Vainqueur de la Ligue des champions en tant que joueuse, puis entraineur de l’Olympique Lyonnais, également internationale française à 156 reprises, Sonia Bompastor nous propose un éclairage sur sa vision du rôle de l’entraineur, la dimension mentale, mais aussi sur l’importance de l’optimisation de la dynamique de groupe pour être performant à haut niveau.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Qu’est-ce que le football représente pour vous ?
Je crois que c’est toute ma vie. Dès mon plus jeune âge, ma vie familiale a été rythmée par le football. Mon père a été joueur et arbitre, au niveau amateur. Mon grand frère a aussi joué, passant notamment par quelques centres de formation à l’époque (Vichy, Bourges et Auxerre).
Nos semaines étaient rythmées par les entraînements et par les matches du week-end. J’ai commencé à jouer dans la cour de l’école avec les garçons. Aussi, je voulais suivre mon grand frère et ses amis partout pour jouer au foot, même s’il a quatre ans de plus que moi.
Quand je regarde dans le rétroviseur, à chaque étape de ma vie, le football a toujours été présent. C’est une passion qui au fur et à mesure est devenue mon métier et a guidé mon rythme de vie.
Vous en avez fait votre métier, en réalisant une grande carrière à très haut niveau, que ce soit à l’OL ou avec l’équipe de France. Qu’est-ce qui vous semble déterminant à ce niveau ?
En tant que joueuse et encore aujourd’hui comme entraîneur, je pense que l’aspect mental est primordial. À titre personnel, j’ai énormément travaillé pour être là où je suis aujourd’hui et je continue à énormément travailler.
Je m’investis énormément dans tous les projets de ma vie professionnelle, mais aussi personnelle. Sur l’aspect mental, cela demande énormément de qualités, notamment l’abnégation et la détermination.
« Si l’on n’a pas confiance en soi, il est difficile de performer au plus haut niveau »
Les gens peuvent avoir une vision un peu erronée lorsqu’ils regardent des matches à la télévision. Ils pensent qu’il n’y a que de bons moments, même s’il est vrai qu’il y en a énormément. Néanmoins, il y a aussi beaucoup de moments de doute dans une carrière de joueuse et d’entraîneur. Dans ces moments de doute, il faut réussir à être fort sur l’aspect mental, trouver le bon équilibre pour jongler entre la remise en question et la confiance en soi.
Si l’on n’a pas confiance en soi, il est difficile de performer au plus haut niveau. Pour moi, les quatre facteurs de la performance (tactique, technique, athlétique et mental) sont tous importants, mais il est certain que la dimension mentale peut faire de grosses différences.
Durant votre carrière, comment avez-vous appréhendé cette dimension mentale, qui a une influence considérable sur la performance ?
Il y a quelques années, l’aspect mental était moins pris en considération dans le football, notamment au niveau des staffs. Certains entraîneurs y ont toujours cru, d’autres moyennement, certains pas du tout. Dans ma carrière, j’ai eu pas mal de discussions avec des préparateurs mentaux, des psychologues, mais je pense que c’était aussi dans ma personnalité de m’inscrire dans ce type de travail.
Je pense que l’aspect mental était une de mes forces. J’étais armé pour savoir à quel moment avoir cette remise en question qui me permettait d’avancer dans la bonne direction et à quel moment avoir cette force de caractère et cette confiance en moi pour continuer le chemin que j’avais commencé à tracer.
« Lorsqu’on a des difficultés à réguler ses émotions, notamment négatives, on peut passer à côté de la performance »
À l’époque, la gestion des émotions, l’aspect mental, n’étaient pas des choses que l’on évoquait énormément. Cela pouvait aussi être assimilé à de la faiblesse. Aujourd’hui, on en parle de plus en plus, il y a de plus en plus d’entraîneurs qui sont formés et éduqués sur cette dimension. Les staffs sont de plus en plus composés de préparateurs mentaux, de psychologues du sport, pour accompagner les athlètes.
Sur la gestion des émotions, que l’on soit joueuse ou entraîneur, c’est un point primordial. Lorsqu’on a des difficultés à réguler ses émotions, notamment négatives, on peut passer à côté de la performance. Par exemple, tirer un penalty est un exercice ou cette régulation est importante. J’entends beaucoup d’entraîneurs dire que c’est la loterie. C’est tout sauf la loterie.
« La dimension mentale est extrêmement importante dans la performance »
Que ce soit pour les joueurs ou les gardiens, il doit y avoir une préparation, cela s’anticipe. Même si à l’entraînement, il n’y a pas le même contexte et le même environnement, lorsqu’une joueuse se prépare la veille à l’entraînement et qu’elle réussit, lors de la séance de penalty réelle, elle aura quand même en mémoire cette image de ce qu’elle aura réussi la veille. Cela lui permet d’aborder les choses avec plus de confiance.
La dimension mentale est extrêmement importante dans la performance et je pense que tous les athlètes ont besoin d’être accompagnés. Parfois, cela vient d’eux, parfois de l’encadrement. Aujourd’hui, dans mon staff, nous avons des personnes-ressources sur cet aspect et lorsque nous estimons qu’il y a de vrais besoins, nous engageons un dialogue avec la joueuse pour qu’elle puisse prendre conscience qu’il y a peut-être des choses à travailler sur ces aspects-là, car les émotions peuvent venir gâcher une performance.
À la fin de votre carrière de joueuse, vous avez pris la tête de l’Académie féminine de l’Olympique Lyonnais nouvellement crée. Comment avez-vous abordé ce projet ?
Pour être honnête, c’était nouveau pour moi. Je venais de terminer ma carrière de joueuse et je n’avais pas d’expérience dans l’encadrement. Le président, Jean-Michel Aulas, m’avait proposé le poste de directrice de l’Académie avec une vision très claire. Il voulait mettre en place la même approche que chez les garçons, notamment en matière de formation.
Chez les filles, il y avait des choses qui avaient déjà été faites à l’époque du FC Lyon, donc je ne partais pas de zéro. Cependant, amener cette rigueur du haut niveau, détecter des talents afin de les former pour les accompagner jusqu’à l’équipe professionnelle, c’est la mission prioritaire qu’il m’avait donnée.
Au départ, j’ai beaucoup observé, j’ai fait un état des lieux du fonctionnement. Certaines choses marchaient déjà très bien, d’autres devaient être mises en place, tandis que d’autres devaient être restructurées.
« Amener cette rigueur du haut niveau, détecter des talents afin de les former pour les accompagner jusqu’à l’équipe professionnelle, c’est la mission prioritaire qu’il [Jean-Michel Aulas] m’avait donnée »
Je pense qu’amener l’exigence et la rigueur du haut niveau par rapport à mon profil et mon expérience d’ancienne joueuse était ce que je pouvais apporter de mieux au début. Une exigence en matière de structuration des staffs ou encore de qualité des infrastructures.
Plus globalement, il a fallu beaucoup de travail pour faire accepter la place de la section féminine au sein de l’Olympique Lyonnais. En ce sens, j’avais beaucoup échangé avec Stéphane Roche, le directeur du centre de formation de la section masculine, afin de favoriser cette acceptation.
Par ailleurs, à mon arrivée, il y avait beaucoup de masse au club. Le rôle du centre de formation étant de travailler pour l’élite essentiellement, avec un objectif de former les meilleures pour le groupe professionnel, il a fallu réduire les effectifs et mettre en place une structure pyramidale, afin d’avoir une base solide.
J’ai eu la chance d’avoir les mains complètement libres sur ce projet, avec une confiance totale de la part du président. Il m’a laissé m’entourer des bonnes personnes, j’ai pu choisir tous les membres de mes staffs et constituer une belle équipe.
Dans mon recrutement, j’étais très attaché à la compétence, forcément, mais aussi aux valeurs humaines. Lorsqu’on part sur un projet allant de l’école de foot jusqu’à la formation, il faut prendre des personnes qui sont impliquées et qui correspondent à ses valeurs.
« Il a fallu beaucoup de travail pour faire accepter la place de la section féminine au sein de l’Olympique Lyonnais »
Les trois premières années, mon rôle a surtout porté sur ces aspects. Accompagner les éducateurs en étant présente sur le terrain, partager avec eux ma vision du haut niveau, définir ce que l’on pouvait améliorer. Les deux années suivantes correspondent à la période où je pense avoir le plus progressé. J’ai fait en sorte d’avoir de la cohérence dans les contenus de formation pour les jeunes, aller vers un projet mixte sur le plan de l’identité et de l’ADN, afin que l’on ne fasse plus la différence entre les garçons et les filles.
La mixité a été l’une des grandes richesses du projet. Aujourd’hui, le club est en avance et innovant sur cet aspect. Nous avons pu associer les staffs garçons/filles dans la réflexion, concevoir des séances d’entraînement mêlant filles et garçons, même si nous n’avions pas les mêmes enjeux. Sportivement, cela a permis à nos meilleurs éléments de s’entraîner avec les garçons, donc de progresser plus vite en direction du haut niveau.
Pour les garçons, cela a aussi été d’une grande richesse, sur l’aspect culturel et la mentalité notamment, à travers cette capacité à accepter des filles à l’entraînement. Cela leur a aussi permis de constater que certaines joueuses pouvaient faire partie des meilleurs éléments du groupe d’entraînement. Cette expérience a été très agréable a vivre, mais également un vecteur de messages très puissants.
En 2021 vous avez pris la tête du groupe professionnel féminin de l’Olympique Lyonnais. Comment avez vous vécu ce retour dans un environnement que vous avez bien connu en tant que joueuse, mais cette fois dans la peau d’un « chef de projet » collectif ?
Je l’ai vécu assez sereinement. Lorsque j’ai arrêté ma carrière en 2013, j’avais besoin de trouver un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie familiale. J’ai eu la chance et le bonheur d’aller tout de suite sur ce projet en tant que directrice de l’académie, ce qui m’a permis d’avoir des responsabilités importantes et en tant qu’ancienne joueuse, d’avoir la considération du président.
Néanmoins à l’échelle nationale, on vous oublie très vite. Ce n’est d’ailleurs pas quelque chose qui me gênait. La médiatisation du football féminin est très importante et je soutiens pleinement son développement. En revanche, à titre personnel, ce n’est pas du tout ce que je recherche.
Pendant huit ans, j’ai participé à un projet qui était important, mais seulement à l’échelle de Lyon. Cela m’a permis de trouver un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie familiale. J’ai pris le temps de fonder une famille et les priorités ont un peu changé. J’avais cet épanouissement et ma vie était comme je le souhaitais. Puis, j’ai commencé à sentir une forme de lassitude sur le projet de formation, principalement parce que mon rôle était devenu très administratif.
C’est un aspect qui prenait de plus en plus de place et je commençais à sentir que le terrain me manquait. Coïncidence, c’est également à cette période que le président Aulas m’a fait savoir qu’il était possible que l’entraîneur du groupe professionnel change. Lorsqu’il m’a soumis l’idée, je me sentais à ce moment-là assez prête pour le faire.
« Lorsqu’on est joueuse, tout tourne autour de soi et la préoccupation majeure est de faire en sorte que tout aille bien dans son corps pour performer. Lorsqu’on est coach, c’est tout l’inverse. On ne pense quasiment jamais à soi et l’on est constamment tourné vers les autres. »
Je ne me suis pas dit : « c’est mon moment, il faut que j’y aille, etc. ». Je me disais juste que j’avais fait huit ans à la formation, que je connaissais le haut niveau, le foot féminin et le vestiaire lyonnais, alors pourquoi pas ? En parallèle, le président pensait que j’étais la bonne personne, que je devais me lancer et il m’a aidé à finaliser ma réflexion, en quelque sorte.
Lorsqu’on est joueuse, tout tourne autour de soi et la préoccupation majeure est de faire en sorte que tout aille bien dans son corps pour performer. Lorsqu’on est coach, c’est tout l’inverse. On ne pense quasiment jamais à soi et l’on est constamment tourné vers les autres.
Il faut réussir à faire performer les joueuses individuellement, mais aussi dans la dimension collective. Il faut manager son staff et son vestiaire, sans interruption. Mais c’est quelque chose que j’aime faire parce que j’aime l’être humain, j’aime partager, j’aime échanger.
Évidemment, je ne suis pas parfaite. Parfois, je ne fais pas tout bien. Aussi, lorsqu’on est amené à prendre des dizaines de décisions quotidiennement, parfois on ne fait pas plaisir. Il peut y avoir des moments où les joueuses ne sont pas d’accord ou n’ont pas les mêmes idées et il faut aussi manager cette partie-là. Toutefois, j’essaie toujours de le faire avec sincérité, honnêteté et surtout avec mes valeurs.
Les « valeurs » reviennent souvent dans vos propos. Sans être un remède miracle, définir ses valeurs personnelles et les incarner peut s’avérer être un outil intéressant pour l’entraineur dans le travail de sa propre dimension mentale. Elles peuvent contribuer à l’aider à ne pas perdre de vue ce en quoi il croit le plus, surtout dans un environnement où la pression du résultat, économique et médiatique est permanente, ce qui peut affecter les états émotionnels, donc altérer sa capacité à prendre des décisions éclairées. Comment avez-vous appréhendé cet aspect ?
Concernant le choix des valeurs, lorsqu’on est entraîneur ou manager d’une structure comptant une trentaine de joueuses et 26 membres de staff, la priorité, c’est déjà de les incarner. Il faut les identifier, avoir conscience de ce que l’on incarne et puis véhiculer ces valeurs. L’exemplarité est primordiale.
Par ailleurs, il faut que ce soit quelque chose de très naturel, car faire semblant est une vision à court terme. À moyen ou long terme, cela se verra inévitablement. Jusqu’ici, j’ai eu la chance de pouvoir choisir les personnes avec qui je souhaitais travailler, j’ai donc fait en sorte d’avoir des personnes qui incarnent les mêmes valeurs que moi.
Ce sont des valeurs qui peuvent paraitre simples : l’honnêteté, la transparence, l’engagement dans la tâche et le respect. Il faut aussi tenir compte de l’histoire, de l’ADN et de la culture de son club. À l’Olympique Lyonnais, ce serait l’humilité, l’engagement, l’excellence.
« Lorsqu’on est entraîneur ou manager d’une structure comptant une trentaine de joueuses et 26 membres de staff, la priorité, c’est déjà de les incarner »
Il faut donc faire en sorte de combiner ses valeurs personnelles et celles du club. Cette combinaison doit rejaillir sur les joueuses et le staff. C’est aussi un aspect fondamental dans le recrutement. Le potentiel des joueuses qui nous intéressent est peut-être prioritaire, mais les valeurs qu’elles incarnent et leur état d’esprit sont tout aussi importants.
Aujourd’hui, l’une de nos réussites, c’est la manière dont vit le vestiaire. Nous avons énormément de compétitrices, certaines sont des stars avec beaucoup d’ego et c’est normal, parce que lorsqu’on veut gagner des titres, il faut avoir ce type de joueuse dans son effectif. Pour autant, elles ont cet esprit collectif, cette volonté d’avoir un groupe qui vit bien, car lorsqu’on passe autant de temps ensemble, cela devient presque une famille. Les valeurs sont un peu le socle de mon travail.
À Lyon, nous avons la chance d’avoir des moments très positifs relativement aux résultats, étant donné que nous gagnons quand même très souvent. Néanmoins, dans les moments plus difficiles de défaite, on attend que les personnes que l’on a choisies fassent preuve de sincérité. Dans mon staff, j’ai des personnes qui sont très complémentaires de ma personnalité, mais aussi de mes compétences et ce sont des personnes qui me diront les choses.
Je n’ai pas envie de m’entourer de personnes qui iront toujours dans mon sens et qui me diront ce que j’ai envie d’entendre. Je suis entouré de personnes qui sont capables de me dire que je me trompe. Je pense avoir une certaine ouverture d’esprit et si je me suis trompée, je sais le reconnaître. Cependant, en amont j’essaie de faire en sorte de ne pas arriver à cette situation.
« Le potentiel des joueuses qui nous intéressent est peut-être prioritaire, mais les valeurs qu’elles incarnent et leur état d’esprit sont tout aussi importants »
Je donne beaucoup de place à mon staff, avec qui je partage une vision du football, du projet et des valeurs humaines très similaires. J’essaie de les responsabiliser et de favoriser leur autonomie. Cela n’exclut pas le fait que je supervise ce qui est fait, mais je trouve que la responsabilisation et l’autonomisation me permettent de m’appuyer sur eux. Je sais que je peux leur faire confiance.
Bien évidemment, étant 26, je ne peux pas consulter tout le monde avant de prendre une décision, mais mon staff un peu plus rapproché est impliqué dans mon processus de décision. Je vais les voir, je leur dis ce que je pense, je présente mes idées et comment je souhaite procéder. Je leur demande leur avis et en fonction des arguments de chacun, je prends la décision.
Si nous sommes plutôt d’accord, c’est assez facile. Si nous ne partageons pas la même perspective, nous échangeons, puis en dernier ressort je tranche. En réunissant plusieurs cerveaux, en général, cela permet de faire émerger des choses que l’on n’aurait peut-être pas envisagées.
L’optimisation de la dynamique de groupe est un aspect clé de votre approche de la performance. En ce sens, Manon Eluère est en charge des questions relatives à la diversité, l’inclusion et la cohésion ainsi que de leur impact sur la dynamique de groupe au sein de votre staff. Quelle réflexion vous a menée à recourir à un accompagnement scientifique sur cette dimension et quelle est l’influence de ce travail sur votre processus de décision ?
Pour moi, c’était une évidence. Lorsqu’on est entraîneur, ce qui est important, c’est de connaître son vestiaire, les interactions entre les joueuses, son staff, les interactions entre les staffs, etc. Pour performer, il faut que les gens se sentent bien, qu’ils soient épanouis, qu’ils vivent bien et qu’ils se sentent bien dans le projet.
J’ai donc rencontré Manon et elle m’a expliqué ce que pourrait être son travail au niveau d’un club, ce qu’elle pouvait faire au niveau d’un groupe et ça a été une évidence.
À l’OL, nous possédons un effectif conséquent, de qualité, avec beaucoup de joueuses d’expérience, internationales et reconnues mondialement. La moitié de l’équipe est française et l’autre moitié est internationale. En tant qu’ancienne joueuse de haut niveau, avec une certaine connaissance du fonctionnement d’un vestiaire, je sais qu’il ne suffit pas de mettre des joueuses ensemble dans un vestiaire et que cela va fonctionner naturellement.
« Lorsqu’on est entraîneur, ce qui est important, c’est de connaître son vestiaire, les interactions entre les joueuses, son staff ou encore les interactions entre les staffs »
Quand une joueuse étrangère arrive à Lyon, il faut faire en sorte que son intégration en dehors du terrain se passe du mieux possible. Que ce soit de jeunes joueuses ou des joueuses plus expérimentées, si elles sont bien dans leur tête en dehors du terrain, la probabilité de performer sur le terrain sera plus importante. C’est un véritable enjeu pour moi. Nous devons faire en sorte que les joueuses se sentent bien et qu’elles se sentent accompagnées.
Une joueuse étrangère qui vient d’intégrer le club doit ressentir le soutien de ce dernier, à tous les niveaux. Si elle est livrée à elle-même pour ouvrir un compte en banque, faire des démarches administratives, trouver un appartement, alors 50 % de son énergie sera dédié à ces aspects et il ne restera plus que 50 % pour penser au football. Mon objectif, c’est que 100 % de leur énergie soit dédié au football.
Mesurer la dynamique de groupe permet de me faire remonter un certain nombre d’informations. Ayant beaucoup de leaders dans le vestiaire, il est primordial pour moi de savoir comment elles fonctionnent ensemble, comment elles arrivent à être dans la continuité de mon message, comment elles font le lien vestiaire-staff et vestiaire-coach. Ce sont des aspects que l’on ne peut laisser au hasard. Nous les contrôlons et les encadrons pour faire en sorte que le projet aille dans la direction souhaitée.
« Ayant beaucoup de leaders dans le vestiaire, il est primordial pour moi de savoir comment elles fonctionnent ensemble, comment elles arrivent à être dans la continuité de mon message, comment elles font le lien vestiaire-staff et vestiaire-coach »
Avec des joueuses comme Wendie Renard, Ada Hegerberg ou encore Lindsey Horan dans un vestiaire, par exemple, on ne peut pas juste prendre des décisions sans les intégrer au processus, parce qu’elles ont beaucoup d’expérience et la connaissance du haut niveau. Parfois, consulter ces joueuses-là fait partie de mon processus de décision. C’est important, parce que ce sont elles qui sont dans le vestiaire, sur le terrain et qui vivent les choses.
Ces travaux sur la dynamique de groupe et la cohésion contribuent fortement à toute la bonne ambiance qu’il y a dans le club actuellement, entre les joueuses et entre les joueuses et le staff. Dans la performance ou dans les matches de très haut niveau, cela peut aussi faire la différence.
Finalement, cela permet d’anticiper, comme vous l’évoquiez précédemment ?
Par exemple, lors d’une séance d’entraînement où l’aspect compétition à travers la dimension mentale était mis en avant, il y a eu deux ou trois frictions sur le terrain, ce qui est tout à fait normal, car cela fait partie intégrante de la compétition. La situation s’est ensuite un peu étirée jusqu’aux vestiaires.
Toutes les informations m’ont été assez rapidement remontées et plutôt conformément à ce qui s’était réellement passé. Cela a été possible, parce que nous avons mis en place des process. Sur ce genre d’incident, les joueuses connaissent chacune leur rôle et leur mission dans le vestiaire. Elles savent qui aller voir dans le staff pour faire en sorte que l’évènement soit traité et que l’on puisse avancer.
Dans l’après-midi, j’ai donc eu toutes les informations et le lendemain matin, j’ai pu intervenir auprès du groupe pour resituer nos attentes en matière de respect, de savoir-être, de savoir-vivre et d’exemplarité. Chaque joueuse a pu s’exprimer et nous avons pu collectivement passer à autre chose. Si nous n’avions pas été capables d’identifier ce qui s’était passé dans le vestiaire, si nous n’avions pas mis en place des process adaptés pour que les informations remontent jusqu’à moi, cela aurait pu faire boule de neige et perturber un peu le fonctionnement du groupe.
« Les joueuses connaissent chacune leur rôle et leur mission dans le vestiaire. Elles savent qui aller voir dans le staff pour faire en sorte que l’évènement soit traité et que l’on puisse avancer »
L’aspect scientifique est présent sur les dimensions athlétique et mental, alors pourquoi pas pour accompagner la mesure de la dynamique de groupe ? Pour moi, c’est quelque chose qui est essentiel. Les informations remontées sur l’état du vestiaire sont tellement pertinentes.
Par exemple, on peut décider de nommer une capitaine en fonction de divers critères qui s’avèrent souvent assez subjectifs, mais à travers l’analyse du vestiaire, on peut se rendre compte que la joueuse choisie, aucune joueuse de l’effectif ne la perçoit comme ayant les compétences attendues pour être capitaine. Ce sont donc des outils et une approche qui permettent d’apporter de la robustesse au processus de décision.
Définir une vision est un aspect important dans un projet. Définir cet idéal qui n’est pas immédiatement atteignable mais qui inspire toutes les parties prenantes du projet, jour après jour. C’est un peu ce à quoi l’on doit aspirer en permanence. Pour vous, quel est cet « idéal » ?
L’intelligence de jeu, à travers la compréhension et l’analyse en situation. Mon idéal, c’est avoir l’ensemble effectif qui est capable, sur le terrain, d’analyser ce qu’il se passe. En fonction de nous-mêmes, de l’adversaire, des espaces, être capables de mettre en place et d’adapter une stratégie collective qui nous permettra d’être les plus efficaces possibles. L’ensemble de l’équipe doit arriver à comprendre la même chose et mettre en place le même football. Pour moi, le véritable enjeu est là.
À l’OL, mon rôle est surtout de réussir à faire jouer toutes ces très bonnes joueuses ensemble. Elles ont énormément d’expérience, ont chacune une culture différente, sont toutes internationales, donc lorsqu’elles retournent en sélection, les discours sont différents. Le défi pour moi, c’est de faire en sorte, lorsqu’elles sont à Lyon, que le modèle de jeu soit le plus précis possible et que toutes les joueuses soient connectées aux mêmes idées.
En match, je suis debout et assez dynamique dans la zone technique et je n’irai jamais m’asseoir sur le banc, car c’est une posture que je n’aime pas trop. Néanmoins, j’aimerais ne pas avoir à parler du début à la fin du match. Peut-être, intervenir à la mi-temps pour les encourager ou les féliciter. Je voudrais qu’elles soient capables d’exprimer notre football toutes seules, sans avoir besoin que j’intervienne, que parfois je réajuste certaines choses, que j’insiste sur un message qui n’est pas encore compris sur le début du match, etc.
Mon rêve, ce serait de juste prendre plaisir à les regarder performer ensemble. À l’OL, on s’en rapproche déjà quand même un peu. Les joueuses sont capables de résoudre des problèmes, de faire de vraies différences. À l’extrême, j’aimerais que ce soit tout le temps et du début à la fin du match.
Avec toute cette expérience, toutes ces rencontres, dans une activité ou l’individuel prime parfois sur le collectif, qu’avez-vous appris sur la nature humaine ?
Énormément. L’être humain peut être difficile à gérer dans le collectif. Il peut rapidement n’être centré que sur lui-même. Dans le sport comme dans la société aujourd’hui, nous sommes de plus en plus sur l’individu et son bien-être. Néanmoins, tout en tenant compte de cela, mon enjeu est de donner la priorité au collectif, être ensemble, être capable d’apporter du bonheur et de faire du bien aux autres. Certaines personnes ont de la colère, de la rancœur, un certain nombre d’émotions négatives et je suis à l’opposé de cela.
Dans ma vie personnelle, j’ai eu le malheur de perdre ma mère très jeune. Perdre un être cher, c’est certainement ce qu’il y a de plus dramatique. Peut-être plus dramatique que la perte d’un être cher, c’est la perte d’un enfant. Lorsqu’on a vécu cela, derrière, on a juste envie de profiter. Alors, on ne peut pas avoir des affinités avec tout le monde et il peut arriver que nous n’ayons pas trop de connexion avec des personnes que l’on côtoie, néanmoins il faut laisser vivre les gens.
À partir du moment où il y a du respect, que les gens n’empiètent pas sur votre espace personnel, il faut profiter de ces moments ensemble. Les gens peuvent aussi se tromper et ce n’est pas si grave. Il faut en parler avec bienveillance et avancer. Mais, si l’on n’y arrive pas, il n’y a pas de raison de s’acharner, mieux vaut prendre un autre chemin.
Parfois, lorsqu’il y a des émotions négatives, l’être humain peut être méchant. C’est un mode de fonctionnement avec lequel j’ai un peu de mal. Dans ma vie, j’essaie de faire du mieux possible, avec de la bienveillance. Parfois, je me trompe, mais je n’ai jamais cette volonté de nuire aux autres ni de faire du mal.
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