DTN de la natation française (2001-2008) puis directeur général adjoint de l’INSEP (2010-2012) et consultant en stratégie et management dans le football professionnel, Claude Fauquet nous propose un éclairage sur ce qui constitue la performance et les éléments qui caractérisent le haut niveau.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Si l’on croit à la prédestination j’ai presque envie de dire que mon histoire d’enfant et d’adolescent me prédestinait davantage à partager une histoire avec le foot qu’une histoire avec la natation. Le football m’a accompagné toute ma jeunesse.
Sa pratique, son actualité, son histoire m’ont été d’un grand secours psychologique pendant mes années de pension en internat au collège dès l’âge de 10 ans, puis au lycée pour vaincre ma timidité. Pour faire face à cette solitude personnelle est née une véritable passion pour ce jeu et pour des clubs mythiques comme le stade de Reims ou le Real Madrid de l’époque. On comprend dès lors ma relation presque filiale avec le football.
Avant mon départ en pension et dès mon plus jeune âge, mon père, gendarme mobile, m’emmenait à l’école de football au stade Paul Delique à Abbeville dans la Somme. Alors que nous ne passions pas une journée sans jouer dans la cour de la caserne, assez vite, je me suis un peu désintéressé de ce que l’on me proposait à l’école de foot parce que, je voulais jouer au football et malheureusement on n’y jouait pas vraiment, alors j’ai abandonné mais j’ai continué plus tard.
La profession de mon père nous faisait changer régulièrement de domiciliation. Nous avons déménagé à Calais où j’ai retrouvé le plaisir du jeu jusqu’en junior au Racing Club de Calais, avec notamment un parcours sympa en Coupe Gambardella. Je devais assez bien me débrouiller, puisque j’étais appelé de temps en temps pour jouer avec l’équipe réserve et je me souviens, cela parlera aux plus anciens, que l’équipe était organisée en WM. J’avais vraiment une relation privilégiée avec le football et aucune relation avec la natation.
Au regard de votre expérience à l’école de football, pensez-vous que l’on puisse dissocier l’aspect ludique de l’enseignement d’une activité comme le football au regard d’une activité comme la natation à l’image moins ludique ?
Ne faisons pas de contre sens avec le mot ludique. Il définit avant tout une activité qui encourage le jeu et l’apprentissage. Pris dans cette conception il est intéressant de s’interroger sur l’aspect ludique du foot et de la natation.
L’un serait plus ludique que l’autre ? Non, pas du tout, nous n’allons pas ouvrir ici le débat sur l’image ennuyeuse de la natation avec les longueurs qu’il faut enchainer, d’autant que si l’on pose la question de l’apprentissage, c’est une image erronée.
« L’opposition entre jeu ludique et jeu tel qu’on pourrait le concevoir dans le football, ne me semble pas vraiment adaptée »
Pour en revenir au jeu, ce qui me plaisait, c’était ce que ce jeu nous proposait comme réflexions. Comment vaincre une opposition, initier des stratégies à mettre en œuvre, une volonté collective de faire ensemble, en un mot la joie de trouver les solutions pour gagner nos rencontres.
Il n’y avait pas uniquement le fait de m’amuser. Pour s’amuser j’habitais dans un lieu avec suffisamment d’espaces. On jouait au foot tous les jours, sur la pelouse en bas. En y réfléchissant maintenant, l’opposition entre jeu ludique et jeu tel qu’on pourrait le concevoir dans le football, ne me semble pas vraiment adaptée.
Pourquoi ?
Le jeu pose en lui-même la complexité de ce qu’il est. Lorsqu’on parle du jeu en le réduisant à l’aspect ludique, en négligeant l’apprentissage, on s’éloigne de la richesse de ce que le football réclame en termes d’expression, d’intelligence en situation et de créativité. J’insiste encore une fois, mais jouer au football en ne le considérant que sous son aspect ludique est extrêmement réducteur.
La notion de plaisir semble centrale dans la pratique et peut d’une certaine manière inviter à la réflexion sur son activité. Le nageur Léon Marchand, parti aux Etats Unis pour collaborer avec l’entraineur américain Bob Bowman qui a longtemps collaboré avec Mickael Phelps, relevait une grosse différence dans l’approche de l’entraînement par rapport à la France et notait qu’il s’amusait beaucoup. Les notions de plaisir et de jeu sont-elles prépondérantes dans la quête de la performance ?
Je préfère inverser la proposition en disant que la quête de la performance, dans ce qu’elle réclame de capacités à résoudre des problèmes complexes, est source de plaisir et que cela ne peut se concevoir sans participation active de celui ou celle qui y est confronté.
J’ai presque envie de reprendre une formule que j’ai utilisée dans un précédant article sur le football : A force de considérer les joueurs comme des exécutants, ils finissent toujours par exécuter leur coach.
C’est à dire que si les joueurs ne sont réduits qu’au rôle d’objets ou de pions que l’on déplace ici ou là pendant la séance d’entraînement et s’ils ne sont pas accompagnés dans l’approche des situations, à la réflexion et à la volonté de s’investir en tant qu’acteur, il est évident que cela finit par craquer à un moment. Les joueurs acceptent de subir tout cela, ce qui peut même paraître confortable. Néanmoins, en quoi s’enrichissent ils comme êtres humains responsables ?
« La quête de la performance, dans ce qu’elle réclame de capacités à résoudre des problèmes complexes, est source de plaisir »
Si l’on essaie de porter cette réflexion en natation. En général les nageurs, n’exécutent pas leurs coaches, ils utilisent d’autres stratagèmes pour ne pas subir indéfiniment et souvent, ils arrêtent assez tôt la pratique.
Tous les grands champions et grandes championnes que j’ai eu la chance de rencontrer ont tous le point commun d’être en adéquation entre ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Plus on va vers le haut niveau et plus cette adéquation est affirmée. Quelquefois, il peut sembler que c’est encore dépendant des entraineurs, mais quand un nageur ou une nageuse s’approprie sa propre histoire, cela change tout. Il y a assez peu de techniciens qui ont conscience de ce que cela signifie vraiment et c’est bien dommage.
« A force de considérer les joueurs comme des exécutants, ils finissent toujours par exécuter leur coach »
Des centaines d’enfants abandonnent leur activité sportive, faute de trouver du sens dans ce qu’ils mettent en œuvre. Ils exécutent la séance, tentent de respecter les chronos, subissent parfois les interventions techniques des entraineurs, mais très souvent c‘est inadapté avec ce qui est en train de se jouer dans l’intimité de la relation avec l’eau.
Je pense que toute personne qui s’engage dans une démarche de progrès, doit avoir conscience des enjeux que sa démarche engage dans la résolution des problèmes qui émergent de sa pratique. A partir du moment où cette personne attend que le coach lui dise « moi je sais », et « toi tu fais », cela peut fonctionner un temps parce que le cerveau humain est incroyable dans sa capacité d’adaptation, mais dans la durée cela ne me semble pas efficient. De plus dans « toi tu fais » nous serions bien surpris, et tant mieux, de constater la part importante de ce que l’athlète apporte de lui-même dans la mise en œuvre de toute consigne.
Dans le football, l’entraîneur a quand même la responsabilité de choisir ceux qui vont jouer. Bien qu’ils aient ce « pouvoir », comment pourraient-ils prendre conscience qu’ils devraient encourager les joueurs à s’engager dans leur histoire et devenir finalement responsables de leurs performances, bien que le « couperet » tombera quoi qu’il arrive ?
Oui, enfin, le couperet tombe. Je trouve la formule un peu violente. En effet, il y en a onze qui jouent et maintenant cinq qui peuvent entrer en cours de match, soit seize joueurs. C’est pour cette raison que nous pensons que dès qu’on a plus de 23 joueurs dans un groupe, on va créer beaucoup plus de frustrations qu’autre chose. Si l’on compte, 3 gardiens dans le groupe, il doit être possible d’expliquer à cinq ou six joueurs l’importance qu’ils ont dans un projet sur la durée d’une saison et qu’ils seront amenés à jouer à un moment ou un autre pour y jouer un rôle essentiel.
Là encore, nous sommes au cœur de la problématique évoquée précédemment. Si ces joueurs, qui sont rarement les mêmes tout au long d’un championnat, subissent ces situations plutôt que d’en faire quelque chose de positif individuellement et collectivement, nous sommes loin de notre conception humaine de la performance. C’est à dire qu’on ne les accompagne pas dans la compréhension, l‘appropriation d’un projet collectif dans lequel ils sont engagés et dans lequel ils y trouvent aussi leur compte.
Il y a donc tout un travail de formation autour de cela et j’insiste également sur ce qu’une culture d’entreprise dans un club peut apporter de positif dans le vécu de ces situations en permettant à tout le collectif d’être engagé dans des opérations de promotion auprès des supporters, des jeunes, voire dans la vie associative et économique locale.
Allons même plus loin encore. Si je suis seulement dans la frustration, que je ne m’approprie pas l’histoire dans laquelle je suis engagé, quels bénéfices personnels vais-je en tirer ? Osons le mot plaisir, tellement galvaudé, pour qualifier les besoins profonds de reconnaissance et de valorisation pour soi-même et les autres que chaque joueur porte en lui.
Je suis quelques fois assez frappé de constater que certains joueurs non titulaires se privent eux-mêmes de cette joie du partage sous prétexte qu’on ne reconnaîtrait pas leur valeur et qu’à ce titre ils n’ont pas la légitimité pour s’exprimer. Ils se privent ainsi de ce qui fait sans doute la richesse d’un sport collectif, les succès partagés et les difficultés surmontées ensemble.
« Pour atteindre le niveau professionnel les joueurs ont déjà démontré une forme d’intelligence dans le jeu, dans leur capacité d’adaptation, et que tout cela ne disparaît pas parce que l’on n’est pas titulaire »
Dans ces conditions que vais-je mettre en œuvre à l’entraînement, dans ma relation au staff, dans ma relation au coach, dans ma relation aux autres, aux partenaires, au club ? Je rentre alors dans une spirale négative. Je vais errer dans le vestiaire comme une âme en peine et je mesure à cet instant la portée de cette phrase de Paul Valéry : « Un homme fort est quelqu’un porté par quelque chose de fort » et c’est de cela dont il s’agit.
Sans faire de généralités, nous connaissons aussi parfois le rôle négatif de l’environnement des joueurs, de personnes qui les caressent dans le sens du poil en leur disant que ce n’est pas normal, qu’il ne joue pas, qu’il devrait jouer, etc. Et les joueurs dans cette histoire, et l’équipe dans cette histoire ?
Je ferai à ce sujet une remarque concernant le qualificatif de « haut niveau » trop souvent employé voire galvaudé dans le milieu du football. Il me semble souvent inadapté et installe quelques fois les joueurs dans une forme de confort que la compétition ne pardonne pas. Quel que soit le niveau atteint on pourrait adopter cette idée que « devenir chaque jour un meilleur joueur » est une règle qui s’impose pour faire face à l’exigence du haut niveau.
Je tiens à affirmer ici – pour qu’il n’y ait pas de fausses interprétations – que je considère que pour atteindre le niveau professionnel les joueurs ont déjà démontré une forme d’intelligence dans le jeu, dans leur capacité d’adaptation, et que tout cela ne disparaît pas parce que l’on n’est pas titulaire.
Ils sont intelligents dans la compréhension des choses. Nous pouvons même comprendre leurs réactions mais si cela remet en cause leur rôle et leur place dans l’équipe, le projet, nous passons dans une autre dimension. Si le joueur se laisse aller à cette idée qu’il est le meilleur, qu’il devrait jouer et les autres non, il se met seul en difficulté sur son propre projet de carrière. Il peut évidemment changer de club mais s’il n’a pas réglé ce problème de fond, c’est-à-dire accepter que l’on puisse aussi exister individuellement dans un projet collectif, cela finit par se voir avec les conséquences que l’on connait
Comment permettre aux joueurs de s’engager dans cette démarche d’autant que leur niveau de performance est évalué à travers le prisme subjectif de l’entraineur et de son staff, ce qui lui confère une forme de pouvoir ?
Nous entrons là dans le cœur de notre sujet. Pas seulement ce prisme subjectif et c’est là que se situe toute la complexité de notre réflexion. Il ne faudrait pas confondre les lunettes du coach et/ou les œillères du coach. Ce qui va conduire aux choix du coach c’est un long processus d’analyses de l’adversaire, des attitudes à l’entrainement, de concertation avec son staff.
Ce qui compte avant tout, encore une fois, c’est la capacité des joueurs à s’investir dans la volonté de résoudre les problèmes posés par les situations de jeu et non pas à convaincre le coach qu’ils sont les meilleurs au risque d’oublier ce qu’est l’essence même du jeu. Si les joueurs se situent uniquement sur le fait que c’est le coach qui a le pouvoir et qu’ils se comportent en ayant cette idée fixe en tête ils se trompent de cible.
« Ce qui compte avant tout, encore une fois, c’est la capacité des joueurs à s’investir dans la volonté de résoudre les problèmes posés par les situations de jeu et non pas à convaincre le coach qu’ils sont les meilleurs au risque d’oublier ce qu’est l’essence même du jeu »
Ensuite, je mettrai des guillemets sur l’idée de « pouvoir » que pourrait représenter l’entraineur et sa relation aux joueurs, parce qu’ils peuvent très vite créer l’opposition à ce pouvoir et alors les conséquences sont souvent irréversibles. A la moindre difficulté, séries de matchs perdus, la parole va se faire plus rare, les non-dits devenir la règle et il va y avoir opposition plus ou moins latente aux décisions, ce qui ne bénéficiera à personne.
Or, si l’entraineur s’inscrit dans une dynamique collective, avec l’ensemble du groupe et son staff, la nature de la relation est tout à fait différente. Pour rendre cela possible il faut créer les lieux et moments d’échanges autour des problèmes du jeu, faire émerger des leaderships utiles et permettre à un joueur qui le désire de rencontrer le coach. Cela peut expliquer la présence de spécialistes de ces questions psychologiques au sein des staffs.
« A partir du moment où le projet collectif est considéré uniquement comme des rapports de pouvoir à des gens qui sont là pour mettre en œuvre ce que d’autres ont décidé, dès les premières difficultés, le collectif sera en danger »
L’entraineur est amené à faire des choix, mais si les joueurs ressentent ses choix comme l’expression de son pouvoir, à la moindre difficulté, il y aura opposition. Il ne s’agit pas seulement du regard de l’entraineur, de son staff mais aussi de celui des partenaires qui est fondamental. Parfois, un joueur peut s’isoler du groupe, tout simplement parce que les autres joueurs se rendent compte, y compris quelques fois certains joueurs qui jouent peu ou pas, que le joueur en question est justement en train de créer les difficultés du projet collectif.
C’est un ensemble complexe, qui se joue à chaque fois au sens de la complexité, pour citer Jean-Louis Le Moigne, Edgar Morin, mais c’est un système complexe qui est en action et c’est cela dont il est question. A partir du moment où le projet collectif est considéré uniquement comme des rapports de pouvoir à des gens qui sont là pour mettre en œuvre ce que d’autres ont décidé, dès les premières difficultés, le collectif sera en danger.
Pour tendre vers la performance, la vision du projet collectif devrait être partagée et enrichie réciproquement, encore faut-il s’entendre sur la notion de performance. De votre point de vue, est-ce différent d’être performant collectivement pour une équipe qui évolue au plus haut niveau que pour l’équipe de mon petit village ?
Je pense que c’est de même nature mais pas de même niveau et cela nous renvoie à la définition de ce qu’est le jeu. Quel que soit le niveau de compétition, l’équipe est confrontée à ce que le jeu nous impose, les situations, les adversaires, des règles et une intention large qui est de marquer un but plus que l’autre pour l’emporter.
Tout cela crée ce que l’on nomme des situations de jeu illimitées et contingentes, c’est à dire qui émergent justement de cet ensemble complexe. De fait cela crée les conditions d’un ensemble infini de possibles.
Ce qui est fondamentalement différent entre l’équipe du village et une équipe de très haut niveau, c’est uniquement la capacité des joueurs à répondre à ce que l’opposition leurs propose. C’est ce que Pierre Villepreux a appelé l’intelligence situationnelle.
« Quel que soit le niveau de compétition, l’équipe est confrontée à ce que le jeu nous impose, les situations, les adversaires, des règles et une intention large qui est de marquer un but plus que l’autre pour l’emporter »
Vous pouvez avoir tous les projets du monde, tout préparer, la situation de compétition génère de l’imprévisibilité. Or, si l’entraineur est uniquement dans une démarche où il dit et les joueurs font, il va les rendre passifs par rapport aux situations qui se jouent …
Il est donc primordial de créer les conditions de la responsabilisation, afin que les joueurs s’approprient le projet de jeu auquel participent le staff et évidemment l’entraineur, et cette démarche, permet selon moi l’accès à la performance quel que soit le niveau. En revanche, si on est seulement dans cette illusion d’avoir tout prévu, le risque de ne pas savoir répondre à ce qui émerge de la confrontation peut faire perdre une rencontre.
Dans cette démarche d’appropriation, la notion de performance devrait être clairement identifiée et identifiable. En natation par exemple, vous demandiez aux nageurs de gagner au minimum le titre national de leur spécialité pour participer à une compétition internationale. La notion de performance est ici très claire, mais comment faire au football où l’évaluation de la performance semble plus complexe ?
Gagner un titre ce n’est pas une performance, mais plutôt un résultat. Par ailleurs le critère était bien plus difficile que cela … Ces critères ne font que fixer comme repère le niveau à atteindre pour espérer jouer un rôle dans une compétition internationale.
Ce n’était pas le niveau national qui était recherché mais bien le niveau mondial. Les nageurs devaient se situer dans les douze meilleurs mondiaux, ce qui signifiait que le nageur pouvait être champion de France sans pour autant se qualifier pour les épreuves internationales.
« Gagner un titre ce n’est pas une performance, mais plutôt un résultat »
On ne va pas à une compétition internationale pour y acquérir de l’expérience si on n’a pas le niveau. On ne va pas aux Jeux olympiques pour participer aux Jeux olympiques, on y va pour jouer un rôle avec les meilleurs et si possible pour gagner.
L’expérience nous montre que si la majorité des athlètes ne visent que la participation, les meilleurs ne seront pas portés par une dynamique collective et auront plus de difficultés à s’exprimer au maximum de leurs potentialités.
Évidemment, c’est difficile de comparer avec le football, mais je pense que c’est possible, si nous revenons au début de notre échange. Dans un groupe de 23 joueurs, si seulement dix ou onze joueurs participent aux projets, les meilleurs ne seront pas performants, ils essaieront mais ils n’y parviendront pas tant l’influence des autres peut être néfaste.
Ma réflexion était la suivante ; si les nageurs qualifiés pour une compétition internationale n’étaient pas portés par la même volonté farouche d’être les meilleurs, cela influençait terriblement la dynamique collective avec des conséquences négatives sur les expressions individuelles. Ceux qui auraient pu être performants étaient vraiment tirés vers le bas par cette seule satisfaction de pouvoir participer. Être satisfait de participer aux Jeux Olympiques, c’est insuffisant en termes de performance, on doit aller aux Jeux Olympiques non pas pour participer mais pour gagner.
« On ne va pas à une compétition internationale pour y acquérir de l’expérience si on n’a pas le niveau »
Au football c’est la même chose, si je suis le 12ᵉ ou le 13ᵉ, que je rentre, je dois avoir la volonté d’aider l’équipe à devenir la meilleure pendant que je suis sur le terrain, peu importe ma position dans la hiérarchie de l’équipe. Cette approche doit se cultiver à l’entraînement.
Les joueurs doivent faire face à des situations qui leur permettent d’acquérir cette capacité à résoudre les problèmes posés par la situation de compétition. Si je devais exprimer dans une formule, ce que je nomme performance, je dirai que c’est la capacité à résoudre les problèmes posés par la situation de compétition.
En football cette situation se caractérise par une intention large (marquer un but de plus que l’adversaire) et un règlement. La conjonction de ces deux éléments, je le répète, crée une infinité de possibilités qui émergent de la confrontation.
Les notions d’imprévisibilité et d’incertitude caractérisent donc ce qui se joue dans le temps d’une rencontre. On peut préparer cette rencontre avec le plus de sérieux possible il y aura toujours un événement, une attitude, des prises de décision, des initiatives qui bousculeront les meilleures prévisions.
« Les joueurs doivent faire face à des situations qui leur permettent d’acquérir cette capacité à résoudre les problèmes posés par la situation de compétition »
Il faut donc comme je le disais plus haut que les joueurs soient les auteurs de leurs décisions. Que l’histoire de leur relation au jeu leur permette d’acquérir cette expérience de s’adapter à ce qu’ils vivent dans le moment présent et se constituer ainsi un bagage culturel qui leur permette de devenir chaque jour un meilleur joueur. J’ajoute l’importance d’accepter les erreurs si elles s’inscrivent précisément dans ce contexte de recherche dynamique.
Aussi, l’entraineur et son staff, doivent faire preuve d’une réelle compétence dans la connaissance de l’histoire du jeu pour mettre en relation ce qui est vécu en match et le transposer dans les situations d’entrainement. Il va falloir aller puiser dans les matchs précédents comme dans les matchs à venir pour permettre aux joueurs de s’approprier le projet qui est en train de se mettre en place et tout cela est d’une complexité sans nom.
C’est évidemment plus facile de dire que l’équipe va jouer en 4-4-2, que les joueurs vont se placer de cette manière sur le terrain et qu’ils vont essayer de faire du mieux, mais pour moi avec toute l’humilité qui s’impose, ce n’est pas ça le football. Il est d’ailleurs intéressant de voir à quel point, aujourd’hui, les systèmes ont pris pratiquement toute la place dans la communication sur le football, et l’essence même du jeu est largement délaissée …
« L’entraineur et son staff, doivent faire preuve d’une réelle compétence dans la connaissance de l’histoire du jeu pour mettre en relation ce qui est vécu en match et le transposer dans les situations d’entrainement »
Et c’est pourtant le coach qui de fait en le dépositaire. Or les coaches deviennent de plus en plus les boucs émissaires dont on se sépare à l’envie pour éviter d’interroger les raisons structurelles qui impactent leur travail (voir à ce sujet l’excellent édito de Thibaud Leplat dans l’After sur RMC).
J’ajoute que la banalisation de la violence qui s’installe et se généralise dans le football et dont l’expression est portée par certains groupes d’ultras interroge à plus d’un titre quand on constate les relations qu’ils peuvent avoir avec les clubs.
Vous constatez que les débats médiatiques sont essentiellement centrés sur les systèmes de jeu utilisés par les équipes. Ce constat concerne-t-il uniquement les techniciens ?
Pas seulement, je ne veux pas faire de généralités, mais l’environnement médiatique est tel, que tous les commentaires tournent autour de cela, les statistiques, les notes individuelles, le meilleur joueur, etc. Que peut faire un entraineur dans ce contexte ? Soit il s’adapte, soit il a des convictions sur la manière dont il vit le football.
Fort de ses convictions et la façon dont il a envie de les partager, l’entraineur va essayer de créer des conditions d’émergence de la performance. Si l’entraineur joue un jeu que l’environnement médiatique peut imposer, les joueurs vont vite le sentir et il leur sera très difficile d’adhérer à un projet porté par quelqu’un dont la « sincérité » n’est pas évidente.
« Tous les sportifs de haut niveau, à la condition qu’ils le soient vraiment, perçoivent très rapidement si la relation avec l’entraineur est sincère »
Si l’entraineur a des convictions, ancrées dans son passé de joueur, ses lectures, ses rencontres professionnelles, ses formations ou ses expériences précédentes, les joueurs vont ressentir sa sincérité. Il sera alors possible, de partager une réflexion positive sur le jeu. Tous les sportifs de haut niveau, à la condition qu’ils le soient vraiment, perçoivent très rapidement si la relation avec l’entraineur est sincère.
La sincérité signifie, être capable de dire à un joueur qu’aujourd’hui, par exemple, quelque chose ne fonctionne pas dans le projet que porte le collectif, sans remettre en cause la personne en tant que telle. Signifier à un joueur que quelque chose ne fonctionne pas à ce jour dans le jeu et que cela peut remettre en cause le projet collectif, c’est tout simplement faire preuve d’autorité.
Cette sincérité est probablement une pierre angulaire dans la relation entraineur joueur et réciproquement. A l’heure où les staffs deviennent de plus en plus importants, comment cette sincérité peut-elle s’exprimer au sein d’un staff technique, au-delà des compétences, des convictions de chacun afin que toute l’équipe technique incarne finalement le projet collectif ?
Nous pointons ici un des points essentiels de notre entretien. Il serait quand même extraordinaire, qu’un entraineur demande aux joueurs d’être autonomes, responsables, de prendre des décisions, d’avoir une véritable éthique professionnelle et que lui fasse l’inverse.
Pour un entraineur et son staff tout ce qui est demandé aux joueurs, réclame de manière forte que chacun le porte en soi. Il y a ici, un travail important qui réclame une discipline et un engagement exemplaires et je défends l’idée qu’il devrait y avoir une personne pour accompagner cela auprès de l’entraineur. En effet, l’entraineur principal est complètement happé par la performance, le management du groupe, l’analyse de la compétition, la conception de l’entraînement, soit 100 ou 120 % de son temps et de ses préoccupations.
« Pour un entraineur et son staff tout ce qui est demandé aux joueurs, réclame de manière forte que chacun le porte en soi »
En parallèle, il y a un staff complètement investi dans la préparation du match à venir et des entrainements. Si en plus de sa mission, l’entraineur doit être le garant du fonctionnement interne du staff, des relations entre ses membres, de la création d’une volonté collective de devenir chaque jour un meilleur staff, il ne peut pas s’en sortir.
J’avance l’idée que le staff technique d’une équipe professionnelle de football, devraient être accompagné par un professionnel du management. Une personne dont la responsabilité serait de permettre à l’ensemble des membres du staff d’incarner le projet collectif et de renforcer la cohérence du travail mené au quotidien. Evidemment cette personne devrait être en relation étroite avec l’entraineur et partager une certaine conception du jeu, de la performance et la façon d’appréhender le football.
Comment mettre en œuvre le rôle de ce manager au-delà du bien vivre ensemble au sein finalement d’une deuxième équipe technique, souvent pléthorique, composée de plusieurs adjoints, d’un entraineur en charge des gardiens, des attaquants, des défenseurs, des phases statiques, plusieurs préparateurs physiques, des analystes, un psychologue, un docteur, des kinésithérapeutes, intendant(s), attaché de presse, la sécurité, nutritionniste, etc. ?
Le rôle de manager irait bien au-delà, il serait le garant du projet dans lequel tous les membres du staff technique sont engagés. Aujourd’hui les staffs sont de plus en plus importants et le danger c’est que les analystes fonctionnent dans leur coin, que les préparateurs physiques travaillent dans leur coin, qu’un des adjoints réfléchisse à la séance aussi dans son coin.
La masse de travail pour le staff est telle que la tentation de se cantonner uniquement à sa fonction est grande. Or un staff technique, qui se veut être réellement porteur d’un projet collectif cohérent doit fonctionner dans la transversalité, afin de mieux partager les réflexions de chacun sur les problématiques collectives. Ce manager disons « général » du staff technique devrait avoir les compétences de rassembler tout le monde dans le travail au quotidien.
Justement votre dernière fonction au sein de l’INSEP était transversale puisque vous aviez la charge la coordination sportive des différentes sélections olympiques. Quel grand enseignement tirez-vous du temps passé aux cotés de tous ces immenses champions complètement orientés vers la très haute performance ?
A l’INSEP, j’étais directeur général adjoint chargé de la coordination des politiques sportives et je coordonnais l’ensemble de la préparation olympique et paralympique. J’étais au quotidien en relation avec les différents directeurs techniques nationaux et entraîneurs nationaux.
La première chose que j’ai apprise, c’est sans doute l’humilité. C’est à dire l’humilité face à cette complexité que représente le désir d’un homme ou d’une femme qui souhaite devenir le ou la meilleure au monde. Cette démarche est quand même très particulière. Elle prend sa source probablement très loin et il y a sans doute quelque part une fragilité originelle qui fait naître ce désir.
Je crois que ce terme de fragilité est à remettre à l’ordre du jour dans beaucoup de nos fonctions. Il n’y a pas de honte à être fragile. Un joueur en difficulté qui sent que l’entraineur n’a pas toujours toutes les réponses mais qu’il est prêt à tout pour essayer de trouver ensemble des solutions se sentira plus en confiance dans cette recherche conjointe.
« La première chose que j’ai apprise, c’est sans doute l’humilité. C’est à dire l’humilité face à cette complexité que représente le désir d’un homme ou d’une femme qui souhaite devenir le ou la meilleure au monde »
Que devient ce joueur en difficulté à qui l’on répète qu’il faut être fort comme seule réponse à son désarroi ? Si au contraire on partage avec lui l’idée que nous non plus, nous n’avons pas toutes les réponses aux problèmes qui se posent il y a peut-être un espace pour construire quelque chose ensemble et alors c’est une autre force qui va émerger de notre relation, la force du partage et de la volonté commune d’avancer.
Le jour où ce joueur va s’en rendre en compte et en faire une force personnelle, le collectif va avancer avec d’autres valeurs d’engagement. En revanche si je m’attache à demander à cette personne d’être insubmersible, à qui il ne peut rien arriver, quels seront les effets à terme de cette fragilité cachée et qui pourtant nous constitue tous? Que vont devenir les gens qui sont aussi fragiles à coté de nous ? Ils vont s’arrêter …
On parle aujourd’hui beaucoup de santé mentale. De nombreux athlètes, et il faut les remercier, révèlent leur état dépressif, leurs difficultés personnelles, leurs blessures. Ce phénomène doit nous interroger sur la manière d’appréhender l’accompagnement à l’émergence de la performance et ne pas conduire à la solitude face aux difficultés et cela concerne autant les athlètes que les entraineurs qui subissent de plus en plus de violences. Pour ma part j’ai beaucoup appris des champions lorsque j’ai essayé de comprendre qui ils étaient, comment ils fonctionnaient.
« Il y a devenir athlète de l’entraîneur et il y a un devenir entraîneur de l’athlète »
Je raconte souvent mes interrogations concernant la relation entre un entraineur et son athlète ou un entraineur et son équipe dont je percevais qu’au-delà des apparences quelque chose de plus complexe se jouait. J’ai eu la chance d’être accompagné par François Bigrel, professeur agrégé au CREPS de Bordeaux qui m’a ouvert à ce que la philosophie pouvait m’apporter pour changer de regard et sortir des représentations toutes faites du monde du sport.
Un jour je découvre le texte de Gilles Deleuze où il parle du devenir en parlant de l’abeille et de la fleur. Et il écrit : « Quand une abeille vient butiner une fleur, il y a un devenir fleur de l’abeille et il y a devenir abeille de la fleur ».
Je me suis aperçu que c’était la réponse que je cherchais, il y a devenir athlète de l’entraîneur et il y a un devenir entraîneur de l’athlète. Lorsque chacun aura compris cette dialectique-là, j’ose espérer que nous pourrons « voyager ».
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