L’objectif n’était pas le résultat, c'était la conséquence

Formé au FC Nantes, champion de France 95 avec les Canaris (32 matchs sans défaite – record d’invincibilité sur une saison), Nicolas Ouédec a très largement contribué au succès de l’une des plus belles itérations du football à la nantaise.

Il nous propose un éclairage sur son rapport au football, son parcours et sa perception du rôle d’attaquant.

🚨 Avant d'aller plus loin, inscrivez-vous à la newsletter

Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.

Qu’est-ce que le football représente pour vous ?

Le football me renvoie de façon assez spontanée à la notion de plaisir. Sans rentrer dans des considérations tactiques ou techniques, le football c’est avant tout un plaisir partagé avec des partenaires, des amis. Ce jeu est d’abord un plaisir et une passion. Il est ensuite devenu mon métier jusqu’à mes 34 ans.

Vous mettez en avant la notion de plaisir et celle de partage. N’est-ce pas un peu contradictoire étant donné la trajectoire d’un footballeur professionnel, qui plus est lorsqu’on a été attaquant ?

Le rôle d’attaquant renvoie souvent à des profils un peu individualistes, notamment sur la fonction de terminer les actions et de marquer des buts, mais un attaquant n’est rien sans ses partenaires. Le partage ne se fait pas spécialement à travers un échange oral, c’est aussi un échange à travers le mouvement, le plaisir de répondre à un déplacement, de partager une idée directrice dans le jeu, de synchroniser la course de l’attaquant et la passe d’un partenaire.

Le plaisir nait de l’échange et de la collaboration étroite entre le passeur et le finisseur. Il faut que ces deux personnes se comprennent et quand il y a compréhension sur le terrain, généralement, elle se prolonge à l’extérieur, encore que…

Il m’est arrivé de très bien m’entendre sur le terrain avec certains « passeurs » et ne pas être nécessairement en adéquation avec eux dans la vie. Néanmoins, ce qui nous rapprochait, c’était la même compréhension des déplacements, du jeu et le plaisir partagé de se comprendre.

« Le partage ne se fait pas spécialement à travers un échange oral, c’est aussi un échange à travers le mouvement, le plaisir de répondre à un déplacement, de partager une idée directrice dans le jeu, de synchroniser la course de l’attaquant et la passe d’un partenaire »

Je considère le football de haut niveau comme une activité individuelle au sein d’un sport collectif. Lorsque je parle de haut niveau, j’y intègre les équipes de jeunes d’un centre de formation. L’entrée dans un centre de formation, c’est intégrer un système qui doit permettre à quelques joueurs d’aller jouer avec l’équipe première. Lors de mon arrivée au centre de formation du FC Nantes, du haut de mes 15 ans, j’ai très vite compris l’obligation d’être performant.

Pendant la formation, le joueur se construit individuellement, sur le plan humain et sportif, c’est pourquoi chacun place le curseur de la performance selon son bon vouloir. Pour ma part j’ai essayé de mettre tous les ingrédients pour aller très vite, puisqu’à 17 ans et demi, je jouais mon premier match avec l’équipe première du FC Nantes.

Évidemment qu’en chemin, vos amis et vos partenaires sont aussi des concurrents, puisqu’à la fin du cursus de formation, il n’en restera qu’un ou deux au même poste. Il y a donc ici une notion contradictoire, étant donné que j’étais en concurrence avec ceux dont je partageais le quotidien. Néanmoins, c’était la règle du jeu et il fallait l’accepter.

 

Au milieu des années 80, vous avez intégré le centre de formation du FC Nantes, véritable institution dans la formation des jeunes, dans le style de jeu et les résultats obtenus. Que signifiait être performant dans l’équipe professionnelle du FC Nantes au regard de celle du Paris Saint-Germain par exemple ?

C’est assez différent parce qu’au Paris Saint-Germain, j’arrivais en tant que joueur international de 25/26 ans. J’étais un joueur accompli, même si on ne l’est jamais totalement. À Nantes, je me suis construit ce statut de joueur et j’étais issu de la formation, il y avait donc une attente différente.

Comme je l’ai dit précédemment chacun place le curseur de la performance où il veut, mais il y a une réelle différence entre un défenseur, un milieu de terrain et un attaquant en termes d’exigences statistiques.

J’ai joué attaquant toute ma carrière et j’étais jugé sur un geste, un but marqué ou au contraire une occasion ratée. J’ai donc vécu toute ma carrière de footballeur avec cette pression-là, d’autant que dès ma formation je me l’imposais.

« A Nantes je ne sentais pas particulièrement cette attente, parce que tous les éducateurs que j’ai connus avaient un discours suivant « ça viendra naturellement». L’objectif n’était pas le résultat, c’était la conséquence. Ce genre de phrase déleste d’une certaine pression, notamment les attaquants. »

À Paris dans un club très exposé médiatiquement, l’exigence était immédiate, mais je dirais que peu importe le club, le joueur a forcément un devoir individuel de performance. Néanmoins, à Nantes je ne sentais pas particulièrement cette attente, parce que tous les éducateurs que j’ai connus avaient un discours suivant « ça viendra naturellement». L’objectif n’était pas le résultat, c’était la conséquence. Ce genre de phrase déleste d’une certaine pression, notamment les attaquants.

A Paris, j’ai senti tout de suite que mes statistiques individuelles prenaient le pas sur mes performances. A Nantes, il m’arrivait de ne pas marquer, mais d’entendre Raynald Denoueix me dire que ma performance lui avait beaucoup plu. A contrario, il m’est arrivé de réaliser un doublé et d’être convoqué dès le lundi matin dans le bureau. Coco Suaudeau me disait « tu as marqué, mais je m’en fous. C’est quoi ces actions ? Elles ne m’intéressent pas ».

À Nantes c’était différent, notamment dans l’analyse des entraineurs. Il y a des matchs où j’ai marqué des buts sans avoir existé dans le jeu et j’étais élu homme du match. Tout dépend où l’on place le curseur. J’ai toujours cherché à être complet au poste d’attaquant.

J’étais content lorsque je marquais, mais j’étais tout aussi content lorsque je faisais une dernière passe, voire une avant-dernière passe. On parle rarement de l’avant dernière passe qui peut être plus décisive que la dernière passe. J’aimais être à l’initiative dans ces avant dernières passes, cela induit que je participais à la construction du jeu.

Finalement, le football c’est le plaisir de se comprendre. Lors des rassemblements en équipe de France, des joueurs de tous les horizons sont regroupés. Comment vous organisiez-vous pour mieux comprendre vos partenaires du moment et réciproquement, au regard des aspirations nantaise très marquées dans le jeu ?

J’ai la chance d’avoir connu toutes les sélections nationales, des moins de 15 ans jusqu’au A. J’ai donc évolué avec certains joueurs de ma génération pendant presque dix ans. Chaque fois que j’ai porté le maillot bleu, notamment chez les A, où il y avait des joueurs de tous les âges, je me suis efforcé de vraiment comprendre mes partenaires.

Evidemment, je ne pouvais pas me déplacer de la même façon avec Reynald Pedros derrière moi, avec qui j’ai évolué quotidiennement pendant 10 ans à Nantes qu’avec Zinédine Zidane, le temps d’un rassemblement de quelques jours.

Reynald Pedros jouait très souvent vers moi en une touche de balle alors que Zinédine Zidane avait plus tendance à prendre du temps pour la donner, avec la qualité technique que tout le monde connait. Evidemment le rôle d’attaquant diffère un peu, j’ai même envie de dire qu’avec ce type de partenaire le rôle est en constante évolution.

J’ai beaucoup appris avec ces changements de partenaires notamment dans la gymnastique cognitive que j’étais obligé de réaliser. Les types de courses sont différents, notamment le timing. Avec Zidane, je devais faire mes appels un peu plus tard notamment parce qu’il aimait orienter ces contrôles différemment de Pedros.

Cette gymnastique intellectuelle, permettant de bien connaître ses partenaires, c’est pour moi une évidence lorsqu’on est attaquant. Si mon partenaire recherche plutôt une passe longue, les courses vont être plus longues. Au contraire, je vais solliciter le une-deux et la redemander dans l’espace, si le partenaire préfère combiner.

Toutes ces questions m’ont permis d’élargir ma palette et cette gymnastique je l’ai poursuivie tout au long de ma carrière avec d’autres joueurs que ce soit en Espagne, à Paris, à Montpellier, en Belgique et en Chine.

Côtoyer des joueurs totalement différents dans ma première partie de carrière, comme Pedros et Zidane, deux très grands joueurs, deux très grands passeurs, m’a permis d’élargir ma réflexion sur mon poste d’attaquant et d’explorer au-delà de ma formation nantaise.

Avec Zizou, à l’entraînement chez les espoirs ou les A, je devais m’adapter parce qu’il voulait le ballon dans les pieds et qu’il allait souvent le contrôler de l’extérieur du pied droit ou gauche.

En fonction du partenaire qui était à côté de moi j’adaptais mes déplacements parce que si je le comprenais bien et que lui aussi, il y aurait une alchimie entre nous. Il y aurait comme un élastique invisible qui nous relie et ça, c’est génial. Après je ne peux parler que des attaquants, parce que les milieux de terrain, les défenseurs, je n’y connais rien.

Evidemment, je pourrais un peu élargir ma réflexion aux défenseurs centraux que je côtoyais souvent de très près. Cette gymnastique intellectuelle, je l’appliquais aussi à mes partenaires en défense centrale. Par exemple, avec Nourhédine Naibet, Laurent Guyot ou Eddy Capron, les longs ballons n’arrivaient pas de la même façon. J’adorais recevoir ce genre de ballon, encore fallait-il que je fasse le bon appel, au bon moment, au bon endroit et qu’eux le voient.  

Vous évoquez le couple que doivent former le passeur et le receveur, il est presque question d’une forme d’alchimie entre ces deux acteurs. Vous avez évolué à une époque où le marquage individuel était monnaie courante, où votre adversaire direct était souvent clairement identifiable tout au long du match. Peut-on étendre cette approche au couple que vous formiez avec le défenseur central en charge de votre surveillance, si oui jusqu’où allez-vous dans cette relation avec cet adversaire ?

J’avais évidemment le calendrier en tête et je cherchais à comprendre le jeu du « stoppeur » que j’allais affronter le samedi. On revient au fait que d’une certaine manière le football est un sport très individuel notamment pour l’attaquant.

Dans cette confrontation directe avec le défenseur, nous étions en contact pendant tout le match, autant physiquement que psychologiquement. Cette promiscuité, me permettait de très bien sentir à certains moments si j’avais pris l’ascendant psychologique et/ou physique sur mon adversaire.

Il y avait une dualité très forte que l’on peut retrouver au tennis, que je pratique très régulièrement. Je retrouve ces instants où je ressens comment le match va basculer dans un sens ou l’autre. En match, j’ai souvent senti cela avec mon défenseur, celui qui avait la charge de me surveiller.

Déjà, avant le match, les regards dans le couloir en disait long. Il y avait une forme de jeu autour de « je ne sais pas ce que tu sais, mais je sais que tu sais », c’est pourquoi je m’habituais à travailler dans des zones du terrain où le défenseur que j’allais rencontrer n’aimait pas aller.

Je savais que des joueurs comme Basile Boli ou William Prunier n’aimaient pas trop que je les emmène dans des zones trop lointaines de leur but. Quand je décrochais un peu trop, je savais que Prunier n’allait pas spécialement venir me chercher, en revanche, si j’étais statique dans les 30 derniers mètres, j’étais « mort ». Je recherchais des espaces à gauche, à droite, je décrochais beaucoup en concertation avec Patrice Loko, qui prenait la profondeur lorsque je décrochais. On voulait induire les défenseurs en erreur.

Lilian Thuram, lui, n’était pas dérangé par le fait d’aller à droite ou à gauche, il était très complet. Physiquement, je devais être à 110 % de mes capacités pour pouvoir le tromper, parce qu’il était très difficile à éliminer. On se connaissait très bien, on se côtoyait depuis l’âge de 15 ans, nous avons même fait l’armée ensemble.

Après 7 saisons au FC Nantes, dans un contexte où le nombre de joueurs étrangers dans une équipe était limité à 3, vous faites le choix de quitter votre club formateur pour l’Espanyol de Barcelone et découvrir la Liga. Pourquoi ce choix assez étonnant pour l’époque ?

Plusieurs facteurs sont rentrés en ligne de compte dans le choix de signer à l’Espanyol de Barcelone. Tout d’abord, le club venait de finir quatrième du championnat espagnol, derrière l’Atletico Madrid, Valence FC et le FC Barcelone. Cette équipe était qualifiée pour la Coupe de l’UEFA et elle était très compétitive, ce qui était à mes yeux une condition essentielle.

Ensuite, j’avais eu la sensation d’avoir fait un peu le tour de la question au FC Nantes, qui avait laissé partir un an plus tôt Patrice Loko, mon compère d’attaque avec qui j’évoluais depuis quelques années. Malgré un certain nombre de sollicitations, j’avais accepté de rester à Nantes après le départ de Patrice, afin de jouer la Ligue des Champions et le club ne souhaitait pas nous voir partir tous les deux.

Lors de ma visite des installations de l’Espanyol, j’ai eu un feeling extraordinaire avec l’ensemble du staff, l’ambiance du club m’a plu et je me suis senti vraiment désiré, ce qui était important pour moi.

Par ailleurs, ma dernière saison à Nantes avait été assez compliquée au niveau physique, avec pas mal de blessures. Beaucoup de clubs s’intéressaient à moi, mais s’interrogeaient sur ma fiabilité au regard des trois blessures de la saison. Je n’ai joué que 13 matchs de championnat lors de la saison 95/96, mais j’ai eu la chance de pouvoir disputer toutes les rencontres de Ligue des Champions.

L’Espanyol s’était déjà manifesté deux ans auparavant et insistait malgré les blessures lors de ma dernière saison au FC Nantes. J’ai opté pour un football latin malgré des offres de clubs anglais, parce que le football de cette époque-là en Angleterre ne m’intéressait pas. Il faut se remettre dans le contexte du moment, où le kick and rush dominait et Arsenal commençait tout juste à se transformer sous la houlette d’Arsène Wenger.

Revenons sur cette notion de gymnastique intellectuelle qui a été un élément central dans votre pratique professionnelle. A une époque où la connaissance des championnats étrangers était moins importante qu’aujourd’hui, l’immersion dans un environnement totalement nouveau à laquelle s’ajoute la barrière de la langue, au moins les premières semaines, sont des éléments essentiels à prendre en compte. Comment avez-vous procédé pour « mettre en route » votre gymnastique face à autant de nouveauté ?

Je suis arrivé à l’Espanyol de Barcelone en 1996, ce qui représentait une forme de continuité de ma carrière entamée à Nantes, dans un club avec un style de jeu très marqué. Lors des premiers entraînements, pour se rassurer, tout joueur professionnel s’appuie sur ce qu’il sait faire de mieux. C’est ce que j’ai essayé de faire dès le stage de préparation.

Je me suis vite aperçu que dans la relation avec mes nouveaux partenaires, j’allais devoir non pas évoluer, mais m’adapter. C’est là où l’intelligence de jeu cultivée dans ma formation nantaise m’a drôlement servi pour adapter mon style de jeu vers une forme plus individualiste.

Alors, comment faire pour exister un peu plus individuellement ? À Nantes, tout au long des années de formation on s’appuyait beaucoup sur le partenaire pour faire des différences. En tant qu’attaquant, mon rôle n’était pas seulement de faire des différences individuelles, mais je devais beaucoup collaborer avec mes partenaires du milieu et d’attaque. À l’Espanyol de Barcelone, ils valorisaient beaucoup l’attaquant capable de faire des différences individuelles. C’était même une réelle tendance dans le football espagnol de l’époque.

Il y a dans l’histoire de ce championnat, une réelle culture pour dénicher des attaquants souvent argentins, brésiliens, capables de faire de grosses différences individuelles, mais étant donné mon profil et ma formation je n’avais pas forcément cette approche du poste.

A Nantes, on m’avait tellement inculqué que ton partenaire, c’est celui qui va t’aider à faire des différences qu’il m’a fallu un peu de temps pour m’adapter. D’autant, qu’en séance et dans les matchs, il n’y avait pas spécialement les déplacements que j’attendais ou ceux dont j’avais l’habitude. Je dois avouer que sur le plan individuel, j’ai beaucoup évolué en Espagne, notamment dans les petits espaces, savoir éliminer et faire la différence.

Lors de ma première saison à Barcelone, je remplaçais un joueur, presque un monument du club, Ismaël Urszaiz. C’était un grand attaquant basque qui avait marquer pas mal de buts la saison précédente. Il était grand, athlétique, très fort de la tête et servait un peu de point d’appui devant pour se débrouiller tout seul sur le font de l’attaque. C’était une figure du club et un attaquant remplace toujours quelqu’un qui a marqué une époque dans un club, mais plus encore dans les clubs du top cinq des grands championnats.

J’ai vite compris que le club attendait cela de moi, alors que mes qualités se situaient plutôt dans le mouvement permanent, je jouais de la tête mais pas au point d’être le tour de contrôle. Je me suis adapté aux attentes de mes partenaires et réciproquement pour faire la paire pendant deux mois avec Florin Raducioiu, international roumain, très rapide, passé par le Milan AC, vainqueur de la Ligue des champions en 1994.

Ma deuxième saison, j’ai fait la paire avec Juan Eduardo Esnaider, international argentin passé par le Real Madrid, l’Atletico Madrid et qui fait les beaux jours de Saragosse. Deux excellents partenaires, mais qui avaient une approche très individuelle du poste et avaient l’habitude de se débrouiller, notamment Esnaider qui avait une très grosse personnalité. Je me suis adapté, à chaque fois, grâce à une forme d’intelligence du jeu cultivée à Nantes, pour essayer de comprendre très vite et me faire une place dans l’équipe.

Il semble qu’au moment où vous mettez les pieds à Barcelone, vous prenez réellement conscience de « l’éducation » reçue à Nantes, avec tous ses aspects positifs et probablement quelques manques aussi. Cette formation vous a permis, notamment, de vous associer à deux autres partenaires, Reynald Pedros et Patrice Loko avec le succès que nous connaissons. Comment expliquez-vous que votre trio offensif à l’image de nombreux joueurs à vocation offensive formés à Nantes, aient éprouvé des difficultés à se montrer performants loin de La Beaujoire, ce qui semble moins vrai pour les joueurs à vocation défensive ?

A Nantes l’idée était de former de très bons joueurs à vocation offensive, comme Reynald Pedros par exemple, qui n’était pas un pur attaquant, mais davantage un milieu offensif qui s’intégrait dans un duo, voire un trio offensif. Le joueur offensif à Nantes se réalise à travers un duo, un trio, comme cela a été le cas pour nous dans les années 90. C’était déjà le cas dans les années 80, avec Loïc Amisse, Eric Pécout et Bruno Baronchelli, tous les trois formés à Nantes.

On forme des joueurs comme pour constituer un puzzle, pour permettre à chacun de bien se comprendre et de bien s’exprimer ensemble. D’ailleurs, concernant notre trio, dans le FC Nantes des années 90, on détache rarement Patrice Loko de Reynald Pedros ou Nicolas Ouédec. On parle davantage du trio que d’un joueur en particulier. Je crois que le club cherchait à l’époque, non pas à recruter un joueur mais davantage à construire des binômes, des trios qui pouvaient évoluer ensemble.

Lors de mon passage à l’Espanyol, malgré deux blessures notamment la première saison, j’ai marqué neuf buts en championnat, puis 11 la saison suivante. Je n’ai pas à rougir de mes performances, dans un environnement complètement différent, notamment au niveau des infrastructures qui n’avaient rien à voir avec La Jonelière.

A l’époque, tout se passait au stade de Sarria, les entraînements et les matchs. Le club n’avait pas de centre d’entraînement. L’aspect médical, je n’en parle même pas, le club était en retard par rapport à Nantes. Or, en tant que recrue, le club attendait que je sois tout de suite performant, aussi j’ai été à l’essentiel, parce qu’il faut très vite s’adapter, plus encore dans le sport de haut niveau.

Il faut bien comprendre qu’à cette époque-là, le FC Nantes était à la pointe, tout était fait pour que le joueur soit dans les meilleures conditions. D’ailleurs, le Milan AC était venu plusieurs fois visiter la Jonelière, pour s’en inspirer dans la construction de Milanello, ce qui n’est pas anodin. A la fin de ma deuxième saison, l’Espanyol souhaitait me conserver, de nombreux clubs espagnols souhaitaient m’engager, mais j’ai choisi de signer au Paris Saint-Germain pour d’autres raisons.

A l’Espanyol de Barcelone ou au Paris Saint-Germain, vous arriviez avec le logiciel du FC Nantes si l’on peut dire. L’Espanyol passait d’un style de jeu direct avec un attaquant de pointe comme point d’appui, pour aller vers une association de deux attaquants afin d’exploiter votre capacité à vous associer. Vous avez dû vous adapter aux différents clubs mais dans quelle mesure, les clubs dans lesquels vous avez évolué se sont vus contraints « d’épouser » votre profil, pour atteindre la performance ?

A Nantes je suis devenu international et j’ai été le meilleur buteur du championnat en 1993/1994. Probablement que les clubs qui se sont intéressés à moi se disait que pour que je sois performant il fallait m’associer à des joueurs qui devaient être compatibles, au regard de mes performances nantaises avec Patrice Loko notamment.

La preuve, quand j’ai signé au Paris Saint Germain, Charles Biétry, le président de l’époque, voulait m’associer avec Marco Simone qui avait un profil un peu similaire à Patrice Loko. Il était très fort pour dévorer les espaces, mais bien moins enclin à s’investir dans le jeu de relations.

En termes d’adaptation, vous placez le curseur très haut, en devenant un des premiers internationaux européens à partir jouer en Chine il y a presque 30 ans. Nouveau pays, nouvelle culture, nouveau football, nouvelle langue très éloignée des langues occidentales. A quoi vous êtes-vous accroché pour vous adapter et atteindre la performance ?

Je fais le choix de quitter la Belgique et le club de la Louvière pour plusieurs raisons. En 2002, le club rencontrait des difficultés financières, je venais de divorcer depuis plusieurs mois et signer à Dalian en Chine répondait à mon envie d’ailleurs et j’étais libre contractuellement. Si j’avais été en couple avec la mère de mes enfants, le choix aurait été différent. Délocaliser toute une famille en Chine aurait été un choix très compliqué, mais là j’étais seul.

La partie financière a été très importante, d’autant que la Louvière avait de grosses difficultés économiques et que j’étais un des gros salaires du club. Aussi, le club a grandement favorisé les négociations et mon départ. Il était hors de question que je négocie dans le dos du club où je me sentais très bien, avec un championnat assez physique qui me faisait penser au championnat de France.

Le championnat belge était assez réputé pour son côté physique et je me souviens de matchs assez âpres, avec beaucoup d’engagement dans les duels notamment face à Bruges, Anderlecht ou encore Genk.

J’avais 30 ans, j’étais libre et je ne me voyais pas revenir en France après 12 ans de carrière professionnelle. Je me suis dit que c’était le moment de tenter quelque chose de différent. J’ai eu l’opportunité d’aller sur place pendant une semaine pour sentir le « pouls » du club, rencontrer les dirigeants, l’entraîneur.

A mon arrivée à Dalian, j’ai été agréablement surpris par la qualité des infrastructures que je ne soupçonnais pas, avec un centre d’entraînement hyper moderne. Il y avait un entraîneur serbe, comme l’ensemble du staff, qui me connaissait très bien, Milan Kosanovic. Il avait entraîné L’Étoile Rouge de Belgrade. Il y avait déjà trois joueurs étrangers et nous avions le droit à quatre à l’époque. Je me suis tout de suite bien entendu avec eux.

Après, c’est le rôle du joueur professionnel. J’avais un peu d’expérience et quelques saisons à l’étranger, donc encore une fois je suis allé à l’essentiel. Je savais qu’il me restait quatre ou cinq saisons tout au plus à vivre. J’avais ressenti lors de la semaine de très bonnes ondes au sein d’un club qui avait été champion les trois années précédentes avec un très beau stade, plein à chaque match. Je ne suis même pas rentré en Europe, le contrat a été négocié sur place. À l’époque, c’était par fax, avec le décalage horaire, il fallait faire vite.

J’ai commencé le championnat une semaine après, au mois de mars, parce qu’il était en décalage avec l’Europe. Tout s’est fait sur mon feeling, sur les échanges, comme beaucoup de choix dans ma carrière, puisque j’accorde beaucoup d’importance à l’humain, ce qui ne m’a pas empêché de commettre des erreurs.

Signer au Paris Saint Germain a été une erreur majeure, parce que je n’ai pas eu de discussion avec Alain Giresse. J’avais eu des discussions avec le président, mais un joueur doit discuter avec l’entraîneur, c’est primordial. J’aurais peut-être ressenti que je n’étais pas son premier choix, ce qui explique en partie pourquoi l’expérience a tourné court à Paris.

Tout au long de votre carrière vous croisez des entraineurs de différents horizons de Raynald Denoueix à Claude Saudeau, de Aimé Jacquet à Alain Giresse ou Milan Kosanovic. Certains de vos coéquipiers embrasseront la carrière d’entraineurs comme Mauricio Pochettino, Laurent Blanc, Didier Deschamps ou encore Zinédine Zidane, tout comme certains adversaires récurrents à l’image de Luis Enrique ou Pep Guardiola du FC Barcelone. Pourquoi ne pas avoir tenté cette aventure où l’adaptation est aussi une valeur cardinale ?

Avoir évolué au plus haut niveau m’a permis de voir toute la souffrance que les techniciens pouvaient ressentir à certains moments. Des entraineurs qui arrivaient bien avant moi le matin et repartait bien après moi le soir et autant dire que les week-ends n’existent pas.

En toute honnêteté, je suis un passionné de football mais je ne le suis pas au point de tout sacrifier pour le football. J’ai toujours su qu’il y avait un autre monde en dehors de ma vie de footballeur que je voulais aussi explorer. J’étais footballeur mais j’étais avant tout un homme et je ne souhaitais pas être enfermé dans ce monde.

J’avais envie de relever d’autres défis, celui de l’hôtellerie notamment avec ma femme. J’ai pu ainsi découvrir le management d’hommes et de femmes dans une sphère professionnelle éloignée du sport. A bien des égards, j’ai joué le rôle de l’entraîneur mais dans un contexte bien différent.

😀 Cet entretien vous a plu ? 

Rejoignez + de 4500 passionnés en vous abonnant à notre newsletter et recevez nos entretiens, directement par e-mail.

La plateforme de référence