L'observation est l'une des clés de la coconstruction

Chercheur à l’Institute for Health and Sport (Victoria University, Melbourne) et scientifique du sport, Carl Woods explore les domaines de l’acquisition de compétences et de connaissances dans le sport, avec une perspective écologique et anthropologique.
 
Nous avons donc essayé de comprendre ce que la notion de « coconstruction » peut apporter à la conception d’environnement d’apprentissages et pourquoi la capacité à observer, est une compétence fondamentale de ce processus.

🚨 Avant d'aller plus loin, inscrivez-vous à la newsletter

Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.

L’acquisition de compétences dans le sport est un domaine où les chercheurs australiens sont très présents. Est-ce qu’il y a une raison à cela ?

Je crois qu’il y a un certain nombre de raisons. Tout d’abord, il y a quelques personnes clés, qui ont façonné ce qu’est l’acquisition de compétences, dans le domaine du sport, en Australie. Des personnes comme Damian Farrow, Bruce Abernethy et Ian Renshaw. Ces références (et bien d’autres que je n’ai pas cités) ont ouvert la voie, tant sur le plan scientifique que pratique. De nombreux jeunes scientifiques ont donc été directement ou indirectement influencés par ces universitaires.

Deuxièmement, je pense que la géographie est aussi l’une des raisons. L’Australie est un tout petit pays, une île, avec une population peu importante. Pour être en mesure d’accompagner le développement d’athlètes de haut niveau, nous avons donc dû développer des stratégies innovantes. Certaines de ces innovations ont vu le jour au sein de l’Institut Australien du Sport (Australian Sport Institut) par le développement de départements dédiés à l’acquisition de compétences, la biomécanique et l’analyse de la performance.

D’ailleurs, je pense que le futur sera de combiner ces disciplines d’une manière plus transdisciplinaire, en encourageant les interventions basées sur l’enquête et non sur la discipline. Cela permettra de faire tomber les barrières ou les silos qui peuvent empêcher le développement et la collaboration.

Vos travaux s’inscrivent dans un cadre théorique (approche dynamique écologique) dont les fondements théoriques semblent assez intuitifs…

Je pense que c’est l’un des éléments les plus séduisants, non seulement de l’approche dynamique écologique, mais aussi de l’approche écologique dans son ensemble. Intuitivement, ce sont des approches qui ont du sens pour l’humain. C’est ainsi que nous nous percevons dans le monde. Je pense qu’en général, les individus ne se considèrent pas comme des ordinateurs, des machines ou des robots. Nous sommes plus complexes, non linéaires et dynamiques que cela.

Le problème, c’est que nous avons peut-être eu pendant longtemps, de bonnes théories en psychologie, mais qu’aucune d’entre elles ne parvenait vraiment à expliquer cette mutualité complexe (à l’échelle de l’organisme et de l’environnement), jusqu’à ce que des méta-théories plus transactionnelles émergent, grâce aux travaux de Kurt Lewin, Egon Brunswik et James J. Gibson.

Comme les principes clés de ces approches sont assez intuitifs, beaucoup de gens les utilisent, sans nécessairement s’en rendre compte. C’est peut-être aussi pourquoi c’est une approche qui a fait l’objet de certaines critiques. Effectivement, certaines personnes peuvent se dire que ce sont des concepts qu’ils utilisent depuis des années. C’est peut-être le cas, mais ce que nous ou les entraineurs n’avons pas nécessairement été capables de faire, c’est apprécier pourquoi les choses fonctionnent ainsi et pourquoi nous sommes ce que nous sommes. C’est là que l’écologie scientifique, avec des théories comme la dynamique écologique, ont été vraiment bénéfiques pour notre compréhension de l’apprentissage, du développement et de la performance.

« Je pense qu’en général, les individus ne se considèrent pas comme des ordinateurs, des machines ou des robots. Nous sommes plus complexes, non linéaires et dynamiques que cela »

Aujourd’hui, nous élargissons le spectre de ces travaux, en nous intéressant au fonctionnement de certaines sociétés non-occidentales, comme les chasseurs-cueilleurs, par exemple. Nous étudions leur manière de transmettre ce mode de subsistance et comment certaines de ces idées peuvent être enrichies par l’approche dynamique écologique et inversement. Par exemple, nous avons récemment suggéré que le processus d’apprentissage pouvait être assimilé à l’idée de « trouver son chemin » ou développer « son sens de l’orientation »  (wayfinding en anglais). Ce qui fait référence à la manière dont les anciens peuples polynésiens et des iles du Pacifique, naviguaient et trouvaient leur chemin, en prêtant attention aux caractéristiques de leur environnement.

Dans le monde occidental, ce sont des idées qui peuvent nous sembler récentes, alors que les chasseurs-cueilleurs, qui sont nos ancêtres, représentent environ 95 % de l’histoire de l’humanité. Pour beaucoup de peuples qui ont conservé ce mode de subsistance, le mot « enseigner » n’existe même pas. Peut-être que le mot « conseiller » reflète mieux leur mode de fonctionnement, parce qu’ils considèrent être sur le même pied d’égalité. Qu’il s’agisse d’un adulte, d’un enfant, d’un aîné, ils se considèrent comme des égaux. C’est comme cela qu’ils apprécient l’échange de connaissances entre les personnes. C’est quelque chose de relationnel et pas hiérarchique.

Souvent, c’est celui qui occupe le rôle de « détenteur du savoir », qui est finalement l’obstacle le plus important au développement de ceux qu’il accompagne. En imposant ses propres représentations du monde aux autres, il nuit à leur exploration de l’environnement et entrave leur capacité à agir fonctionnellement.

Je pense que c’est une prise de conscience profonde à laquelle beaucoup de gens arrivent. L’une des premières choses que j’essaie de faire comprendre aux entraîneurs avec lesquels je travaille, c’est que leurs biais cognitifs façonnent leur pratique et, par inadvertance, la façon dont ils pensent que les joueurs devraient prendre des décisions et agir sur le terrain. Par exemple, si lorsqu’il était joueur, un entraineur était considéré comme étant rapide ou « créatif », il pourrait, consciemment ou non, imposer sa perception des choses à ses joueurs, alors que tous les joueurs n’ont pas ces caractéristiques-là.

Concernant l’apprentissage, l’une des choses les plus importantes que nous devons apprécier, c’est qu’il s’agit d’un processus individuel et non linéaire. Ce que l’on met à l’entrée, on ne le retrouve pas forcément en sortie (input – output). Si nous n’appréhendons les choses qu’au travers d’une seule et même perspective, nous pouvons commencer à ostraciser les joueurs qui n’entrent pas dans le moule. Le fait que certains joueurs ne rentrent pas dans ce « moule » ne veut pas dire qu’ils ne sont pas bons, cela veut juste dire qu’ils ne rentrent pas dans le modèle dans lequel nous essayons de les faire entrer.

« Si lorsqu’il était joueur, un entraineur était considéré comme étant rapide ou« créatif », il pourrait, consciemment ou non, imposer sa perception des choses à ses joueurs, alors que tous les joueurs n’ont pas ces caractéristiques-là« 

Ce n’est pas parce qu’ils ne correspondent pas à la représentation que nous nous faisons de ce qu’ils « devraient » faire, que ce qu’ils font est moins efficace. Finalement, tant qu’ils évoluent dans une zone sûre, mais encore un peu incertaine, tout devrait bien se passer, car c’est là que se produit l’apprentissage le plus riche.

La capacité à observer, puis émettre des hypothèses et manipuler, est une boucle fondamentale dans ce processus.

Ce que je constate actuellement, c’est que la capacité à observer se perd un peu. En particulier dans le sport de haut niveau, avec l’intégration continue de la technologie. Je ne suis en aucun cas anti-technologie, mais simplement pro-humain. Aujourd’hui, nous filmons tout, nous enregistrons toutes nos séances d’entraînement sous de multiples angles, nous mettons des GPS sur les joueurs, nous suivons tout ce qu’ils font, et puis, avant même que nous ne nous en rendions compte, nous n’observons plus vraiment les séances d’entraînement. Etant donné que tout est suivi et filmé, nous savons que nous pourrons tout revoir plus tard. Cependant, si nous ne sommes pas attentifs, ce que nous risquons de perdre, c’est la richesse de l’observation sur le moment. Ce qui est une compétence en soi.

« Il ne s’agit pas seulement de discuter avec des sportifs, mais aussi d’observer attentivement ce qu’ils font, ainsi qu’où et comment ils « vivent » dans leur environnement »

Cette observation à posteriori n’est pas décontextualisée, mais peut-être non-représentative, parce que nous ne sommes pas « dans » le moment. Nous n’entendons pas, ne voyons pas et ne ressentons pas ce qui se passe durant la séance d’entrainement. Cela nous amène à un point important de coconstruction dont nous parlerons plus tard, à savoir qu’il ne s’agit pas seulement de discuter avec des sportifs, mais aussi d’observer attentivement ce qu’ils font, ainsi qu’où et comment ils « vivent » dans leur environnement.

Sur une aire de jeux par exemple, pourquoi un enfant franchit-il un obstacle plutôt qu’un autre ? Peut-être que la surface de cet obstacle est assez irrégulière et qu’il ne se sent pas à l’aise. Si nous voulons l’encourager à le franchir, nous devrions nous assurer que cette surface lui semble sûre. En d’autres termes, nous devons coconstruire un environnement qui favorise les comportements exploratoires.

Ce que je veux vraiment souligner, c’est que la coconstruction des situations et des environnements de pratique, ne consiste pas seulement à demander aux joueurs, athlètes, étudiants ou élèves comment ils en concevraient les caractéristiques, mais aussi à observer attentivement comment ils « vivent» dans leur environnement. C’est au travers de cette observation que nous essaierons ensuite de maximiser les possibilités d’interaction.

« Parfois, les interactions les plus riches se font en restant en retrait, en ne disant rien et en se contentant d’observer ce qu’ils font et comment ils le font »

Maintenant, prenons l’exemple d’une école ou certaines zones de la cour de récréation sont considérées comme des « zones mortes », car elles ne sont pas occupées par les enfants. En les observant dans leur environnement, nous pourrions nous apercevoir que ces zones sont peut-être trop exposées au soleil et qu’ils n’y vont pas parce qu’il y fait trop chaud. Donc, nous pourrions peut-être rendre cette aire de jeux plus accueillante en y installant une toile qui apporterait de l’ombre. Tout d’un coup, les enfants pourraient occuper ces zones qui ne l’étaient pas auparavant. Ils pourraient accepter ces affordances qui n’étaient pas présentes dans leur environnement.

Je pense que c’est une partie intégrante de la coconstruction. Il ne s’agit pas nécessairement de poser des questions, car parfois, les interactions les plus riches se font en restant en retrait, en ne disant rien et en se contentant d’observer ce qu’ils font et comment ils le font. Je pense que c’est à la suite de cela que nous pouvons commencer à poser des questions comme :  » J’ai remarqué que tu n’utilisais pas cette zone du terrain, pourquoi ? « ,  » j’ai remarqué que tu ne faisais pas de passe à ce joueur. Pour quelles raisons ? « .

C’est là que nous pouvons commencer à comprendre la connaissance que l’individu a de son environnement, c’est-à-dire les affordances qu’il perçoit et actualise. L’observation fine, fait partie intégrante de la coconstruction, mais est souvent négligée. C’est ce qui m’inquiète un peu avec l’utilisation de la technologie. Je crains que nous ne perdions cette capacité d’observation, cette sensibilité, parce que nous pouvons compter sur la technologie pour le faire à notre place. Est-ce ce que nous souhaitons réellement ? Peut-être ou peut-être pas, mais je pense que cela vaut la peine d’être considéré par les staffs techniques.

Justement, comment interprétez-vous la différence entre la connaissance « à propos de » et la connaissance « de » l’environnement ?

Ces idées sont enracinées dans le travail fondamental de James J. Gibson et ont été superbement articulées par de brillants universitaires comme Edward Reed et Tim Ingold. Plus récemment, elles ont été appliquées au sport par des collègues comme Duarte Araújo et Mark O’Sullivan. Avant d’aller plus loin, je tiens à souligner qu’aucun des deux types de connaissances n’est « bon ou mauvais », mais qu’ils sont fondamentalement différents. L’un reflète la perception indirecte, l’autre la perception directe.

La connaissance « à propos de » est indirecte et médiatisée, c’est-à-dire qu’elle se manifeste via des mots écrits sur des surfaces, des images et des symboles. L’importance de ce type de connaissance réside donc dans ce qu’elle représente, car elle n’est pas « la chose » qu’elle représente en soi. Au football, cela équivaudrait aux schémas tactiques, par exemple.

« Pour connaître notre environnement, nous devons nous y déplacer. Il ne s’agit pas d’une connaissance verbalisée par les joueurs en réponse aux questions posées par les entraîneurs, mais plutôt d’une réponse au travers de leurs actions sur le terrain »

En revanche, la connaissance « de » l’environnement se manifeste par la perception directe de ses affordances (c’est-à-dire de ses possibilités d’actions). Pour connaître notre environnement, nous devons nous y déplacer. Il ne s’agit pas d’une connaissance verbalisée par les joueurs en réponse aux questions posées par les entraîneurs, mais plutôt d’une réponse au travers de leurs actions sur le terrain. Par exemple, un entraîneur peut demander à un joueur « de combien de façons différentes penses-tu pouvoir passer le ballon ? » ou « de quelles autres façons pourrais-tu marquer un but ? ». Ces questions ont pour objectif de promouvoir l’exploration, c’est-à-dire d’élargir les connaissances des joueurs sur le jeu, tout en jouant.

La clé, c’est trouver le bon équilibre entre les deux. Présenter des schémas sur un tableau est bien, mais c’est la connaissance « du » jeu qui régit le comportement d’un joueur sur le terrain. La connaissance « à propos » du jeu peut aider à réduire l’espace d’exploration d’un joueur avant qu’il ne joue. C’est un peu l’équivalent de la carte que j’utilise lorsque je pars en randonnée. Celle-ci peut m’aider à identifier les sentiers que je peux vouloir parcourir avant de partir marcher, mais ce qui régule mon comportement pendant la randonnée, ce sont les informations qui spécifient des choses comme la surface des sentiers, la pente, les conditions météorologiques, la lumière ambiante, etc.

En d’autres termes, la carte ne peut pas me renseigner sur les choses que je pourrais voir, entendre ou ressentir pendant la randonnée, c’est-à-dire : ma connaissance « du » sentier. Je pense que l’expérience directe est ce vers quoi nous devrions tendre. Les expériences de « seconde main », les connaissances « à propos de », peuvent être utiles, mais ne devraient pas être notre objectif.

Aujourd’hui, la connaissance empirique et la connaissance expérientielle semblent encore trop souvent évoluer dans des mondes séparés…

Je ne pense pas que l’on puisse avoir tout de l’un et rien de l’autre. La véritable performance réside dans l’intégration ou le mélange de connaissances. Il peut s’agir des connaissances expérientielles du praticien et/ou des joueurs, qui se mêlent aux connaissances empiriques que l’on retrouve dans la théorie, la modélisation et les données.

En intégrant les deux, on commence à développer une manière d’opérer qui repose sur un échafaudage théorique. Cela permet de libérer les connaissances de l’entraîneur à propos du jeu, les connaissances du jeu qu’on les joueurs et les principes théoriques qui essaient d’expliquer les raisons pour lesquelles nous nous comportons comme nous le faisons. En prenant l’approche dynamique écologique comme cadre théorique de base, par exemple, l’entraineur est encouragé à considérer son rôle comme celui d’un concepteur. Son rôle n’est pas d’essayer de mettre des connaissances dans l’esprit des joueurs qu’il accompagne.

Cela signifie que nous devons considérer l’éducation comme un moyen de guider les joueurs dans le monde, en les encourageant à avoir une expérience directe des images, des sons et des sensations qui composent le jeu. Expérience que l’entraîneur amplifie ou atténue par des contraintes soigneusement conçues. En d’autres termes, nous encourageons les joueurs à « trouver leur chemin » à travers l’entraînement, en captant les sources d’informations clés qui caractérisent l’environnement et qui peuvent les aider à adapter leur comportement en jeu.

« Nous devons considérer l’éducation comme un moyen de guider les joueurs dans le monde, en les encourageant à avoir une expérience directe des images, des sons et des sensations qui composent le jeu. Expérience que l’entraîneur amplifie ou atténue par des contraintes soigneusement conçues« 

Bien entendu, concevoir l’entrainement de cette manière peut sembler désordonné et les joueurs rencontreront quelques problèmes qui les mettront en difficulté. Ils accepteront certaines affordances qui les conduiront peut-être à de mauvais résultats. Par exemple, un joueur pourrait accepter une affordance qui consiste à passer le ballon entre deux défenseurs, mais que celui-ci soit intercepté par l’adversaire et repasse directement au-dessus de sa tête. Mais ce n’est pas grave, car c’est ainsi qu’il apprendra à explorer et à affiner son couplage perception-action. Sans cette exposition, nous courrons le risque de « produire » des joueurs de football qui agissent de manière robotique, qui suivent des scripts, des règles ou des modèles de comportement qui spécifient pour eux ce qu’ils devraient faire.

Pour moi, c’est la raison pour laquelle « asseoir » sa pratique sur des fondements théoriques est si important. Cela nous aide à ancrer ce que nous faisons dans quelque chose de puissant, en exploitant des sources de connaissances à la fois expérientielles et empiriques. A mon avis, c’est ce juste milieu que nous devrions essayer d’occuper le plus souvent. Nous devons essayer d’éviter les discours du type « le scientifique ne sait pas, parce qu’il n’est pas sur le terrain » ou « l’entraîneur ne connaît pas la science ». Nous devons nous rencontrer à mi-chemin et trouver une façon d’aller de l’avant, basée sur un véritable désir de s’entraider. Cela exige de l’humilité de part et d’autre, et l’acceptation du fait que personne, ni aucune chose, n’a toutes les réponses. Les réponses émergent au fur et à mesure de la collaboration. Le(s) joueur(s) doit(vent) aussi être inclus dans cette démarche !

« Personne, ni aucune chose, n’a toutes les réponses. Les réponses émergent au fur et à mesure de la collaboration »

Dans la pratique, cela peut se traduire par des entraîneurs qui comprennent que leur rôle consiste à guider les joueurs, à attirer leur attention sur les caractéristiques de l’environnement avec lesquelles ils doivent interagir, par le biais de tâches soigneusement conçues. Ces entraineurs ne pourront peut-être pas expliquer les nuances du contrôle basé sur les affordances, et pour moi, c’est tout à fait normal. A l’inverse, je ne pourrais discuter de tactique avec le niveau de détail d’un entraîneur ou d’un joueur ayant 10 ou 20 ans d’expérience dans ce sport, et c’est aussi acceptable. C’est pourquoi la collaboration est si importante !

Concevoir des environnements d’apprentissage représentatifs de l’environnement de compétition, est l’un des principes fondamentaux de l’approche basée sur l’interaction et la manipulation des contraintes (Constraints-led approach). Cependant, la frontière entre représentatif et non représentatif peut-être assez floue et/ou ténue…

Je pense que pour expliquer ce qu’est la conception d’environnements d’apprentissage représentatifs, il est utile de l’opposer à un principe bien connu : la spécificité de la pratique. La spécificité de la pratique tient ses origines dans la psychologie cognitive et le traitement de l’information. C’est-à-dire que : « si je réalise une action d’une manière qui est vraiment spécifique à ce à quoi elle « devrait » ressembler en match, alors il devrait y avoir un transfert vers le match ».

C’est une vue un peu dualiste des choses, car on considère que l’organisme est le focus du mouvement, sans vraiment tenir compte de l’environnement et de la façon dont il façonne le comportement émergent. Cela a changé dans les années 50, grâce à la notion de conception représentative proposée par Brunswik en psychologie expérimentale. Il y fait valoir que si nous voulons vraiment savoir comment un organisme interagit avec le monde, nous devons le voir au travers de l’écologie des relations.

Donc, si je veux étudier la façon dont un enfant explore une aire de jeux, je dois m’assurer qu’il est placé dans « cette » aire de jeux, qui est composée de l’enchevêtrement de caractéristiques que l’on pourrait y trouver. Cela peut se manifester par une cour de récréation remplie de leurs amis, d’autres enfants qui courent partout, de parents à l’extérieur, etc. Si je retire des sources d’information clés (amis, parents, certains équipements, etc.), les comportements des enfants peuvent être radicalement différents.

Au milieu des années 2000, Duarte Araújo, puis plus tard Ross Pinder et ses collègues, ont intégré cette idée de conception représentative dans l’approche dynamique écologique par le biais de la conception d’environnements d’apprentissage représentatifs. Plutôt que de se contenter d’une approche expérimentale, ils ont repris et appliqué ces idées à la conception de situations riches en informations et représentatives.

Toutefois, il existe une méprise à propos de la conception d’environnements d’apprentissage représentatifs, à savoir que cela consisterait à « laisser les joueurs jouer, tout le temps ! ». Ce que nous devons garantir, c’est que les sources d’information clés sont présentes dans les situations aussi souvent que possible, ce qui ne veut pas dire tout le temps. En effet, les situations d’apprentissage doivent parfois être moins représentatives qu’en match, et parfois elles doivent être aussi proches que possible du match, voire parfois plus! C’est à l’entraîneur et aux joueurs d’en décider.

L’essentiel est de simplifier et non de déconstruire ces situations à l’entrainement. Cette idée a été superbement décrite par James Paul Gee, au travers d’une métaphore liée aux jeux vidéo. Il dit qu’un jeu vidéo bien conçu est comme un « aquarium », parce qu’à l’intérieur, il est possible de voir des écosystèmes marins simplifiés. Il y a donc un poisson, de l’eau, quelques cailloux et peut-être quelques algues. Cela permet à des interactions complexes de se produire, mais d’une manière simplifiée et qui est facilement observable. Il n’y a pas d’aquarium fonctionnel sans poisson et sans eau, on ne peut donc pas les déconstruire. L’entrainement, au travers de la conception d’environnement d’apprentissage représentatif, peut être considéré de la même manière.

Maintenant, je ne m’attends pas à ce que tous les poissons d’un écosystème soient dans l’aquarium, tout comme je ne m’attends pas à ce que l’entrainement soit représentatif de toutes les nuances de la situation de compétition. Mais comme nous l’avons déjà dit, ce n’est pas le but. Ce que nous devrions chercher à faire, c’est nous assurer que, le plus souvent possible, certaines sources d’information clés soient présentes à l’entraînement :  les adversaires, les coéquipiers, le temps, l’espace, l’absence de voix de l’entraîneur, etc. Après tout, nous nous améliorons, c’est-à-dire que nous apprenons à percevoir et à agir habilement, par une exposition continue à des environnements d’apprentissage représentatifs.

Ce que je trouve actuellement le plus intéressant, c’est la façon dont nous pouvons exploiter la connaissance expérientielle des athlètes, dans la conception d’entraînements représentatifs. D’ailleurs, c’est une source de connaissances qui peut être négligée pour diverses raisons.

« Nous nous améliorons, c’est-à-dire que nous apprenons à percevoir et à agir habilement, par une exposition continue à des environnements d’apprentissage représentatifs »

Aussi, il est vrai que les joueurs peuvent ne pas savoir quelles sont les sources d’informations qu’ils utilisent en jeu/match. Alors à l’entrainement, plutôt que de leur demander : « dans cette situation, y a-t-il des choses auxquelles vous feriez attention en match ? » ou « percevez-vous des affordances que vous percevriez en match ? », je préfère poser des questions abstraites comme : « est-ce que la situation proposée ressemble au match ? » ou encore « est-ce que les problèmes que vous rencontrez sont aussi difficiles qu’en match ? ».

D’après mon expérience, en tout cas, les joueurs arrivent plutôt bien à répondre à ce genre de questions, ce qui correspond assez bien aux données et aux analyses que nous avons utilisées pour mesurer la représentativité des situations d’apprentissage. Si, en posant ce genre de questions aux joueurs, nous obtenons des réponses qui montrent que notre conception n’est pas représentative. Il est alors impératif d’assurer un suivi auprès d’eux et leur demander comment ils modifieraient les caractéristiques de la situation pour la rendre plus représentative pour eux et/ou leurs coéquipiers.

Néanmoins, cela doit être difficile pour les joueurs d’évaluer les situations d’apprentissage dont ils sont les acteurs, mais aussi, de faire la différence entre ce qu’ils aiment et ce qui est « bon » pour leur développement.

Je pense que l’un des points importants et qu’il faut tout de suite souligner c’est que parfois, il y a une différence entre ce que les joueurs aiment et ce qui est bon pour eux. C’est la raison pour laquelle lorsque je travaillais à Port Adelaïde (football australien), nous étions amenés à proposer des situations que les joueurs aimaient vraiment, mais qui n’étaient pas toujours les meilleures pour leur apprentissage. C’est ce que nous appelions « de la malbouffe » (junk-food activities). La clé c’est de trouver le bon moment pour les intégrer.

Au fil des années, j’ai appris que même si ces activités ne sont pas aussi riches que je l’aurais souhaité, ce n’est pas grave. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, ce qui est l’essence même de la coconstruction. C’est un processus collaboratif, donc nous devons nous écouter les uns les autres, être réceptifs et attentifs aux opinions de chacun.

Prenons un exemple. Si vous allez faire les courses avec votre fils ou votre fille et que vous lui dites systématiquement : « Non, nous ne prendrons pas de produits trop sucrés, salés, etc. », il ou elle commencera peut-être à être de plus en plus insistant et de moins en moins à l’écoute. En revanche, si vous discutez avec eux des raisons pour lesquelles une alimentation saine est importante, mais que de temps en temps on peut faire des écarts, alors ils commenceront peut-être à voir l’importance de cet équilibre. Nous devons sensibiliser les joueurs sur les raisons pour lesquelles nous adoptons les approches pédagogiques que nous utilisons, afin qu’ils puissent apprécier ce qu’ils font.

Ce qu’il faut aussi essayer de déterminer c’est : « est-ce que ce que le joueur nous dit est un reflet de l’environnement d’apprentissage ? » ou « est-ce un reflet de ce qu’il aime en tant que personne ? ». Certains joueurs aiment les séances exigeantes. Ils trouveront qu’un entrainement difficile était génial. Mais si vous demandez à un joueur qui préfère qu’on lui dise ce qu’il doit faire, ce qu’il en a pensé, il dira peut-être qu’il a détesté la séance. Il dira « c’était trop difficile. Dites-moi juste ce que je dois faire ». Je pense qu’il y a là un équilibre très important à trouver.

Tout d’abord, lorsque vous adoptez ce principe de coconstruction, vous devez comprendre qu’il s’agit d’un continuum. Tous les joueurs ne seront pas capables d’avoir une discussion approfondie avec vous, sur ce qu’ils ont fait sur le terrain. Certains le feront, et c’est pourquoi nous les avons désignés sous l’appellation entraîneurs de demain. Ce sont des joueurs qui ont une propension à s’engager dans une connaissance approfondie du jeu, à exploiter les affordances qui y sont présentes et qui, en même temps, sont capables de parler des opportunités d’action auxquelles ils ont été exposés et avec lesquelles ils ont interagi dans l’environnement. C’est quelque chose d’important, parce que ce sont des joueurs qui vont commencer à apprécier les capacités de leurs coéquipiers.

En les invitant à participer à la conception de leur environnement de pratique, vous pouvez alors, en tant que praticien, commencer à les mettre au défi de penser au-delà de leur « condition de joueur ». C’est là que nous commençons à entrer dans le domaine des affordances partagées. Mais, avant de poursuivre, je tiens à souligner que parfois, les joueurs ne peuvent pas vous dire pourquoi ils ont fait ce qu’ils ont fait. C’est pourquoi, comme je l’ai mentionné précédemment, l’observation est si importante dans la coconstruction. Parfois, les joueurs peuvent vous montrer différentes façons de concevoir une tâche, par la façon dont ils agissent pendant l’entraînement.

Prenons un exemple. Si vous et moi sommes coéquipiers et que je suis le joueur à qui l’entraîneur parle de la conception de l’entraînement, la conversation pourrait ressembler à ça :

Entraineur : « Alors qu’est-ce que tu aimes dans cette activité particulière ? »

Joueur : « J’aime ‘ça’, ‘ça’ et ‘ça’ »

Entraineur : « OK. Et si je réduisais la taille du but ? »

Joueur : « Pour moi ça devrait aller, mais je pense que pour le moment, ce sera compliqué pour coéquipier A. Je ne pense pas qu’il ait les capacités de le faire. D’ailleurs, je pense que nous devrions plutôt agrandir le but »

Entraineur : « OK, agrandissons le »

Puis, au fur et à mesure que le jeu avance, peut-être que c’est moi, le joueur, qui réduira la taille du but et verra si cela change la façon dont mon coéquipier interagit avec lui. De cette façon, je commencerai à mieux apprécier ce que mes coéquipiers peuvent faire et peut-être les affordances qu’ils perçoivent. Cela me permettra de réguler mon comportement en fonction de ces observations.

Autre exemple : si je sais qu’un coéquipier est un joueur d’espace et qu’il est en difficulté quand il y en a peu, je privilégierais peut-être le jeu dans le dos de la dernière ligne. Au contraire, s’il préfère les espaces réduits, je me rapprocherais de lui afin que nous puissions nous associer par du jeu court. Je pense que ce type de réflexion ne provient pas uniquement de ce à quoi le joueur est exposé à l’entraînement. Je pense que c’est aussi le fruit de discussions éclairées que l’entraîneur peut avoir avec lui. Discussions où il peut lui demander ce que ses coéquipiers pourraient faire et comment ils peuvent concevoir des activités qui sont propices à cela.

Ce type d’interaction s’adresse aux entraîneurs de demain, c’est-à-dire aux joueurs qui sont de toute façon très curieux. Mais je pense qu’il y a un défi encore plus important, que stimuler ces joueurs-là via la coconstruction, c’est inviter les autres joueurs qui sont un peu plus réservés à participer. C’est là que nos entraineurs de demain peuvent nous aider.

Prenons un autre exemple : je suis entraineur, la situation est terminée et je rassemble tous les joueurs. Au lieu que ce soit moi qui pose les questions, je pourrais demander à un des cadres du groupe, qui est de type entraineur de demain, de poser des questions à ses coéquipiers. Lorsque les joueurs retournent sur le terrain, je pourrais aussi encourager ces joueurs là à poser des questions à leurs coéquipiers qui sont moins enclins à participer aux échanges en dehors du terrain. Si l’un de leurs coéquipiers est en difficulté, ils peuvent aller le voir et lui dire : « que pourrais-tu faire la prochaine fois ? » ou « que pourrais-tu faire différemment la prochaine fois ? ».

Cela signifie aussi que la coconstruction n’est pas un processus vertical. C’est-à-dire que ce n’est pas l’entraîneur qui dit aux joueurs ce qu’ils doivent faire. C’est quelque chose de plutôt horizontal, c’est une collaboration entre tous les joueurs et les entraîneurs. Je pense que cette richesse d’informations et de connaissances expérientielles est obtenue en facilitant la discussion et la collaboration, ce qui incite les joueurs à se poser des questions – pas seulement en dehors du terrain, mais pendant le jeu, en apprenant pendant le jeu.

« La coconstruction n’est pas un processus vertical. C’est-à-dire que ce n’est pas l’entraîneur qui dit aux joueurs ce qu’ils doivent faire. C’est quelque chose de plutôt horizontal, c’est une collaboration entre tous les joueurs et les entraîneurs »

D’ailleurs, cela ne concerne pas seulement le sport de haut niveau. Pour promouvoir cette idée de coconstruction en éducation physique, nous pourrions demander aux enfants comment ils se verraient explorer leur environnement. Au lieu que moi, professeur d’éducation physique, je leur dise : « voici la chorégraphie à apprendre », je pourrais leur dire : « voici la musique. A vous de concevoir une chorégraphie. X, Y et Z sont les principes que je veux voir (engagement avec vos pairs, bouger toutes les parties de votre corps, éviter les mouvements similaires qui se suivent, etc.) dans votre chorégraphie. Pour la conception, c’est à vous de voir ».

Je pense que cela fait partie intégrante du processus qui consiste à accompagner les apprenants dans l’appropriation de leur environnement d’apprentissage. Peut-être qu’à l’avenir, l’un des enfants présents à ce cours d’éducation physique et qui est familier des principes de coconstruction, deviendra un footballeur très performant, puis un entraîneur de demain. En effet, la coconstruction les invite à un engagement tout au long de la vie. Ils deviennent des participants actifs de leur processus d’apprentissage, pas des consommateurs passifs en attente de ce que d’autres leur diront de faire.

Cela nous renvoie au bénéfice d’intégrer la réflexion des joueurs au processus de création du modèle de jeu. Cette intégration peut fournir aux entraineurs, une compréhension plus approfondie des sollicitations spécifiques vécues par les joueurs. En ce sens, votre métaphore de l’architecte (l’entraîneur) travaillant avec un client engagé et éclairé (le joueur) pour concevoir un bâtiment (situation d’apprentissage représentatives) qui répond fonctionnellement aux besoins du client, est assez intéressante.

Je pense que c’est une métaphore importante, car elle aide à comprendre un peu mieux les choses. Quand on appréhende les choses de cette manière, on s’aperçoit qu’il y a des éléments de coconstruction dans les activités quotidiennes, pas seulement dans le sport. Pour en revenir à la notion de modèle de jeu, j’ai tendance à préférer des principes directeurs de jeu plutôt qu’un modèle rigide qui est censé régir les comportements. Je trouve que les modèles ont tendance à nous renvoyer à une image statique de la façon dont nous devrions jouer. Le sport n’est pas statique, mais dynamique. Nous avons récemment écrit un article sur ce sujet avec Jim Mckay, l’entraîneur de l’attaque des Queensland Reds. C’est un entraîneur qui utilise des principes directeurs pour accompagner les joueurs lorsqu’ils attaquent, mais ne les contraint pas dans les actions qu’ils effectuent. Il se base sur les contraintes qui émerge et disparaisse du jeu.

Les principes peuvent changer en fonction du contexte du jeu. Après tout, le contexte est un aspect central dans l’approche dynamique écologique ! D’ailleurs, je suis souvent interpellé quand j’entends des joueurs expérimentés dire des choses comme : « c’est comme ça que l’entraîneur veut que l’on joue » ou « c’est le style de jeu de l’entraîneur ». On entend aussi les commentateurs dire : « c’est le style de l’entraîneur « . Toutes cela suggère que la façon de jouer découle d’un modèle centralisé, alors que nous devrions encourager une façon de jouer développée « localement ». Dans un modèle centralisé, c’est un agent externe qui impose  » la  » manière, alors qu’avec une approche « locale » ce sont les interactions joueur-environnement, qui font émerger de riches structures collectives. C’est là que se développe l’adaptabilité des mouvements.

Néanmoins, il peut y avoir les deux, c’est pourquoi les principes sont importants. Les principes peuvent guider globalement le comportement, mais sans le contraindre à une manière précise de faire. Les joueurs peuvent également être invités à concevoir leurs principes de jeu. Par exemple, dans un club pour lequel je travaillais, nous avons profité de notre camp d’entraînement pour discuter avec les joueurs de la manière dont ils souhaitaient jouer en attaque et en défense. Ils ont proposé des mots comme  » créatif « ,  » adaptable « ,  » excitant « ,  » audacieux « . Ce ne sont pas des actions, mais des principes. Notre travail a donc consisté à coconstruire des situations qui pouvaient soutenir ou au contraire aller à l’encontre de ces principes, afin que les joueurs voient comment ils se manifestent dans différents contextes.

Prenons le principe nommé « fluidité dans l’attaque ». Il peut signifier un certain nombre de choses comme : rapide, lent, se déplacer vers l’avant, sur côté ou vers l’arrière. Sa signification prend forme en fonction des contraintes émergentes du jeu. Pour travailler ce principe, nous pourrions manipuler les contraintes qui facilitent ou entravent la fluidité du mouvement du ballon en attaque. Nous pourrions jouer un match à 15 contre 18 (football australien). Le défi pour l’équipe qui joue à 15 serait de jouer contre une équipe qui a trois joueurs supplémentaires, sur un terrain complet et avec vingt secondes pour déplacer le ballon d’une zone à une autre. Les points sont doublés s’ils le font dans cette contrainte temporelle. Si ce n’est pas le cas, ils obtiennent des points simples. Ensuite, nous observons ce qui se passe et comment ils s’adaptent à cette manipulation des contraintes, pour atteindre l’objectif de la tâche et garder la fluidité dans l’attaque.

Le rôle joué par les instructions verbales semble être un sujet épineux, lorsqu’on adopte une approche écologique. Est-ce que l’entraineur doit parler ? Comment ? A quel moment ? Est-ce que le jeu est le « professeur » ? Mais, indépendamment de toutes ces questions sur l’intérêt de la communication verbale, il semble que l’usage des analogies soit un moyen intéressant pour faire passer certaines idées ou concepts aux joueurs.

Le rôle joué par les instructions verbales est un sujet que nous avons abordé dans l’un de nos derniers papiers (Woods et al., 2020). Nous y discutons du rôle de l’entraîneur, à savoir qu’il n’est pas juste celui de « donneur d’instructions verbales », mais celui de concepteur d’environnements d’apprentissage. Il conçoit, puis se tient à l’écart et observe comment les joueurs se repèrent dans l’environnement conçu. Avec cette perspective, le voyage devient tout aussi important que la destination. Ce qui veut dire que la façon dont les joueurs résolvent le problème est tout aussi intéressante que la résolution du problème du lui-même.

Pour les accompagner dans ce processus, nous avons de nombreux outils à disposition. L’un d’entre eux, c’est l’utilisation de l’analogie. L’analogie peut s’avérer très utile pour les joueurs, car elle leur permet de se concentrer sur des aspects extrinsèques, en les encourageant à se concentrer sur le monde et non sur un modèle interne de celui-ci.

Pour moi, cette démarche est ancrée dans une conception de l’éducation comme une démarche d’educere, ce qui se traduit grossièrement par « conduire à l’extérieur » / « accompagner vers l’extérieur ». J’ai découvert cette interprétation grâce au travaux exceptionnels de Tim Ingold, un anthropologue social.

Dans cette perspective, l’éducation ne vise pas tant à inculquer des connaissances déclaratives sur le monde dans l’esprit de destinataires passifs. Elle consiste plutôt à conduire les autres dans le monde, afin qu’ils puissent expérimenter et interagir directement avec les choses telles qu’elles sont, là où elles existent. Dans cette perspective, l’éducateur est un guide expérimenté, il montre aux apprenants où regarder, mais ne leur dit pas ce qu’ils doivent voir. Les analogies sont un moyen de nous aider à le faire.

Finalement, c’est cette utilisation de perspectives différentes, pour observer un « même phénomène », qui amène à l’innovation.

L’innovation, ce n’est pas seulement une nouvelle technologie ou une idée que l’on a et que l’on met en œuvre. L’innovation consiste à se déplacer constamment dans différentes directions, à aller à la rencontre de connaissances, de compétences et d’expériences différentes qui peuvent être liées ensemble afin de façonner des manières de faire et d’être. À la base de tout cela, je pense qu’il y a un coach ou une équipe de praticiens et de joueurs qui ont un désir incessant d’explorer, de continuer à chercher des réponses, tout en découvrant d’autres questions et d’accepter cela. Et ensuite, de réfléchir à ce que l’on fait et à ce que l’on apprend au fur et à mesure.

« L’innovation consiste à se déplacer constamment dans différentes directions, à aller à la rencontre de connaissances, de compétences et d’expériences différentes qui peuvent être liées ensemble afin de façonner des manières de faire et d’être »

C’est pourquoi, pour moi, le sport consiste autant à « savoir en cours de route », qu’à « savoir avant de partir » ! Oui, la planification est importante, mais les plans doivent être fluides, adaptables. Ils peuvent contribuer à réduire notre espace de recherche/d’exploration, mais ne doivent pas trop restreindre ce que nous pouvons expérimenter directement. Cela demande de l’humilité, une reconnaissance du fait que nous n’avons peut-être pas toutes les réponses et que c’est tout à fait normal.

La phrase « Je ne suis pas sûr, alors allons-y et regardons ensemble » n’est-elle pas excitante ? Nous ne devons jamais oublier que nous pouvons apprendre avec et de tous ceux que nous rencontrons, si nous sommes réceptifs à ce qu’ils ont à nous montrer. Il ne s’agit pas seulement de lire de nouveaux articles ou livres. Il s’agit d’écouter activement les autres, de correspondre avec les autres. Il s’agit de tendre la main.

« Le sport consiste autant à « savoir en cours de route », qu’à « savoir avant de partir » ! »

En ce sens, je pense que si un modèle de jeu développé par un entraîneur permettait de gagner à tous les coups, quelqu’un l’aurait créé. Mais ça ne marche pas comme cela. Cela doit être un mélange de la connaissance de cet entraîneur expert avec les joueurs et d’une appréciation des fondements théoriques. Pour moi, ce cadre théorique, c’est l’approche dynamique écologique, mais plus largement, la transdisciplinarité. Mais ce n’est pas forcément le cas de tout le monde, bien sûr.

Cette vision du monde correspond tout simplement à ce que je suis en tant que personne, en tant que scientifique. La clé, je pense, c’est de continuer à « se déplacer ». Nous devons nous déplacer pour détecter de nouvelles informations, qui nous aident à nous déplacer à nouveau.

Un coach actif, c’est-à-dire qui s’interroge constamment, qui cherche, qui applique, qui réfléchit et qui cherche à nouveau, est un coach qui tombe sur des réponses sans vraiment savoir qu’il les a trouvées… En ce sens, il apprend dans la pratique, il « sait » au fur et à mesure.

🤔 Cet entretien vous a plu ? 

Rejoignez + de 4500 passionnés en vous inscrivant à notre newsletter et vous recevrez nos entretiens, directement sur votre boite e-mail.

Apprenez à utiliser les principes clés du Jeu de Position