Après 12 années passées à la tête de l’académie de l’ASM Rugby, Julien Lacour est devenu le directeur du centre de formation du Toulouse Football Club.
Il nous propose un éclairage sur son rapport au sport, son parcours et sa conception du rôle de directeur d’une académie.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Qu’est- ce que la pratique sportive représente pour vous ?
Le sport a quasiment structuré mon parcours de vie et parfois, j’ai le sentiment d’en avoir eu plusieurs. Une de sportif ayant vécu les exigences du parcours vers le haut niveau, validant certaines étapes et d’autres pas. Une vie d’éducateur sportif, une vie de dirigeant et cela, dans plusieurs disciplines.
C’est peut-être un peu idéaliste comme vision, mais je considère la pratique sportive comme un support fort de socialisation, j’y vois un ascenseur social incroyable. Pour beaucoup, c’est l’opportunité de s’écrire un projet de vie.
La manière dont un club est structuré est essentielle à la performance sportive. Il est donc important de prendre en considération son influence, surtout si nous appréhendons la modélisation de la performance de manière systémique. Au regard de cela, comment envisagez-vous la fonction et l’évaluation de l’académie au sein de ce système ?
L’activité principale, c’est l’émergence des talents parmi les gens qui composent ce microcosme. Ce sont à la fois nos garçons/sportifs, mais aussi toutes les personnes accompagnatrices. Tout le monde doit avoir la volonté de s’améliorer, de s’émanciper et de s’épanouir. J’ai du mal à concevoir que l’on puisse aspirer à vivre le haut niveau si nous ne sommes pas tous impliqués individuellement et de façon viscérale.
Je suis convaincu que nous sommes tous engagés par l’envie de bien faire, de mieux faire, à travers une approche collective. C’est presque l’aspect le plus périlleux pour un responsable de structure. Je dois m’assurer que tout le monde est au bon endroit, au bon moment, que chacun se sent à la fois considéré, autonome, avec de la liberté, mais pas perdu. L’enjeu est de trouver le bon rythme et d’accompagner chaque personne dans ce projet. L’approche de la performance doit être systémique.
« L’activité principale, c’est l’émergence des talents parmi les gens qui composent ce microcosme. Ce sont à la fois nos garçons/sportifs, mais aussi toutes les personnes accompagnatrices. »
D’autre part, nous évoluons sur une flèche du temps. Quoi qu’il arrive, la vie poursuit son chemin chaque journée. Nous devons avoir une vision à la fois à court, moyen et long- terme. C’est plutôt une opportunité pour nous à la formation, d’avoir ce triptyque. Lorsqu’on est dans l’environnement professionnel et que l’on joue tous les trois jours, c’est plus dur d’y donner un sens.
Je conçois l’évaluation de notre structure de manière subjective et objective. L’aspect objectif nous renvoie à la méthodologie et au prisme que l’on souhaite prendre. Quels sont nos process ? Comment s’assure-t-on que chacun se retrouve dans ces process, avec l’envie d’être performant dans ce qui lui est confié ? Comment laisse-t-on de l’agilité à certains afin qu’ils ne se retrouvent pas trop contraints et qu’ils n’optimisent pas toutes leurs ressources ?
Sur l’aspect subjectif, il faut tout le temps se rappeler que ce sont les acteurs qui créent la performance. Ceux qui créent le résultat direct, ce sont nos sportifs. Nous sommes tributaires de ce qu’ils sont capables de produire à l’instant T. Production que l’on a souvent tendance à vouloir cadrer, objectiver, voire temporiser et fort heureusement, nous nous retrouvons souvent à avoir tort, avec de bonnes et de moins bonnes surprises.
« L’enjeu est de trouver le bon rythme et d’accompagner chaque personne dans ce projet. L’approche de la performance doit être systémique. »
Nous avons donc un rapport au temps et en tant que dirigeants, nous avons une responsabilité dans l’évaluation de celui-ci. Quoi qu’il arrive, certains éléments ne peuvent pas s’instaurer à court-terme. A l’inverse, d’autres auraient peut-être peu de répercussions ou d’écoute si nous nous projetions à chaque fois sur quatre ans. Ensuite, il faut ordonner cette évaluation, la structurer, mettre de la méthode et s’aligner sur la manière dont nous devons nous y prendre. Il faut aussi accepter de se tromper par moments et qu’encore une fois, le résultat du terrain est quasiment le plus révélateur.
Mais à l’inverse, il ne peut pas se produire de résultats sur le terrain, s’il n’y a pas de structure, d’organisation et de soutien. L’instinct du champion est une chose, mais évoluant dans un sport collectif, cela nécessiterait qu’un ensemble d’instincts soient en symbiose. Dans la durée, ce n’est pas possible si nous ne nous organisons pas. Dans un environnement aussi concurrentiel, avec de jeunes sportifs qui font face à des enjeux comme la construction de soi, si nous ne mettons pas d’ordre, nous nous éparpillerons.
La vision du club est illustrée par la signature de marque : Debout. Toujours. Comment l’incarnez-vous à l’académie ?
Je suis convaincu que nous développons une culture du travail ou une culture club simultanément à une méthode et une stratégie. Les deux ne peuvent pas être dissociés. Lorsque nous avons démarré le nouveau projet avec Damien Comolli, nous avons essayé de définir où nous voulions aller et pourquoi. Une fois que nous avons déterminé cela, nous avons abordé la question du « comment, avec qui, à quelle échéance et quels résultats souhaitons-nous obtenir ».
Debout. Toujours., c’est notre signature de marque. Par moments, je peux avoir une perspective légèrement différente à ce sujet. Pourquoi ? Parce qu’elle a eu beaucoup de sens à une certaine temporalité de l’histoire du club. Le club s’est toujours relevé, il a fait preuve de résilience, ce qui me paraît important dans le monde du haut niveau. Néanmoins, je n’ai pour l’instant pas vécu les échecs. Ce n’est pas un manque d’humilité que de le constater.
Le jour où nous nous retrouverons en situation d’échec, je me considèrerai comme responsable, mais pour l’instant, nous sommes Debout.Toujours., et il n’y a pas de raison que nous tombions, si nous mettons les choses dans le bon ordre. Nous avons déterminé avec qui nous souhaitions travailler, quel type d’athlète nous souhaitions avoir, comment nous souhaitions les faire grandir et nous avons surtout tout contextualisé. Nous avons défini ce qui était indispensable à notre fonctionnement pour nous permettre de faire partie des meilleures académies d’Europe.
« Nous avons essayé de définir où nous voulions aller et pourquoi. Une fois que nous avons déterminé cela, nous avons abordé la question du « comment, avec qui, à quelle échéance et quels résultats souhaitons-nous obtenir »
Nous n’avons pas la même force de frappe financière et le même passé que certains de nos collègues, cependant, nous avons une histoire à construire. Si nous prenons les bonnes personnes et que nous mettons les choses dans l’ordre avec une méthode qui nous est singulière, il n’y a pas de raison que nous n’y arrivions pas. Par ailleurs, nous souhaitons fonctionner avec de petits effectifs car nous considérons que nous prendrons mieux soin de nos garçons en étant quasiment à un pour un. Il faut du temps à chacun pour s’émanciper, donc nous sommes sur des projets à long terme pour tous.
Nous avons aussi un enjeu territorial sur le football occitan et nous souhaitons que 80 % de nos effectifs soient issus du territoire. Cela nous oblige à bien travailler avec tout le tissu amateur et cela nourrit un sentiment d’appartenance. Nous complétons ces effectifs avec quelques garçons venus de l’extérieur, ayant des profils très ciblés que nous n’avons pas réussi à obtenir chez nous.
« Nous avons un président qui est convaincu que la formation est importante. Nous sommes protégés par le numéro 1 du club. Protégé, cela veut dire qu’il sait qu’il faut du temps pour que nous arrivions à générer des résultats. C’est sécurisant »
Nous considérons que notre audace doit nous permettre d’être performants. Nous avons, à la fois des certitudes sur qui doit composer notre organisation et des débuts de certitude sur la méthode. Je pense que les gens s’associent à un enjeu de spectacle sportif, ils s’associent à voir des garçons courageux. C’est comme cela que nous organisons nos cycles de travail.
L’un des éléments fondamentaux, c’est que nous avons un président qui est convaincu que la formation est importante. Nous sommes protégés par le numéro 1 du club. Protégé, cela veut dire qu’il sait qu’il faut du temps pour que nous arrivions à générer des résultats. C’est sécurisant. A terme, nous voulons que 50% de l’effectif titulaire en Ligue 1 soit issu de la formation. 50% de l’effectif total est déjà issu de la formation.
Même si les premiers contrats ne sont pas faciles à obtenir, ils sont accessibles. Maintenant, avoir 50% d’une équipe de Ligue 1 qui veut viser plutôt le haut du tableau, avec des garçons issus de la formation, là, on commence à parler d’un résultat significatif. C’est un des grands caps que nous nous sommes fixés, si ce n’est le principal. Evidemment, pour atteindre ces objectifs, en prenant en compte les autres paramètres, il faut prendre soin des gens.
Quels sont les indicateurs auxquels vous vous référez afin d’évaluer ce qui est mis en œuvre au regard de votre ambition de faire partie des meilleurs clubs formateurs d’Europe ?
Il y a une multitude de prismes et je ne souhaite pas que le premier soit économique, même si je n’ai pas de tabou par rapport à l’argent. De toute façon, pour apporter un regard sécurisant à nos propriétaires, nous devons faire valoir que nous sommes capables de nous auto-financer à minima. Ce qui est le cas aujourd’hui.
Nous avons aussi cette volonté d’en faire plus afin d’avoir un peu d’argent d’avance et continuer à mieux nous organiser. Nos volumes RH ont augmenté afin de nous permettre de mieux travailler, nous sommes en train de réhabiliter le centre de formation, etc. L’argent généré est directement réinvesti, donc c’est visible et significatif.
« Pour apporter un regard sécurisant à nos propriétaires, nous devons faire valoir que nous sommes capables de nous auto-financer à minima. »
Le nombre d’athlètes qui évoluent en équipe 1ère est un indicateur qui me paraît indispensable. Le nombre de garçons qui sont concernés par des sélections internationales en est un autre. Non pas que ce soit une fin en soi, mais c’est quand même une exposition importante. Dans la construction des joueurs, c’est quelque chose d’hyper stimulant qu’ils soient amenés à vivre d’autres expériences, donc nous sommes très à l’aise par rapport à ça. La finalité, c’est avoir de grands sportifs qui jouent à travers l’Europe.
Une fois que ces éléments se cumulent, ce qui va compter, c’est le regard que vont porter nos pairs sur ce que nous réalisons. Aujourd’hui, lorsque nous sollicitons les clubs européens étiquetés « formation », qu’ils prennent le temps de nous répondre et que certains commencent à nous appeler pour nous demander des idées, je me dis qu’en termes de légitimité, nous commençons à mettre un petit pied dans ce système-là.
Un autre enjeu important, c’est que les gens soient fiers du club. Il nous semble, avec le président, que les gens sont fiers d’avoir des jeunes garçons qui défendent chèrement leurs couleurs. Cela peut paraître un peu patriarcal, mais dans ce monde ultra-libéraliste, ça peut donner un petit ressort supplémentaire d’attachement.
Julien Demeaux (responsable des données football) évoquait l’importance d’avoir un président « sponsor » des projets menés au sein du club. Comment évaluez-vous ce « sponsoring », dans le fonctionnement de l’académie ?
Si le leader incarne la manière dont nous souhaitons travailler, c’est sécurisant. Dans le rapport au temps et aux enjeux, avoir un président qui est sécurisant, c’est une chance incroyable. Ce qui le caractérise particulièrement, c’est qu’il n’est pas omnipotent. Il souhaite être au fait de ce qu’il se passe, mais il s’est entouré de personnes en qui il a confiance et il renvoie cette confiance.
La gestion du temps est très discutable parce qu’il y a quand même un enjeu d’humilité. Nous ne sommes pas maître de la performance produite sur le terrain. Nous sommes garants de l’organisation qui doit être créée. Je suis garant du système que je souhaite accompagner. Finalement, les choses vont plus vite que ce que nous avions pu anticiper.
Cette saison, nous participons à l’Europa League, je ne sais pas si c’était vraiment dans le plan de route, en tout cas, c’est quelque chose que nous prenons à bras le corps et c’est génial. Il y aurait peut-être un risque de crise de croissance lorsque les choses vont vite, mais là, je trouve que nous le prenons très sereinement car nous avons une méthode.
« Nous ne sommes pas maître de la performance produite sur le terrain. Nous sommes garants de l’organisation qui doit être créée. Je suis garant du système que je souhaite accompagner. »
Je n’ai pas d’anxiété particulière vis-à-vis du temps que nous devons mettre pour obtenir des résultats. Ce serait d’ailleurs plutôt antinomique dans le monde de la formation, car nous sommes là pour accompagner l’émergence. L’émergence se crée à différentes échelles de temps. Ce qui est important, c’est que nous ayons des rythmes de passage et que, vis- à- vis de nos pairs et de l’ensemble du système, nous ayons des résultats. Les résultats, ce sont les garçons qui basculent chez les pros, mais de façon significative. C’est aussi de participer à des phases finales et d’avoir des titres.
Par exemple, je trouve que notre armoire à trophée est trop faible. La question suivante m’est très souvent posée : est-ce que vous opposez le résultat à la formation ? Non, j’associe les deux. Premièrement, je n’ai jamais vu un sportif qui n’a pas envie de gagner. Deuxièmement, cela structure quand même ce que nous souhaitons mettre en place, tout en respectant les intentions de jeu qui sont prônées. L’aspect sur lequel je sens que nous sommes peut-être en train de passer un cap plus vite que prévu, c’est l’attractivité vis- à- vis des autres acteurs.
Nous commençons à avoir des fenêtres de dialogue et d’ouverture avec des acteurs européens et mondiaux. Cela nous fait monter plus vite en compétence et confronter nos idées. Pour certains, ce sont des choses qu’ils ont décliné depuis plusieurs années, donc il y a le retour d’expérience qui nous est fait. C’est hyper vertueux de commencer à gagner.
On dit souvent que la force d’une chaîne dépend de son maillon le plus faible. Comment approche t’on la phase de constitution ou de reconstitution d’une équipe, sachant qu’avoir les mauvais éléments au mauvais endroit est souvent bien plus préjudiciable que de n’avoir personne du tout. Que mettez-vous en œuvre pour contrôler ce risque ?
Manager, c’est une de mes missions principales. Je dois m’assurer que chacun est à la bonne place, au bon endroit et que l’on constitue une organisation qui convienne. Je suis garant du fait que nous trouvions le bon rythme et la bonne organisation. Néanmoins, je ne peux pas être le seul à l’animer, sinon cela n’aurait aucun sens. C’est quelque chose qui m’anime à peu près tous les jours. Je conçois notre travail et le mien, comme une mission. Nous sommes une entreprise à mission.
Notre mission, c’est de permettre l’émancipation, de permettre à chacun de grandir et s’améliorer. Ce n’est pas de l’utopisme. En dégageant cela, nous aimanterons les bons candidats. En parallèle, nous avons bien entendu des process RH, même si cela peut être délicat lorsque nous ouvrons des postes et qu’il y a 200 candidatures. Je m’appuie sur les méthodes classiques de diffusion, parce que je ne veux pas que nous ayons une approche peu ambitieuse, basée sur du réseautage avec une faible volumétrie.
« Notre mission, c’est de permettre l’émancipation, de permettre à chacun de grandir et s’améliorer »
Concernant les joueurs, nous avons l’opportunité de pouvoir leur expliquer comment nous souhaitons travailler, de partager ce qui nous anime et ce que nous incarnons. Je suis très à l’aise avec le fait que les gens parlent de ce que nous faisons. Je sais ce que nous faisons de bien et ce qui est moins bien. Je sais les promesses que je peux tenir et j’essaie d’éviter celles qui sont difficilement tenables. La qualité de la relation que nous avons avec les familles et les agents fait qu’aujourd’hui, je n’ai pas de point de divergence. Ça aussi, ça fait plutôt effet boule de neige.
Pour en revenir aux collaborateurs, à partir du moment où l’on sait ce que l’on souhaite faire, j’ai le sentiment qu’on trouve rapidement et facilement les gens avec qui on va pouvoir travailler. Tout est présenté lorsque nous réalisons des entretiens. Comment nous fonctionnons, quel est l’état d’esprit actuel, ce qui sera négociable ou ne le sera pas, comment chacun peut être investi d’une mission pour laquelle il se sent compétent et autonome. Ensuite, il y a la force de la dynamique collective. L’intelligence collective au 21ème siècle, c’est indispensable. Qu’est- ce qui fait que chacun sait pourquoi il est là et comment il s’y prête ?
De temps en temps, évidemment, il faut que je recadre un peu notre petite troupe. Néanmoins, nous avons un staff de 40 personnes et j’ai le sentiment que nous n’avons jamais été aussi bien structuré et accompagné que ce que nous faisons actuellement. Par ailleurs, nous apprécions les profils atypiques. Sans me revendiquer comme tel, je suis malgré tout le seul directeur d’un centre de formation à n’avoir jamais joué au football. Cela ne nous empêche pas de plutôt bien travailler, il me semble.
Pour les jeunes sportifs, avoir des modèles auxquels s’identifier est un élément fondamental. Le mur des Pitchouns est un support qui illustre bien cette idée. Comment développez-vous cet aspect par ailleurs ?
Je pense que nous pouvons compléter avec la vision ou le support infrastructurel, ainsi que les hommes qui l’incarnent. Aujourd’hui, nous avons une chance inouïe en termes de support infrastructurel, étant donné que nous sommes tous sur le même site. Nous restons, me semble- t- il, un club avec une vision assez familiale ou en tout cas très humaine, ce qui fait que tout le monde est amené à interagir avec tout le monde. Il n’y a pas de scission au sein de l’organisation.
« Souvent, cela marche mieux quand je n’y suis pour rien »
Permettre à toutes les équipes de s’entraîner à la même heure, au même endroit, c’est hyper facilitant pour lever d’éventuels blocages. Les garçons ont une très grande sensibilité à ce que peuvent leur dire les plus grands, ce qui est plutôt logique en termes de transmission. Il y a à la fois l’organisation et l’agencement que nous prônons et ensuite, il y a les connexions qui se créent, pour lesquelles nous avons une responsabilité ou pas. Souvent, cela marche mieux quand je n’y suis pour rien.
C’est aussi pour cela que c’est important pour que le système soit vertueux, qu’il y ait en permanence des joueurs formés au club dans le groupe pro. C’est un gain de temps inouï, parce qu’ils leur passeront des messages avec les bons éléments de langage et les codes associés à leur génération. Il y en a quelques-uns qui incarnent très bien cela dans le vestiaire des pros. En complément, il y a l’éveil que nous souhaitons leur donner. Nous avons donc des enjeux de mentoring réguliers, notamment en termes de partage d’expérience.
Nous voulons aussi aller plus loin sur l’expertise au poste. Dans le projet de demain, pour chaque poste que nous avons identifié, nous voulons que des joueurs qui composent le groupe professionnel (pas forcément formés au club), viennent travailler sur des éléments factuels et de la donnée avec nos plus jeunes joueurs.
« Un ado a besoin de se construire, de se confronter à une réalité ou des réalités et il a besoin, par moments, de rejeter ce que nous lui proposons »
Encore une fois, nous ne pouvons pas tout maîtriser. Il y a à la fois ce que nous n’organisons pas qui marche bien et dans ce que nous organisons, il faut à tout prix qu’il y ait un langage partagé par les joueurs. En réunissant ces trois éléments : des infrastructures plutôt facilitantes, du mentoring non guidé et du mentoring guidé, cela nous permet de sécuriser et d’alerter les joueurs.
Par ailleurs, il faut garder en tête que nous accompagnons des adolescents. Par définition, un ado a besoin de se construire, de se confronter à une réalité ou des réalités et il a besoin, par moments, de rejeter ce que nous lui proposons. Il faut toujours que nous arrivions à identifier la période dans laquelle il se trouve. Est-ce qu’il est dans une période où il est en mesure d’assimiler et d’entendre ? Est-il dans une période où ce n’est pas le cas ? C’est le processus de construction de soi et il faut que nous ayons l’humilité de l’entendre. C’est pour cette raison que nous devons être à l’aise sur l’espace- temps. Certains joueurs peuvent performer très vite, d’autres mettent plus de temps. Notre rôle, c’est de protéger tout le monde.
Le processus de décision est extrêmement complexe dans une académie car vous essayez, souvent à partir d’indicateurs précoces, de prédire un futur hautement incertain. Comment appréhendez-vous la prise de la bonne décision au bon moment, malgré l’incertitude ?
Déjà, il y a l’intention. L’intention, c’est de faire au mieux, d’être juste, parce que c’est ce qui les anime le plus nos garçons. La justice ou la justesse. Cela nous renvoie de nouveau à la vie de l’ado, qui a encore parfois des difficulté à cerner le gris.
Nous leur disons souvent qu’il n’y a pas qu’une réussite sociale ou réussite de vie. Ils se l’approprient comme ils le peuvent, mais il ne faut pas que nous promouvions la signature du contrat professionnel comme la finalité absolue de leur passage dans notre structure.
Néanmoins, il y a ce que nous adulte souhaitons et ce que les garçons sont en mesure de comprendre. Quoi qu’il arrive, nous sommes tous de passage dans ce système. Il faut que ce système les marque à vie, c’est un fil rouge. L’évaluation, pour être amené à vivre l’expérience professionnelle chez nous, doit se faire par étapes.
« Nous leur disons souvent qu’il n’y a pas qu’une réussite sociale ou réussite de vie. Ils se l’approprient comme ils le peuvent, mais il ne faut pas que nous promouvions la signature du contrat professionnel comme la finalité absolue de leur passage dans notre structure »
Il y aura peut-être des erreurs de jugement, que nous devons minimiser, mais il faut surtout que les garçons arrivent à se confronter au bon moment, au bon niveau de compétition pour être évalués correctement. C’est ce qui nous est le plus cher.
Qui doit être où et comment, pour pouvoir être amené à apporter un peu de véracité à nos collègues du groupe professionnel. Nous sommes tributaires de leur niveau de maturité physiologique, biomécanique, émotionnelle, etc. La bonne connaissance de tous ceux qui composent notre structure nous amène à faire, je pense, les choix les plus objectifs et les plus fins.
« Il faut surtout que les garçons arrivent à se confronter au bon moment, au bon niveau de compétition pour être évalués correctement. C’est ce qui nous est le plus cher »
Nous nous appuyons en parallèle sur des données, car évidemment, nous ne rejetons pas le fait être catalogué comme un club boulimique de données. Les données dans la vie de la formation, je les vois aussi et surtout sur la protection de la santé. Avec toutes les données que nous générons, comment arrive-t-on à préserver le capital santé des joueurs. Un joueur en bonne santé, c’est un joueur qui progresse.
Nous avons des données pour améliorer la fiabilité ou encore la méthode, mais nous avons surtout des données pour maintenir tout le monde disponible. C’est un système pyramidal, donc de toute façon, nous ne serons pas en mesure de proposer une place à tout le monde.
Dans bien des environnements il est difficile de dire non. Or, dire non est bien souvent le meilleur moyen de se focaliser sur ce qui est vraiment prioritaire. Comment appréhendez-vous cet aspect?
J’ai évoqué le fait que nous sommes quasiment devenus une entreprise à mission, voire une juste cause. Nous devons prétendre à animer une juste cause. Quoi qu’il arrive, cela nécessite de faire des choix. En ce qui me concerne, je n’ai pas spécialement d’état d’âme à faire des choix parce que j’ai le sentiment que je suis entouré de gens compétents pour m’aider à transiger. Je suis souvent porteur de la réponse finale, mais avec notre méthode et les multi-compétences qui m’entourent, je trouve que nous nous sécurisons par rapport à cela.
« Nous devons nous accorder le droit de nous tromper, de demander de l’aide, de partager de l’information »
Cela étant, je le répète aux gens qui m’entourent, mais nous devons nous accorder le droit de nous tromper, de demander de l’aide, de partager de l’information. Diriger, c’est décider et si aujourd’hui, je ne suis pas en mesure de décider ce qui est bon pour nous tous, en m’appuyant évidemment sur des gens qui m’aiguillent, je fais perdre du temps à tout le monde. Comme nous l’évoquions plus tôt, nous sommes sur une flèche du temps et celui-ci passe.
Vous avez utilisé le terme « sécurisant » à plusieurs reprises. Comment développez-vous l’aspect sécurité psychologique au sein de l’organisation ?
Je ne le vis pas à la place de chacun, mais ce qui est certain, c’est que je suis bien entouré. Nous sommes convaincus que nous serons performants si nous sommes liés et que nous avons créé des relations fiables. La fiabilité, c’est un peu comme le courage, c’est faire ce qui est juste, c’est être capable de faire ce qu’on dit. Nous essayons de nous assurer que nous sommes dans un environnement sécurisant. Sécurisant, parce qu’il doit y avoir du respect entre nous.
Nous avons des séminaires collectifs avec des temps d’inclusion, des temps de déclusion, des temps de transparence. Nous avons récemment ajouté des réunions de coopération sociale, où finalement, tous les sujets peuvent être abordés sans le moindre filtre, sans le moindre tabou. Ce qui compte, c’est que chacun se sente assez respecté et sécurisé pour s’émanciper et oser dire ce qui peut porter préjudice.
Nous avons aussi le support du service des habiletés mentales. Cela doit faire partie de notre très haut niveau d’exigence, que chacun sache ce qui est bon pour lui, ce qui ne l’est pas et en quoi nous pouvons négocier ou pas sur les règles collectives. Ce que nous disons toute la journée à nos garçons, c’est ce que nous tâchons de nous appliquer et de nous expliquer.
« Cela doit faire partie de notre très haut niveau d’exigence, que chacun sache ce qui est bon pour lui, ce qui ne l’est pas et en quoi nous pouvons négocier ou pas sur les règles collectives »
Le point de départ, c’est que je suis bien entouré et que l’organisation est composée de personnes compétentes. Ensuite, nous avons tâché de mettre de la méthode sur la liberté de la parole. Néanmoins, c’est un processus qui nécessite du temps pour que chacun puisse s’épanouir dans ce système- là. Pour certains, cela peut ne pas aller, c’est pour cela que nous sommes encore amenés à avoir un peu de turn-over.
Non seulement nous avons des collaborateurs très compétents qui sont chassés et puis pour d’autres, ce n’est peut- être pas le modèle dans lequel ils se retrouvent, ou pas encore tout à fait leur étape au niveau de leur développement personnel. J’ai du respect pour cela. Cependant, les règles collectives que j’ai déclinées sont non négociables.
Qu’est-ce que la notion de risque vous évoque et quels sont ceux qui pourraient entraver le fonctionnement de l’académie dans l’atteinte de ses objectifs ?
Je suis très à l’aise avec le risque, surtout lorsque je suis le seul concerné. Il y a certainement un lien avec ma pratique de sports de combat. Ce que je souhaite, au niveau de notre organisation, c’est que les hommes avec un grand H, se sentent en sécurité, mais qu’ils aient conscience que nous sommes dans un environnement qui peut être amené à bouger et à créer de l’instabilité. C’est la frontière entre sécuriser les gens qui sont autour de moi, mais pas non plus trop démystifier le contexte.
Les risques du quotidien, si j’enlève évidemment les grands sujets de vie sociétale, pour nous, ils sont relativement mesurés. Ce qui serait préjudiciable dans notre dynamique, c’est que la politique générale du club change. Ce serait quand même un gros risque, un risque quasiment industriel. S’il y avait un besoin d’immédiateté, nous n’arriverions pas à répondre à cette commande. Ensuite, il y a le capital santé et protection de l’individu, qui est selon moi l’élément le plus important de la vie.
« Ce qui serait préjudiciable dans notre dynamique, c’est que la politique générale du club change. Ce serait quand même un gros risque, un risque quasiment industriel. S’il y avait un besoin d’immédiateté, nous n’arriverions pas à répondre à cette commande. »
Si nous nous trompons d’intentions de jeu, si nous nous trompons sur un match ou sur un cycle, cela nous permettra de voir si nous sommes compétents pour réguler. C’est toute la finesse entre avoir des process, de la méthode, de la rigueur et faire preuve d’agilité pour s’adapter à un contexte qui est changeant. Par ailleurs, la concurrence m’anime peu sur cet aspect. Nous devons nous occuper de nous-même, en performant et en étant meilleurs.
La notion de combat semble avoir une place assez importante dans votre parcours personnel, mais aussi professionnel. Vous avez pratiqué le judo à haut niveau, le Jiu-Jitsu brésilien ainsi que la lutte et vous avez opéré dans deux centres de formation de rugby (ASM Clermont Auvergne et Oyonnax Rugby), un sport collectif de combat et… d’évitement. Que retenez-vous de ces expériences ?
Cela m’a appris que nous devons être animé de résilience. Je ne vois pas comment nous pouvons surmonter les épreuves de la vie, du quotidien, les apprécier, si nous ne sommes pas capables de nous accrocher. C’est souvent paraphrasé, mais au judo, on apprend à chuter et à se relever. J’ai souvent chuté et jusqu’à présent, je me suis toujours relevé. C’est quelque chose qui m’anime.
Le sport individuel stimule l’obligation de savoir s’évaluer. Lorsqu’on perd à un instant T d’une préparation pour des échéances de très haut niveau, que tout se passe en deux secondes, que c’est fini et qu’en plus on salue la personne contre qui on vient de perdre, cela remet bien la tête à l’endroit. C’est quelque chose de très structurant. La vie est belle, mais cela nécessite de s’accrocher.
Pensez-vous que les athlètes pratiquant des sports individuels sont dotés d’outils d’auto-évaluation ou d’auto-régulation, que les pratiquants de sports collectifs développent plus difficilement, mais qui sont nécessaires pour performer à haut-niveau ?
Je pense qu’il y a un juste milieu. Les sports collectifs nécessitent des interactions et des interdépendances, ce qui est aussi un bel indicateur pour la vie collective. La limite, par moments, c’est peut- être la tendance que l’on peut avoir à se reposer sur ces interdépendances, ce que le sportif individuel ne connaît pas.
Dans tout contexte, il y a de bonnes choses à prendre. J’ai appris dans ma vie de sportif qu’on ne peut s’en prendre qu’à soi- même lorsqu’on perd et que personne ne peut effectuer le travail à notre place. J’ai appris dans les sports collectifs qu’à plusieurs on peut être plus compétents et plus complémentaires.
« Le haut niveau structure l’amélioration de la conception de la pratique »
Ce que nous devons beaucoup plus animer chez nos garçons, c’est du déterminisme et de la conscientisation. Je trouve que nous sommes encore en retard là-dessus. Peut-être que le grand « système foot » ne les oblige pas à être moteur tout de suite de cela.
Pour être un footballeur de très haut niveau, il faut être performant absolument sur tout et savoir pourquoi on est là et ce que l’on a à faire pour être meilleur pour soi et pour le collectif. Le haut niveau est toujours révélateur de comment nous devons nous orienter pour mieux pratiquer notre sport. Pour moi, c’est universel. Le haut niveau structure l’amélioration de la conception de la pratique.
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