Maître de Conférences en Psychologie du Sport et de la Performance, spécialiste des sports collectifs, Mickaël Campo est aussi responsable du Pôle de psychologie du sport de la FFR (PMAS) et de la préparation mentale des équipes de France de Rugby. Il est par ailleurs président de la Société Française de Psychologie du Sport.
Il nous propose un éclairage sur la dimension mentale de la performance en sports collectifs.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Pourquoi modéliser la performance devrait être la première réflexion menée par les entraîneurs, en approchant cet exercice à travers une perspective systémique ?
La modélisation de la performance, c’est la vision que l’on a de la performance. Nous pouvons la concevoir avec des œillères, à travers le prisme de quelques variables physiques ou techniques par exemple, ou nous pouvons la concevoir comme le résultat de l’interaction d’une multitude de facteurs, mais également d’acteurs de cette performance. Cela nous donne une vision plus élargie, plus complexe, et donc plus réaliste de ce qu’est la performance.
La performance, c’est le résultat d’interactions entre des individus au sein d’une équipe, et appartenant à une structure, avec son histoire, sa culture, son fonctionnement. Lorsqu’il s’agit d’un collectif, le groupe doit être considéré comme une entité à part entière, qui n’est pas qu’une somme d’individus. Les sports collectifs, comme c’est le cas pour le rugby ou le football, sont éminemment complexes et riches d’interactions sociales.
Modéliser la performance, c’est donc tenter l’exercice intellectuel d’identifier les facteurs et les acteurs en interaction qui vont favoriser la réalisation de la performance voulue. C’est également le témoin indirect de sa propre conception de la performance.
« Les sports collectifs, comme c’est le cas pour le rugby ou le football, sont éminemment complexes et riches d’interactions sociales. Modéliser la performance, c’est donc tenter l’exercice intellectuel d’identifier les facteurs et les acteurs en interaction qui vont favoriser la réalisation de la performance voulue »
Néanmoins, on ne peut pas tout modéliser. Il y a toujours des éléments qui nous échappent ou qui ne sont peut-être pas prioritaires, mais qui sont aussi importants à considérer. En ce sens, le modèle systémique de la performance en rugby (MSPR) que nous avons conçu à partir de la littérature scientifique s’applique aux sports collectifs de manière générale et est une espèce de cartographie des possibles, pour optimiser la performance, et comprendre les maux parfois qui régissent la contre-performance.
Envisager la performance de manière systémique revient, par exemple, à envisager le travail associé à une contre-performance technique apparue au cours du jeu, sous diverses perspectives. Nous pourrions travailler directement sur la réalisation technique, mais nous pourrions aussi appréhender ce chantier d’un point de vue psychologique. Nous pourrions également l’aborder en observant les interactions entre partenaires, en travaillant sur l’atmosphère de la relation entraîneur-entraîné, qui elle-même dépend de l’atmosphère et des valeurs du club, des relations avec les dirigeants, etc. C’est une ouverture vers un ensemble de possibilités et c’est ce qui rend passionnante la réflexion sur l’optimisation de la performance.
Dans votre modélisation des facteurs d’influence de la performance individuelle (en rugby), les émotions, la motivation et la confiance en soi forment le triptyque de base du potentiel humain. Ce triptyque joue un rôle majeur, étant donné qu’il exerce une influence directe sur la capacité du joueur à mobiliser l’ensemble de ses habiletés de manière optimale à un instant T et/ou dans la durée. En parallèle, c’est son habileté à réguler ses émotions qui lui permettra de conserver l’équilibre du triptyque, donc in fine d’être performant. Quelle est la réflexion qui vous a menée à cette conceptualisation ?
Sur la base de modèles existants, nous n’étions pas satisfaits par les différentes approches conceptuelles, mais aussi par l’identification des facteurs existants. Par ailleurs, le modèle que nous avions dans le rugby, conceptualisé dans les années 2000, commençait à mettre en avant l’importance des aspects mentaux, mais il manquait un certain nombre d’éléments. Nous avons donc fait le choix d’étudier l’ensemble de la littérature scientifique, ainsi que la littérature plus appliquée.
C’est comme cela que nous avons commencé à essayer d’identifier quels étaient les facteurs d’influence de la performance. Les facteurs de base sont les aspects techniques, tactiques, cognitifs, sociaux, et physiques, et nous nous sommes assez vite rendu compte, à la lecture des différents travaux dans le champ de l’optimisation de la performance, que ces habiletés de base sont influencées par les états émotionnels.
Pour faire simple, si vous êtes plus ou moins anxieux, plus ou moins stressé, cela peut exercer une influence sur la tension musculaire, les faisceaux attentionnels, la mémorisation, la prise de décision, le rythme cardiaque ou encore les interactions sociales. Potentiellement, cela peut exercer une influence sur l’ensemble des habiletés qui sont à la base de la performance et donc jouer sur le potentiel de mobilisation de vos capacités.
« Nous nous sommes assez vite rendu compte, à la lecture des différents travaux dans le champ de l’optimisation de la performance, que ces habiletés de base sont influencées par les états émotionnels »
Néanmoins, les états émotionnels ne sont pas la performance. Un individu peut extrêmement bien réguler ses émotions, malgré tout, s’il ne sait pas réaliser une passe, il ne sera jamais un bon joueur de football ou de rugby. À l’inverse, nous connaissons tous un grand nombre d’histoires concernant de jeunes joueurs qui avaient d’excellentes habiletés de base, mais qui ont été incapables de mobiliser ce potentiel en situation de compétition. L’état émotionnel est un mobilisateur, un catalyseur des potentialités de l’athlète.
Le triptyque de base du potentiel humain s’articule effectivement autour de la confiance en soi, la motivation et l’état émotionnel. Les approches cognitives des émotions, à travers les modèles de Lazarus ou encore de Scherer, par exemple, montrent que la nature de l’émotion ressentie par une personne dépend de l’importance qu’elle attache à ce qui se produit. C’est ce côté motivationnel du triptyque. Par ailleurs, elle sera également influencée par le fait de se sentir plus ou moins capable de faire face à la situation : un sentiment de compétence que nous avons vulgarisé sous l’appellation de confiance en soi.
La motivation et la confiance influencent alors l’état émotionnel, lequel affecte ensuite les habiletés de base à la source de la performance. Il y a donc une certaine réciprocité entre tous ces éléments. Si la performance n’est pas bonne, elle aura un impact négatif sur la confiance en soi et la motivation. Ces dernières influenceront alors les émotions, qui affecteront à leur tour tous les autres facteurs.
Il existe donc une dynamique qui fait que tous ces facteurs s’influencent mutuellement. Néanmoins, pour rester sur quelque chose d’un peu séquentiel et juste pour l’exercice intellectuel, le schéma est le suivant : les émotions sont influencées par la confiance en soi et la motivation. Ces émotions influencent ensuite les capacités du joueur, son potentiel, qu’il doit mobiliser lors d’un match.
Vous êtes enseignant-chercheur à l’université de Bourgogne, mais aussi responsable de la préparation mentale à la Fédération française de rugby. Comment définiriez-vous ces rôles et le lien qui peut exister entre eux ?
À l’université, je suis effectivement enseignant-chercheur. Je forme donc des étudiants et je mène des recherches. Je suis spécialisé dans le domaine de la psychologie du sport, appliquée à la performance dans les sports collectifs, avec une spécificité sur les émotions et la dynamique de groupe, c’est-à-dire sur le côté collectif des émotions.
Je m’intéresse plus particulièrement à ce que nous appelons les processus identitaires, c’est-à-dire à l’influence du sentiment d’appartenance au groupe sur ce que l’individu va ressentir et ce que le groupe va collectivement ressentir. Ceci inclut tous les effets de contagion émotionnelle qui peuvent exister, comme ces défaillances collectives que l’on peut assez largement identifier dans différents matchs, à l’image des fameuses remontadas au football, par exemple.
Je dirige aussi le projet TEAM SPORTS, financé dans le cadre des Jeux olympiques avec les cinq fédérations de sports collectifs majeures : football, rugby, basket, handball et volley. Dans le cadre de ce projet, nous nous intéressons à l’influence de ces processus identitaires. Qu’est-ce qui fait qu’un joueur ou une joueuse s’identifie plus ou moins avec le groupe et qu’il ou elle, est plutôt centré sur lui-même ou elle-même ? Quelles sont les influences de ces niveaux identitaires, donc cette appartenance au groupe, sur les différents facteurs de la performance ?
« Je m’intéresse plus particulièrement à ce que nous appelons les processus identitaires, c’est-à-dire à l’influence du sentiment d’appartenance au groupe sur ce que l’individu va ressentir et ce que le groupe va collectivement ressentir »
Le projet a aussi un aspect technologique, à travers le développement d’outils s’appuyant sur la réalité virtuelle, mais aussi le tracking vidéo, afin d’analyser le body langage notamment. Ces éléments permettant d’avoir une compréhension plus fine de la dynamique de groupe, plus précisément, de l’état émotionnel du groupe. Ce sont des outils que nous avons utilisés avec le XV de France lors de la Coupe du monde 2023, notamment un qui nous permet d’évaluer le rapport de force psychologique, par exemple.
Cet outil de mesure indirecte du stress collectif nous permet de savoir quel est l’état du groupe en tant qu’entité, tout au long d’un match. Nous pouvons observer la dynamique psychologique d’un match, le rapport que nous entretenons avec l’adversaire, parce que si nous sommes plus ou moins stressés, cela signifie que l’adversaire entretient probablement une dynamique similaire.
Nous pouvons savoir comment nous jouons lorsque nous sommes plutôt bien (temps forts), comment nous nous comportons dans les temps non joués lorsque nous sommes plutôt dans un temps faible, et à l’aide de ces métriques, nous cherchons à améliorer notre performance en travaillant sur l’optimisation des comportements d’expression émotionnelle comme sur l’adoption de stratégies de jeu en réponse à la dynamique du match.
« Nous pouvons observer la dynamique psychologique d’un match, le rapport que nous entretenons avec l’adversaire, parce que si nous sommes plus ou moins stressés, cela signifie que l’adversaire entretient probablement une dynamique similaire »
Ces métriques sont le résultat d’un travail effectué, notamment, par nos data scientists. Nous avons pu les utiliser pendant la Coupe du monde de rugby en 2023, ainsi que depuis 2022 lors du Tournoi des Six Nations. Nous avons choisi l’appellation rapport de force psychologique pour faciliter la compréhension des joueurs et des entraîneurs, plutôt que d’utiliser le terme « mesure de stress collectif », mais c’est exactement l’idée du projet.
Par ailleurs, comme il est plutôt intéressant d’aller sur le terrain pour comprendre les problématiques et faire en sorte que les recherches optimisent la performance, le département d’accompagnement à la performance de la FFR adopte une approche d’accompagnement scientifique auprès des équipes de France. Je pilote donc la préparation mentale des équipes de France de rugby en épousant une approche d’accompagnement scientifique, dans le domaine des sciences humaines.
Au-delà des équipes de France, mon rôle est de structurer l’ensemble du projet fédéral en ce qui concerne la dimension mentale : des écoles de rugby au XV de France en passant par nos équipes olympiques. Il y a donc trois volets : la préparation mentale, la structuration de projet et le volet recherche, développement et innovation.
Pourquoi est-il fondamental de recourir à un accompagnement scientifique, pour toute organisation sportive aspirant à être compétitive à haut-niveau ?
Je vais me concentrer sur mon domaine d’expertise, même si cela va faire écho aux généralités sur l’accompagnement scientifique. Nous avons accumulé pendant des décennies des connaissances scientifiques dans le domaine de la psychologie du sport. Il serait complètement inconcevable de passer à côté de cela.
Si nous n’avions pas de connaissances et que nous devions avancer à tâtons, il serait compréhensible que nous ne fonctionnions que par empirisme ou en suivant une approche collective orientée par un leader en mode « chef de meute ». Néanmoins, il y a plus de cent ans de recherche dans le domaine de la psychologie du sport et posséder ces connaissances scientifiques pour ne pas les utiliser, relèverait presque de la « faute professionnelle ». Mais pour les mobiliser, il faut d’abord qu’elles leur soient accessibles.
Cette question soulève davantage la formation des encadrements sportifs, que ce soit les entraîneurs, comme les préparateurs mentaux. Ces derniers souffrent à l’heure actuelle d’une absence de réglementation du métier qui entraine un manque d’obligation de prérequis de formation, et laisse parfois la porte ouverte à des personnes peu ou mal formées à exercer en tant que préparateur mental.
« Il y a plus de cent ans de recherche dans le domaine de la psychologie du sport et posséder ces connaissances scientifiques pour ne pas les utiliser, relèverait presque de la « faute professionnelle »
Aujourd’hui, la question ne se pose pas sur les aspects physiologiques. Il existe des connaissances précises, ou des tests références en préparation physique permettant de mesurer la VMA, par exemple, et ces derniers sont justement utilisés parce qu’ils ont été validés scientifiquement. C’est exactement la même chose sur les aspects psychologiques.
Nous utilisons des outils psychométriques pour évaluer certaines compétences, certaines capacités, certains états et ils sont validés scientifiquement. Ce serait ahurissant de ne pas les utiliser, voire d’en utiliser d’autres qui sont connus pour n’avoir aucune valeur scientifique. C’est-à-dire qu’ils ne mesureraient pas vraiment ce qu’ils devraient mesurer. À très haut niveau, l’optimisation de la performance, c’est millimétrer tout ce que l’on peut faire, et nous devons tendre vers cet objectif, même dans la dimension psychologique.
Nous avons beaucoup de connaissances sur la dynamique de groupe et son lien avec les émotions par exemple. Ces dernières nous permettent de savoir comment peaufiner notre travail dans ce domaine. À titre d’illustration, nous avons par exemple publié une étude suggérant que les émotions collectives ont plus d’impact sur la performance que les émotions individuelles. Cela vient questionner toute la préparation mentale traditionnelle en la complétant par de nouvelles perspectives qui viennent alors davantage coller aux réalités de la performance en sports collectifs.
L’accompagnement scientifique en sport, c’est ce qui vient tester l’intuition ou la subjectivité et l’expertise de l’entraîneur-chef de projet, en lui apportant des données et des connaissances supplémentaires, afin qu’il puisse en toute connaissance ou conscience, optimiser son modèle de performance.
« Nous avons par exemple publié une étude suggérant que les émotions collectives ont plus d’impact sur la performance que les émotions individuelles. Cela vient questionner toute la préparation mentale traditionnelle en la complétant par de nouvelles perspectives qui viennent alors davantage coller aux réalités de la performance en sports collectifs »
La psychologie du sport étant une science humaine, on peut avoir l’impression que tout le monde peut s’en emparer au titre d’une apparente, mais fausse, simplicité en comparaison avec les sciences de la vie. C’est souvent ce qui amène à des analyses « de comptoir » que l’on peut voir émerger ici ou là, empreinte de biais cognitifs majeurs, mais qui pourtant viennent parfois colorer les décisions prises en termes d’optimisation de la performance.
Les sciences humaines sont éminemment complexes, et la haute performance nécessite indéniablement des experts capables non seulement d’avoir un haut niveau de connaissances, mais aussi une haute capacité à les traduire en applications adaptées au contexte de la performance en sports collectifs. Au sein de nos équipes de France, tous les intervenants ont un doctorat en psychologie du sport. Ils s’appuient tous sur un solide parcours universitaire afin de pouvoir optimiser nos pratiques. Ce sont donc des chercheurs, mais ce sont aussi des praticiens.
« L’accompagnement scientifique en sport, c’est ce qui vient tester l’intuition ou la subjectivité et l’expertise de l’entraîneur-chef de projet, en lui apportant des données et des connaissances supplémentaires, afin qu’il puisse en toute connaissance ou conscience, optimiser son modèle de performance »
L’accompagnement scientifique, comme il a été pensé en prévision des Jeux olympiques, c’est aussi essayer d’avoir un temps d’avance sur les autres nations. Nous savons que le temps de la recherche est un temps qui est long. Le temps que la recherche se fasse et que cela arrive sur le terrain, il faut entre sept et dix ans, si toutefois cela arrive. Il est donc nécessaire d’être à la manœuvre pour accélérer le transfert de connaissances et du coup une accélération de la compétitivité à l’international. Cela permet d’être en veille sur toutes les dernières recherches, mener nos propres études, et ainsi améliorer nos modèles de fonctionnement.
L’accès à une cellule de recherche ou à de l’accompagnement scientifique permet aussi aux entraîneurs de se poser des questions et d’avoir immédiatement des réponses s’appuyant sur des études qui n’ont pas eu encore le temps d’être publiées ou valorisée par le temps long.
Le projet TEAM SPORTS matérialise cette approche. À travers celui-ci, nous produisons des connaissances qui ne sont pas encore publiées, parce que cela prend du temps et qu’il y a justement cet effet « compétition internationale », mais les entraîneurs peuvent déjà bénéficier des premiers résultats. L’accompagnement scientifique, c’est arriver à optimiser et chercher à « millimétrer » le modèle de performance, en gardant un temps d’avance sur nos concurrents.
Les non-spécialistes peuvent rencontrer des difficultés à appréhender la dimension mentale, les modèles de performance et acteurs associés, d’autant plus si nous prenons en compte la composante interpersonnelle des sports collectifs. Comment définiriez-vous la préparation mentale dans ce contexte ?
La préparation mentale, c’est l’optimisation des compétences psychosociales liées à la performance et à la promotion du bien-être des athlètes, des équipes et des acteurs du sport. Actuellement, nous travaillons sur le cadrage institutionnel d’un métier qui n’est pas reconnu légalement, tout comme la préparation physique dans l’absolu.
Aujourd’hui, tout le monde peut se prétendre préparateur mental, cela crée un certain flou et de la confusion. Lorsque les organisations veulent se structurer sur ces aspects, il est difficile pour elles d’identifier ceux avec lesquels elles peuvent collaborer.
Si un interlocuteur a accès à un président de club ou à un responsable de fédération qui n’a pas réellement de connaissance dans ce domaine, s’exprimer d’une manière assez convaincante peut suffire parfois à l’amener à croire qu’il sait parfaitement de quoi il parle. Cela participe à la création de modèles de performance dont les fondations ne sont pas robustes. À l’heure actuelle, il y a clairement un manque de sensibilisation au sein des structures. Un certain nombre de clubs ont l’ambition d’avancer dans ce domaine, mais ils ne sont pas convenablement accompagnés.
« La préparation mentale, c’est l’optimisation des compétences psychosociales liées à la performance et à la promotion du bien-être des athlètes, des équipes et des acteurs du sport »
Ils peuvent rapidement se retrouver confrontés à des interprétations qui avoisinent la dimension mentale, avec des personnes qui parfois sont très peu, pas du tout ou très mal formées. Des personnes qui ne sont pas au fait de ce que peuvent être les connaissances en psychologie du sport, de ce que peut être la robustesse ou la notion d’évidence scientifique et qui renforce finalement les approximations. C’est ce qui peut amener du scepticisme vis-à-vis de la dimension mentale. Ils essaient, voient que cela ne fonctionne pas trop bien et que cela provoque parfois des dégâts, alors ils s’en éloignent.
Nous rencontrons régulièrement des personnes qui avaient cette façon d’entrevoir la préparation mentale, et lorsque nous leur montrons le modèle que nous avons développé à la FFR, ils sont surpris par ce que mobilise cette dimension. Nous avons développé une approche robuste, qui répond aux besoins du terrain et les personnes qui travaillent sur cette approche sont extrêmement bien formées.
Un autre aspect qui participe un peu à cette nébulosité c’est que la préparation mentale, traditionnellement, est centrée sur l’individu. Nous avons peu d’experts formés à toute la psychologie sociale appliquée au sport, c’est-à-dire aux complexités et aux réalités de ce qu’est finalement le sport collectif.
C’est ce qui fait que parfois, même avec des personnes bien formées et expérimentées, cela ne marche pas, parce que les cultures, les écosystèmes et les attendus sont différents de l’approche individuelle et du préparateur mental « de cabinet ». Par exemple, en sports collectifs, le préparateur mental peut être « staffé », et ce détail change déjà tout. Les concepts individuels sont également entrevus au prisme de l’appartenance groupale, comme les vécus émotionnels qui sont interrogés à la lumière des phénomènes de contagion.
« La préparation mentale, traditionnellement, est centrée sur l’individu. Nous avons peu d’experts formés à toute la psychologie sociale appliquée au sport, c’est-à-dire aux complexités et aux réalités de ce qu’est finalement le sport collectif »
Cette confusion ouvre des brèches terribles à des individus qui cherchent à se mettre en lumière au-delà du projet, du sens du « nous ». Ces personnes interviennent plutôt en fonction de leurs intérêts individuels, dans une démarche mercantile et parfois quelque peu narcissique, et cela peut vite friser avec un certain manque d’éthique.
L’effet Dunning-Kruger est aussi à prendre en compte. Certaines personnes se pensent compétentes et œuvrent comme si elles l’étaient, sans avoir de recul sur leur niveau de compétence réel. Elles pensent pouvoir tout faire en préparation mentale et peuvent avoir une pratique inadaptée. Un des risques, pour les joueurs comme pour les staffs, c’est de faire venir des personnes non compétentes dans des sphères très mises en lumière et d’en faire un modèle de performance. Cela peut favoriser la propagation de copier-coller, comme on peut l’observer dans d’autres domaines, sans forcément de réflexion approfondie, ce qui a aussi un potentiel de nuisance très fort.
Au quotidien, l’entraîneur exerce une influence importante sur la dimension mentale. En ce sens, il pourrait être considéré comme le « premier préparateur mental des joueurs et de l’équipe ». Néanmoins, n’étant généralement pas un spécialiste, comment appréhender ce rôle de manière optimale ?
Lorsque nous avons utilisé cette métaphore de l’entraîneur, comme premier préparateur mental des joueurs de l’équipe, c’était pour faire comprendre l’importance capitale de l’entraîneur sur les états émotionnels de l’équipe et du groupe. Vous pouvez avoir le meilleur préparateur mental du monde, si vous avez un entraîneur qui est fracassant, cela restera un contexte de pratique qui est fracassant, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les états mentaux des joueurs et de l’équipe.
En ce sens, l’entraîneur a une place capitale dans cette dimension mentale. Ce n’est pas un préparateur mental pour autant, cela reste une métaphore. Tant qu’il n’a pas de formation solide, c’est-à-dire validée par un master en psychologie du sport ou un DU, c’est difficile de se proclamer préparateur mental.
« Vous pouvez avoir le meilleur préparateur mental du monde, si vous avez un entraîneur qui est fracassant, cela restera un contexte de pratique qui est fracassant, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les états mentaux des joueurs et de l’équipe »
En revanche, la formation de l’entraîneur reste le pilier de tout ce système. À la FFR, lorsque nous avons commencé à structurer ce projet, la première chose que nous avons mise en place, c’est une formation spécifique aux entraîneurs dans cette dimension-là.
Nous ne leur apprenons pas à être des préparateurs mentaux, nous leur apprenons à mobiliser les connaissances en psychologie du sport pour optimiser leurs propres pratiques d’entraîneur ou de manager. Cela leur donne des clés pour comprendre ce qu’est la dimension mentale et savoir avec qui ils peuvent ou pas travailler. Donc le levier principal reste la formation des éducateurs et des entraîneurs, à tous niveaux.
En ce sens, nous avons un projet de thèse CIFRE avec la Ligue AURA de rugby et la FFR. Un doctorant travaille sur les programmes de formation des éducateurs sportifs, afin que l’activité rugby permette le développement des compétences psychosociales et l’épanouissement des enfants en école de rugby, et de nos jeunes talents en académie Pôle Espoirs. Nous souhaitons d’ailleurs que cela puisse être un facteur de labellisation de nos écoles de rugby.
« La connaissance permet de ne pas se laisser abuser par la subjectivité. C’est ce que permet la formation, c’est ce qui va amener l’éthique, la déontologie dans la pratique et que les décisions soient très éclairées »
La formation des éducateurs et des entraîneurs est fondamentale. Tant qu’ils ne seront pas formés, ils ne sauront pas comment interagir avec cet écosystème de la préparation mentale, avec toutes les nébulosités que nous avons abordées précédemment.
C’est la même chose pour les présidents de clubs, les dirigeants ou les décisionnaires. La connaissance permet de ne pas se laisser abuser par la subjectivité. C’est ce que permet la formation, c’est ce qui va amener l’éthique, la déontologie dans la pratique et que les décisions soient très éclairées.
La forte pression, inhérente au sport de haut niveau et la (sur) médiatisation qui existe dans certains sports, peut amener l’entraineur à perdre ses repères en adoptant des comportements contraires à l’éthique du sport ou en inadéquation avec ses valeurs en tant qu’individu, notamment lorsque les résultats sont moins bons. Que peut-il mettre en place afin de se prémunir contre ces effets ?
La sphère de la haute performance est de toute façon contrainte par des approches court-termistes de résultat. Pour les dirigeants d’un club professionnel, il est difficile d’affirmer « peu importe si nous gagnons ou perdons, si nous descendons, ce n’est pas grave. Ce qui compte c’est le long terme et la vision ». La vision systémique permet justement de prendre en compte ces différentes complexités, donc ces différentes temporalités.
À haut niveau, il y a besoin de résultats puisque c’est aussi la raison d’être des équipes. Il y a donc forcément une certaine forme de pression et une gestion, qui ne sont pas critiquables lorsqu’on n’y est pas soi-même quotidiennement confronté. Le métier d’entraîneur est difficile. Néanmoins, l’une des observations que nous pouvons faire, c’est que parfois, lorsque ça ne va pas, il y a une espèce d’affolement qui peut apparaitre et qui peut amener à changer les décisions, à changer le cap à la suite d’une défaite ou qu’une contre-performance par exemple.
Il peut parfois y avoir un manque de prise de recul lorsque nous nous retrouvons dans une situation stressante. Ceci peut pousser à tout analyser à travers le prisme de la contre-performance, en oubliant que finalement, l’équipe avait bien performé les mois précédents et qu’il est davantage pertinent de se focaliser sur les éléments du modèle d’entraînement qui pourraient minimiser ce « temps faible ».
« À haut niveau, il y a besoin de résultats puisque c’est aussi la raison d’être des équipes. Il y a donc forcément une certaine forme de pression et une gestion, qui ne sont pas critiquables lorsqu’on n’y est pas soi-même quotidiennement confronté. Le métier d’entraîneur est difficile »
Une manière de lutter contre cela, si tant est qu’il y en ait une réellement, c’est de ne pas négliger la vision à long terme. Même si à très haut niveau, il est difficile de complètement mettre de côté le résultat, oublier la construction à long terme est une erreur. Sans cette vision, on ne sait plus à quoi se rattraper lorsque nous rencontrons des difficultés. Les fondations n’existant pas, la structure sera encore plus ébranlée.
Il est très difficile d’être ultra performant tout le temps, il y a toujours des aléas. Cette construction des fondations et de la vision à long terme est importante, parce qu’elle va servir de cap. Souvent, lorsqu’il y a cette déviance, c’est aussi parce que les fondations ne sont pas très clairement identifiées. À haut niveau, en tout cas dans le rugby et de ce que je peux voir aussi dans d’autres sports, les entraîneurs et les clubs ont cette vision. Ce qui est important, c’est : est-elle partagée par l’ensemble des acteurs de l’écosystème, allant des joueurs aux dirigeants de club ?
« Dans des activités où les entraîneurs sont assez facilement démis de leurs fonctions, il est difficile de construire une vision à long terme et il me semble qu’une partie de la réflexion à mener peut également se situer ici. Mettre en place des entraîneurs qui s’inscrivent dans cette vision à long terme et qui soient confortés, même quand c’est plus difficile, serait à mon sens beaucoup plus constructif qu’une approche de micromanagement par le stress finalement »
Même si je n’ai pas de visibilité sur tous les écosystèmes du sport français, je reste convaincu que cette vision à long terme existe. La difficulté se situe dans le management du court terme, avec les aléas de performance qui vont avec, tout en construisant petit à petit le long terme. Cependant, dans des activités où les entraîneurs sont assez facilement démis de leurs fonctions, il est difficile de construire une vision à long terme et il me semble qu’une partie de la réflexion à mener peut également se situer ici. Mettre en place des entraîneurs qui s’inscrivent dans cette vision à long terme et qui soient confortés, même quand c’est plus difficile, serait à mon sens beaucoup plus constructif qu’une approche de micromanagement par le stress finalement.
S’il n’y a pas la possibilité de mettre en place et d’assurer un entraîneur sur un temps assez long pour qu’il puisse construire, il faut peut-être faire en sorte que la construction à long terme soit réalisée par d’autres personnes que les entraîneurs principaux. Des personnes qui restent au club pour pouvoir faire perdurer ce modèle qui veut être mis en place. C’est ma vision de « non-dirigeant », et peut-être qu’un président de club ou un financeur verrait certainement tout cela différemment. C’est aussi la beauté de ce système complexe.
Si on observe le modèle développé par la FFR, il y a un département d’accompagnement à la performance qui a su développer cette stabilité, dirigé par Julien Piscione. Cela permet de construire à long terme, quels que soient les entraîneurs qui sont dans nos équipes de France. Du coup, les entraîneurs qui passent à la tête des équipes peuvent bénéficier de cette expertise et de ce modèle, tout en apportant leur touche au niveau de leur équipe.
À la FFR, comment accompagnez-vous les entraineurs sur ces aspects ?
À la FFR, le pôle de psychologie du sport s’appelle le pôle de préparation mentale et d’accompagnement des staffs (pôle PMAS). Nous avons donc deux orientations : une sur l’optimisation de la performance à travers la préparation mentale, l’autre sur l’accompagnement des staffs. Sur ce dernier point, nous pouvons accompagner les membres des staffs individuellement dans leur développement personnel, ou accompagner nos staffs dans leur efficience managériale.
Nous avons la chance d’avoir dans tous les staffs des équipes de France des entraîneurs ou des managers qui sont passés par la formation que l’on a proposée en interne (Certificat de Compétence à l’Accompagnement mentale en Rugby), voire par le DU Optimisation de la Haute Performance Collective qui est une formation issue du TEAM SPORTS et qui a la particularité d’être unique en Europe par sa spécialité en psychologie de la performance en sports collectifs.
Lorsqu’on regarde le travail qui est fait par les staffs du 7 Olympique ou sur les jeunes, notamment les moins de 20 ans qui sont trois fois champions du monde, cela tourne plutôt bien, et l’accompagnement n’a pas besoin d’être au quotidien. Nous nous adaptons aux besoins, et dans certains cas, nous n’allons travailler qu’avec l’entraîneur afin qu’il puisse optimiser sa performance avec les joueurs. Dans d’autres cas, nous allons faire de l’accompagnement scientifique en collectant des données et en proposant des feedbacks. Nous pouvons aussi intervenir sur la préparation mentale avec les joueurs, que ce soit en individuel comme en collectif.
Si nous nous focalisons sur le joueur, quelles seraient les habiletés mentales principales à développer pour être performant dans un sport collectif (bien que chaque activité ait ses spécificités) ?
En sports collectifs, le principal réside dans les compétences psychosociales. Il faut être capable de pouvoir communiquer avec les personnes, être capable de pouvoir s’adapter aux normes des groupes dans lesquels nous sommes. Parce que les normes diffèrent lorsqu’un joueur est en équipe de France et lorsqu’il est dans son club, il aura des identités différentes. Ce sont ces capacités de régulation identitaire qui sont importantes et qui vont permettre également le maintien et le développement de la cohésion de groupe.
Mais in fine, tout nous amène inévitablement à optimiser l’état émotionnel du joueur et du groupe. Ce n’est finalement « qu’une question d’émotions ». Nous pouvons faire ce que nous voulons en préparation mentale, tout est question d’être dans l’état émotionnel optimal au bon moment, afin de mobiliser notre potentiel dans un contexte de performance collective.
« Nous pouvons faire ce que nous voulons en préparation mentale, tout est question d’être dans l’état émotionnel optimal au bon moment, afin de mobiliser notre potentiel dans un contexte de performance collective »
Il y a les compétences liées à l’intelligence émotionnelle. C’est-à-dire être capable de comprendre ce que l’on ressent, le réguler et le maîtriser, mais aussi, et surtout, être capable de comprendre ce que les autres vivent, ressentent et les aider à réguler. Soit en direct à travers la régulation interpersonnelle, soit en collectif, ce que l’on appelle la régulation collective des émotions.
En somme, nous travaillons essentiellement la notion de compétences émotionnelles au travers d’une approche psychosociale qui semble bien plus adaptée finalement à la complexité des sports collectifs.
Les caractéristiques de l’entraineur leader performant sont encore souvent présentées comme naturelles et universelles. Néanmoins, il semblerait que ce soit plutôt la capacité de l’entraineur à adapter son leadership aux caractéristiques ou aux attentes de son groupe qui soit l’élément déterminant ?
Les modèles sur le leadership reconnaissent que le leader idéal n’existe pas. Un certain nombre d’études réalisées dans le domaine des organisations, ou bien évidemment du sport, le suggèrent. Les caractéristiques universelles du leader idéal n’existent pas, si ce n’est à travers sa capacité à s’adapter au contexte dans lequel il évolue et aux attentes des acteurs avec lesquels il évolue.
Si les joueurs sont en attente de comportements démocratiques de la part de l’entraîneur (proximité, prise en compte de leur avis, consultation dans la prise de décision) et qu’il a une approche autocratique (prise de décision seul, décisions imposées aux joueurs, relations descendantes, pas de proximité avec les joueurs), c’est-à-dire l’opposé de ce qui est attendu par les joueurs dans cet exemple, cela risque de ne pas être harmonieux. Si ce n’est pas harmonieux, alors ce n’est pas optimisé.
« Les modèles sur le leadership reconnaissent que le leader idéal n’existe pas »
Cela ne veut pas dire que cela ne fonctionnera pas, mais ce sera plus difficile. Les leaders performants ont aussi la capacité de s’adapter aux situations. Parfois on peut demander l’avis aux joueurs, être proche d’eux, etc., parfois on ne le peut pas. Sur le choix d’une sélection, il est difficile de demander l’avis à tout le monde. Sur une mi-temps de cinq minutes, il est difficile de demander à tout le monde quoi faire. Il y a des situations comme ça qui imposent un style de leadership plus ou moins directif, ou plus ou moins partagé.
La vraie compétence de l’entraîneur se situe dans sa capacité à faire varier le curseur entre les différents comportements identifiés du leader, afin de récompenser, être proche des joueurs, ou être un peu plus autoritaire quand il le faut. Ce sont ces modèles de leadership qui ont fait émerger les différents comportements d’un entraîneur leader. L’entraîneur peut donc rencontrer des difficultés s’il est peu adaptable à son environnement et à son évolution, ou au contraire contribuer à l’émergence de comportements beaucoup plus propices à la performance sur le long terme s’il est capable de s’adapter.
Est-ce que ce raisonnement est aussi applicable au climat motivationnel ? L’entraineur doit-il être capable de naviguer entre un climat plutôt centré sur l’ego ou sur la maitrise, en fonction du public, de la période de la saison, etc. ?
Oui, à la petite différence qu’il faut déjà avoir conscience de l’existence de ces deux climats motivationnels et être capable de passer d’un environnement ultra concurrentiel à quelque chose de plutôt centré sur la progression du joueur et son développement individuel.
Néanmoins, les études montrent que se situer dans un climat centré sur la maîtrise, c’est-à-dire centré sur le joueur, sa progression, être meilleur que soi-même dans le temps, est quand même plus propice à la performance à moyen et long terme. En revanche, les climats qui sont toujours centrés sur l’ego, c’est-à-dire la concurrence, la comparaison sociale, sont plutôt assez anxiogènes.
« La compétition en sports collectifs est déjà centrée sur la concurrence. À l’intérieur de l’équipe, les joueurs seront même en coopétition, ce qui veut dire qu’ils coopéreront pour finalement être en concurrence pour le même poste »
Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il n’y a pas des moments où on peut orienter un peu le climat vers l’égo pour insuffler un peu d’énergie à un groupe s’ankylosant, mais plutôt à dose homéopathique, car fondamentalement, la compétition en sports collectifs est déjà centrée sur la concurrence. À l’intérieur de l’équipe, les joueurs seront même en coopétition, ce qui veut dire qu’ils coopéreront pour finalement être en concurrence pour le même poste.
Il ne faut donc pas craindre cette absence, ou ce non-management, de la concurrence, puisque c’est quelque chose qui a de toute façon lieu. À la différence du leadership, l’idée sur le climat n’est pas forcément de s’adapter complètement, c’est plutôt de bien manager le climat centré sur la maîtrise, là où la compétition par essence, accentue le trait sur le climat centré sur l’ego.
La cohésion est souvent présentée comme un élément clé de la performance. En ce sens, les stages de cohésion sont quasiment devenus des incontournables en présaison, mais qu’elle est l’utilité réelle ?
Effectivement il n’est pas rare de voir cela comme un passage un peu obligatoire, alors qu’à une époque on en faisait peu et on les utilisait peu. Nous sommes passés un peu d’un extrême à l’autre. Cela peut être très intéressant de mettre en place un stage, afin de mettre l’accent sur une accélération de la dynamique de groupe à un moment ciblé de la saison ou en présaison, à la condition que ce soit extrêmement bien réfléchi, que ce soit millimétré par rapport aux connaissances que l’on peut avoir sur le groupe, que la cohésion ait été mesurée avant et que l’on maîtrise ce qui est programmé durant le stage pour atteindre des objectifs précis.
Si durant le stage nous avons prévu une activité accrobranche, une sortie, un peu de rugby et que nous ne mesurons pas l’impact recherché, c’est une planification qui n’a aucune utilité. On estime qu’en faisant un fourre-tout, cela devrait marcher parce que nous avons vécu trois jours ensemble. Ce n’est pas le cas, surtout avec des professionnels qui sont déjà très sollicités. L’idée, c’est quand même d’arriver à bien le réfléchir pour que non seulement cela satisfasse les besoins des individus, mais aussi les besoins du groupe en matière de cohésion.
Un stage se réfléchit en termes de planification dans la saison, sur les objectifs pour lequel on le met en place, sur les hypothèses que l’on fait en mettant en place ce projet et sur les éléments qui sont constitutifs de ce stage. S’il n’y a pas de réflexion par rapport à cela, cela peut amener à un mauvais copier-coller de « déjà fait », sans vraiment d’utilité pour les besoins de l’équipe. Un stage peut donc être intéressant, à condition qu’il soit extrêmement bien réfléchi dans son contenu et dans sa planification.
Au regard de votre parcours en psychologie du sport, de toute votre expérience terrain dans le sport de haut niveau, qu’avez-vous appris sur la nature humaine ?
Je pense que nous sommes des êtres fondamentalement sociaux et que nous avons besoin d’interactions humaines. C’est ce qui nous construit et nous développe, c’est ce qui peut nous nuire, mais qui fait aussi partie de notre bien-être. En ce sens, je pense qu’il faut que nous soignions ces interactions sociales. Il ne faut pas que nous les négligions, elles sont centrales à notre fonctionnement individuel comme collectif. D’un point de vue très humaniste, c’est se dire qu’il faut passer du temps ensemble. Il faut être capable de pouvoir faire attention à cela et pas négliger l’autre, même dans des situations où la pression est importante et les enjeux individuels pourraient prendre le dessus. Le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Les objectifs, qu’ils soient individuels ou collectifs, ne valent pas le fait de nuire à nos relations, parce que fondamentalement, ce sont aussi elles qui permettent d’entrevoir l’atteinte de ces objectifs. En ce sens, il est important de les travailler au quotidien et dans le domaine de la performance, de vraiment les peaufiner. Un autre aspect qui fait écho au projet TEAM SPORTS et qui en a été la genèse, c’est : qu’est ce qui fait la différence entre le « je » et « nous » ? Cela a été un des grands principes d’entraînement pour la Coupe du monde de rugby notamment.
« Il faut que nous soignions ces interactions sociales. Il ne faut pas que nous les négligions, elles sont centrales à notre fonctionnement individuel comme collectif. D’un point de vue très humaniste, c’est se dire qu’il faut passer du temps ensemble. Il faut être capable de pouvoir faire attention à cela et pas négliger l’autre, même dans des situations où la pression est importante et les enjeux individuels pourraient prendre le dessus. Le jeu n’en vaut pas la chandelle »
Les évolutions économique et médiatique, les réseaux sociaux et la société, de manière générale, peuvent nous faire craindre un repli sur le « je ». Ce qui entraînerait moins d’interactions sociales. On le voit avec l’interaction homme-machine qui commence à prendre le pas parfois sur les interactions sociales. Il faut donc faire attention à préserver le sens du « nous ». Ce qui ne veut pas dire forcément être dans le domaine du sacrificiel, comme certaines normes par le passé nous le demandaient aussi dans le sport, mais il faut arriver à ce que le groupe apporte à ses membres tout comme à ce que ses membres aiment apporter au projet commun et à l’image du groupe.
Ne pas se centrer sur l’importance de la nature intrinsèquement sociale de la pratique du sport collectif serait donc pour moi un non-sens, tout comme ne pas considérer cette même pratique comme un potentiel levier de développement de compétences psychosociales, nécessaires au bien-vivre au sein de notre société.
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