Le développement personnel à long terme, c'est la responsabilité de l'athlète

Quadruple champion de France et vainqueur de la coupe d’Europe en club, mais aussi du 6 Nations avec le XV de France, en tant que joueur, Yannick Nyanga est aujourd’hui le directeur sportif du Racing 92 (rugby).

Il nous propose un éclairage sur sa perspective du (rugby de) haut niveau.

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Après des débuts au RO Agde, vous rejoignez Béziers où, très vite, vous vous installez comme un incontournable, devenant le jeune capitaine de cette équipe. Comment avez-vous vécu votre arrivée au Stade Toulousain, institution du jeu de mouvement ?

La première des choses, c’est que le stade Toulousain, c’était le club de mes rêves. Quand je jouais dans les années 90, c’était l’ère de ce club. Champion de France 4 fois de suite entre 1994 et 1997, en 1999 et 2001, finaliste en 2003 et premier vainqueur de la coupe d’Europe en 1996. Quand on a 15 ans, c’est le moment où l’on se construit et souvent on s’identifie au club qui gagne. Les jeunes footballeurs, d’aujourd’hui, sont très probablement supporters du Paris Saint Germain et rêvent de Neymar, Messi, Mbappé, Sergio Ramos ou Di Maria. J’ai vécu la même chose dans ma jeunesse avec le Stade Toulousain, avec les couleurs rouge et noir, l’équipementier tendance et des victoires dans toutes les compétitions.

J’ai débuté très tôt avec l’équipe professionnelle de Béziers (18 ans), ce qui est assez rare et encore plus pour un avant. Très rapidement, le Stade Toulousain m’a contacté. J’ai beaucoup aimé, la façon de faire du club et notamment l’approche de Jean Michel Rancoule. Ensuite, il est venu me rencontrer à Agde, chez mes parents, il est venu m’observer lors de matchs à domicile, à l’extérieur, avec la sélection U20. Il est venu parfois en me prévenant, parfois sans me prévenir, notamment quand j’étais remplaçant pour étudier mon comportement.

Aujourd’hui tout le monde parle de plan de succession, sans jamais expliquer ce terme. Jean-Michel Rancoule m’a expliqué ce que devait être ma trajectoire au Stade Toulousain, et notamment la perspective de remplacer Christian Labit, qui venait de signer son dernier contrat professionnel. Pour eux, il était dans un premier temps très confortable que je reste à Béziers, pour enchaîner les matchs et engranger des expériences avant d’arriver au club. Il y avait un projet clairement défini au sein duquel mon rôle avait été anticipé très en amont.

Par la suite, tout en jouant à Béziers, j’ai explosé rapidement en étant convoqué en équipe de France. Le Stade Toulousain a toujours gardé une longueur d’avance, malgré les sollicitations et les arguments financiers d’autres clubs.

Au quotidien, lors des séances avez-vous fourni des efforts particuliers pour vous fondre dans le collectif et surtout la dynamique du jeu à la Toulousaine ?

Pas vraiment, mais à force de s’entraîner au quotidien « à la toulousaine », ma progression a été fulgurante, d’autant que cette forme de jeu était faite pour moi ! Je n’étais pas un avant hyper costaud, je ne pouvais donc pas me permettre d’avoir un jeu uniquement frontal, à l’image du discours de Jean-Pierre Elissalde, mon entraîneur de … Béziers, qui l’avait bien compris. Il avait un discours très frustre sur le jeu, mais il venait me voir après les causeries, y compris l’année où nous jouons les play-offs, en me précisant que tout ce qu’il avait dit ne me concernait pas ! Il avait eu l’intelligence de me laisser libre, de me laisser tenter des choses et c’était un régal pour moi.

 « Jouer au quotidien avec des partenaires ayant la même sensibilité, la même interprétation du jeu, la même vision du rugby, cela facilite quand même beaucoup les choses sur le terrain. »

Pour en revenir à Toulouse, je ne peux pas dire que j’ai dû changer du tout au tout, mais jouer au quotidien avec des partenaires ayant la même sensibilité, la même interprétation du jeu, la même vision du rugby, cela facilite quand même beaucoup les choses sur le terrain.

Cette double culture semble être le fil rouge de votre carrière au contact de techniciens chez les jeunes comme Jean Claude Skrela et Pierre Villepreux, pour ne citer que les plus illustres et Guy Novès au Stade Toulousain, tous adeptes d’un jeu de mouvement. En équipe de France, sur la première partie de votre carrière vous côtoyez Bernard Laporte avec une philosophie assez différente. Comment vous-êtes-vous adapté pour passer d’un style à un autre et rester performant ?

Quand je réfléchis à Guy Novès et à Bernard Laporte, ils ne sont pas si différents, notamment dans leur volonté farouche de gagner, leurs gros caractères et la transmission d’une idée à un joueur. Bernard Laporte a un tel pouvoir de persuasion, qu’après 10 minutes d’entretien, il ferait renverser des montagnes à n’importe qui. Guy Novès a cette même capacité à transcender un groupe, mais sa communication était différente. Cependant, la finalité était la même avec l’un comme l’autre, sortir sur le terrain avec l’envie de croquer le monde.

Pourtant, Bernard Laporte a été le sélectionneur qui appelait le plus grand nombre de joueurs toulousains, malgré son très long passage à la tête du Stade Français. Je me souviens que lors de la coupe du monde 2007, en France, nous étions de nombreux toulousains dans un groupe de 40 joueurs. Jean-Bapstiste Poux, Fabien Pelous, Thierry Dusautoir, Fred Michalak, Jean-Baptiste Elissalde, Yannick Jauzion, Clément Poitrenaud, Cédric Heymans ou Vincent Clerc, comptent tous au moins une trentaine de sélections. Autant de joueurs toulousains appelés, montre bien que ce sélectionneur national, n’était pas insensible au style de jeu toulousain. Son ambition, je crois, était d’adapter cette approche du jeu aux exigences du niveau international.

Je revois encore Clément Poitrenaud et Maxime Médard, qui relançaient le ballon à deux contre quatre, avec Guy Novès qui les rappelait à l’ordre, non pas parce qu’ils le relançaient en infériorité numérique dans notre camp, mais parce qu’ils avaient perdu le ballon. Il savait qu’ils étaient assez intelligents pour le faire sans perdre le ballon. Il faut imaginer ce que ce genre de discours peut avoir comme effets positifs, en termes de confiance, chez les joueurs. Bernard Laporte, lui, était capable de monter très haut sur ce genre d’action, mais après il savait venir te voir pour te réconforter, en affirmant qu’en finale de la Coupe du monde, il serait certain que les joueurs feraient les bons choix. Donc, chacun transmettait de la confiance aux joueurs, mais de façon très différente.

« Avoir une culture exclusive de l’ordre dans le jeu, appauvrira considérablement la lecture et l’interprétation du jeu, l’analyse du rapport de force. C’est pourquoi, il est toujours précieux de vivre une formation ouverte, afin de pouvoir s’adapter à ce qui est demandé chez les professionnels. »

J’aime les différences qu’il y a dans ces approches, parce qu’il n’y a pas qu’une seule bonne manière de voir le rugby. Même si j’ai ma sensibilité, je me suis beaucoup plu dans les deux organisations. J’ai beaucoup aimé pouvoir être moi-même au sein d’un rugby très organisé en sélection, très méthodique et c’est peut-être comme ça que je me suis exprimé le mieux, en semant le désordre dans cet ordre. Je crois même qu’à Toulouse c’était peut-être plus difficile de mettre mon désordre dans le désordre.

Néanmoins, j’ai pris beaucoup de plaisir, parce que je me sentais libre d’être moi-même dans le jeu, peut-être aussi parce j’ai la chance d’avoir eu une formation de joueur qui permettait de s’inscrire dans le mouvement général et dans le désordre. Avoir une culture exclusive de l’ordre dans le jeu, appauvrira considérablement la lecture et l’interprétation du jeu, l’analyse du rapport de force. C’est pourquoi, il est toujours précieux de vivre une formation ouverte, afin de pouvoir s’adapter à ce qui est demandé chez les professionnels.

Les deux sont de grands managers, qui savent aller chercher les ressources chez les joueurs et il était agréable de jouer sous la houlette de Bernard Laporte, très fort pour instaurer le cadre du jeu. En parallèle, il sélectionnait des Toulousains pour offrir de l’adaptation dans le jeu, aux côtés d’autres joueurs plus rigoureux dans le respect du cadre.

Finalement cette double culture, est-elle un élément explicatif de votre carrière en équipe de France qui n’a pas été un long fleuve tranquille ?

Mon histoire avec l’équipe de France a été assez loin d’un long fleuve tranquille … J’ai connu Bernard Laporte, Marc Lièvremont qui ne m’a jamais sélectionné en 5 ans et Philippe Saint-André. J’ai eu de grosses interrogations pendant ces 5 ans, notamment sur mes prestations. En parallèle, Yannick Bru est arrivé au Stade Toulousain, pour prendre en charge l’entrainement des avants du club, avec une grande focalisation sur la dimension physique. Il organisait son travail autour d’un cahier des charges composé d’indicateurs de performance incontournables à chaque poste. La taille, le poids, la Vitesse Maximale Aérobie (VMA), etc.

A cette époque, je ne cochais pas certaines cases. Je n’étais plus international, mon poste me réclamait d’être plus “endurant” pour rentrer dans les indicateurs, mais dans le même temps, on réclamait que je sois plus lourd… Bref j’étais en plein doute. Cette période a été très difficile, mais j’aime ce que je suis devenu à ce moment-là.

Au stade Toulousain, une partie du staff me demandait des choses, notamment sur la prise de masse, alors qu’auparavant cela ne posait aucun problème. Bernard Laporte, m’a très souvent sélectionné alors que je ne pesais que 90 kilos. Il n’y avait aucun blocage, alors que tout le monde disait surtout rechercher des avants très costauds. Il ne m’a jamais rien dit à ce sujet, en revanche, il ne souhaitait pas que je subisse de placage. Nous cherchions des solutions dans le jeu, nous parlions de rugby. Il est possible qu’une des solutions aurait été que je prenne davantage de masse, mais il ne m’a jamais parlé de cela.

On me demandait d’un côté d’être plus costaud, plus lourd, mais il m’était ensuite reproché d’être moins mobile, moins endurant, moins disponible dans le jeu. A partir de ce moment-là, j’ai décidé de me concentrer sur moi, mon rugby, mes qualités et cesser d’écouter les gens.  J’ai réfléchi à ce que je voulais être sur le terrain, je me suis entouré et j’ai commencé à « intellectualiser » ma pratique. Je regardais le rugby et les autres sports à la télévision, non plus comme un simple spectateur, mais un peu comme un entraîneur, pour étudier la performance.

Votre mise à l’écart de l’équipe de France, vous pousse à faire une démarche un peu avant-gardiste, en choisissant de constituer autour de vous, une cellule dédiée à l’optimisation de vos performances. Comment avez-vous constitué cette cellule ? 

Lors de la saison post coupe du monde 2007, je ne suis pas appelé en équipe de France, afin de laisser la place à de nouveaux joueurs et permettre au nouveau sélectionneur de faire une large revue d’effectif. J’avais déjà 25 sélections et le staff m’explique qu’il me connait assez bien, malgré une très bonne saison en club. La saison suivante, je ne suis toujours pas retenu et je ne fais pas une très bonne saison avec le Stade Toulousain. La saison suivante, je décide de me préparer comme un fou pour me donner tous les moyens de revenir au meilleur niveau. Je réalise un excellent début de saison, je deviens capitaine du stade Toulousain et c’est à ce moment que me blesse gravement au genou avec une rupture du tendon rotulien. C’est une blessure moins commune qu’une rupture des ligaments croisés du genou et plus délicate à prendre en charge. En sortant d’une saison plus qu’en demi-teinte et après deux saisons sans être retenu en équipe de France, beaucoup de gens se sont dit que c’était fini pour moi la carrière en bleu. Je l’ai lu, je l’ai entendu, je l’ai senti.

A cela s’ajoute le discours du chirurgien, qui m’avait bien averti sur la gravité de la blessure, mais surtout sur sa dimension définitive fort de 35 d’expérience. Contrairement aux ligaments croisés, qui peuvent éventuellement subir une autre rupture, une nouvelle rupture du tendon rotulien signifierait la fin immédiate d’une carrière de sportif haut niveau. Aussi, la rééducation a constitué un enjeu majeur pour la suite de ma carrière.

J’ai commencé à me renseigner, notamment en étudiant comment Ronaldo (Fenômeno) avait surmonté cette blessure lors de son passage à l’Inter de Milan, avant de subir la même blessure sur l’autre genou lors du match signant son retour à la compétition, contre la Lazio de Rome. Je me suis renseigné sur sa rééducation au Centre Européen du Sportif (CERS) à Capbreton, en contactant Rémi Roulland qui l’avait eu en charge. Je lui ai fait part de mon envie de travailler avec lui et je pars en octobre 2009, pour 7 semaines de rééducation à Capbreton à ses côtés, d’autant que je venais d’acheter une maison avec pas mal d’escaliers et je craignais trop de chuter.

Dès mon arrivée, Rémi Roulland m’a très clairement imposé un cadre, en m’expliquant que la rééducation de mon tendon rotulien ce n’était absolument pas de l’entraînement et que ce n’était pas de la course, à cette étape, à en faire plus. Il évaluait ce dont j’étais capable et mettait en place un protocole drastique. S’il décidait que l’exercice devait comprendre 10 répétitions, il était hors de question d’en faire 14 ou 12 ou 8 et quand je devais glacer mon genou 20 minutes, la règle était identique, pas question de glacer 40 minutes. Or, je ne fonctionnais absolument pas comme ça avant cette blessure, je fonctionnais davantage au feeling. Mais au pied du mur …

« Dans le développement d’un athlète, le club ne représente que le court terme, la préparation du match à venir et le moyen terme, pendant la durée du contrat. Le long terme relevait de ma responsabilité. »

Je suis revenu au bout de ces 7 semaines, je marchais très bien, avec un bon niveau d’extension et de flexion de mon genou. Je suis revenu fort sur la saison 2010/2011, mais pas assez pour être retenu pour la coupe du monde 2011 en Nouvelle Zélande, même si mon nom était murmuré dans la liste des 40 joueurs.

Dans la suite logique de mon évolution par rapport à la performance, j’ai commencé à me demander ce que je pouvais faire de plus, parce que je ne voulais pas me trouver d’excuses et me réfugier derrière ce que je ne connais pas et que je ne maîtrise pas. Il y a trop de choses sur lesquelles je ne n’avais aucune prise. A chaque fois je me demandais si j’avais fait tout ce qu’il était possible de faire. Tant que la réponse était négative, je ne m’occupais que de moi.

Aussi, je suis arrivé à la conclusion que, dans le développement d’un athlète, le club ne représente que le court terme, la préparation du match à venir et le moyen terme, pendant la durée du contrat. Le long terme relevait de ma responsabilité. Je me suis donc rapproché d’un ostéopathe, un kiné et un préparateur pour encadrer le long terme de ma carrière.

Vous avez connu deux périodes distinctes dans l’approche de la performance, une première où votre capacité à créer du déséquilibre était valorisée et une autre où il fallait des standards considérés comme incontournables. Comment définiriez-vous la performance ?

J’ai échangé avec Claude Fauquet (ex DTN de la natation) sur cette notion de performance et j’aime beaucoup sa définition qui indique que la performance c’est la capacité à trouver une solution nouvelle à une problématique. En faisant le lien avec le rugby, cela signifie que la solution est toujours nouvelle et sous pression, puisque la problématique c’est le match.

« La performance c’est la capacité à trouver une solution nouvelle à une problématique »

Claude Fauquet

J’aime cette définition parce qu’elle ouvre le champ des possibles et interroge sur la création de conditions pour les joueurs, qui leurs permettent d’être agile dans un système complexe. Cette idée permet de poser un cadre de travail très clair, flexible et adaptable à la vision et l’identité de chacun.

Vous êtes justement à un moment de votre vie où vous ouvrez le champ des possibles, puisque vous recherchez les contours de vos responsabilités au sein du club. Comment vous positionnez-vous dans cette démarche de management qui semble vous tenir très à cœur ?

Tout ce que je fais vise à la recherche permanente d’équilibre, ce n’est jamais complétement noir ou complètement blanc. Un des problèmes de notre vision du sport et notamment de l’analyse des sports collectifs, c’est que le phénomène complexe est difficile à appréhender.  C’est très facile de dire qu’un joueur A, qui a parcouru 3 kilomètres, a davantage couru que le joueur B qui a parcouru 2 kilomètres, mais le problème n’est pas là ! 

Je peux comprendre cette approche dans l’athlétisme, mais dans les sports collectifs c’est obligatoirement cognitif. Parfois un joueur peut arrêter une défense sans même toucher le ballon, mais en faisant une course au bon moment, au bon endroit et ça, c’est très difficile à quantifier. Je dis ça et en même temps j’étudie beaucoup les » data », mais à mes yeux elles restent un outil d’aide à la prise de décision, pour infirmer ou confirmer une opinion, un ressenti. Je dois évaluer jusqu’où je fais confiance à mon ressenti, à la statistique, pour trouver le meilleur équilibre entre l’ordre ou le désordre dans le jeu, entre les joueurs expérimentés ou novices dans la constitution d’un effectif. A mon sens, la performance se situe ici, dans la recherche permanente d’équilibre afin de trouver les meilleures solutions.

Dans la quête de cet équilibre propice à la performance, quel est le rôle du staff technique dans la recherche de la performance du joueur ?

Je crois que le rôle de l’entraîneur, l’éducateur, le chef de projet, je ne sais pas trop comment l’appeler, est de fixer le cap à suivre et avoir une vision claire. Cette vision dépend beaucoup de l’environnement, pour un Néo-Zélandais où le pays ne vit que pour le rugby et ses All Blacks le rugby n’est pas vécu de la même manière qu’à Toulouse ou Béziers. Ce sont autant d’éléments que le chef de projet doit intégrer afin de choisir la bonne direction. Dans un second temps, il faudra choisir les hommes qui, au quotidien, sur le terrain, vont servir in fine ce projet. En résumé, le chef du projet à l’image du capitaine d’un voilier va choisir un cap, en tenant compte des vents contraires et constituer un équipage. Ce devra être les joueurs qui sont le plus adapté à ce projet, encore faut-il qu’il soit cohérent et défini. Jouer le rugby à la toulousaine ou le football façon Barça sans un effectif adapté à ce type de projet est utopiste !

Une fois le projet clairement établi, en tenant compte du contexte et le choix cohérent des hommes au regard du projet, le chef de projet devra être une ressource pour permettre aux hommes de s’exprimer du mieux possible. L’autorité ne doit s’exprimer que si la sauvegarde du projet le réclame, mais tout est une question d’équilibre. Néanmoins, le chef de projet doit être le garant du cadre et des engagements préalables pris avec chacun. Encore une fois, il faut se montrer adaptable, car tout ne se passera pas comme prévu. Cependant, il y a des éléments qui ne sont pas négociables, notamment sur la philosophie du projet, d’autant qu’elle est partagée depuis le premier jour. J’aime beaucoup Phil Jackson, entraîneur des Chicago Bulls ou encore des Los Angeles Lakers, qui explique que son rôle est de savoir qui doit descendre du bus. Etant donnée, que nous allons tous dans la même direction, si quelqu’un ne joue pas le jeu ou si la direction ne lui convient plus, il faut savoir le faire descendre.

Le Racing 92, grand club historique francilien, a beaucoup évolué depuis quelques saisons, avec un nouveau centre d’entrainement et un nouveau stade : la Paris La Défense Arena. Quelle est votre vision des responsabilités qui vous incombent ?

Le Racing c’est déjà une grande et longue histoire depuis 1882, mais après le titre de champion de France de 1990, le club a vécu des heures sombres, avec une relégation en Pro D2 et il s’en est fallu de rien pour que le club descende en Fédérale 1 (troisième échelon national).

En 2006, Jacky Lorenzetti, grand capitaine d’industrie, a décidé de s’engager dans le sport de haut niveau, qui est un environnement très complexe. Il y a eu une première période où le club a engagé une vaste opération de recrutement des meilleurs joueurs du moment : Sébastien Chabal, Agustín Pichot, David Auradou ou encore Lionel Nallet, afin de construire rapidement une équipe performante, pour une réussite mitigée. Dans un second temps, la priorité sur le long terme a été mise sur la formation et la promotion des jeunes du club, tout en continuant à construire une équipe très performante, à grand coups de joueurs expérimentés comme Dan Carter, Dimitri Szarzewski, Chris Masoe, John Rokocoko et dont j’ai eu la chance de faire partie. L’idée était de lancer la machine et encadrer l’ascension des jeunes pendant deux à trois saisons afin qu’ils prennent ensuite le relais. Je crois que nous avons l’avons plutôt bien fait, en étant champion de France en 2016 et en jouant 2 ou 3 finales dans les grandes compétitions.

A l’issue de ce cycle, nous avions tous entre 34 et 37 ans et nous avons tous été remplacés par des jeunes. Je crois que nous sommes allés un peu vite d’un extrême à l’autre, en passant d’une équipe très expérimentée avec 31 ans de moyenne d’âge à une équipe très jeune et 26 ans de moyenne d’âge. La tendance est toujours la même puisque la moyenne d’âge du groupe cette saison, est aux alentours de 24 ans. Mais dans une recherche d’équilibre, je me pose la question de pouvoir remporter des titres uniquement avec des jeunes ou des joueurs expérimentés.

 Le projet reste le même, à savoir, construire une équipe avec une ossature de joueurs formés au club, mais probablement encadrée par quelques joueurs expérimentés, en attendant que les jeunes deviennent des joueurs chevronnés après avoir fait toute leur carrière au club, comme Henry Chavancy. Je me pose aussi la question de savoir s’il est possible qu’un joueur puisse se rendre compte de ce que représente le Racing, en ayant connu que ce club.

Récemment nous avons accueilli un joueur en provenance d’un très grand club français. Il a été très surpris de la qualité des conditions de travail au centre d’entraînement et j’ai envie que les joueurs du club entendent cela, pour qu’ils se rendent compte de l’excellence de tout ce qui est proposé ici, jusque dans la qualité de la cantine. Je crois que nous ne sommes pas très loin du projet idéal, mais à moyen terme il existe une marge de progression sur les détails.

A moyen terme, vous vous imaginez évoluer vers un projet proche de l’équipe première et la culture de l’instant et du résultat ou plutôt vers la formation des jeunes davantage porté sur le moyen terme ?  

Je crois que dans un premier temps, les choses avancent de façon plus efficace quand on travaille avec l’équipe première du club, parce que le diable est caché dans les détails. Nous devons encore progresser au-delà des discours, dans nos pratiques au quotidien, pour être performant au plus haut niveau. Le projet est en construction, mais nous devons toujours être en éveil sur nos axes de progression. Cependant, je crois que nous sommes tout proches.

 « Je reconnais que la victoire est très importante. Je me considère comme un compétiteur dans l’âme. Mais gagner n’est pas la finalité, c’est la conséquence. »

Dans mon parcours de vie, en tant qu’homme ou sportif de haut niveau, j’ai toujours été passionné par l’entraînement notamment lors de ma longue blessure. Plus encore, j’adore le J E U, réfléchir sur une vision de jeu qui me fasse vibrer et gagner. Par exemple, j’ai beaucoup de respect pour la Juventus, qui est un club immense, mais je trouve leur devise : « gagner n’est pas important, gagner c’est la seule chose qui compte » est un peu extrémiste ! Je reconnais que la victoire est très importante. Je me considère comme un compétiteur dans l’âme. Mais gagner n’est pas la finalité, c’est la conséquence.

Encore une fois, j’ai connu le stade Toulousain, avec de grandes convictions sur l’animation de l’équipe sur le terrain, des techniciens « doctorants » sur le jeu de mouvement. Sur les matchs couperets de la saison, comme une finale du Top 14, c’est la gagne qui prime. Ces deux ou trois matchs cruciaux où la victoire est impérative, le résultat positif va permettre de valider toutes les convictions sur le jeu.

Pensez-vous qu’une équipe performante soit capable de proposer des choses radicalement, voire de renier en partie sa philosophie du jeu sur une finale ?

Pour moi une bonne équipe c’est surtout une équipe tout terrain, capable de jouer là où elle n’est pas attendue, et d’avoir une grande variabilité dans ses plans de match. Par exemple, le Stade Toulousain était capable de tout relancer depuis ses 22 mètres et d’apprendre par le jeu, mais aussi se montrer plus patient et gagner par le jeu une finale. Sur ce genre de match, le rapport de forces sera pris en compte et exploité de façon plus exacerbée, notamment face aux 4/5 équipes du haut de tableau, car le championnat était plus hétérogène au début de mon passage au Stade Toulousain . Cette grande hétérogénéité permettait d’utiliser des matchs de championnat pour peaufiner des aspects de notre jeu, dans une orgie de jeu. Lors de la finale la dernière finale du Top 14, contre La Rochelle, sous la pluie, tactiquement et d’un point de vue de l’efficacité notamment sur le 4ème ou 5ème temps de jeu, le stade Toulousain a été incroyable. Avant ses 4 ou 5 temps, l’équipe devait prendre l’initiative et provoquer des situations, en revanche après ces temps de jeu définis, l’efficacité était de mise notamment sur le jeu au pied de pression. Pour atteindre ce niveau sur cette finale, il a fallu que tout le monde accepte une rotation régulière des joueurs, perdant peut être quelques matchs qu’il aurait été possible de remporter en alignant la meilleure équipe d’entrée.

Les nations de l’hémisphère sud ont très souvent dominé la planète rugby, notamment face aux équipes de l’hémisphère nord. En ce moment les nations européennes semblent prendre l’ascendant sur les nations de l’hémisphère sud, dont elles se sont beaucoup inspirées, est-ce une tendance de fond du rugby mondial ou seulement un épisode ?

A titre personnel je n’aime pas trop les termes de match référence, puisque la performance au plus haut niveau, c’est un renouvellement permanent des solutions. En ce sens, les solutions qui ont fonctionné, vont être étudiées et analysées, probablement reprises à leur compte par les autres nations. Elles deviennent donc, obsolètes.

Je me souviens d’Eddie Jones, qui était venu sur nos installations pour y faire une « masterclass ». Certains lui avait demandé s’il était possible d’avoir son document de travail. Il avait accepté de le partager en expliquant, qu’à partir du moment où c’était écrit, cela signifiait qu’il était déjà passé sur autre chose. Selon lui, la capacité d’un club à tendre vers le haut niveau est étroitement liée à sa capacité à renouveler ses idées et à innover. En ce sens, ceux qui campent sur leurs idées et donnent des leçons, sont aussi ceux qui sont des freins à l’évolution du club.

« La capacité d’un club à tendre vers le haut niveau est étroitement liée à sa capacité à renouveler ses idées et à innover. »

En outre, le pouvoir économique est en faveur de l’hémisphère du nord et les nations du sud éprouvent des difficultés financières. A cela s’ajoute qu’en France par exemple, le réservoir de talents qui se situait pendant plusieurs années autour de 10 joueurs, représente actuellement presque 40 joueurs, voire 50. Par exemple au poste de talonneur, Julien Marchand est excellent, mais il est en concurrence avec Peato Mauvaka, qui lui-même est suivi de près par Gaêtan Barlot, qui est vraiment un très bon talonneur, mais qui peut aussi être remplacé par Camille Chat, etc. Au poste de numéro 10 il y a débat entre Romain Ntamack et Matthieu Jallibert, qui sont deux joueurs brillants mais avec des profils très différents, qui offre à l’équipe un large éventail de solutions.

Un club doit avoir une formation florissante, pour ancrer ses valeurs et son identité, mais à l’image de la société, il doit être ouvert à la diversité et à des profils de joueurs qui apportent des choses différentes. Le Racing se doit d’être le club de l’île de France et il doit se nourrir de la diversité francilienne, pour représenter un modèle de réussite, certes avec de l’innovation à l’image de notre stade, une certaine élégance, mais aussi notre volonté d’accueillir tout le monde.

Quelle fierté de voir des jeunes franciliens qui se dépassent pour le maillot du Racing, même si ce n’est pas toujours facile à gérer dans le vestiaire avec des joueurs qui bousculent les codes et la hiérarchie, cela reste d’une richesse incroyable. A l’image de notre stade ultra moderne, qui ressemble à une salle de basket, mais qui s’ouvre à la fin du match pour permettre au public de rencontrer les joueurs et partager un verre de la convivialité.

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