Responsable technique de la section féminine du Stade Malherbe de Caen et aujourd’hui, entraineur des U17 Nationaux du FC Lorient, Anaïs Bounouar nous propose un éclairage sur sa vision idéale d’un club de football, où il y aurait exclusivement des groupes de niveau, non pas des groupes de filles et de garçons, afin que chacun s’entraine selon ses possibilités.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
En quoi consiste votre rôle de responsable de la section féminine du Stade Malherbe de Caen ?
C’est assez varié parce que j’ai un rôle de management sur le terrain avec la responsabilité de l’équipe première mais aussi en dehors du terrain avec la responsabilité technique de la section féminine de l’école de foot, aux séniors en passant par la formation, même si au Stade Malherbe de Caen notre organisation est particulière. L’école de foot est gérée par l’association et à partir des U14 jusqu’aux séniors, la SASP prend le relais. Je suis donc au quotidien en étroite relation avec l’association et la SASP, même si je parle toujours au nom de la section féminine.
A mon arrivée au club, il a fallu partir d’une feuille blanche, recruter un staff technique pour l’équipe sénior, les U18 et aujourd’hui, le club compte en plus des équipes U11, U13, U16. Je coordonne toutes les équipes afin que tout le monde travaille ensemble sur le développement de ce projet. En parallèle, j’ai la gestion de mon staff technique séniors et de l’effectif que j’ai recruté dans son intégralité. J’ai aussi un rôle important sur le recrutement dans toutes les catégories. Si au tout début, j’étais toute seule, depuis la saison dernière, nous travaillons en staff, même si je participe à tous les recrutements, ainsi qu’aux entretiens avec les familles. De plus, je suis en relation étroite avec les dirigeants du club (président, directeur général, directeur sportif) ainsi que tous les partenaires et représentants de la section féminine. Enfin, je fais le lien avec les différentes instances, le district du Calvados, la ligue de Normandie et la Fédération Française de Football.
A l’arrivée, cela fait pas mal de choses à gérer, d’autant que depuis peu, je travaille aussi avec notre référent sur la scolarité de nos jeunes joueuses à partir de la 6ème, puisque nous avons des classes à horaires aménagés au collège, lycée et à l’université avec laquelle nous avons une convention.
Peut-on rassembler vos fonctions, sous le titre de directrice du centre de formation, avec la particularité d’avoir la responsabilité de l’équipe première féminine du club ?
Je n’ai jamais été directrice d’un centre de formation. J’en connais quelques-uns, j’en côtoie un certain nombre et il est possible que mon rôle y ressemble. J’ai cette fibre de formatrice que je cultive y compris avec l’effectif de l’équipe première et je ne connais que de loin les réelles missions d’un directeur de centre, mais comme tout costume, je pense que chacun le taille en fonction de ses préférences et compétences. A l’image des joueuses sur le terrain, il y a un cadre de fonctionnement et selon les qualités qu’elles s’attribuent, elles vont le faire évoluer.
L’une de vos missions est la formalisation du projet. Comment avez-vous travaillé sachant que la section féminine fait partie d’un tout, le Stade Malherbe de Caen, avec sa section masculine présente depuis longtemps ?
Quand j’ai pris mon poste (avril 2019), dans un club reconnu sur la formation des jeunes chez les garçons, les personnes qui m’ont recrutée, notamment Fabrice Clément, qui n’était pas encore président du club, avaient cette conviction que le Stade Malherbe de Caen devait absolument avoir une section féminine, en mettant en place un groupe de projets en 2018-2019.
Le directeur général Arnaud Tanguy, avait dressé une feuille de route et fixé des objectifs qui rejoignaient ma vision de ce que devait être la section féminine au Stade Malherbe Caen, c’est-à-dire, un club formateur à l’image ce qui se fait depuis longtemps chez les garçons.
Au-delà des moyens financiers, le club ne souhaite pas dépenser sans compter dans l’achat de joueurs. Je partage cette vision, qui vise à dénicher les joueuses à fort potentiel de la Basse-Normandie dans un premier temps et les accompagner vers l’élite, bien qu’en Haute-Normandie, des clubs travaillent très bien comme le Havre, Quevilly Rouen ou le FC Rouen.
Ce projet est vraiment le fruit d’une vision commune avec Fabrice Clément et Arnaud Tanguy pour faire du Stade Malherbe de Caen, un club formateur, d’autant que Fabrice était aussi en charge du centre de formation à ce moment-là chez les garçons. A mon arrivée, je me suis imprégnée de l’environnement et tout de suite, j’ai rencontré le directeur du centre à l’époque, Stéphane Nado, qui m’a présenté le projet de formation, le projet de jeu et son fonctionnement au club.
Je me suis aussi rapprochée de l’association avec le responsable technique et j’ai rencontré des anciens du club, afin de bien comprendre les rouages de celui-ci. J’avais déjà certaines notions, puisque je travaillais à côté depuis trois ans dans un club avec lequel il y avait presque un partenariat. Une première section féminine avait existé en 1938, puis une deuxième section entre 1970 à 1986, qui s’est arrêtée faute de moyen.
En démarrant cette aventure, force est de constater qu’il n’était pas possible de dupliquer le fonctionnement des garçons chez les filles puisque nous avions des moyens très limités. En termes de ressources humaines, j’ai la chance d’avoir un staff, mais seul l’adjoint de l’équipe première et le responsable des U16 U17 et U18 sont salariés à temps partiel, contrairement aux staffs chez les garçons. Cependant, c’est assez logique, au regard du nombre de joueurs formés au club.
Stratégiquement, je me suis inspirée du centre de formation des garçons, mais j’étais obligée de prendre en compte mon contexte. Tout d’abord, je souhaitais montrer aux garçons que nous ne représenterions pas une gêne, ni une menace, bien au contraire. Ils devaient comprendre que nous étions ensemble pour permettre au Stade Malherbe de Caen d’être encore meilleur, notamment parmi les clubs formateurs et de gravir les échelons avec les équipes premières.
La volonté d’être un club formateur semble convenir à vos convictions de formatrice, notamment dans l’accompagnement des jeunes. Comment avez-vous décider de « franchir la barrière » ?
Régis Le Bris me disait « Parfois, une rencontre change votre façon de voir les choses, au point de changer votre vie ». Quand j’étais plus jeune, je n’ai pas eu réellement de mentor, pourtant, j’ai eu la chance d’avoir d’excellents techniciens, notamment au Stade Rennais, quand le centre de formation était peut-être le meilleur en France. J’ai aussi joué avec de très bons joueurs, donc tout semblait couler de source, mais la bascule s’est opérée quand je suis arrivé chez les filles.
Dans mon club d’origine, le CPB Bréquigny, j’ai rencontré le responsable de l’école de foot de l’époque, qui m’avait proposé de venir le mercredi après-midi. C’était mon seul après-midi libre, j’étais une bonne élève et il m’a proposé de venir entraîner des petits. J’ai donc commencé, avec la catégorie des débutants, à l’époque, 20 garçons de 7 ans et j’ai vécu deux heures de folie où je me suis éclaté et je me suis dit : « Je veux entraîner des jeunes pour partager ces moments ». A 18 ans, 3 ans plus tard, j’étais responsable de cette école de football, avec 300 garçons et j’avais la responsabilité des U13.
Mes parents m’ont éduquée avec ces valeurs de partage, de convivialité et des repas de famille où il fallait se battre pour avoir la parole. C’est inné chez moi, peut-être parce que suis l’ainée d’un petit frère et d’une petite sœur dont j’ai toujours été très proche.
En tant que joueuse, j’ai très souvent été capitaine, même en équipe première alors que j’étais très jeune et j’avais, je crois, cette faculté de fédérer, ce qui est essentiel à mes yeux, en sport collectif. Tout au long de mon parcours, j’ai eu la chance d’avoir de très bons formateurs qui m’ont amené à réfléchir, à être une joueuse du collectif. Cela explique, en partie, ma volonté de vouloir passer par toutes les catégories de jeunes pour connaître le processus de développement du joueur. Quand je suis parti jouer à Soyaux, salariée du club, j’ai demandé à entraîner et à passer mes diplômes. Je savais ce que je voulais faire après ma carrière de joueuse et j’adore être avec les jeunes, échanger avec eux et les aider au mieux dans leur construction en tant que femme ou homme, mais aussi en tant que joueur ou joueuse. Paradoxalement, je suis très compétitrice et je déteste perdre, mais parfois, je prends autant de plaisir à avoir une équipe et des joueurs progresser, sortir de leur zone de confort et devenir très performant, plutôt que de gagner un match.
Le fait de passer par toutes les catégories, des plus petits aux plus grands, chez les garçons et maintenant les filles, comment catégoriseriez-vous les différences entre ces publics ?
Je me suis souvent posé cette question, mais vous parlez à une femme qui entraîne des filles depuis seulement deux ans. Avant, je n’avais entrainé que des garçons (débutants, U13, U14, U17 et des seniors). Chez les filles, j’ai eu des jeunes à Soyaux et ici, j’assiste à beaucoup de séances sur toutes les catégories et honnêtement j’aime tous les publics. Il n’y a pas différence fondamentale entre garçons et filles, mais il y a surtout deux types de football, le football loisir et le football de compétition. J’ai des joueuses de 14, 15 ans qui tendent vers le haut niveau, leur investissement est identique à celui d’un garçon et je suis là pour répondre à leurs attentes.
Les différences entre une femme et un homme sont physiques, physiologiques. La plupart des femmes aujourd’hui courent moins vite, saute moins haut, ont moins de force, que la plupart des hommes, même si le football féminin est en progrès sur ce plan. Au niveau technique, il n’y a pas de différence entre une très bonne joueuse et un très bon joueur, tout aussi capable, de jouer long à 40 mètres, pied droit et pied gauche, sans aucun problème. Une joueuse lyonnaise ou parisienne, par exemple, n’aura techniquement rien à envier à un joueur de Ligue 1.
Sur l’aspect tactique et la compréhension du jeu, il y a des nuances entre la vision des garçons et celle des filles, mais elles sont davantage liées à l’attitude de l’entraineur et sa façon d’appréhender l’entraînement. Je pars du principe qu’il faut que le joueur ou la joueuse donne du sens à ce qui est proposé pour qu’elle soit totalement impliquée dans le projet. A partir de ce moment-là, il est possible de construire un réel échange sur le sens du projet, les objectifs à atteindre et le meilleur moyen de gagner, car la notion de processus est très importante chez les filles. Aujourd’hui, avec mon groupe je ne peux plus faire un exercice, une situation ou un jeu sans qu’elles réfléchissent aux consignes, au point de tomber parfois dans la recherche de la faille éventuelle.
Les garçons sont un peu plus « bruts de décoffrage », ils ont davantage besoin d’un discours directif, pour gagner le plus vite possible. Parfois, les filles, notamment dans la critique, sont plus compliquées à appréhender, peut être en lien avec la place de la femme dans la société, qui instaure très vite la place au doute. Je ne peux pas adopter le même management, le même discours et la même communication avec des joueuses et avec des joueurs. Avec l’expérience, je peux parfois être plus dure avec certaines joueuses, qu’avec certains garçons, parce que j’ai été éduquée comme ça et que la critique constructive ne me gêne pas, à condition de soigner la forme. Au bout de deux saisons, les joueuses ont aussi appris à me connaître et savent que la critique doit leur permettre d’avancer, mais si jamais cela devait être un peu radical, ce sera fait en individuel. Les garçons ont un ego plus prononcé et rendent l’écoute de la critique difficile, surtout venant d’une femme. Cependant, je n’ai jamais eu de soucis sur ce point, bien au contraire, lorsque la critique est fondée, les joueurs réagissent de façon constructive
Comment avez-vous pris en compte les spécificités d’une section exclusivement féminine qui ouvre ses portes au sein d’un club essentiellement masculin comme le Stade Malherbe de Caen ?
Toutes ces questions se posent au quotidien, mais il vaut mieux se les poser la nuit que le jour. J’ai échangé avec des ami(e)s dans des clubs avec une pratique féminine, pour comprendre comment ils fonctionnaient. J’ai visité l’Olympique Lyonnais, pour m’inspirer d’un club qui affiche une régularité incroyable dans les résultats et beaucoup de stabilité dans l’organisation. Nous avons été accueillies, avec ma responsable de l’école de football, par Sonia Bompastor, afin d’observer de l’intérieur une des meilleures structures en France et en Europe, voire dans le monde. J’échange beaucoup avec d’autres structures en D2, notamment celles des clubs professionnels comme nous, pour m’en inspirer et l’adapter au Stade Malherbe et faire évoluer presqu’au quotidien notre projet.
Concernant les spécificités féminines, j’ai évidemment réfléchi à la réalité de la vie d’une femme de mon équipe. Leurs journées commencent tôt le matin, très tôt pour certaines, amener les enfants à l’école, faire sa journée de travail et venir au foot. Il y a aussi la vie d’une jeune étudiante, ses objectifs, en sachant que moins de 1% des femmes qui jouent au football, deviennent professionnelles. Il y a donc un principe de réalité. Je ne veux pas briser leur rêve et la scolarité est essentielle, même si certains garçons arrêtent très vite l’école en signant un contrat professionnel très jeunes. Chez les filles, c’est impossible. La scolarité prend une place très importante, tout comme le cursus post-bac ou l’activité professionnelle chez les filles. Nous tenons absolument à mettre en place une scolarité performante et une pratique du football de haut niveau, auxquelles nous veillons, pour préserver l’équilibre entre ces deux grands domaines.
Sur le terrain, au-delà des différences athlétiques, nous manquons cruellement de moyens, même si je n’ai pas assez de recul par rapport à la pratique féminine. En D1 féminine entre une équipe de haut du tableau et du bas de tableau, il y a un monde. J’ai un staff, mais aucun n’est salarié à temps plein, ils travaillent toute la journée, viennent en séance, puis repartent, sans avoir le temps de se poser des questions comme ils aimeraient sur les besoins d’une joueuse du Stade Malherbe. Nous manquons de temps et de moyens pour travailler comme nous aimerions le faire, à l’image de tous les clubs amateurs, nous négocions avec nos envies et notre passion.
Sans tomber dans le misérabilisme il y a une certaine forme d’injustice dans la pratique féminine du football. En effet, les filles doivent faire face au fléau du ligament croisé qui s’explique en partie par la nature musculaire, tendineuse et articulaire des femmes. Comment abordez-vous la question sensible de la prévention avec les filles de votre effectif qui vivent un double voire une triple journée ?
Cette question est absolument essentielle, nous avons déjà eu deux blessures de ce type sur les deux dernières saisons largement amputées par la pandémie. En début de saison dernière, nous avions effectué une préparation plus intense sur l’aspect athlétique, que la saison précédente, dans l’optique de prévention et de rééquilibrer avant de développer. Très vite, il y a eu beaucoup de blessures, notamment chez les joueuses qui sont dans la vie active et celles qui suivent un cursus Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS), qui arrivent à 19 heures, lessivée. Nous tenons compte de tous ces paramètres, mais à 21 heures, après une journée bien remplie, il n’est pas envisageable d’aller à la salle de musculation.
La section féminine n’a pas d’accès à la salle de musculation, alors quand il fait beau c’est agréable, mais quand il commence à faire froid et en Normandie où il pleut un peu, cela devient difficilement gérable. Je ne me vois pas demander à des femmes qui travaillent toute la journée, de venir une heure avant la séance, faire de la prévention, alors qu’elles viennent tous les jours, paient leur licence, sans gagner un centime. Elles sont très heureuses d’avoir de beaux équipements, de bonnes installations, et impliquées dans un projet sportif, mais elles préfèrent éviter de venir 4 heures tous les soirs. Elles le feraient, parce qu’elles sont courageuses, adorent ça et sont fières de porter ces couleurs, mais à certains moments la saison dernière, elles ont toutes explosées.
Nous n’avons pas de moyens et d’outils pour réellement quantifier les charges d’entrainement, d’autant que les joueuses n’ont pas connu le très haut niveau. Nous faisons comme tout le monde, les notes, les ressentis, mais depuis j’ai appris à observer les joueuses, les questionner en fonction de leur réalité du moment, journée chargée, période d’examen, menstruations, pour sans cesse nous adapter. C’est très difficile, sans moyens de tout calibrer, je fonctionne beaucoup à l’intuition, au ressenti et avec nos échanges quotidiens du staff qui commence à bien connaitre les joueuses.
La saison prochaine une cellule médicale sera mise en place avec le médecin du centre et l’arrivée un docteur spécifique à la section féminine. Le docteur nous rejoindra dans le cadre de son stage, puisque nos moyens sont limités, mais il a très envie de se former et de prendre part au projet. Nous devrions avoir un kinésithérapeute, lui aussi fraichement diplômé et très enthousiaste, à l’idée de nous rejoindre, puisque les filles ne sont pas toujours disponibles en dehors des séances pour consulter. Nous travaillons à moyen terme sur l’arrivée d’un nutritionniste, car c’est un aspect crucial, peut être encore plus chez les femmes, car nous ne sommes pas tous égaux sur cette question. Chez les jeunes, un kiné sera là au moins une fois par semaine, encore une fois avec un jeune diplômé, qui croit en ce projet et plus largement, au sport féminin qui doit aussi offrir l’opportunité à des joueuses qui en ont le potentiel d’atteindre le haut niveau.
L’environnement du football est très masculin, jusqu’au blason du club du Stade Malherbe de Caen qui représente un viking. Comment les filles parviennent à être performantes en s’appropriant des codes « masculins », tout en préservant leur féminité ?
Le sport fait l’objet d’un marquage sexué, très masculin, encore plus dans les sports de contact et dans notre culture où la femme est perçue comme fragile avec tous les préjugés associés. Cela fait qu’en règle générale, il est peu conseillé aux filles de pratiquer ces activités sportives. C’est d’autant plus vrai en France, alors qu’aux Etats-Unis, les joueuses de football (soccer) sont de véritables stars et représentent l’activité sportive universitaire la plus pratiquée du pays.
En France, tout le monde parle de football féminin, mais personne ne parle de football masculin, puisque dans l’imaginaire collectif le football appartient aux hommes, ce qui me gêne profondément en tant que femme. Paradoxalement, il y a deux ans, j’étais avec les garçons, immergée dans ce milieu masculin et je ne voyais pas du tout les choses sous cet angle-là. Les choses sont ancrées dans les familles qui orientent les filles vers des pratiques à visée esthétique et sans contact. Très peu de parents encouragent les filles à pratiquer le football, le rugby ou la boxe. Même si cela évolue tout doucement, j’aimerais que les choses évoluent plus vite. Je comprends la place laissée aux femmes au foyer et assurant l’éducation des enfants des années 50 ou 60, voire 70, mais aujourd’hui une femme peut vivre seule, s’occuper de ses enfants, travailler, faire du sport alors pourquoi pas jouer au football.
Autre élément de réponse, en interrogeant nombre de personnes sur le football des filles, je me suis aperçue que la grande majorité des gens apprécie le football proposé par les filles, parce qu’elles sont techniques, le jeu est offensif, les équipes vont de l’avant et les filles ne se roulent pas au sol, même si ça va moins vite. Les retours sont très positifs, pour autant les moyens mis en œuvre dans le football des filles sont sans aucune commune mesure, avec celui des garçons. Le problème est pris à l’envers, parfois les matchs de niveau régional chez les garçons, pourrait faire objet des mêmes remarques que celles faites chez les filles, mais c’est logique ces garçons sont amateurs. Le grand public juge les matchs de D1 féminine diffusés, mais contrairement aux garçons, beaucoup de joueuses de ce niveau ont un rythme de vie amateur, avec un travail en parallèle auxquelles on réclame de courir plus vite, sauter plus haut, d’être techniques, télégéniques, féminines, performantes, mais elles ne sont pas des superwomans.
Le côté esthétique est devenu aussi très important, notamment avec l’arrivée des médias, parce qu’auparavant une joueuse de football, moi la première, était une caricature de la garçonne. En réalité, il fallait se fondre dans la masse, je ne voulais pas arriver en robe au stade, alors que mes copains étaient en survêtement. J’étais entourée de garçons, je me comportais comme eux, à l’adolescence nous sommes influençables au point d’emprunter les mêmes codes que ceux des garçons. Aujourd’hui, les médias valorisent des femmes dans le football qu’elles soient joueuses, journalistes ou consultantes. La présentation du nouveau maillot des clubs est un symbole fort de cette évolution quand le maillot des garçons est dévoilé en même temps que celui des filles, qui a une coupe ajustée et féminine y compris sur les shorts, à l’image de l’équipe féminine du FC Barcelone. Il est donc assez naturel, que les comportements et la façon de s’habiller évoluent. Les équipementiers commencent à comprendre cela, mais c’est encore trop timide, puisque la plupart des joueuses de football porte un maillot et un short qui ne sont pas faits pour des femmes.
D’ailleurs, les garçons ont joué pendant très longtemps, avec des maillots dont la taille était unique dans l’équipe, qu’ils mesurent 1.70 m ou 1.90 m. Aujourd’hui, les maillots sont ajustés à la taille des garçons, logiquement, il faut avoir la même démarche avec les filles, mais les équipementiers trainent encore un peu les pieds. Pour ma part je suis plutôt petite et menue, alors lorsque je porte la tenue du club, j’avoue ne pas être très élégante, mais je n’ai rien à ma taille, je ne peux pas être moi-même et je ne peux pas être une femme. Certains me reprocheront logiquement de m’habiller comme un garçon manqué, ce qui est assez sévère puisque je ne peux pas être moi-même, même si j’ai beaucoup évolué sur ces questions, et acquis un certain nombre de convictions farouches.
Le projet de vie est un pilier d’une structure sportive, comment est perçu au Stade Malherbe de Caen, l’invitation à « l’anti conformisme » pour les filles, dans la façon de s’habiller au club ?
Dans mon cas je viens travailler habillée en « civile » et pas avec la tenue du club, sauf quand je dois aller sur le terrain ou représenter le club, mais je suis me posée la question de m’autoriser à venir habillée en civile. C’est très bien perçu au club et sans être hyper féminine, cela permet de faire souffler un vent de féminité au club. J’ai la plaisanterie facile, au moins autant que les garçons, même si au début tout le monde se regardait un peu de loin, sans savoir trop quoi répondre. Depuis les garçons se sont bien rattrapés, bien que je sois une femme, sans avoir de paroles déplacées, encore faut-il définir ce qui est déplacé ou pas. Chez les garçons aussi, il est important de connaitre les limites à ne pas dépasser et parfois entre eux, il peut y avoir aussi des choses déplacées.
Je demande aux joueuses d’être elles-mêmes sur le terrain et une grande majorité, se maquille et s’apprête, comme les hommes d’ailleurs. Quand on regarde les matchs retransmis, tous ou presque sont très bien coiffés. Aujourd’hui, l’image fait partie du jeu, chez les garçons comme chez les filles, c’est un atout de taille pour les femmes, mais elles doivent l’assumer.
Au club, notamment chez les jeunes il y a eu quelques anecdotes, notamment les filles et les garçons qui sont dans le même établissement en horaires aménagés. La mixité est un atout incroyable, qui nous permet d’être plus nombreux, mais je souhaitais que tout le monde en prenne conscience au club pour faire de notre différence, une force. Un garçon ne fonctionne pas comme une fille et réciproquement, notamment dans l’environnement du football, où de très jeunes garçons signent un contrat professionnel, gagnent très vite beaucoup d’argent. Les filles peuvent apporter un peu de fraicheur, de spontanéité et peut être un principe de réalité aux garçons, parfois un peu blasés d’un milieu dont ils ne sont jamais sortis. Au collège, une jeune joueuse a été embêtée par un garçon de l’établissement, comme cela arrive partout en France et c’est un joueur du club qui a mis un peu le holà, soutenus par tous les garçons du Stade Malherbe. Le message envoyé à tout le monde était très clair et nous avons tous compris, eux, les jeunes, nous les techniciens, qu’un esprit club était en gestation. Depuis, les filles expliquent que tout se passe bien au collège et que l’établissement sait que les garçons soutiennent les filles. Un seul et même club émerge, garçons et filles, notamment chez les plus jeunes, qui sont au collège et/ou au lycée ensemble, s’entendent très bien. Ils font partie du même club, et puis s’ils tombent amoureux à 14 ans, ce n’est pas grave, nous devons seulement veiller aux moments de vie en collectivité, puisqu’ils ne sont pas dans le même vestiaire, ni les mêmes installations chez les jeunes.
Les filles de l’équipe seniors s’entraînent le soir, après le centre de formation, tout se passe très bien avec les garçons, mais tout dépend de la façon dont on vous a amené les choses. Au début, vous êtes en minorité par rapport aux garçons, mais quand tout le monde comprend qu’en réalité, filles et garçons partagent les mêmes objectifs, pour que les couleurs du club soient hissées le plus haut possible, c’est gagné.
Vous vantez les vertus indiscutables de la mixité, mais alors, pourquoi mettre en place une section exclusivement féminine à Caen ?
Je m’appuie sur mon vécu, de mes 6 ans à mes 14 ans, j’ai joué avec des garçons et à partir cet âge on m’a demandé d’aller jouer avec les filles, j’ai répondu à l’époque : « J’arrête le foot avec les garçons et les filles ». Très rapidement j’ai changé d’avis et j’ai adoré jouer avec les filles, où je me suis éclatée et beaucoup appris, bien plus ce que je ne le pensais au départ. Je me suis posé cette question au sein de ma structure, mais pour des questions d’apprentissage et de progression individuelle, il n’est parfois pas possible de faire évoluer dans le même groupe une joueuse débutante avec des garçons, c’est également valable sans la mixité. Une section féminine, permet de tirer profit d’un réservoir de joueuses moins important que celui des garçons et selon un principe mathématique, peut-être moins qualitatif.
Une section féminine, permet d’attirer toutes les filles y compris celles qui ont l’appréhension de jouer avec des garçons au point de constituer un frein dans leur pratique et/ou qui sont en retard dans leur maturation physiologique. Dans ma vision idéale d’un club, il y aurait exclusivement des groupes de niveau et non pas des groupes de filles et de garçons, pour que chacun s’entraine selon ses possibilités, mais ce n’est pas dans les mentalités. Aujourd’hui, je suis responsable d’une section féminine, mais mon rêve, se réalise en partie, depuis la saison dernière, avec quelques filles au niveau, qui s’entraînent avec les garçons. C’était extraordinaire de voir la façon dont les garçons accueillaient les filles au début de la première séance, et la vitesse à laquelle ils sont devenus complices dans la séance, parce qu’ils avaient gagné et marqué des buts ensemble.
Les sections féminines, sont en partie le fruit d’une certaine mentalité et pas mal de préjugés, qui brident la personnalité des filles qui n’osent pas jouer avec les garçons alors qu’elles en ont le niveau ou qui ne se retrouvent pas dans le football des garçons trop axé sur les qualités athlétiques et le combat. Ce n’est pas une généralité, parce que certaines joueuses ont le profil athlétique et/ou la personnalité pour jouer avec des garçons pour leur plus grand plaisir. D’ailleurs, certaines joueuses, s’ennuient avec les filles. Nous avons au club, l’exemple d’une fille de 14 ans qui s’entraine avec les séniors pour avoir un contexte favorable à sa progression, mais elle pourrait largement s’entrainer avec les garçons. Dans une réelle optique de développement du football féminin, il faut cesser les discours extrêmes qui préconisent soit de mélanger, soit de séparer les filles et les garçons, il faut aller vers du sur mesure, au sein des clubs, pour que tout le monde progresse réellement.
Ce discours est surtout valable pour les parents qui comprennent mal pourquoi certaines filles ont accès aux meilleurs groupes, en passant devant les garçons, ce qui peut être parfois source de tension dont les racines sont au cœur des représentations des adultes. En ajustant les groupes en fonction des niveaux, un garçon de 10 ou 12 ans, ne verra aucun problème à s’entrainer avec une fille de son niveau, voire, plus forte que lui. Au fur et à mesure, les enfants seront convaincus et les parents constateront qu’une fille est capable de donner de bons ballons aux garçons. En changeant les mentalités au sein du club par ce mode de fonctionnement, tout le monde sera gagnant que ce soient les meilleurs garçons ou filles qui s’entraînent ensemble et les filles à qui le football mixte ne correspond pas et qui renforceront la section féminine. Sur la question du développement du football féminin, pourquoi la Fédération Française de Football ne pourrait pas intégrer des modules spécifiques à ce football dans le cursus de formation ?
J’ai passé mes diplômes, le sujet a été abordé deux heures sur 7 semaines. Cela permettrait aussi de faire évoluer la mentalité des éducateurs à l’égard du football féminin. Cette saison, j’interviens sur la formation du Brevet d’Entraineur du Football (BEF), un gros travail reste à faire pour faire évoluer la mentalité des éducateurs, notamment par manque de connaissance du public féminin. Beaucoup s’interdisent d’être eux-mêmes, mais quand ils auront pris le temps d’identifier les attentes des filles, leurs difficultés et leurs points fort, les connaitre tout simplement, ils atteindront le même objectif que ce soit des garçons et des filles, il s’agit de les faire progresser. Beaucoup pensent qu’entrainer des filles est un métier différent, moi la première, j’ai parfois cette crainte d’être limitée au public féminin, alors que j’aime entrainer et faire progresser des groupes, des garçons ou des filles, peu importe.
C’est ma vision un peu utopiste, mais au sein du club, on a quelques petites filles, qui s’entraînent avec les garçons parce que nous avons fait le choix d’avoir peu de filles au départ pour tendre vers la qualité, plus que la quantité. L’objectif de la section féminine est de tendre vers l’élite en créant des groupes de niveau homogène qui est peu répandu chez les filles. Parfois la meilleure du groupe, s’entraine avec les garçons, mais nous avons aussi une autre stratégie qui est de faire jouer jusqu’en U16, des filles contre des garçons, comme c’est autorisé. Enfin notre troisième alternative, est d’engager les équipes U18 et séniors dans les compétitions féminines mais elles jouent très régulièrement des matchs amicaux contre les garçons, afin d’arriver à 50% du temps de jeu contre des filles et 50% contre des garçons d’âges différents et de niveaux différents pour qu’elles deviennent capables de s’adapter.
L’accès aux responsabilités pour les femmes, à l’image de notre société est assez difficile alors que paradoxalement les hommes semblent accepter des postes à la tête d’équipes féminines comme un second choix. Pourquoi les équipes féminines semblent moins attractives d’un point de vue sportif ?
Lors de mon cursus de formation, à aucun moment ou presque la pratique féminine n’a été abordée et je suis tombée, aussi, dans ce genre de fonctionnement, de ne pas vouloir entrainer des filles. Au lieu de critiquer ou de passer pour une aigrie, j’ai accepté de sortir de ma zone de confort en acceptant ce projet. Etrangement, j’ai fait le choix de changer de public, pour mener ce nouveau projet alors que j’étais très bien dans un club avec les garçons, la montée en N3 où la vie semblait facile avec mon statut de femme un peu choyée dans un environnement masculin. J’ai dit oui, après être tombée sur des matchs de football féminin de haut niveau, notamment la finale de la Coupe du Monde féminine, Etats-Unis contre les Pays-Bas, où je me suis régalée.
Maintenant que je suis de l’autre côté, j’essaie de comprendre pourquoi j’ai eu cette façon de fonctionner, malgré le plan de féminisation mis en place par la Fédération Française de Football concernant les éducatrices, dirigeantes et même les présidentes.
Corinne Diacre, actuelle sélectionneuse a eu l’opportunité de travailler au Clermont Auvergne Foot, en Ligue 2 en expliquant qu’un seul président avait osé prendre cette décision, comme s’il s’agissait d’un exploit. Cette perception laisse entendre que les femmes qui sont en poste, ne le doivent pas à leur travail et leurs compétences, mais à une sorte de complaisance qui laisse planer le doute, qui forcément m’interpelle sur mon propre recrutement. Je reste quand même convaincue, au regard de mon expérience, sans être féministe, que les joueurs filles ou garçons savent très bien identifier, si vous avez été capable de leur apporter des choses. Alors avec un peu d’ouverture d’esprit, pourquoi une femme ne pourrait-elle pas diriger des Hommes ?
L’accès à la formation, est aussi délicat, avec de plus en plus d’éducateurs, qui devant la sélection opérée, indiquent que mon accès à telle ou telle formation est dû au fait que je sois une femme. Mais le problème est aussi inversé, peu de femmes prennent le risque de s’inscrire en formation. Pour autant, dès les premières formations, un module est dédié aux caractéristiques du public féminin. Dans notre région, j’ai été sollicité pour intervenir et expliquer mon quotidien. Un vrai échange s’est installé rapidement avec les stagiaires et nous avons pu développer ce sujet et peut-être même exclure quelques craintes ou préjugés chez certains.
Je fais une parenthèse, mais les musiques des garçons et des filles sont les mêmes dans les vestiaires, chez les jeunes comme chez les seniors. Autant d’éléments qui font que certains ne viendraient plus chez les filles, par défaut, à commencer par l’intervention femmes, cadres techniques dans les formations dans des proportions plus importantes, pour aussi apporter de la richesse aux parcours de formation. Je pense aussi que peu de femmes tentent l’aventure chez les garçons
Le vestiaire, est un endroit presque sacré, où se trame un certain nombre de choses tant sur le plan relationnel, que tactique ou technique. Être un homme à la tête d’une équipe féminine, plus encore avec des jeunes femmes et réciproquement pour une femme à la tête d’une équipe masculine, ne limite-t-elle pas la spontanéité de la vie en collectivité, pour des raisons évidentes de respect de l’intimité ?
Oui, je suis d’accord, mais j’y vois surtout des opportunités, puisque j’ai eu l’opportunité d’entraîner des équipes masculines. Je ne pouvais pas aller dans le vestiaire comme je voulais, ce qui m’obligeait à tout organiser en m’appuyant beaucoup sur les joueurs et le staff. Quand j’avais les garçons, ils étaient dans le vestiaire, des membres du staff me rapportaient des choses, j’avais toute confiance en eux, mais je devais faire le tri pour les transformer en opportunités. C’est pourquoi il faut vraiment être transparent et adopter une ligne de conduite très claire, à tel point qu’à la fin du match, certains se changeaient alors que j’étais là. J’ai vécu des scènes où les garçons se déshabillent et me voir obligée de dire : « Attends, s’il te plait ».
Pour eux, j’étais leur coach, je n’étais plus une femme et parfois c’était moi qui étais gênée. Ici, mon staff est composé uniquement d’hommes, pour encadrer une équipe féminine, je dois trouver de nouvelles opportunités, notamment pour rétablir l’équilibre. D’ailleurs, c’est devenu presque une habitude, je ne rentre plus dans le vestiaire, pourtant, je suis une femme. Je frappe, je demande si tout le monde est changé ou au moins en brassière, ou en short pour leur laisser une certaine intimité. Notre société évolue et je pense que nous devons aussi évoluer, au regard de certains problèmes.
Je crois que c’est une question de posture et de dialogue, quand j’entrainais les garçons, je n’étais pas présente pendant le temps d’habillage. J’avais été très clair, en leur demandant s’ils étaient gênés, et si un seul l’était, c’était suffisant pour modifier le cadre de fonctionnement. Inversement chez les filles, quand j’étais joueuse, nous demandions à notre entraineur de rentrer même si nous étions en brassière, surtout qu’il n’était pas tout seul, il y avait le staff, et finalement nous étions plus couvertes qu’à la plage. Il faut que ce soit quelque chose de construit entre le staff et l’effectif, aucune joueuse ne doit se sentir gênée, avec moi ou avec un membre du staff. J’entraîne des femmes, je suis gênée quand elles prennent leur douche, quand j’ai une information à faire passer, c’est moi qui rentre mais je fais très attention. Après avoir entraîné des garçons, j’ai développé certaines compétences, dans la manière de « laisser » le vestiaire pour rendre autonomes les joueurs dans leur préparation et orchestrer le temps du vestiaire sans y être, finalement je suis là sans être ici.
Rejoignez + de 4500 passionnés en vous inscrivant à notre newsletter et vous recevrez nos entretiens, directement sur votre boite e-mail.