Professeur et directeur du département STAPS de l’Université de Saint-Etienne, Jean-Benoît Morin est aussi chercheur et consultant auprès d’athlètes de haut niveau, de sportifs et de clubs.
Il nous propose un certain nombre de piste de réflexion autour de l’expression de la force, la vitesse et l’entrainement/développement de ces qualités chez le footballeur/sportif de haut niveau.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Comment définiriez vous vos fonctions ?
Actuellement, j’ai trois rôles. Je suis professeur à l’Université de Saint-Etienne, je fais de la recherche dans la biomécanique du sport et l’analyse de la performance et de l’entraînement. Tout d’abord, j’enseigne aux étudiants de la filière Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS), dans la filière entraînement sportif, en Licence et master.
Ensuite, dans le cadre de recherche au laboratoire, je suis directeur du département STAPS. Enfin, je suis consultant auprès d’athlètes de haut niveau, de sportifs, de clubs et cela se traduit par des formations, du coaching et parfois des interventions directement auprès des structures.
Dans le monde du sport, et plus particulièrement dans le football, les termes de puissance et de vitesse sont souvent utilisés et parfois confondus. Pouvez-vous distinguer la puissance et la vitesse chez un athlète et/ou un footballeur ?
Ce sont effectivement deux termes très génériques, ce qui explique en partie leur confusion. D’un point de vue biomécanique, la vitesse définit uniquement le déplacement dans le temps. Un joueur rapide, est celui qui va parcourir une distance donnée dans un temps plus court ou sur un temps donné parcourir une distance plus longue. La puissance, conceptuellement, c’est un mélange de la qualité de vitesse et de la production de force.
Pour faire simple, si deux athlètes parcourent 5 mètres en une seconde, ils auront la même vitesse, mais si une d’entre eux pèse plus lourd ou s’il tire derrière lui une résistance, il aura produit plus de force, donc plus de puissance pour atteindre la même vitesse. En réalité, la puissance, c’est l’expression de la vitesse, mais à laquelle on ajoute la notion de force. Dans beaucoup de sports, c’est la vitesse qui prime, dans le football par exemple, ce qui compte, c’est d’être le premier sur le ballon, arriver avant l’adversaire.
« La puissance, conceptuellement, c’est un mélange de la qualité de vitesse et de la production de force. »
Parfois, on dit d’un joueur qu’il est puissant alors que l’on veut dire qu’il est rapide, on mélange un peu les deux termes. Dans d’autres sports, comme le rugby par exemple, la puissance est beaucoup plus importante parce qu’il y a plus d’actions, où les joueurs génèrent de la force en même temps que de la vitesse. En football, c’est aussi très important, quand vous avez un contact ou que vous devez pousser un adversaire ou le retenir. Vous comprenez bien que ce n’est plus uniquement la vitesse qui importe, mais cette notion de puissance, qui mélange la force et la vitesse.
Au regard de votre éclairage théorique, peut-on considérer la force comme une qualité physique fondamentale dans la « production » de performance ?
En fait, le mouvement sur Terre, nait de l’application des forces. En prenant en compte le contexte du football, nous pouvons considérer qu’une frappe de balle, c’est de la force appliquée sur le ballon, un saut c’est de la force, un déplacement latéral, c’est de la force, un ballon que le gardien dévie ou pas, c’est aussi de la force.
En revenant aux bases mécaniques, le mouvement, c’est de la force générée et appliquée. Si vous vous intéressez à comment avoir un meilleur mouvement, plus rapide, plus haut, plus juste, une frappe, avoir une passe plus longue, par exemple, ce n’est ni plus ni moins que plus de force appliquée correctement sur le ballon, ou la même force appliquée plus efficacement. En allant plus loin encore, ce qui applique la force, ce n’est pas « le joueur », ce sont ses muscles, son système neuromusculaire, c’est pourquoi il faut en finir avec le discours qui enlève le neuromusculaire de la performance physique ou technique des joueurs de football.
Ce que l’on appelle la technique, une transversale magnifique de 40 mètres qui arrive dans les pieds, ça n’est ni plus ni moins qu’une bonne coordination et la production et l’orientation correcte de la force par le système neuromusculaire. C’est un élément fondamental, parce que le discours des entraineurs présente parfois la technique comme quelque chose d’un peu nébuleux, or la technique, c’est de la contraction musculaire et la force est créée par les muscles et orientée dans l’espace.
Vos travaux portent sur la définition du profil force vitesse, ils ouvrent de nouvelles pistes de réflexion, pouvez-vous aller un peu plus loin sur la définition des différents types d’expression de la force ?
Il y a effectivement différentes expressions de la force. La force dans un temps très court, c’est l’explosivité, la force dans la dimension de l’endurance, etc. La capacité de force des athlètes dépend de la vitesse du mouvement, ce que nous savons depuis très longtemps. Vous ne soulevez pas une masse lourde, aussi vite qu’une masse légère, ce qui se traduit par le fait que l’on ne produit pas le même niveau de force à différents niveaux de vitesse et vice versa.
Une chose dont nous nous sommes rendus compte, c’est que si vous demandez à deux joueurs de produire de la force en sprint, et que vous leur mettez des conditions de résistance différentes, pour leur permettre différents niveaux de vitesse, la première chose observée, c’est qu’on ne produit pas le même niveau de force à différents niveaux de vitesse. Plus il y a de la résistance au mouvement, plus il y a de force, mais moins il y a de vitesse, c’est pourquoi il y a une relation force-vitesse.
« Plus il y a de la résistance au mouvement, plus il y a de force, mais moins il y a de vitesse, c’est pourquoi il y a une relation force-vitesse. »
La deuxième chose observée, c’est que différents joueurs vont présenter différentes relations force vitesse, c’est pourquoi avec Pierre Samozino, nous parlons de « profil », parce qu’il y a ici une notion individuelle. Typiquement, si vous mettez la même résistance en pourcentage du poids de corps à deux joueurs, sur trois ou quatre niveaux de résistance, vous observerez que sur certaines résistances, un joueur sera meilleur que l’autre et inversement selon les niveaux de résistance. C’est assez rare dans une équipe de football de voir deux joueurs avec exactement les mêmes profils.
En d’autres termes, l’expression de la force est très individuelle, elle dépend de la vitesse, ce qui pour moi justifie le fait d’avoir une approche plus individualisée avec les joueurs. Prenons un exemple concret, vous souhaitez réaliser un travail de résistance en sprint pour travailler la puissance, si vous mettez 20 kilos à tout le monde, vous considérez que tout le monde a la même capacité force/ vitesse et que tout le monde va recevoir le même stimulus, ce qui n’est très probablement pas le cas.
Claude Fauquet, lorsqu’il était directeur technique national de la natation, affirmait que dans une perspective de gain de vitesse, un des grands enjeux était de diminuer tout ce qui était de l’ordre de la résistance. Bien que les sports aquatiques soient très spécifiques dans le rapport à la résistance, cette idée est-elle « transférable » à l’entraînement de l’athlète et/ou du joueur de football, en gardant comme objectif de diminuer les résistances pour exprimer plus de force ?
Il y a une énorme différence entre la natation et les sports pratiqués dans le milieu aérien. Hormis diminuer la résistance de l’air comme on peut le faire en athlétisme avec des maillots très près du corps, cette approche ne semble pas pertinente dans le football. Selon moi, on se trompe quand on affirme que « pour qu’un joueur coure plus vite, il faut l’entraîner uniquement dans la condition de vitesse ».
En d’autres termes, si vous voulez progresser sur 30 mètres, il ne faudrait que faire du 30 mètres parce que c’est spécifique, or l’histoire de l’entraînement montre que cette approche a de réelles limites dans le temps. Si je veux progresser sur 10 km, en faisant des 10 km toutes les semaines, je vais m’améliorer, mais rapidement ma progression sera limitée par des déterminants physiologiques de la performance sur ce format de course.
« L’accélération, c’est de la production de force orientée dans la direction du mouvement. »
Or, ces déterminants je ne vais pouvoir les travailler que par un autre type d’entraînement qui permettra de les aborder de façon spécifique. Il y a une étude fantastique qui montre qu’en ne pratiquant que le football ou que des sprints, avec des jeunes ou avec des joueurs de bon niveau, les progrès en sprint sont très limités.
Il faut absolument comprendre que les progrès passeront, par l’amélioration d’autres facteurs, et un des facteurs importants, c’est la capacité à générer et orienter la force pour accélérer plus. Killian Mbappé court très vite, parce que sur ses débuts de course, il est capable d’accélérer énormément et l’accélération, c’est de la production de force orientée dans la direction du mouvement.
Dans le cadre d’un protocole d’entrainement, un débat existe entre certains qui pensent qu’il faut insister sur les points forts, alors que d’autres, pensent au contraire, qu’il est préférable d’insister sur les points « d’effort ». Quelle est votre position sur ce débat ?
L’approche est assez simple, nous sommes constitués de points forts et de points faibles et notre performance, c’est le résultat de nos points forts, limités par nos points faibles. Par définition, un point fort, c’est un élément qui est très développé avec une marge de progression très faible. Prenons l’exemple de l’endurance. Si mon VO2max est mon point fort, je peux m’entraîner des années, il n’évoluera qu’à la marge, alors que d’autres facteurs vont limiter fortement ma performance.
Un autre exemple, si je suis en surpoids, je peux insister sur mon point fort autant que je veux, je serai limité en termes de performance, par ce point faible. Donc si on veut se focaliser sur des choses qui sont modifiables, sur des aspects où il existe des réelles marges de progression, je crois qu’il est fondamental de parvenir à lever les barrières des points faibles.
« Notre performance, c’est le résultat de nos points forts, limités par nos points faibles. »
Si un sprinter a une très bonne qualité de force, mais une mobilité restreinte qui limite sa gestuelle, je peux augmenter son niveau de force autant que je veux, si je ne résous pas le problème de sa gestuelle inefficace, il n’ira pas plus vite. La performance doit être abordée en insistant sur les points forts, mais en essayant aussi de lever les freins, or on s’aperçoit que très souvent, il est plus facile de lever les freins que de progresser sur les points forts.
Le discours contreproductif c’est d’affirmer que nous devons choisir l’un ou l’autre. En tant qu’entraineur nous devons évidemment considérer les points forts, mais nous devons absolument réduire les points faibles, la frontière entre les deux est fine, mais c’est pour ça que notre métier est passionnant, puisque les points forts ont eux aussi, une limite.
Le travail de pied dans le football, notamment sur les changements de direction ou sur les reprises d’appui, semble être « un chantier », peu investi. De façon caricaturale, une des explications avancées serait que ce genre de travail soit réservé à l’athlétisme.
Effectivement, Il y a un peu de cela, historiquement les entraîneurs d’athlétisme et j’en ai été un, donc je n’ai pas de problème avec ça, se sont un peu accaparés les aspects de la motricité. En gros : « tout ce qui touche à la course, les gars, c’est notre job, vous êtes des footeux ».
Pour moi la limite se situe ailleurs, à savoir faire comprendre aux joueurs et au staff que leur motricité de footballeur et par ricochet leur performance physique peuvent être modifiées par un entraînement qui ne sera pas forcément orienté vers le football.
« Le discours qui consiste à dire qu’absolument tout peut se travailler avec un ballon, est une erreur. »
La mobilité de la cheville, qui est un facteur clé de la performance sur des changements de direction, va devoir être abordée, si on veut réellement la travailler, de façon spécifique et désolé de dire ça, mais de façon isolée, d’autant la gestuelle du football enferme et restreint la mobilité et se montrer contre-productive.
Le discours qui consiste à dire qu’absolument tout peut se travailler avec un ballon, est une erreur. Je peux faire progresser la mobilité de cheville d’un joueur, mais il va falloir que nous passions deux ou trois fois 20 minutes par semaine ensemble. Alors on prendra un ballon pour qu’il soit dit qu’il y a un ballon, mais c’est du travail spécifique, mais c’est important parce que ça veut dire qu’il faut que les gens fassent le lien entre le foot, qui est spécifique et le travail physique.
La cheville est un facteur important de blessure au football, un travail spécifique de pied pourrait-il poursuivre conjointement des objectifs de performance et de prévention ?
La question de la prévention est très délicate parce qu’elle est multifactorielle. Je pars du principe qu’en élargissant la palette motrice et en affinant la motricité des joueurs on leur permet probablement de mieux répondre aux situations extrêmes. Mon discours est très généraliste, mais l’idée sous-jacente est assez simple.
Le risque de blessure aux ischios sur les contrôles de balle en hyper extension peut être lié à un déficit de mobilité du bassin et ce n’est clairement pas en répétant ces contrôles en l’air à pleine vitesse que cela s’améliorera mais en faisant des exercices de mobilité du bassin qui vont permettre, au niveau moteur, de faire face à cette « situation » imprévue.
Il y a évidemment des blessures qu’on ne peut pas éviter, un coup sur la cheville par exemple, mais il y a des blessures qui selon moi sont le fruit d’un manque d’adaptabilité motrice face à des situations inhabituelles. Par définition, aucune solution n’existe pour travailler l’inhabituel, mais il faut tenter d’y faire face en multipliant les sollicitations gestuelles hors des gestes spécifiques de son sport, et pour cela il faut accepter de réaliser un travail un peu différent.
Les joueurs notamment chez les plus jeunes sont amenés à évoluer sur différents types de surfaces (gazon, synthétique, hybrides, etc.), selon les installations disponibles ou la nature des adversaires. Nous connaissons l’intérêt de la variabilité dans le processus ‘apprentissage, néanmoins débat émerge sur la nécessité de prévenir les risques de blessure en évoluant toujours sur la même surface.
De mon point de vue, c’est un débat tellement réducteur, parce que plus vous contraignez votre corps à un schéma moteur et à des conditions de pratique stables (il faut tout le temps s’entraîner sur une seule surface, parce que les matchs s’y déroulent), plus vous exposez votre corps à des problèmes face à des contraintes externes changeantes. Si vous êtes habitué à faire des footings sur tous types de surface, dans des bois, dans des chemins, bitume, votre corps sera plus adaptable et moins exposé aux changements.
En ce sens, une anecdote que m’avait raconté un médecin de l’Olympique de Marseille me parait intéressante. Il me disait qu’en arrivant au club, Marcelo Bielsa avait déclaré : « à partir de maintenant, les footing, l’aérobie, se passeront en dehors de la Commanderie, dans les chemins, dans les bois, le long des champs, etc ». Globalement, les staffs ont eu les poils qui se sont dressés, mais le médecin a constaté que cette saison-là, il y a eu au club moins de problème pied-cheville, tous les types de pathologies confondues. Après affirmer qu’il y a une relation de cause à effet …
« Par définition, aucune solution n’existe pour travailler l’inhabituel, mais il faut tenter d’y faire face en multipliant les sollicitations gestuelles hors des gestes spécifiques de son sport, et pour cela il faut accepter de réaliser un travail un peu différent. »
Tout cela pour illustrer que lorsque vous êtes habitué à différentes surfaces, vous aurez toujours votre surface de prédilection, mais la variabilité vous permettra de mieux vous adapter. L’explosion des pathologies de la chaine postérieure de la jambe avec la prolifération des terrains synthétiques est aussi en partie dû au fait que les joueurs sont trop habitués à une surface systématique. Quand les joueurs évoluent sur leur surface de prédilection, tout se passe très bien, leur corps est très bien adapté, mais dès qu’il faut changer, les risques de blessures arrivent.
La préparation physique, globalement, ce n’est pas « de l’aérobie, de la musculation, du gainage », c’est avant tout le fait d’avoir un physique prêt, mais prêt à quoi ? Prêt au maximum de choses qui vont pouvoir lui être proposées, bien que le football, c’est un sport très standardisé, une saison est pleine de changements auxquels le corps doit être capable de faire face. C’est un peu la même comparaison entre les acteurs de cinéma qui suivent un script aux artistes qui font de l’improvisation. Est-ce qu’on est prêt à devenir polyvalent, adaptable ?
En football, les joueurs ont une motricité contrainte, puisque leurs pieds servent à la fois à se déplacer et à manipuler le ballon. Serait-il intéressant pour un staff, d’accueillir une personne ressource sur la motricité, notamment sur le travail pied-cheville, en complément des préparateurs physique dont le travail est plus orienté sur l’optimisation de la force ?
Selon moi, c’est toujours riche. Certains staffs recrutent désormais des personnes qui viennent d’autres disciplines, parfois assez éloignées du football. La vraie question est davantage pourquoi les staffs spécifiques football n’auraient-ils pas dans leur formation cette vision des choses ?
Il s’agit d’ouverture d’esprit, mais on pourrait aussi s’interroger sur comment favoriser cette ouverture chez les personnes qui sont déjà en place. On a toujours tendance à craindre l’ouverture, dès que nous proposons des choses qui ne sont pas étroitement liées au football, des freins, des doutes apparaissent. Mon expérience avec des athlètes de différentes disciplines, et la littérature scientifique montre qu’au contraire, plus on expose les joueurs à des motricités différentes, plus ils deviennent adaptables.
Les joueurs de très haut niveau, avec de longues carrières plutôt épargnées par les blessures, sont très souvent des personnes qui pratiquaient plusieurs sports chez les jeunes. Quand vous voyez des vidéos de Kevin Durant, grand basketteur américain qui joue au football américain dès son plus jeune âge, vous comprenez mieux pourquoi, à son âge, il a encore du rythme et qu’il reste encore performant avec une santé de fer, malgré une rupture du tendon d’Achille.
Pensez-vous qu’au football, à l’image du tennis ou de la gymnastique les enfants ont tendance à spécialiser de façon trop précoce ?
J’en suis convaincu, mais on en revient toujours à ce terme d’éducation physique. En fait, l’idée est simple, plus on spécialise tôt, plus on enferme les enfants dans une motricité restreinte et plus les jeunes sont exposés à un manque d’adaptabilité sur le plan moteur. Il est possible que cela permette d’emmener des joueurs vers des carrières professionnelles, mais c’est aussi un danger d’enfermer aussi tôt les enfants dans une hyper spécialisation du football.
« Cela paraît complètement fou de demander à un joueur de football de nager une heure par semaine, mais je suis convaincu que ce serait plus constructif au regard d’une heure supplémentaire de football et sa motricité spécifique »
Je prends l’exemple de la natation, cela paraît complètement fou de demander à un joueur de football de nager une heure par semaine, mais je suis convaincu que ce serait plus constructif au regard d’une heure supplémentaire de football et sa motricité spécifique. C’est très clair, il faut ouvrir un peu la motricité notamment pour les enfants qui dès l’âge de 10 ans, font tout le temps les mêmes types de séances, de jeu, d’exercices, etc.
Souvent, j’entends, des techniciens indiquer qu’ils mettent de la variété dans leurs séances. La variété, ce n’est pas seulement remplacer des piquets par des cônes ou proposer une course en zigzag plutôt qu’en ligne droite, c’est de vraiment faire autre chose, radicalement.
« La variété, ce n’est pas seulement remplacer des piquets par des cônes ou proposer une course en zigzag plutôt qu’en ligne droite, c’est de vraiment faire autre chose, radicalement. »
Pratiquer d’autres sports, découvrir d’autres modalités, c’est dangereux pour un joueur d’avoir pratiqué seulement une activité de 12 à 22 ans. Il est évident qu’à 22 ans, prendre conscience qu’il faut se mettre à faire un peu de tennis, un peu de vélo, ça peut devenir problématique parce que le stade de l’hyper spécialisation est largement dépassé. Le véritable enjeu selon moi, ce sont les périodes de formation et de préformation, qui doivent permettre à un footballeur de haut niveau de 20 ans, d’être capable de pratiquer trois, quatre, ou cinq disciplines convenablement. Il ne doit pas être en danger quand il va dans l’eau ou sur un court de tennis …
Finalement, un footballeur de haut niveau, ne doit-il pas être d’abord un sportif de haut niveau, au sens large, c’est à dire avec une personne avec une motricité de haut niveau ?
J’ai l’impression que le football est très ancré sur cette hyper spécialisation parce qu’il faut vite sortir du lot, se montrer hyper compétitif pour envisager une détection et une carrière professionnelle. Je côtoie pas mal d’athlètes issus de nombreux sports et paradoxalement quand je propose des choses un peu inhabituelles, les footballeurs éprouvent plus de difficultés que les autres, probablement parce qu’ils ont une motricité moins riche, même s’il y a des exceptions bien sûr.
Dans cette logique de pluri disciplinarité, le modèle du sprinter de haut niveau est parfois utilisé comme modèle théorique à reproduire pour devenir performant sur la vitesse. En football, ne sommes-nous pas devenus parfois prisonnier de ce modèle, avec l’intervention de professionnels issus d’autres disciplines, qui peuvent avoir tendance à vouloir formater un modèle de foulée par exemple ?
Je ne pense pas avoir fait cette comparaison, mais je suis complètement d’accord. L’erreur consiste à affirmer que les sprinteurs courent d’une certaine manière, donc les joueurs de football doivent courir de la même manière. Cela consisterait à ignorer une énorme différence de spécificité et dans les tâches à accomplir dans chaque sport.
Le football, globalement, c’est un sport qui antériorise. Les évènements se déroulent majoritairement devant nous, avec une forme de course antériorisée où le tronc et le bassin sont penchés en avant, un trajet arrière du pied et des membres libres, conséquent. Je ne crois pas qu’il ne faille pas amener les gens à changer de posture, à une exception près, c’est que cette antériorisation du geste, la flexion du tronc plus marquée et un mouvement arrière plus marqué des segments libres, provoquent une grande tension dans la chaine postérieure et notamment les ischios-jambiers.
Sans ces risques sur la chaine postérieure, j’aurais tendance à vous dire de courir comme vous voulez, mais cette façon de courir de façon exagérée vers l’avant, chez certains footballeurs, est associée à d’importants risques de lésions sur les ischios jambiers du fait de la contrainte mécanique qu’elle engendre.
« L’erreur consiste à affirmer que les sprinteurs courent d’une certaine manière, donc les joueurs de football doivent courir de la même manière. »
Je ne veux pas formater votre foulée pour que vous courriez comme Usain Bolt, en revanche, je veux éviter que vous courriez avec trop de tension sur la chaine postérieure, et ce discours peut être intéressant avec certains joueurs, en leur précisant qu’en modifiant un peu leur façon de courir, ils pourront s’exprimer sans ce que cela soit dangereux.
C’est un exemple que j’illustre dans certaines conférences, avec un joueur français de haut niveau qui évolue en Angleterre, avec une foulée exagérée vers l’avant et qui souffre énormément des ischios jambiers. A l’image de nos propos précédents sur les forces et les faiblesses, je ne cherche pas à faire une copie d’Usain Bolt, mais je cherche avant tout qu’une faiblesse devienne un problème insurmontable ce qui est une nuance.
Pensez-vous que cette démarche de progression y compris sur les aspects moteurs soit viable quel que soit l’âge du joueur ?
J’en suis complétement convaincu pour deux raisons. La première, c’est qu’une étude récente a montré qu’il était possible de faire évoluer sa technique de course, en travaillant spécifiquement certains aspects. Deuxièmement, si on estime que passé un certain âge, plus rien n’est modifiable au niveau moteur, autant demander au joueur d’arrêter l’entrainement, puisqu’il n’y a plus à faire. Philosophiquement affirmer en tant qu’entraineur ou préparateur physique qu’un aspect moteur n’est plus modifiable, c’est problématique ! Peu modifiable peut-être, mais toujours possible.
« Si on estime que passé un certain âge, plus rien n’est modifiable au niveau moteur, autant demander au joueur d’arrêter l’entrainement, puisqu’il n’y a plus à faire. »
Prenez l’exemple de joueurs de très haut niveau comme Rafael Nadal, Roger Federer ou Novak Djokovic qui ont fait évoluer leur façon de servir ou de frapper la balle pour répondre à certains besoins, après 20 ans de carrière au plus haut niveau. Si ces joueurs arrivent à changer leur technique de service, je pense qu’on peut changer la façon de courir d’un joueur avec un travail adéquat. Le travail adéquat ce n’est surtout pas de faire courir le joueur davantage, puisque le joueur va courir certes plus souvent, mais pas avec la technique adaptée, il va falloir vraiment déconstruire et travailler spécifiquement.
La culture de l’entrainement individuel évolue dans toutes les disciplines sportives. Les footballeurs sont-ils encore un peu réfractaires à mettre en place des choses en dehors du club ?
Pour répondre à cette question, je prendrai le problème dans l’autre sens. Globalement, les joueurs de football sont capables de mettre en place des choses pour devenir plus performants et pendant plus longtemps. A l’image de Cristiano Ronaldo et bien d’autres qui consacrent des heures par jour au fameux entraînement invisible, alors que d’autres sont plus négligents.
C’est une forme d’engagement individuel vis-à-vis de son corps qui doit être considéré comme le véhicule de sa carrière sportive et déterminer le niveau d’importance accordé. Certains joueurs vont traverser une carrière professionnelle de haut niveau sans jamais avoir à s’en soucier, « tant mieux pour eux », en revanche d’autres joueurs passeront à côté d’une carrière de haut niveau pour les mêmes raisons.
« C’est une forme d’engagement individuel vis-à-vis de son corps qui doit être considéré comme le véhicule de sa carrière sportive et déterminer le niveau d’importance accordé. »
Selon moi, la réponse est hyper individuelle, mais il faut avant tout tenter de faire comprendre aux joueurs leur contexte afin qu’ils comprennent bien qu’il s’agit de leur corps qui est leur outil de travail. Généralement, les joueurs peu favorables à ce genre de travail invisible, changent complètement d’optique après leur première grosse blessure.
La plupart du temps, ils sont éloignés du terrain et découvrent en période de réhabilitation ils réalisent qu’ils vont devoir mettre en place tout le travail préventif pour revenir en forme, qu’ils ne voulaient pas mettre en place auparavant. C’est d’autant plus problématique si cette première blessure compromet la suite de la carrière et révèle que le joueur attend d’être face au problème pour le prévenir.
En France, d’une manière générale dans le sport, nous avons davantage une culture de réhabilitation de la blessure que de sa prévention.
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