Du prêt à porter tactique au prêt à penser tactique

Proposition théorique de © Jean-Francis Gréhaigne, professeur des Universités honoraire en STAPS de l’Université Bourgogne Franche-Comté et Patrick Marle, professeur agrégé d’éducation physique et sportive, retraité de l’Université Bourgogne Franche-Comté (France).

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Dans le langage courant, le prêt-à-porter est constitué de pièces vendues en tant que produit fini et non pas réalisées sur mesure. Ce sont des vêtements exécutés en série, voire de qualité supérieure, généralement conçus par un styliste de mode.

Ainsi, le prêt-à-porter est conçu pour le plus grand nombre sans obligatoirement convenir à tout un chacun. Parfois la notion de système de jeu sert de prêt à penser tactique pour masquer une absence de réflexion à propos d’une véritable analyse tactique des rapports de forces.

Pourtant, entraîner, c’est gérer, c’est-à-dire concevoir, construire puis animer, observer, évaluer et réajuster un cadre pédagogique pour un groupe particulier. Le défi consiste à gérer le groupe et le singulier pour améliorer l’apprentissage de l’ensemble des joueurs. Alex Ferguson (ancien entraîneur de Manchester United) avait l’habitude de dire que le travail quotidien consiste à prendre des décisions, à fournir des conseils. Le travail d’un manager, comme celui d’un enseignant, est de contribuer à rendre les gens meilleurs, de faire des gagnants. Il faut aussi démontrer une capacité d’adaptation à mesure que le jeu change.

En sport collectif, raisonner à partir d’une bonne observation reste un point crucial de la prise de décision en situation en évitant de cette façon le recours systématique « au prêt à porter tactique ». Avec les systèmes de jeu, une caricature courante vise à̀ réduire les apports de la tactique à des produits prêts à l’emploi, conçus et élaborés par des experts et destinés à des joueurs simples applicateurs (un « prêt-à̀-porter tactique » en quelque sorte) … mais l’on connaît bien les limites de ces modèles prescriptifs, quel que soit le bien fondé de leurs intentions (Amade-Escot,1997).

Les exercices qui mènent à ces apprentissages sont livrés clé en main et doivent produire lors de leur application, des effets immédiats. Il s’agit là d’un volontarisme évident qui confine d’ailleurs à la croyance simpliste d’une  compréhension instantanée des exercices par les protagonistes.

« Entraîner, c’est gérer, c’est-à-dire concevoir, construire puis animer, observer, évaluer et réajuster un cadre pédagogique pour un groupe particulier. Le défi consiste à gérer le groupe et le singulier pour améliorer l’apprentissage de l’ensemble des joueurs. »

Certains schémas de jeu proposent d’organiser une circulation préétablie de joueurs et du ballon à partir de situations spécifiques (le plus souvent, à partir des situations de jeu arrêtées). Un « schéma tactique » (Teodorescu, 1965) constitue un programme préétabli qui propose une régulation automatique afin de faire face de façon économique à des situations relativement stables. Ils devraient permettre de surprendre l’adversaire à l’aide d’une avance initiale ou tout simplement en jouant plus vite que l’adversaire et de devancer son replacement défensif. 

En football ou en rugby, excepté certains cas particuliers ou les lancements de jeu, le recours à des schémas tactiques pour assurer la continuité du jeu est rarement opportun. En effet, le désordre s’installe très rapidement avec les divers déplacements des joueurs et du ballon et vient contrecarrer le bel ordonnancement du schéma tactique et dans ce cas, une adaptation tactique est nécessaire pour passer du schéma aux réalités de la configuration momentanée du jeu et de la circulation du ballon dans le rapport d’opposition en cours. Fréquemment, un usage mal compris de l’apprentissage de tels schémas stricts étouffe la personnalité du joueur, la réduit et le contraint à réaliser des actions individuelles trop précises, le « sclérose » et freine ses possibilités d’expression et de développement d’une pensée tactique.

En football, le fait de ne pas « tenir le ballon » a pour conséquence une centration plus importante sur les circulations tactiques plus souples en raison aussi des difficultés à conserver la balle. Il est alors nécessaire pour chaque joueur de s’adapter à la situation réelle de jeu. Cette adaptation qui évidemment se traduit par une prise de décision et la réalisation « juste » au bon moment ne peut, bien entendu, que se développer grâce à des situations réelles de jeu, adaptées aux possibilités de l’ensemble des joueurs, et utilisées de façon récurrente lors des séances d’entrainement. Ainsi, le joueur qui s’adapte à une situation nouvelle est un joueur qui « joue avec sa tête avant de jouer avec ses pieds ».

Cependant, il est aussi illusoire de penser qu’un entraînement de Pep Guardiola soit directement utilisable par un coach quelconque. Les exercices mis en place correspondent à une réflexion sur un problème donné d’une équipe et non pas à un savoir universel susceptible d’être utilisé tel quel.

En fait, une véritable formation des joueurs devient nécessaire dès lors que l’on souhaite dépasser l’application de recettes ou de modèles formels et viser des progrès tout au long de la vie du joueur. L’enjeu consiste à théoriser les stratégies mises en œuvre spontanément par les acteurs, à les situer par rapport aux conduites motrices efficaces et ne relève pas d’un enseignement formel de modèles gestuels.

« Une véritable formation des joueurs devient nécessaire dès lors que l’on souhaite dépasser l’application de recettes ou de modèles formels et viser des progrès tout au long de la vie du joueur »

Pour que cette théorisation soit efficace c’est-à-dire pour que l’entraîneur puisse s’ajuster aux réactions des joueurs (à ce qu’ils pensent, à ce qu’ils croient, à ce qu’ils explicitent, etc.), il est donc nécessaire d’identifier l’arrière-plan.

D’une façon générale, les études confirment que le savoir professionnel des entraîneurs est très composite. Il est fait d’habitudes, d’usages acquis au fil de l’expérience, d’options personnelles sur l’entraînement et sur l’apprentissage, mais aussi sur les contenus. Ces éléments permettent de comprendre les difficultés de la diffusion des produits de la recherche auprès des entraîneurs et ils soulignent l’irréductibilité́ des savoirs praticiens en grande partie « tacites ».

Notre approche (Gréhaigne, 2018). consiste à subordonner le travail technique, physique et psychologique au travail de la tactique collective. Le référentiel commun paraît aussi constituer l’interface entre l’intelligence tactique des joueurs en situation et les stratégies, le plan de jeu, les schémas tactiques.

Cette approche a le mérite de présenter un modèle d’apprentissage qui vise à développer l’intelligence de jeu des joueurs, car basée sur une méthodique acquisition des principes de jeu offensifs et défensifs dans un contexte d’opposition.

Trois moments principaux constituent l’essentiel des problèmes tactiques du football que doivent résoudre les joueurs individuellement et / ou collectivement. Chaque problème est posé en fonction des rapports d’opposition instantanés qui peuvent être favorables à l’attaque, favorables à la défense ou équilibré et en devenir. Dans le devenir, les transitions entre deux états sont toujours porteuses d’informations notables sur l’évolution du jeu comme les lieux de récupération du ballon (Duprat, 2005).

« Notre approche (Gréhaigne, 2018). consiste à subordonner le travail technique, physique et psychologique au travail de la tactique collective. Le référentiel commun paraît aussi constituer l’interface entre l’intelligence tactique des joueurs en situation et les stratégies, le plan de jeu, les schémas tactiques. »

On privilégiera aussi chez les joueurs l’initiative car porteuse de progrès versus une intention qui peut relever de la chimère. Cela représente la base même de l’efficacité en sport collectif que de permettre, pour tous les participants d’une même équipe, le plein déploiement de l’initiative individuelle. Ici, il n’y a pas opposition entre initiative individuelle et actions collectives, si la possibilité d’initiative pour tous les joueurs et à chaque instant existe.

En effet, pour Deleplace (1979, p. 18) avec un « système représentatif mental commun des informations (sur le jeu), non seulement l’ensemble complexe devient significatif, interprétable par chacun, mais du même coup l’initiative de chacun devient elle-même facilement interprétable, compréhensible, significative pour chacun des autres partenaires, et cela à tout moment.

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Références

Amade-Escot, C. (1997).Observation des situations didactiques et pratique réflexive en formation initiale. Recherche & Formation, 25, 47-56.

Duprat, E (2005). Approche technologique de la récupération du ballon lors de la phase défensive en football, contribution à l’élaboration de contenus de formation innovants. Thèse de Doctorat (non publiée), École Normale Supérieure de Cachan

Gréhaigne, J.-F. (2018). À propos de certaines bases théoriques et pratiques des sports collectifs. Préparation aux concours de recrutement.  eJRIEPS, Hors-Série N° 2, 99-110.

Gréhaigne, J.-F., & Marle P. (2021). L’observation, l’analyse et l’évaluation du jeu et des joueurs en football. Angers (France) : Auteurs

Teodorescu, L. (1965/2013). « Principes pour l’étude de la tactique commune aux jeux sportifs collectifs ». Revue de la S.I.E.P.E.P.S., 3, p. 29-40. (Texte publié à nouveau en 2013 dans le eJournal de la Recherche sur l’Intervention en Éducation Physique et Sportive, 28, p. 99-117).