Analyse du jeu : surnombre, concentration, densité, ...

Réflexion théorique de © Jean-Francis Gréhaigne, professeur des Universités honoraire en STAPS de l’Université Bourgogne Franche-Comté et Eric Duprat, entraineur de football et enseignant-chercheur à l’Université d’Évry Val d’Essonne.

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Densité, surnombre et concentration

Un principe majeur des sports collectifs d’invasion, supposé favoriser une performance efficace, est de surpasser en nombre l’adversaire (création de surnombres lors des différentes phases d’attaque et de défense) dans des zones particulières, voire adjacentes au ballon. De tels principes de performance sont assimilés par les joueurs à travers la manipulation de supériorités et/ou d’infériorités numériques entre les équipes lors d’entraînements, afin de créer des contextes de performance artificiellement asymétriques permettant de simuler des situations et apprendre à y réagir. Parfois, un bon placement ou une action judicieuse supplée en partie le fait d’être en l’infériorité numérique.

La réussite d’une attaque rapide en gardant le surnombre résulte de la conjugaison de qualités physiques, d’une bonne tactique individuelle mais également d’automatismes, de routines, de principes collectifs de jeu. Ainsi, ces automatismes ne peuvent s’installer qu’en s’exerçant à ce type de situations à l’entraînement. Si l’on tient compte de la distribution formelle des joueurs constatée lors des présentations des équipes, la supériorité numérique apparaît essentiellement dans la zone de protection de son but avec le 3e rideau défensif (R3). 

Suivant la philosophie de jeu affichée par les entraîneurs, les organisations sont plus ou moins tournées vers un jeu offensif. Cela implique que la création d’une supériorité numérique pour l’équipe en possession du ballon nécessite la montée d’un joueur ou plus venant de l’arrière (Batty, 1979). Le jeu de mouvement devient un élément essentiel, ainsi que l’utilisation de couloirs de jeu libres favorisant cet engagement dans la profondeur. Ce surnombre momentané permet de franchir les rideaux défensifs et de se retrouver dans une position favorable à la marque.

Plus la densité des joueurs en position avancée est importante dans la zone axiale, moins il y a de possibilités de passages pour les joueurs pénétrants dans le couloir de jeu direct (Gréhaigne, 1992). Il sera nécessaire d’orienter le jeu dans la profondeur par les couloirs intermédiaires ou les couloirs à la périphérie en prêtant attention à la couverture défensive. Si le regroupement est situé sur un côté du terrain, il faudra rechercher un jeu transversal vers le flanc dégarni de l’autre côté ou déplacer rapidement le ballon vers cet « espace ouvert » et y pénétrer avant le glissement défensif adverse. 

Lorsque les éléments avancés occupent des positions sur l’ensemble de l’espace exploitable dans la largeur et la profondeur (dans le cadre des lois du jeu), les opportunités de trouver des couloirs de pénétration seront élargies. Cela offrira une plus grande diversité dans les choix d’orientation favorable au franchissement des rideaux défensifs successifs et accentuera aussi la notion d’incertitude chez les défenseurs adverses et favorise l’élimination d’un adversaire direct lors d’un duel, le porteur bénéficiant de plus d’espace pour évoluer.

Il reste primordial, pour que le mouvement enclenché permette une mise en position favorable pour la marque, que le jeu initié dans la profondeur se poursuive sur la lancée, sans phases de retardement qui provoquerait un retour des défenseurs éliminés. Le jeu en une-deux, une-deux-trois, déviation et/ou avec une touche (Dugrand, 1985) devient prépondérant et nécessite un toucher de balle bien maîtrisé.

Il en sera de même après tous les types de récupération dans la continuité du jeu où la réversibilité doit provoquer une mise hors de position de la défense le plus rapidement possible. Là encore, la nécessité de faire éclater le jeu, plutôt que de concentrer les courses vers la cible, sera primordiale lorsque l’équipe adverse a bien anticipé par son placement une perte éventuelle du ballon.

Les regroupements typiques dans les équipes sportives sont récurrents (variations des distances entre les centres de gravité des équipes, la proximité ou l’éloignement du bloc équipe par rapport aux cibles voire les distances entre les lignes de forces et les rideaux défensifs des équipes dans des secteurs spécifiques, etc.) Cependant, les études montrent que l’utilisation d’asymétries numériques au cours de la formation (2 contre 3 par exemple) limitait la contraction des équipes en infériorité et la position relative de chaque équipe sur le terrain, ainsi que les distances entre les lignes de forces de l’équipe.

Il est possible de préciser que dans une acception courante, la densité dans le jeu « mesurerait » la dispersion des joueurs sur une surface donnée. Ce serait donc, a priori, une valeur essentiellement spatiale et non numérique si l’on se réfère encore une fois à des états statiques. Il existe une relation simple entre dispersion, densité et distance : plus la distance entre les joueurs augmente, plus la densité diminue et plus la dispersion augmente jusqu’à une limite où elle deviendrait constante. Les limites de ces phénomènes sont constituées en considérant que l’espace de jeu total s’organise sur l’équivalent d’un demi-terrain :

  • soit par une répartition uniforme/équilibrée de tous les acteurs sur le demi-terrain en évitant le phénomène « d’accordéon » constaté lors de certaines rencontres où la fatigue fait son œuvre, et conserver le bloc équipe tout en obtenant une dispersion adéquate ;
  • soit par le regroupement d’un certain nombre de coéquipiers dans une zone restreinte provoquant une concentration maximale d’un ensemble de joueurs.

Dans la réalité, densité (variable qualitative) et dispersion / concentration (variables quantitatives) fonctionnent à l’intérieur de possibilités définies que sont les limites extérieures de l’aire de jeu utilisée et le règlement. Dans une séquence de jeu, il peut exister, au même moment, une concentration dans certains endroits du terrain et une dispersion dans d’autres. Si le jeu se déroule dans l’axe central, la dangerosité du mouvement en cours peut être appréciée en fonction du temps, des événements du jeu et de la proximité de la cible ; d’où, par exemple, une concentration de joueurs dans l’axe central et une dispersion importante à la périphérie du terrain.

Dans ce cadre, la concentration semble, aussi, une donnée utile à analyser pour bien comprendre l’évolution des rapports d’opposition dans un affrontement partiel et/ou dans le mouvement général. Dans la cellule d’action de pointe, pour un joueur particulier, une augmentation de la concentration des joueurs adverses peut faire émerger des difficultés quand il doit jouer, sous pression temporelle, dans l’espace proche de ses adversaires. Ici, le temps pour effectuer un geste est souvent très réduit. Cependant, la densité défensive peut être assurée avec une concentration minimale car un seul bon défenseur qui « flotte » intelligemment peut retarder plusieurs attaquants permettant le retour de ses équipiers. Dans l’affrontement, la diffusion est le mouvement des joueurs d’une zone où ils sont en concentration élevée vers une zone où la concentration est plus faible transformant les trames de jeu.

En conséquence, en sport collectif, la densité renverrait donc plutôt à un aspect qualitatif ; la concentration / dispersion semblant plus liée à une approche quantitative en termes de nombre de joueurs. Compression / extension pour le mouvement et concentration / dispersion à propos d’états statiques successifs (ou aspects temporels discontinus) semblent fonctionner en étroite symbiose pour décrypter et anticiper le mouvement dans le jeu et ainsi prendre des décisions judicieuses. Cela pourrait constituer un moyen d’expliciter les liens organiques entre les concepts de temps et d’espace. Néanmoins, cet ensemble de données renvoie bien, pour les phénomènes dynamiques, à des aspects temporels.

Dans le jeu, l’urgence temporelle est prégnante par rapport à l’espace, même si des aspects spatiaux, comme système de traduction du temps, semblent intéressants à certains moments du développement du joueur. Avec ces éléments, nous dirons, dans une première approche, que l’espace peut être défini comme une certaine étendue (des droites et un plan) ainsi qu’un volume (une hauteur et une surface) au sein de cette étendue. Quant à lui, le temps renvoie à une durée occupée par un événement ou une action voire chacune des phases successives d’une action. Un espace libre ou ouvert renvoie à une zone de terrain momentanément libre de tout joueur. Exploiter un espace libre consiste à utiliser cet espace ouvert qui existe déjà. Créer un espace libre vise à provoquer le déplacement d’un ou plusieurs joueurs d’une équipe adverse pour créer une zone où il n’y a aucun joueur.

Un jeu positionnel dynamique semble une dénomination appropriée pour souligner le mouvement incessant nécessaire pour créer et occuper les espaces temporairement vides. C’est donc tout le contraire de positions statiques qui pourraient laisser supposer que seuls les emplacements occupés comptent.

L’espace libre ou espace ouvert est une donnée dynamique en perpétuelle évolution. Les courses, les déplacements des joueurs les font et les défont. On peut alors définir l’existence et la taille d’un espace libre à partir du temps que mettra un joueur donné pour le franchir ou venir l’occuper et ceci à une vitesse donnée. Cette idée de distance à parcourir et de vitesse du joueur est à notre sens les concepts clés. Des compétences motrices construites en jeu ou en situation d’opposition par le joueur lui permettent, la capture, le transport et la propulsion du ballon en situation de temps contraint mais laisse aussi un espace potentiellement libre. Il devient alors un espace ouvert dans le dos des défenseurs, car ceux-ci peuvent être débordés dans les conditions réglementaires. Enfin, « se démarquer » n’est qu’un cas particulier du jeu dans l’espace libre avec une prise d’avance de l’attaquant sur le replacement défensif de son et/ou ses adversaires. (Gréhaigne, 2009).

Capture de la balle, conservation et continuité du jeu

Le problème essentiel au football est qu’il faut maîtriser le ballon avec les pieds, tout en étant souvent gêné par des adversaires. Classiquement, quand on parle de la technique du footballeur, on pense aux habiletés motrices qui permettront au joueur dans le jeu de mouvement, la passe, le contrôle, l’échange et la conduite de la balle ainsi que le tir au but.

L’interception, c’est l’action d’un défenseur de capturer un ballon destiné à un receveur. L’interception d’une passe au football c’est surtout une question de timing, de posture et de réaction rapide voire d’anticipation. Les surfaces cachées par les défenseurs sont autant de points forts pour une interception alors que dialectiquement elles sont des problèmes pour l’offensive.

Dans la capture de la balle, les débutants repoussent souvent la balle quand elle est forte et à terre, les balles hautes sont ratées tandis que les balles de la tête sont esquivées. La tâche de “capturer un ballon” avec une opposition standardisée permet de relever plusieurs cas de figure. (1) La balle rebondit sur le joueur quand elle est trop forte. (2) Les joueurs immobilisent la balle sans être personnellement en mouvement. Le geste est réussi sur balle à terre, en face-à-face avec le passeur quand l’adversaire est éloigné. (3) Le contrôle en mouvement s’effectue avec une balle à terre venant de l’avant. Le semi-blocage est possible quand le joueur est statique. (4) Différentes surfaces sont utilisées pour s’approprier la balle en mouvement et enfin (5) le contrôle de la balle devient “tactique” avec l’apparition de l’amorti et du contrôle orienté avec un ballon qui arrive à vitesse élevée. Ces dernières actions en situation d’opposition proche constituent des duels particulièrement difficiles à gérer. La vitesse de la balle constitue un facteur qui facilite ou complique la possibilité de capturer le ballon.

La passe ou l’échange de la balle consiste à transmettre le ballon à un partenaire de façon sécuritaire pour assurer la continuité du jeu qui est le caractère de ce qui est ininterrompu ou presque avec des variations de qualité et d’intensité.

Appel de balle et conquête d’un ballon libre

Un appel de balle consiste à solliciter le ballon de façon gestuelle ou verbale en vue de poursuivre l’attaque alors que la balle est détenue par un co-équipier. Trois conditions, pour un bon appel de balle, semblent importantes à souligner : être dans le champ visuel du porteur de balle, à distance de passe et hors du secteur d’intervention d’un adversaire.

Sur un ballon libre qui n’appartient à personne, la conquête de la balle est un objectif premier. Duprat (2005, p. 137) souligne que dans le jeu aérien, il est assez rare lors d’une confrontation directe, surtout dans une phase de conquête, qu’un joueur tout seul puisse s’emparer du ballon. De plus, il faut prendre en compte, les actions où le porteur du ballon se trouve en situation arrêtée, statique, qui diffèrent d’un déplacement rapide. Enfin, il faut aussi distinguer les actions particulières où la récupération est facilitée par une erreur de l’adversaire dans son action sur la balle.

Les conquêtes aériennes résultent souvent d’une lutte à la tombée du ballon pour se l’approprier ou le dévier, suivant sa trajectoire et la position des joueurs.

Les recherches (Duprat, 2005) montrent donc que dans le domaine aérien les récupérations collectives sont nettement dominantes, qu’elles impliquent plusieurs joueurs et s’étalent très souvent sur plusieurs zones. Les conquêtes sont plus étagées dans la profondeur sur les bandes H, G, F, E, et plutôt compactées dans les couloirs axiaux puis intermédiaires. Nous allons maintenant passer aux commentaires des différents constats réalisés.

a) Les conquêtes sur un ballon libre

Figure 1. Emplacements des conquêtes hors gardien (Duprat, 2005).

Lorsque nous observons les conquêtes (figure 1), nous distinguons nettement la forme progressivement envasée qui part de la cible en s’élargissant vers la ligne médiane. En fait , cela recouvre quasiment l’espace de jeu direct.

L’axe central accumule les effectifs les plus conséquents, ce qui confirmerait la tendance des attaquants à venir se heurter à̀ la défense centrale où la densité́ et la supériorité́ numérique constituent des atouts majeurs. La spécificité́ des conquêtes implique une passe préalable et une confrontation directe pour s’emparer du ballon. Le positionnement des reconquêtes prouve bien que les défenses s’articulent autour d’un renforcement de la protection dans l’axe et que cela représente une garantie au niveau de l’efficacité́, confirmé par les scores peu élevés. On en déduit que les passes de rupture favorisant les déséquilibres défensifs se situent en première intention, mais aussi dans l’approche finale, vers des joueurs évoluant à proximité́ de l’axe du terrain dès l’entrée dans la moitié offensive. Les cases H-4, G-4 et F-4 traduisent le retour des ballons vers l’axe en provenance du flanc gauche, par l’intermédiaire du jeu long transversal.

b) Les duels (quand l’adversaire a le ballon)

Pour ce qu’il s’agit des duels où la confrontation directe laisse l’initiative de l’action à l’attaquant, porteur du ballon, la surface rectangulaire représentée par G-3, G-4, F-3, F-4, prouve une nouvelle fois que la densité́ favorise la reconquête. La prise de risque des attaquants est encore essentiellement située dans une position axiale. La présence de nombreux défenseurs et du gardien de but dans les couloirs axiaux en bande H dissuaderaient les prises de risque en dribble alors qu’elle constitue une zone sensible du point de vue du règlement, peut-être aussi parce que les attaquants y parviennent rarement balle au pied. Les autres endroits favorisant les récupérations en duel se trouvent le long des lignes de touche, de chaque côté́, aux abords de la ligne médiane ou à l’entrée dans la moitié défensive, ce qui confirme que, défensivement, la ligne de touche représente une aide dans les limites qu’elle impose à l’évolution de l’attaquant. Les résultats nous permettent d’annoncer qu’offensivement, les relances se font plutôt dans la profondeur, vers la ligne médiane pour éviter les pertes de balles dangereuses, puis de préférence sur les flancs pour contourner le bloc défensif à l’entrée dans la moitié adverse, en revenant dans l’axe lorsqu’on se rapproche du but ou en bout de course sur les ailes, essentiellement sur le flanc gauche de la défense. La tendance à revenir dans l’axe très tôt pour les attaquants évoluant à la périphérie est confirmée.

Orientation, construction, organisation du jeu

L’activité d’orientation du jeu (Bouthier,1988) peut être définie comme l’ensemble des opérations cognitives permettant au sujet, en regard de l’évolution permanente du jeu, d’identifier les états de l’environnement, leurs évolutions probables, et de se fixer les buts qui déclencheront et guideront les actions pour y répondre.

Face à des environnements dynamiques, le joueur doit régulièrement réorienter son activité en particulier lorsque les situations imposent la résolution d’un problème tactique susceptible d’engager une activité cognitive contrôlée. Lorsque l’environnement est à la fois fluctuant et d’évolution rapide, l’activité contrôlée tend à se concentrer avant l’action tandis que l’orientation pendant l’action tend à s’automatiser (Hoc & Moulin, 1994). Dans le langage des sports collectifs on appelle stratégie, les orientations prises avant le jeu, et tactiques celles décidées en cours de jeu (Gréhaigne & Godbout, 1995).

Dans une première approche, une bonne organisation ou une construction consciente du jeu par tous va permettre une bonne répartition des joueurs dans l’espace et entraîner un contexte favorable pour l’expression des joueurs (Gréhaigne,1992). Cette organisation va agir comme un mode de construction collectif des distances entre les joueurs, sachant qu’elles sont fluctuantes selon différents paramètres du jeu. Elle doit permettre la mise en place cohérente d’un fond de jeu et faciliter le placement de tous les joueurs pour qu’ils soient le plus efficaces possible tout en favorisant leur créativité.

Ainsi, les structures dans chaque équipe indépendamment du style de jeu proposé devront respecter quatre idées essentielles :

  1.  Supériorité numérique dans la zone de sortie du ballon
  2. Avoir suffisamment de joueurs pour permettre la création d’une supériorité numérique et l’apparition de lignes de passe.
  3. Placer des joueurs dans la largeur pour fixer les adversaires et permettre l’apparition d’intervalles en augmentant ainsi les distances entre chaque joueur d’un même rideau adverse, ce qui facilitera le jeu entre les lignes.
  4. Placer des joueurs dans la profondeur afin de fixer les centraux et créer une menace dans le dos des adversaires.

Cette structure proposée devient organisatrice puisqu’elle permet une organisation pour les joueurs et une bibliothèque de l’occupation des espaces selon une répartition numérique. Ainsi un mode de jeu fonctionnel peut émerger du jeu lui-même et notamment des interactions entre les joueurs de la même équipe. Jouer dans un petit périmètre consiste à apprendre à jouer sur une petite surface du terrain où souvent la densité des joueurs est importante. À l’entraînement, pour varier les distances et la densité, les surfaces utilisées peuvent être découpées en carrés de seize mètres de côté par exemple. Dans ces zones, on joue en situation d’opposition de façon à travailler sous pression temporelle.

Ensuite, une organisation basée sur la temporalité va être plus difficile à mettre en place. Celle-ci au lieu de reposer sur l’occupation souvent statique d’espace va s’appuyer sur la notion d’état dynamique. Sur le terrain, la simple répartition spatiale des joueurs à différents endroits entraîne, le plus souvent, une répartition non homogène des états d’énergie des joueurs impliqués dans la configuration. Une certaine forme de dispersion homogène caractérise l’état d’équilibre vers lequel le système d’affrontement évolue constamment en football. Cette dispersion homogène correspond le plus souvent, à une homogénéité de la distribution des joueurs en fonction des rapports de vitesses entre ceux-ci et leurs localisations. En effet, un certain degré d’homogénéité dans l’évolution du jeu peut consister à définir des micro-états du système attaque / défense à partir des emplacements, des directions et des vitesses possibles de tous les joueurs constitutifs de la situation de jeu à deux instants donnés proches.

Ainsi, l’évolution de la dynamique du jeu peut se modéliser de façon plus fine en concevant une évolution discontinue dans le temps. Il semble qu’une base de données constituée par la mise en relation de cinq critères, emplacement sur le terrain et volume de l’EJE, position et circulation du ballon, positions respectives de l’EJEO et l’EJED, défense en barrage ou à la poursuite et enfin, extension ou compression de l’EJE, permettent d’obtenir une représentation immédiate et assez exacte du rapport d’opposition.

Figure 2. Critères permettant l’analyse de la dynamique du jeu.

Enfin, cette genèse des comportements tactiques des joueurs repose sur les processus cognitifs (connaissance, perception, anticipation, etc.), sur la concentration, la confiance en soi et la communication dans le jeu (Williams, Davids, Burwitz, & Williams, J., 1993). La qualité de l’action tactique est développée par l’observation et l’analyse systématique du rapport des forces mais aussi les expériences des joueurs acquises à l’entraînement, en compétition en relation avec leur lecture du jeu .

Il apparaît que le concept d’état dynamique (Gréhaigne, 2009) permet aux joueurs de mieux comprendre comment, à un instant donné, les partenaires et les adversaires sont en déplacement. Ils occupent un emplacement mais cette position est en train d’évoluer car chacun possède une vitesse instantanée différente. Dans le jeu en mouvement, ce désordre apparent renvoie souvent à une homogénéité particulière autre que la simple distribution spatiale des joueurs sur le terrain, puisqu’il s’agit d’une distribution sur des niveaux de vitesse. Une telle modélisation du jeu permet d’anticiper l’évolution probable des configurations du jeu.

La mouvance du jeu

La dynamique du jeu ne saurait se réduire à quelques formules magiques, cette dynamique étant avant tout mouvements (Villepreux, 1987), mouvance, fluctuations et renvoie à l’étude des forces créatrices auxquelles on attribue une valeur causale dans l’évolution du jeu. Les configurations momentanées du jeu peuvent être analysées d’abord comme une suite de photographies qui définissent les emplacements des joueurs à un moment donné et mènent à une étude statique sur le plan de la distribution spatiale des attaquants, des défenseurs et de la position du ballon tout en révélant le résultat de l’auto-organisation du jeu comme trame de variance modifiable dans l’action en fonction des effets produits.

Ce dernier point de vue sur l’activité en jeu à propos de la notion de trame de variance est très important, il souligne la constante mouvance du jeu et la nécessité de s’adapter constamment à un affrontement évolutif. Cela nous a conduits à parler de trame dynamique de transformation à propos du jeu de football (Gréhaigne, 1997). Les matrices d’actions et de jeu servent de base indispensable à la compréhension du jeu par le joueur, l’entraîneur ou le professeur (Deleplace, 1994). La matrice est, ici, employée au sens génétique du terme (qui concerne la genèse d’une réalité abstraite ou concrète) et constitue un raisonnement où quelque chose naît, se développe et permet d’agir sur le jeu. En sport collectif, c‘est plutôt un concept initiateur d’idées, de réponses, qui s’attache à donner du sens à la dynamique du jeu et fournit aux équipes des modélisations qui sont à la source de la pensée tactique.

Les auteurs remercient Olivier Alberola et Alilou Issa pour leur relecture d’une première version de cet article.

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Références

Batty, E. (1979) Football ; entraînement à l’européenne. Paris : Vigot.

Bouthier, D. (1988). Les conditions cognitives de la formation d’actions sportives collectives (Thèse non publiée). Université Paris V, EPHE, Paris.

Deleplace, R. (1994). La notion de matrice d’action pour les actions motrices complexes. In D. Bouthier – J. Griffet (Eds.) Représentation et action en activité physique et sportive, Université de Paris-Sud Orsay, 25-42.

Dugrand, M. (1985). Approches théoriques et cliniques de l’enseignement du football. L’exemple au Sénégal. Thèse de troisième cycle, Université de Caen.

Duprat, E. (2005). Approche technologique de la récupération du ballon lors de la phase défensive en football, contribution à l’élaboration de contenus de formation innovants. Thèse de Doctorat (non publiée), École Normale Supérieure de Cachan.

Bouthier, D. (1988). Les conditions cognitives de la formation d’actions sportives collectives. Thèse de doctorat (non publiée), E.P.H.E., Université de Paris V, Paris.

Gréhaigne, J.-F. (1992). L’organisation du jeu en football. Paris : ACTIO. (Collection « Actualité, Recherche, Sport » dirigée par Michel Laurent et Pierre Therme).

Gréhaigne, J.-F., & Godbout, P. (1995). Tactical knowledge in team sports from a constructivist and cognitivist perspective. Quest, 47, 490-505.

Gréhaigne, J.-F. (1997). Modélisation du jeu de football et traitement didactique des jeux sportifs collectifs. Habilitation à diriger les recherches (non publiée). Université de Paris-Sud Orsay.

Gréhaigne, J.-F. (Éd.). (2009). Autour du temps. Espaces, apprentissages, projets dans les sports collectifs. Besançon : Presses de l’Université de Franche-Comté.

Hoc, J. M, & Moulin, L. (1994). Rapidité du processus contrôlé et planification dans un micro monde dynamique. L’année psychologique94, 521-552.

Villepreux, P. (1987). Rugby de mouvement et disponibilité du joueur. Mémoire INSEP, Paris.

Williams, M., Davids, K., Burwitz, L., & Williams, J. (1993). Cognitive knowledge and soccer performance. Perceptual and Motor Skills, 72, 579-593.