, je veux que chacun se sente assez à l’aise pour me dire qu’il n’est pas d’accord. La communication, c’est ce qui fait avancer. Lorsque j’étais l’adjoint de Mécha, nous fonctionnions de la même manière. Nous échangions nos points de vue et c’est ce qui nous permettait d’avancer.
C’est aussi une source d’énergie et de motivation. Pour un entraîneur, c’est énorme de pouvoir s’appuyer sur un staff, sans avoir besoin d’être en alerte permanente sur les aspects liés à la confiance, l’intégrité et bien entendu les compétences. L’intégrité est d’ailleurs la base. Il faut que nous soyons honnêtes les uns avec les autres, que ce soit au sein du staff ou avec les joueurs.
On peut travailler avec des personnes très compétentes, néanmoins, si elles ne sont pas intègres, à un moment donné, cela se retournera contre tout le monde. Dès qu’il y aura une petite faille, ce sera facile de s’y engouffrer. Néanmoins, même s’il ne faut pas se tromper et je suis peut-être chanceux, je pense que l’on peut trouver des gens intègres et qui sont compétents.
Définir une vision est un aspect important dans un projet. Définir cet idéal qui n’est pas immédiatement atteignable, mais qui inspire toutes les parties prenantes du projet, jour après jour. C’est un peu ce à quoi l’on doit aspirer en permanence. Pour vous, quel est cet « idéal » ?
L’idéal, c’est une équipe qui est capable par le jeu, de déséquilibrer beaucoup de systèmes. Une équipe capable de jouer sous pression, dans de petits espaces, d’attirer l’adversaire pour générer des situations de 1c1, des déséquilibres. Je veux que mon équipe ait ces caractéristiques, quel que soit l’adversaire. Lorsque nous étions en difficulté au niveau des résultats, je disais aux joueurs qu’il fallait justement ne pas se focaliser sur cet aspect, car c’est notre projet de jeu qui nous sortirait de cette situation.
Évidemment, dans le sport de haut niveau, à un moment donné, nous sommes jugés sur les résultats, mais en travaillant avec consistance comme nous le faisions à l’entraînement, j’étais convaincu que ce serait la conséquence de tout ce travail. Dès le premier entraînement, nous nous sommes beaucoup focalisés sur les sorties de balle, par exemple.
Dans notre projet de jeu, ces situations sont clés pour déstructurer l’adversaire et créer des zones favorables à nos caractéristiques. L’objectif étant d’arriver dans le camp adverse dans les meilleures dispositions. Les joueurs doivent comprendre que par leur placement, ils vont créer les conditions d’émergence de ces zones ou de ces futures situations de 1c1 qui nous permettront d’être décisifs.
Sur les aspects défensifs, nous cherchons à créer les conditions qui vont nous permettre de récupérer le ballon, plutôt que de subir et espérer. Par ailleurs, notre manière de jouer peut beaucoup nous exposer, à la perte du ballon notamment. Néanmoins, c’est un risque dont je prends la responsabilité, car in fine, je suis convaincu que cela nous rapportera plus de points que cela ne nous en coutera.
J’ai d’ailleurs mis les joueurs à l’aise sur le sujet, afin qu’ils se concentrent sur les bénéfices de jouer de cette manière-là, plutôt que sur d’éventuelles conséquences négatives qui pourraient les paralyser. Si un joueur pense que s’il se manque il sortira de l’équipe, cela peut être difficile psychologiquement et il ne sera pas à 100%.
Ça, c’est l’idéal. Néanmoins, celui-ci va rapidement être confronté à la réalité, notamment lorsqu’on arrive dans un nouveau club. Il y a des joueurs déjà sous contrat et en fonction de ce que l’on veut faire et des joueurs à disposition, il faut déterminer si cet idéal est atteignable en l’état. La priorité étant d’essayer de tirer le meilleur de chacun, en fonction de leurs qualités.
En arrivant, j’ai donc fait un audit de l’effectif à disposition, afin de déterminer la direction à prendre. Ensuite, avec le président, le directeur sportif, nous avons cherché des profils bien précis afin de répondre aux manques identifiés. Un joueur comme Ilan Kebbal a été beaucoup sollicité, mais c’était un joueur très important pour moi parce que dans les derniers 30 mètres et même dans la construction, il est capable de déséquilibrer beaucoup d’équipes.
Je voulais aussi des joueurs de côté, capables de déborder et trouver un joueur comme Pierre-Yves Hamel, qui est aussi décisif dans les 30 derniers mètres, mais avec d’autres qualités. Par exemple, jouer bloc bas avec ce type de joueur afin d’exploiter les transitions ne peut pas fonctionner. Je suis donc parti des joueurs à disposition et en fonction de leurs profils, j’ai essayé de construire une équipe pour performer.
Défensivement, je recherchais des joueurs capables de défendre en 1c1, notamment les centraux. Vouloir chercher l’adversaire le plus haut possible, presser et avoir toujours une sécurité me semble difficile à réaliser. N’ayant pas toujours de couverture, pas toujours une sécurité, il fallait que nous identifiions des profils capables d’être performants dans ces conditions. Il y a toujours cet équilibre à trouver entre ce que l’on veut faire et ce que l’on peut faire. Le projet de jeu se crée en amont, avant la saison, durant la présaison, dans la construction de l’effectif.
Donc l’idéal va venir se confronter à la réalité et ses aléas. Comme je le disais précédemment, dès le début de saison, un certain nombre de joueurs offensifs étaient blessés ou en méforme. Impossible de mettre en place l’organisation que nous avions imaginée. Nous avons dû donc tout changer et nous adapter en fonction des forces en présence.
C’est aussi ce que je trouve intéressant dans ce métier. J’e n’ai jamais changé la philosophie générale, mais en fonction des profils à disposition, nous avons essayé de nous adapter et ça a souvent plutôt bien marché. Néanmoins, si on ne regarde que le résultat, on peut considérer que parfois cela n’a pas fonctionné. En début de saison, il y a beaucoup de matchs où les joueurs ressentaient de la frustration parce qu’ils trouvaient que dans le jeu, ils faisaient jeu égal avec beaucoup d’équipes, mais que nous n’étions pas décisifs.
C’est une évidence, mais ce n’est pas le samedi à 17 h, au moment de la causerie, qu’il faut dire aux joueurs de mettre de l’intensité, de presser, etc. Cela se travaille toute la semaine. En début de saison, c’est un aspect sur lequel j’avais insisté auprès des joueurs. Il y a deux choses sur lesquelles je suis intransigeant : les horaires et surtout, l’intensité à l’entraînement. Les entraînements ne sont pas longs, ils le savent, c’est entre 1 h 10 et 1 h 20. En revanche, il doit y avoir de l’intensité.
Souvent, lorsqu’on parle d’intensité, on fait référence aux aspects physiques, aux courses, aux passes. Néanmoins, l’intensité se situe aussi au niveau du mental et de la concentration. Je pense d’ailleurs que nous avions un gros déficit sur cet aspect. En début de saison, nous avions transmis beaucoup d’informations aux joueurs, notamment par rapport à notre organisation défensive. Lorsqu’on l’explique aux joueurs, cela nous parait évident, mais pour eux, c’est énormément de choses à emmagasiner, à enregistrer. Par ailleurs, en match, la gestion du stress, des émotions, l’adversaire, etc. va
Nous pouvons leur transmettre des clés, mais nous ne pouvons pas prévoir tout ce que fera l’adversaire. Par exemple, si nous arrivons à sortir trois fois le ballon de la même manière, via quelque chose que nous avons travaillé à l’entrainement, l’adversaire va s’adapter. Les joueurs vont donc devoir s’ajuster à la situation, en étant acteurs et maîtres du projet de jeu.
En fonction de ce que nous avons pu travailler, de leur connaissance de la position qu’ils occupent momentanément et de ses effets sur l’organisation de l’adversaire, ils devront peut-être se déplacer d’un ou deux mètres, décrocher un peu plus ou aller un peu plus haut pour créer un espace.
Il n’est donc pas envisageable d’être concentré pendant 95 minutes durant un match, si toute la semaine nous n’avons pas travaillé cette endurance mentale. On peut être performants pendant 92 minutes, mais il suffit d’une minute d’inattention pour faire basculer un match. Pour moi, c’est ce qui est le plus dur à développer aujourd’hui.
Je trouve que c’est un aspect sur lequel nous avons pas mal progressé, notamment sur la défense préventive. En moyenne, les joueurs ont très peu le ballon durant un match, néanmoins, il y a toujours quelque chose à faire. Lorsque vous êtes défenseur, que le ballon est dans la surface adverse, vous devez être encore plus concentré parce qu’à la perte, chaque mètre sera important. Il faut être vigilant à ce qu’il pourrait se passer si nous perdons le ballon.
C’est facile à dire lorsqu’on est coach. On essaye de les préparer à travers l’entrainement, la vidéo, etc., mais durant le match, avec la fatigue, la gestion des émotions, le stress, il faut arriver à rester concentré. En tant que coach, l’influence de la dimension mentale sur la performance est encore un aspect que l’on ne prend peut-être pas encore assez en compte.
Pour vous, cette capacité à rester concentré sur ce qu’ils ont à faire à chaque moment du match est un facteur déterminant de la performance ?
On associe souvent les joueurs de haut niveau à leurs qualités techniques, athlétiques ou tactiques et pour moi, ce qui va vraiment faire la différence, c’est cette endurance mentale. C’est quelque chose qui doit être travaillé la semaine à l’entrainement. Nous essayons d’éprouver la concentration des joueurs à travers le rythme de la séance, la transmission ou pas de consignes, etc.
Par exemple, le gardien a une part prépondérante dans notre projet de jeu, notamment sur l’aspect offensif. Nous l’utilisons beaucoup sur les sorties de balle, pour attirer l’adversaire, etc. En fonction des positions occupés par ses partenaires, il va chercher à jouer dans certaines zones. Cela veut dire qu’il ne peut pas être spectateur, il doit pouvoir anticiper l’évolution du jeu.
C’est un aspect qu’il travaille en spécifique avec Mickaël Boully, mais aussi avec le reste des joueurs au quotidien, dans le jeu. Lorsque nous travaillons les sorties de balle, le gardien est peut-être celui qui touche le plus le ballon. Il a ce rôle dans la construction de notre jeu, dans notre animation offensive. Dans l’animation défensive, il a bien entendu un rôle prépondérant. Si nous voulons presser haut, c’est lui qui sera le mieux positionner pour coordonner la gestion de la profondeur, par exemple.
Un gardien doit être tout le temps en alerte et cela demande beaucoup d’énergie. C’est sur cet aspect qu’un jeune gardien comme Obed Nkambadio, mis à part ses qualités, m’a le plus étonné. Cette faculté à gérer l’événement, gérer les émotions et à maintenir sa concentration sur la quasi-totalité d’un match.
Le gardien doit être inclus au projet de jeu et nous étions dès le début en phase avec Mickaël. Il fallait que nous parlions le même langage afin qu’il y ait de la cohérence entre le projet de jeu, l’entrainement et l’entrainement spécifique. Quand un gardien rejoint le reste du groupe durant la séance, il doit y avoir de la continuité avec ce qu’il a travaillé avant. Le gardien est un joueur de l’équipe à part entière.
Aujourd’hui, c’est peut-être le joueur de déséquilibre le plus important dans une équipe. On le voit à très haut niveau, c’est un joueur qui peut déséquilibrer par la passe ou par son placement. Cependant, même si l’évolution du règlement et le développement du jeu au pied chez les gardiens ont favoriser l’émergence de ces aspects, la protection du but reste fondamentale.
Avec l’évolution du jeu et de ses règles, les fonctions remplies par le gardien de but se sont étoffées. En ce sens, comment avez -vous appréhendé le choix du gardien qui répondrait le mieux aux exigences de votre projet de jeu ?
Avec Mickaël, nous avons d’abord échangé sur ce que je voulais mettre en place et ce que je voulais que le gardien soit capable de faire. En fonction de cela et des gardiens à disposition, il m’a présenté les caractéristiques de chacun et leur adéquation avec le projet de jeu. Nous avons commencé la saison avec Ivan Filipović dans le but, car à ce moment-là, c’est lui qui répondait le mieux à ce que nous voulions mettre en place.
Par la suite, j’ai pris la décision avec Mickaël de lancer Obed, après l’avoir longuement observé à l’entrainement. Sans avoir de certitudes quant au résultat, je trouvais qu’à ce moment-là, il montrait des choses en séance qui étaient intéressantes pour le développement de notre projet de jeu.
Aujourd’hui cette décision nous donne raison à tous les deux, parce que c’est Mickaël qui travaille avec lui depuis des années et que je lui ai donné sa chance à un moment où c’était très compliqué pour nous, car nous n’étions pas dans une position très avantageuse au classement.
Cela a forcément été une situation difficile pour Ivan, mais j’ai essayé d’être honnête. Je lui ai dit que je savais que c’était un bon gardien, mais qu’aujourd’hui, dans ce que je voulais mettre en place, il me semblait qu’Obed était le choix le plus adapté.
Le métier d’entraineur, c’est aussi faire des choix. Ce sont des situations qu’il faut affronter parce que sinon, on perd la confiance du groupe. Je n’ai pas la science infuse, je me trompe, mais quand je dis quelque chose, je le fais en fonction de mes convictions, de mon analyse de la situation et en essayant d’être le plus honnête possible.
Ensuite la perception de la justesse de ces choix appartient à chacun. Un joueur pourra toujours considérer que je l’ai mal jugé et cela ne l’empêchera pas de réussir ailleurs. C’est souvent une question d’adéquation entre un profil, un groupe, un coach, un club.
Les sorties de balle ont une place importante dans votre projet de jeu. Comment abordez-vous la préparation du prochain match sur cet aspect et comment les gardiens sont intégrés à ce processus ?
Nous avons par exemple trois sorties de balle principales, que nous travaillons à l’entrainement. Néanmoins, l’adversaire va conditionner ce que nous allons faire et c’est là que le gardien va jouer un rôle important. Comme nous, l’adversaire va préparer le match et fermer l’accès à certains espaces pour nous mettre en difficulté et notre gardien devra être en mesure d’analyser la situation, détecter les supériorités, pour nous permettre de nous adapter. En ce sens, en début de semaine, nous allons essayer de prendre un temps d’avance, en sensibilisant le gardien à certains aspects en séance.
Nos principes vont rester les mêmes, mais nous allons essayer de faire émerger des solutions en fonction de ce que nous avons pu analyser à la vidéo, du comportement de notre prochain adversaire sur cette phase du jeu. Lors des mises en place tactiques, les dix joueurs qui devraient être titulaires vont affronter une équipe qui essayera de simuler le comportement de notre prochain adversaire pour se rapprocher de la réalité.
Parfois, pour voir la capacité du gardien à s’adapter à la situation, nous intégrons des comportements différents de ce qui a été vu à la vidéo. Le but est de maintenir le gardien en alerte afin qu’il ne fasse pas les choses machinalement, mais qu’il analyse réellement les situations.
Nous présentons l’adversaire à l’ensemble des joueurs le mercredi. Je trouve que c’est bien que les joueurs voient l’animation offensive et défensive de l’adversaire, ses points forts, ses points faibles, à ce moment-là, parce qu’ils vont pouvoir visualiser pourquoi nous voulons faire les choses de telle ou telle manière.
Si nous expliquons ce que nous attendons sans ce support vidéo, le travail durant la séance ne sera pas optimal. Le jeudi, nous passons sur les coups de pied arrêtés offensifs et défensifs. Nous présentons le gardien adverse le vendredi ou le jour du match. Le samedi, je fais une causerie légère, avec de petits résumés de ce qui a été vu durant la semaine. Je pense qu’il ne faut pas leur présenter tout d’un coup, car mentalement cela peut représenter une charge importante.
Exemple : sortie de balle travaillé à l’entrainement
Exemple : sortie de balle durant un match
A la lumière de votre parcours, de tous les pays dans lesquels vous avez travaillé, qu’avez-vous appris sur la nature humaine ?
L’homme est foncièrement bon. Partout où je suis allé, quelle que soit la culture ou la religion, j’ai vécu des moments exceptionnels. J’y suis allé en essayant de m’adapter à la culture de chaque pays, en essayant de découvrir et d’aller à la rencontre des gens.
J’ai travaillé en Bosnie où il y avait eu la guerre treize ou quatorze ans avant. Il y avait encore des stigmates de cette guerre dans le pays, mais lorsqu’on voit la mentalité des gens, cela fait réfléchir. Les gens étaient contents de pouvoir partager un café, parce que quelques années auparavant ils vivaient sous les bombes.
Vivre dans ce pays et voir la joie de vivre de gens qui pour la plupart non pas un niveau de vie élevé m’a énormément apporté. Je pense que c’est quelque chose qu’on ne peut pas apprendre dans les livres. Je me réjouis aussi que mes enfants aient pu vivre au Maroc, au Qatar, qu’ils aient découvert différentes régions françaises aussi.
Sans forcément aller à l’étranger, cela leur a permis de découvrir d’autres mentalités. Humainement c’est très enrichissant. Je vis de ma passion et surtout humainement, j’ai rencontré, j’ai voyagé, j’ai vu des choses que je n’aurais peut-être pas vues, donc je suis doublement chanceux.
Rejoignez + de 4500 passionnés en vous abonnant à notre newsletter et recevez nos entretiens, directement par e-mail.