Ancien responsable de la méthodologie de l’Athletic Club Bilbao, Andoni Bombín est responsable de la formation d’Independiente del Valle, club équatorien qui a contribué au développement de joueurs comme Moisés Caicedo ou encore Piero Hincapié.
Il nous propose un éclairage sur ce club pour qui la formation des jeunes est centrale.
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Malgré une accession relativement récente à l’élite du football équatorien, Independiente del Valle (IDV) est rapidement devenu un club incontournable du paysage footballistique équatorien, voire sud-américain. Quelles sont les spécificités du club et quelles ont été les étapes marquantes du projet ?
Effectivement, Independiente del Valle a longtemps évolué au niveau amateur et a été racheté par les propriétaires actuels en 2007. À travers un projet axé sur le développement et la promotion de jeunes talents équatoriens, ainsi que sur la transformation en profondeur de la culture footballistique du pays, ils ont réussi en quelques années à faire monter l’équipe en deuxième division (Serie B), puis en première division (Serie A) et à remporter leurs premiers succès continentaux.
Cette envie de grandir les a rapidement poussés à se rapprocher de l’académie Aspire (Qatar), afin de découvrir leurs méthodes de travail, ainsi que leur approche de la construction d’un club à partir d’une feuille quasi blanche. Ils ont aussi accueilli en Équateur un certain nombre de professionnels venus de l’académie, afin qu’ils les aident sur le terrain, à donner une impulsion au projet, ce qui a grandement favorisé le développement du club. Roberto Olabe, en tant que responsable de la formation, a aussi joué un rôle très important en termes de développement.
« Un projet axé sur le développement et la promotion de jeunes talents équatoriens, ainsi que sur la transformation en profondeur de la culture footballistique du pays »
IDV a donc rapidement grandi et a remporté ses premiers succès, notamment en gagnant la Copa Sudamericana. C’est extraordinaire qu’un club acquis en 2007, promu en première division en 2010, remporte en 2016 son premier titre international.
Aujourd’hui, nous consolidons ce projet afin de permettre au club de continuer à grandir en s’appuyant sur le développement de jeunes talents équatoriens et en participant à l’évolution de leur qualité de vie, ce qui est le plus important pour nous.
En Équateur, IDV est perçu comme un club différent et en Amérique du Sud, il est connu sous le nom de Matagigantes. D’où viennent ces perceptions ?
IDV est un club différent, parce qu’au-delà d’être un projet sportif, c’est surtout un projet social à destination des jeunes footballeurs équatoriens. Nous accompagnons leur développement en tant qu’individus et en tant que joueurs de football. Cela peut paraitre banal, mais à travers la structure, ils peuvent aller sereinement à l’école, manger à leur faim et bien entendu jouer au football dans de bonnes conditions. C’est cette approche du développement de l’individu-joueur qui nous différencie des autres.
Prendre soin et accompagner le développement de jeunes joueurs équatoriens est la base du projet. Nous allouons donc une part conséquente du budget de fonctionnement du club, à la formation, pas à l’équipe 1re. Le budget consacré au développement des jeunes joueurs permet justement à ces derniers d’atteindre l’équipe première, de s’y installer et d’être performants.
« Prendre soin et accompagner le développement de jeunes joueurs équatoriens est la base du projet »
Au lieu de signer de grandes stars et de proposer des salaires importants, comme le font de nombreux clubs, nous essayons de trouver un équilibre. Je pense que c’est l’approche idéale pour un club formateur ou un club orienté vers le développement et la promotion de jeunes joueurs.
Le surnom de Matagigantes est lié au fait que nous sommes une petite structure, partie de quasiment rien et que lorsque nous avons affronté de grandes puissances du football sud-américain, nous avons gagné. Les gens ont utilisé ce surnom parce qu’ils ont vu un club de petite taille, avec relativement peu de supporters, réaliser de grandes choses sur le terrain. Néanmoins, je pense que cette perception est en train d’évoluer, parce que nous commençons aussi à être considérés comme un club important.
Vous avez été responsable de la méthodologie à l’Athletic Club Bilbao, qui semble très similaire à ce que IDV développe, notamment en matière de formation.
Effectivement, l’Athletic Club et IDV, sont des clubs pour qui la formation des jeunes est fondamentale. Je crois que cet engagement, ainsi que les investissements humains et financiers dans leurs académies respectives, sont les éléments qui rapprochent le plus les deux clubs. Leur première préoccupation, c’est d’accompagner le développement du joueur dans toutes ses dimensions, afin qu’il puisse un jour être reconnu comme joueur à part entière de l’équipe première.
A IDV l’ambition est aussi qu’à terme, le joueur fasse partie du patrimoine footballistique équatorien. A l’Athletic Club, l’objectif est que les joueurs formés au club fassent partie du patrimoine de la communauté du club. Ces deux institutions partagent aussi la même volonté de travailler avec les meilleurs à tous les niveaux du club et de veiller à ce que tous les détails contribuant au processus de développement du joueur soient pris en compte. C’est ce qui rend les deux projets similaires et c’est aussi ce qui m’a décidé à rejoindre IDV.
Quelles sont vos fonctions au club ?
Je suis responsable de la formation des jeunes, de l’équipe réserve qui évolue en deuxième division aux U13. Je m’occupe donc de tout ce qui a trait au processus de développement des jeunes joueurs. Cela couvre des aspects comme le recrutement et la formation des entraîneurs, définir les grandes orientations en matière de méthodologie d’entraînement, participer aux séances, suivre l’évolution des joueurs ou encore définir quelles sont les équipes les plus adaptées à leurs besoins.
Pour mener ces missions à bien, il faut être proche des joueurs, proche des entraîneurs et être très attentif aux défis auxquels les joueurs seront confrontés, de leur entrée à l’académie à leur accession à l’équipe première.
À l’instar de l’Athletic Club, comment IDV a approché le développement de son réseau de clubs partenaires ?
C’est le département scouting, dirigé par Arkaitz Mota, un autre espagnol qui est au club depuis 2021, qui a effectué un travail extraordinaire d’identification et de recrutement. Cela n’a pu se faire qu’en aidant le football équatorien à continuer à se développer et en faisant en sorte qu’au final, nous soyons reconnus comme un club qui investit vraiment dans la formation et qui offre de nombreuses opportunités d’accession à son équipe première.
Le club a donc signé des partenariats avec de nombreux clubs à travers l’Équateur et développé des franchises dans tout le pays. Cette relation que le club a développée avec plus de 150 clubs partenaires a permis de créer un sentiment d’appartenance et le partage d’une idée commune. En fin de compte, ces clubs vont préférer que leurs joueurs rejoignent Independiente del Valle parce qu’ils savent que c’est un club qui offre des opportunités.
A l’image de l’Athletic Club, qui comptait 160 clubs partenaires lorsque j’y étais, nous essayons aussi de faire en sorte que la collaboration soit harmonieuse avec les clubs et écoles de football de la région, afin de créer ce lien et que nous soyons une priorité lorsque les joueurs rejoignent une académie.
Comment effectuez-vous le suivi des joueurs de l’académie ?
Nous nous inscrivons dans un processus de développement au travers duquel nous devons prendre soin des spécificités de chaque joueur. Nous devons essayer de préciser autant que possible les indicateurs de performance que nous allons utiliser pour le suivi du joueur. C’est pourquoi nous parlons d’indicateurs de performance individuels.
Nous devons définir ce qui permettra à chacun d’être le plus performant ou de se différencier des autres et de le rendre concret. Si nous prenons un indicateur général comme le nombre de buts marqués par un attaquant par exemple, au-delà du nombre, ce que nous allons réellement considérer, c’est le contexte dans lequel ces buts ont été marqués.
C’est ce contexte qui va nous permettre de travailler avec le joueur en fonction des besoins et des points forts identifiés. Par exemple, ce joueur est bon dans le un contre un, la plupart de ses duels mènent à une situation dangereuse dans la surface adverse et un pourcentage élevé de ces situations aboutissent à un but ou à une occasion de marquer. C’est donc une valeur ajoutée que possède ce joueur.
Pour moi, il est très important de considérer le joueur en tant qu’individu, de se concentrer sur lui, d’apprendre à le connaître, de l’évaluer, de collecter des données, afin d’optimiser le suivi, parce qu’en fin de compte, c’est à travers ce travail que nous effectuerons un saut qualitatif.
Si nous nous contentons de savoir que le joueur met un but par match, nous nous retrouvons avec une donnée qui n’a pas de valeur. Nous devons connaitre le contexte dans lequel se produisent ces buts. J’insiste sur le fait que c’est en prenant soin de l’individu que nous pourrons vraiment nous occuper du joueur dans tout son développement, à la fois pour travailler avec lui et pour corriger certains comportements qui ne sont pas adéquats.
Quelles sont les caractéristiques des joueurs équatoriens et quelle a été leur influence sur la conceptualisation et la mise en œuvre du modèle de jeu développé par le club ?
À l’origine, le modèle de jeu d’Independiente del Valle a été conceptualisé en prenant en compte les caractéristiques du football et du footballeur équatorien. Il s’agit d’une approche où le ballon doit être le protagoniste, la passe doit être l’un des éléments permettant de faire des différences et de générer de nombreuses occasions de but. Lorsque nous n’avons pas le ballon, nous allons essayer de le récupérer le plus rapidement et le plus haut possible. Ce sont des caractéristiques qui correspondent bien au profil du footballeur équatorien, et j’insiste sur le fait que le footballeur équatorien est un profil qui s’adapte très bien à n’importe quel modèle.
Ce sont des joueurs avec des caractéristiques physiques incroyables et qui sont très habiles avec le ballon. Par ailleurs, ils ont une grande capacité à comprendre le jeu et à interpréter les situations. Nous retrouvons les trois caractéristiques essentielles nécessaires à tout modèle. Il est donc facile pour eux de s’adapter à un style ou à un autre. L’Équateur possède un vivier qui peut s’adapter à n’importe quelle approche, n’importe quel modèle ou n’importe quel club.
Est-ce que c’est cette capacité d’adaptation, entre autres, qui permet à de nombreux joueurs formés au club de s’adapter rapidement au football européen ?
Le club met tout en œuvre pour que les joueurs soient le mieux préparés possible. Le but est de leur permettre de s’adapter facilement à d’autres contextes, notamment le contexte européen. Je pense qu’il s’agit là d’une exigence que tous ceux qui se consacrent à la formation de jeunes joueurs doivent avoir. En d’autres termes, il faut exposer le joueur dès son plus jeune âge à des contextes difficiles.
Lorsque celui-ci devra faire face à d’autres contextes difficiles, il aura développé des outils nécessaires pour faire face. Si nous le maintenons dans sa zone de confort, il risque de ne pas s’adapter lorsqu’il sera confronté à un autre contexte difficile.
Nous essayons donc de proposer au joueur les contextes qui nous semblent être les plus adaptés à leurs besoins. Nous avons par exemple un joueur de 15 ans et deux je 17 ans qui sont dans la rotation de l’équipe première. Chez les U19, nous surclassons aussi de jeunes joueurs.
Pourquoi ? Parce que nous voulons les confronter à ces scénarios difficiles afin qu’ils puissent développer leur résilience, qu’ils soient prêts lorsqu’ils rejoindront l’équipe première ou qu’ils partiront dans d’autres équipes ou championnats.
Par ailleurs, le football de rue semble être une composante importante dans le développement des jeunes joueurs équatoriens.
Oui, les enfants jouent beaucoup au football dans les rues, surtout dans les quartiers pauvres. Même les enfants qui sont à l’académie, lorsqu’ils n’ont pas école, passent tout leur temps libre à jouer au football ou à d’autres jeux sur les infrastructures du club, car ils vivent ici. Je pense que cela les aide beaucoup à améliorer leur rapport au ballon.
IDV et l’Athletic Club font le pari, année après année, de la formation des jeunes, avec le succès que l’on connait. Néanmoins, cette approche n’est partagée que par quelques clubs dans le monde. Pourquoi ?
Parce qu’il faut du temps, qu’il faut mettre un certain nombre de processus en place et faire un certain nombre de choses correctement pour espérer obtenir des résultats. Ce que de nombreux clubs recherchent, c’est l’immédiateté, la performance à court terme. Dès ses origines, l’Athletic Club a eu la chance d’opter pour une approche centrée sur la formation et que cela fonctionne. Pour le club, il a été plus facile de maintenir cette approche et d’être fidèle à sa philosophie, que de changer.
Independiente del Valle démontre aussi que si nous ne sommes pas pressés et que nous respectons les étapes du processus de formation, alors en fin de compte les résultats viendront à moyen ou long terme. Dans le cas présent, les résultats ont été obtenus à relativement court terme, car il nous a fallu six ans pour atteindre ces objectifs. Certains clubs ne veulent pas attendre six ans, ils veulent des résultats immédiatement.
« Il faut du temps, qu’il faut mettre un certain nombre de processus en place et faire un certain nombre de choses correctement pour espérer obtenir des résultats »
Ils ont l’approche inverse, c’est-à-dire : investir massivement sur l’équipe première, acheter de bons joueurs, etc. Cela signifie généralement aussi qu’ils ne comptent pas vraiment sur leur académie. La formation nécessite une vision à long terme, de la tranquillité, une envie de bien faire les choses. C’est ce qui permettra d’obtenir des résultats dans le futur.
Néanmoins, chaque politique de club est respectable. En Amérique du Sud, il y a un club mexicain dont la philosophie est de ne s’appuyer que sur de grandes stars : Club América. C’est ce qui les rend différents. Ils font signer les meilleurs joueurs, toute leur attention est dirigée vers l’équipe première, etc. Ce sont donc des approches différentes, mais tout autant valables.
Comme dans beaucoup de clubs, la transition entre la formation et l’équipe première est difficile. Un certain nombre de joueurs qui semblent posséder les habiletés nécessaires pour évoluer à haut niveau n’arrivent finalement pas à faire face aux contraintes de ce football. Pourquoi ?
Cela dépend du développement des joueurs, mais aussi du type d’entraineur à la tête de l’équipe première. Celui-ci doit vraiment croire en eux, miser sur eux et s’occuper d’eux. Il doit être proche d’eux lorsqu’ils commettent des erreurs, lorsqu’ils sont performants et les soutenir en leur offrant des opportunités.
L’Athletic est un très bon exemple de tout ceci. Je trouve que Ernesto Valverde s’est par exemple très bien débrouillé avec les nombreux joueurs qui ont accédé à l’équipe première. Je pense à Unai Gómez, Mikel Jauregizar, Beñat Prados ou encore Aitor Paredes. Ce sont de jeunes joueurs à qui l’entraîneur a donné une opportunité, de la confiance et de la continuité. C’est ce qui aide le joueur dans sa transition. Si vous lui faites part de vos doutes ou si vous le remettez en question avant même qu’il n’ait joué, cela ne va pas l’aider. Les (jeunes) joueurs ont besoin de confiance.
C’est la même chose ici. Nous avons eu la chance d’avoir de grands entraîneurs qui sont passés par le club, qui ont cru dans le projet et dans les jeunes joueurs. Martín Anselmi, est un très bon exemple. Il croyait en nos jeunes joueurs et s’il devait faire débuter un joueur de 15 ans en Libertadores, il le faisait. Cela nous aide énormément.
Comment envisagez-vous l’avenir du projet et les prochaines étapes du développement du club ?
Le club se développe rapidement. Nous avons notre stade, nous construisons un stade pour notre équipe réserve, nous avons de magnifiques installations avec deux terrains d’entrainement pour l’équipe première et cinq autres terrains pour les équipes de jeunes. Nous avons une salle de sport, une résidence, des cantines, une école. Je pense qu’en termes d’infrastructures, il n’y a pas grand-chose à faire de plus.
Ce que j’espère, c’est que nous continuerons à nous entourer des meilleurs professionnels, que nous continuerons à améliorer nos processus, la communication, les ressources que nous allouons au développement des talents et que cela nous permettra d’être meilleurs dans ce que nous faisons.
Par ailleurs, j’espère que l’équipe première pourra remporter la Copa Libertadores, ce qui, je pense, est l’un des rêves que nous avons en tant qu’institution. Gagner la plus grande compétition continentale serait exceptionnel. Au niveau des jeunes, l’objectif est que le plus grand nombre possible de joueurs continue à progresser vers l’équipe première, à s’y installer et à être performant. Par ailleurs, nous souhaitons qu’un certain nombre d’entre eux continuent à aller en Europe et à représenter ce pays en étant des joueurs extraordinaires.
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