Perroquets et/ou trissotins

Proposition théorique de © Jean-Francis Gréhaigne, professeur des Universités honoraire en STAPS de l’Université Bourgogne Franche-Comté et Eric Duprat, entraineur de football (DES), professeur d’EPS agrégé.

🚨 Avant d'aller plus loin, inscrivez-vous à la newsletter

Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.

« Parler comme un perroquet » c’est parler sans forcément comprendre ce que l’on dit, répéter les paroles d’autres sans vraiment chercher à se faire sa propre opinion. Pour être à la mode, dans le vent, certains n’hésitent pas à employer un vocabulaire dont il ne maitrise pas les tenants et les aboutissants (Gréhaigne, 2022).

Comment les repérer ? Il suffit d’écouter le commentateur et si vous entendez : animation du jeu à la place d’organisation du jeu ; verticalité à la place de jouer dans la profondeur, vous avez affaire à quelqu’un qui croit qu’en utilisant un certain type de jargon il va apparaitre « initié ». Trissotin renvoyant selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (2024) à un personnage ridicule, pédant et vaniteux.

Figure 1. Un perroquet bien campé sur ses certitudes, fier de son beau plumage et de son ramage. D’après la fable, « Le corbeau et le renard » dans laquelle La Fontaine fait dire au renard «Sans mentir, si votre ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes le phénix des hôtes de ces bois» (Dandrey, 2010).

À propos du vocabulaire

Le terme d’appui, couramment utilisé aujourd’hui, ne fait pas la distinction entre une passe qui permet de progresser ou de revenir sur ses bases. La passe vers un partenaire plus proche de la cible que le passeur est un jeu en appui, mais une passe pour un partenaire plus rapproché de notre propre but est une passe en soutien.

Héritage du journaliste Thierry Roland, spécialiste es-footballs, cette méconnaissance du sens à attribuer aux mots constitue un obstacle majeur à la transmission des savoirs et connaissances. Et le poids des médias télévisuels ou plus récents est considérable dans la construction des représentations des divers amoureux du jeu.

Mais le plus souvent, c’est la preuve d’une méconnaissance de l’essence et du sens profond de l’affrontement en football et qui se veut « à la coule » en employant des traductions issues du vocabulaire anglais sans réflexion à propos des termes français qui caractérisent la chose.

Le regretté André Menaut ne décolérait pas devant ces confusions. Le terme de « contre-pressing » (Duprat & Gréhaigne, 2023) largement utilisé ces derniers temps, sans aller plus avant dans la traduction ou la conceptualisation, est un exemple criant de la confusion que provoque l’usage d’une terminologie non maitrisée.

L’utilisation du « contre effort » apparue récemment a sans aucun doute besoin d’être définie, au regard des multiples situations de « contre effort » réalisées durant un match de football, afin de bien savoir de quoi on parle.

« Cette méconnaissance du sens à attribuer aux mots constitue un obstacle majeur à la transmission des savoirs et connaissances. Et le poids des médias télévisuels ou plus récents est considérable dans la construction des représentations des divers amoureux du jeu »

Il est vrai que pour être entraîneur ou chroniqueur sportif plus ou moins auto proclamé, commentateur ou consultant, la formation ne semble parfois pas compter, un long séjour dans les tribunes, le bagou ou avoir joué à un bon niveau en fait office.

Un peu comme si, pour être un bon chirurgien pour opérer les footballeurs, il fallait avoir subi, au préalable, une opération de la cheville ou du genou. On se méfie des universitaires et des théoriciens, mon bon monsieur ! On préfère aussi bien souvent l’emploi d’un langage militaire sorti du contexte plutôt que réfléchir. Cela fait viril !

Le football, cet objet moderne, est saturé de passions et d’affiliations sociales. Lévêque (2010), pour mieux appréhender leur impact, a décrypté avec minutie les commentaires de la presse sportive lors de l’Euro de football.

L’analyse des modalités, des ressorts et des outrances du discours médiatique met en évidence la primauté des facteurs psychologiques qui sont mis en exergue pour intensifier les possibilités de dramatisation, d’identification, de fascination du lecteur.

Perroquet, vous avez dit ? Oui, beaucoup répètent, sans réfléchir, ce qu’ils croient dans le vent. Pour le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (2020), c’est parler d’une manière mécanique, sans réflexion personnelle et sans se soucier de la signification ou de la valeur de ce que l’on dit.

C’est parler avec excès, souvent à tort et à travers, sans réflexion ou création personnelle et se borner à répéter ou à imiter ce qui est dit ou fait par les autres. Heureusement, il existe des exceptions.

Des précisions s’agissant d’une terminologie

La communication n’est pas toujours aisée surtout lorsque l’on réemploie des termes créés par des personnes qui ne parlent pas la même langue. Par exemple, le terme de verticalité pour parler du jeu vers l’avant, vers le but adverse, largement utilisé aujourd’hui est inadapté à notre langue puisque la verticalité correspond à un jeu en hauteur.

Or la hauteur est clairement définie en football et correspond au jeu aérien. Notre histoire utilise le terme de profondeur ce qui est plus logique sachant que la profondeur n’est pas une dimension utilisable en football comme elle l’est en natation.

« Mal nommer les choses c’est ajouter encore au désordre du monde » (Camus, 1951). Cette phrase attribuée à Albert Camus montre que le choix des mots n’est pas innocent car ils peuvent exagérer ou atténuer, mais surtout travestir la réalité. En outre, un mot, une idée, n’ont pas qu’un seul sens et penser l’unité des divers sens voire des contraires est un moyen supplémentaire d’enrichir l’analyse.

Chaque chose apprise n’a aucun intérêt si elle ne s’inscrit pas dans un cadre plus vaste, par niveaux d’organisations et régulations intermédiaires, une sorte de filiation logique qui renvoie à un lien de continuité, un fil conducteur entre les concepts montrant un enchaînement logique de ces concepts et dérivés les uns des autres.

« Le terme de verticalité pour parler du jeu vers l’avant, vers le but adverse, largement utilisé aujourd’hui est inadapté à notre langue puisque la verticalité correspond à un jeu en hauteur »

Ainsi, le langage humain offre la possibilité de dialoguer en situation pour échanger, s’exprimer avec un langage et une pensée visant la communication. Celle-ci est conçue comme un échange d’informations entre les membres d’un groupe déterminé. En effet, il y a communication si et seulement si le destinataire de l’information est capable de comprendre le message qu’il reçoit d’une source d’information.

Le dialogue traduit de manière plus spécifique une relation qui s’établit entre des personnes à partir des significations communes qu’elles attribuent à des mots ainsi qu’à des gestes ou des attitudes corporelles. Cela suppose un vocabulaire explicite dans le champ du sport en utilisant un langage technique précis ainsi que dans le domaine de l’entraînement en utilisant un langage approprié.

Cela devient primordial lorsqu’on aborde le domaine de la formation des jeunes car il est essentiel que les mêmes mots correspondent aux mêmes situations pour construire une cohérence du discours. Les termes utilisés deviennent alors des repères fiables dans la construction des bases du patrimoine tactique que l’on transmet. Cela est d’autant plus important que les jeunes footballeurs seront souvent face à différents éducateurs et formateurs durant leur parcours.

« Les termes utilisés deviennent alors des repères fiables dans la construction des bases du patrimoine tactique que l’on transmet »

De l’initiation à la formation, en passant par la préformation, le parcours sera jalonné d’apports divers qui doivent s’appuyer sur des bases conceptuelles communes. C’est ce qui permettra au joueur parvenu à maturité de mieux s’impliquer dans un projet collectif. Car il sera confronté à la diversité des discours liée aux différentes philosophies de jeu développées par les divers entraîneurs qu’il rencontrera.

En outre, la complexité du jeu des langues, des traductions, des cultures constitue un obstacle majeur lorsque l’on communique à l’international. Les divers parcours des joueurs de différentes nationalités dans le présent système économique du football, amateur ou professionnel, complexifient le cheminement. Dans ce contexte, avoir une compréhension réfléchie des expressions écrites et orales d’une langue étrangère est fondamental pour éviter de notoires incompréhensions.

Autres exemples

Et on n’oubliera pas que le football est un sport collectif et que la star de service n’existe que parce que ses coéquipiers font bien leur travail. Un sport d’équipe est un type de sport où la nature fondamentale du jeu ou du sport nécessite la participation organisée de plusieurs personnes œuvrant ensemble en équipe et où il est intrinsèquement impossible ou très peu pratique d’exécuter le sport en se passant de la collectivité.

Dans les sports d’équipe, l’effort coopératif des membres de l’équipe est essentiel au bon fonctionnement du sport et à l’atteinte des objectifs. Mais la recherche du scoop donne également des images insolites : aussi, regarder l’envers du décor est parfois très instructif.

Figure 2. À la poursuite du prix Richard-Martin qui récompense les plus belles photos d’action prises dans les douze derniers mois

Pour en revenir à nos perroquets, « l’animation du jeu » relève, d’une curiosité théorique qui laisse entendre que, dans une rencontre, une équipe de football serait un système inerte, à qui l’on doit insuffler la vie comme avec des marionnettes. Cependant, le jeu n’est pas une chose amorphe que l’on devrait animer, le jeu est création permanente du fait des rapports d’opposition entre deux équipes, d’évènements émergents qui apportent sans cesse fluctuation et évolution.

Conclusion

À propos du vocabulaire et des images utilisés en football, on laissera aux forces armées la verticalité, la percussion et la projection et aux généraux le fait d’animer le champ de bataille. On leur préférera la profondeur, le jeu en avançant et l’attaque rapide ainsi que l’organisation et l’auto-organisation du jeu.

Le sens d’un mot n’est pas seulement basé sur la façon dont le mot est compris, mais bien par la manière dont il est utilisé. Tout cet ensemble nous renvoie à Albert Dauzat (1939), qui parlait « d’une fausse élégance de Trissotin de rédaction ».

« Parler comme un perroquet » c’est parler sans vraiment chercher à construire son propre jugement. Pour être à la mode, dans le vent, on n’hésite pas à employer un vocabulaire dont on ne maitrise pas les tenants et les aboutissants. Les commentaires demeurent analytiques et les versants techniques et tactiques restent largement abordés séparément (Grün, 2016).

Somme toute, ils racontent des histoires pour «habiller le monde», afin de lui donner une certaine visibilité, en promouvant une représentation attendue au sein de la tribu ou de la société.

À coup de mythes (cf. la technique magique) qui sont essentiellement des placages de leurs propres conceptions/représentation du jeu, ils nous assènent pourquoi le monde est comme il est, en déclinant ceci de mille et une façons.

En quelque sorte, les mythes se veulent une réponse aux questions lancinantes des fans. Aussi, une manière d’y répondre est de raconter une histoire car le mythe n’est pas une démonstration, c’est une justification temporaire de l’état de ce monde.

Lorsqu’on s’exprime en public, les intervenants ont un devoir d’exemplarité et de qualité.

🤔 Cette proposition vous a plu ? 

Rejoignez + de 4500 passionnés en vous abonnant à notre newsletter et vous recevrez nos entretiens, directement par e-mail.

Références

Camus, A. (1951). L’homme révolté. Paris : Gallimard.

Centre national de ressources textuelles et lexicales (2023). Perroquet. Consulté sur : http://www.cnrtl.fr/definition/perroquet.

Centre national de ressources textuelles et lexicales (2024). Perroquet. Consulté sur : http://www.cnrtl.fr/definition/trissotin.

Dauzat, A. (1939). Tableau de la langue française. Origines, évolution, structure actuelle. Paris : Payot.

Duprat, E. (2005). Approche technologique de la récupération du ballon lors de la phase défensive en football, contribution à l’élaboration de contenus de formation innovants. Thèse de Doctorat (non publiée), École Normale Supérieure de Cachan.

Duprat, E. & Gréhaigne, J.-F. (2023). « Pressing », « contre-pressing » et « sur-pressing ». Retour sur les concepts. Nosotrosxp.com / Lectures / Aspects théoriques.

Gréhaigne, J.-F. (1989). Football de mouvement. Vers une approche systémique du jeu. Thèse (non publiée). Université de Bourgogne.

Gréhaigne, J.-F., & Godbout, P. (2021). Football et cognition. Compréhension du jeu et construction des connaissances tactiques en sports collectifs. Paris : L’Harmattan.

Gréhaigne, J.-F. (2022). Les mots du foot : Dictionnaire culturel. Paris : Atlande.

Grün ; L. (2016). L’entraînement technique et tactique des équipes professionnelles françaises de football entre 1942 et 1990. Staps , 114, 19 – 27

Lévêque, M. (2010). Au cœur de la compétition sportive: Approches psychologique et sociale. Mardaga.

La plateforme de référence