La qualité de la relation entraîneur-entraîné(s)

Maître de conférences à Nantes Université et docteur en Psychologie du Sport, Valentin Roux nous propose un éclairage sur ses travaux relatifs à la qualité de la relation entraineur-entrainé(s).

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Qu’est-ce que le sport, de manière générale, ainsi que les sports que vous avez pu pratiquer, représente pour vous ?

Le sport représente une part importante de ma vie. Je n’ai pas été sportif de haut niveau, mais j’ai toujours baigné dans la pratique sportive. Je fais du sport depuis que je suis tout petit et j’en ai pratiqué un certain nombre. Il y en a un en particulier qui m’a beaucoup apporté, c’est le handball.

J’ai commencé à 10 ans et l’aspect collectif m’a énormément apporté. Cette notion d’entraide, de faire face à plusieurs, etc. J’ai d’ailleurs des amis avec qui j’ai joué lorsque nous étions tout petits et avec lesquels je suis encore très en lien aujourd’hui. Je crois que c’est la pratique sportive collective, lorsque j’étais enfant, qui m’a permis de rencontrer des personnes qui sont importantes pour moi aujourd’hui.

Avec le recul, quel regard portez-vous sur le parcours universitaire dans lequel vous vous êtes engagé ? Comment s’est-il construit ?

Étant très intéressé par le domaine du sport, je me suis orienté vers la filière STAPS parce que j’avais envie de travailler dans le haut niveau. La performance me passionnait. Au départ, je voulais m’orienter vers la préparation physique, donc je me suis engagé sur une licence “entraînement sportif” et, en parallèle, j’ai commencé à passer les formations fédérales d’entraîneur de handball.

J’ai commencé par entraîner des jeunes et c’est en me posant des questions sur le terrain que j’ai commencé à faire face à des enjeux liés à la psychologie. Je ne comprenais pas pourquoi tel joueur était motivé et pas tel autre. Pourquoi, lorsque je disais telle chose à un joueur, cela fonctionnait-il et pourquoi cela ne marchait-il pas avec un autre ? Ce sont ces questions de terrain qui ont progressivement construit et fait mûrir le projet d’approfondir le sujet.

Dans un premier temps, j’ai poursuivi mon master entraînement et optimisation de la performance, au cours duquel j’ai pu faire mon stage sur le pôle Espoirs de Chambéry Handball et de rencontrer un certain nombre de personnes qui ont contribué à façonner ma manière d’entraîner.

Étant de plus en plus interpellé par les aspects psychologiques, j’ai décidé de refaire un master recherche en psychologie du sport. J’ai également passé un diplôme universitaire (DU) en préparation mentale en parallèle, puis j’ai enchaîné sur un doctorat l’année suivante. David Trouilloud a été mon directeur de thèse et nous avons beaucoup échangé et travaillé sur ces questions.

« J’ai commencé par entraîner des jeunes et c’est en me posant des questions sur le terrain que j’ai commencé à faire face à des enjeux liés à la psychologie. Je ne comprenais pas pourquoi tel joueur était motivé et pas tel autre. Pourquoi, lorsque je disais telle chose à un joueur, cela fonctionnait-il et pourquoi cela ne marchait-il pas avec un autre ? »

Ce que j’ai apprécié durant mes trois ans et demi de doctorat, malgré des perturbations liées au COVID, c’était que j’étais en parallèle entraîneur adjoint en National 1, c’est-à-dire en troisième division. Un niveau où l’exigence commençait à devenir intéressante. J’ai pu faire le lien entre ce que je faisais la journée, dans le cadre de mon doctorat, et ce que je faisais le soir, à l’entraînement.

Parfois, je me posais des questions où je lisais un article durant la journée et j’avais un cas pratique le soir. À l’inverse, des idées pouvaient émerger à l’entraînement et je pouvais les approfondir la journée. J’ai vraiment expérimenté le lien entre théorie et pratique pendant toute la durée de ma thèse, ce qui était vraiment agréable.

La relation entraîneur-entraîné(s) était une thématique à laquelle j’étais assez sensible, car, de manière générale, j’étais assez intéressé par l’optimisation de la performance sur les aspects psychologiques. C’est donc un sujet que j’ai assez naturellement eu envie d’approfondir. D’autre part, les expériences de terrain qui ont été positives, mais aussi parfois négatives, m’ont permis de me remettre en question et d’avoir envie d’explorer le fonctionnement de cette relation.

L’objet d’étude de votre travail de thèse c’est l’analyse de la qualité de cette relation entraîneur entraîné (REE) en contexte de pratique intensive. Vous vous êtes notamment focalisé sur la dynamique temporelle de la relation, les effets du comportement de l’entraîneur sur celle-ci, ainsi que ses liens éventuels avec l’occurrence de blessure. Globalement, quels sont les enjeux liés à la qualité de cette relation entraîneur-entraîné(s) ?

La performance est multifactorielle et elle découle d’une pluralité de facteurs qu’il faut essayer de prendre en compte au maximum, dans le but d’être le plus exhaustif possible. Néanmoins, il ne faut pas se voiler la face, nous ne pouvons pas tout contrôler. De manière générale, tout ce qui a trait aux aspects physiques, mentaux et technico-tactiques, est difficile à omettre. Si nous oublions l’un de ces aspects, il est fort possible qu’il y ait des déficits. Ces trois pôles s’entremêlent et sont interdépendants, je crois davantage à un modèle systémique de la performance.

Ensuite, sur la question des relations interpersonnelles, nous allons retrouver toutes les relations qui existent au quotidien en contexte sportif. L’entraîneur avec les athlètes, les athlètes entre eux, les athlètes avec le staff, etc. Tout sportif a forcément vécu des conflits, des moments qui ne se sont pas bien passés avec des partenaires ou un entraîneur et qui ont eu des conséquences directes ou indirectes, sur la performance. Sur la question de la relation entraîneur-entraîné, de nombreux sportifs se sont publiquement exprimés sur la qualité de la relation qu’ils avaient avec leur entraîneur. Pour eux cette relation était quelque chose qui permettait de surmonter les moments difficiles.

« À travers les résultats qui existent dans la littérature, nous savons que la perception de la qualité de la relation entre l’entraîneur et les athlètes, perçue par l’entraîneur et par les athlètes, est un vecteur d’éléments favorables à l’environnement et à la performance de manière générale. »

En 2019, un rapport de l’Agence nationale du sport indiquait: “pour améliorer les résultats aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, il sera indispensable d’optimiser les bénéfices marginaux en affinant la relation Entraîneur-Athlète et en augmentant le lien de confiance-croyance à l’approche de la plus grande compétition de leur vie sportive”. Nous avons donc un certain nombre d’éléments empiriques qui soulignent l’importance de cette relation.

D’un point de vue plus théorique, de nombreux travaux existent aujourd’hui à ce sujet. À travers les résultats qui existent dans la littérature, nous savons que la perception de la qualité de la relation entre l’entraîneur et les athlètes, perçue par l’entraîneur et par les athlètes, est un vecteur d’éléments favorables à l’environnement et à la performance de manière générale.

Que ce soit sur des indicateurs directs de la performance, comme le résultat, le nombre de points remportés, ou sur des indicateurs indirects tels que la motivation, l’engagement, le bien-être, la satisfaction, l’estime de soi, etc. Considérer que ces indicateurs-là, la motivation, par exemple, ne sont pas impliqués dans la performance, ce serait quand même difficile à envisager.

À l’image de la modélisation de la performance, modéliser la relation entraineur-entrainé(s) est une étape indispensable d’identification des facteurs et des acteurs en interaction qui vont influencer la qualité de celle-ci. Dans votre travail, vous avez choisi d’appréhender la qualité de la REE à travers le modèle des 3+1C de Sophia Jowett. Pourquoi avez-vous choisi ce modèle ?

Dans la littérature, plusieurs courants se sont intéressés à la relation entraineur-entrainé. Dans mon travail, j’appréhende cette relation par le prisme du modèle des 3+1C de Sophia Jowett, qui se démarque un peu des autres modèles qui existaient jusqu’au début des années 2000, notamment à travers un aspect : la co-orientation.

Sophia Jowett est une chercheuse et psychologue qui a beaucoup travaillé avec des entraîneurs et athlètes olympiques avant les années 2000 et qui, au fil de ces interactions, du contact quotidien avec les athlètes et les entraîneurs, a commencé à construire un modèle qui permettrait de déterminer ce qu’est la qualité d’une relation entre un entraîneur et un athlète.

Ce sont ces allers-retours entre le terrain et le travail de modélisation, qui ont permis d’aboutir à ce modèle des 3+1C. À l’origine on parlait du modèle des 3C et c’est à la suite d’aller-retour science-terrain que le +1 a été modélisé. Celui-ci renvoie à la co-orientation.

C’est un modèle qui s’est nourri et qui continue à se nourrir du terrain avec les retours des athlètes et des entraîneurs, avec la perspective de ne pas déconnecter “théorie et pratique”, ce qui est important.

Ce modèle des 3+1C (voir Figure 1) s’articule autour de trois dimensions qui déterminent la qualité d’une relation entre l’entraîneur et le ou les athlètes. Ces dimensions sont la proximité, l’engagement et la complémentarité.

Figure 1. Modèle des 3+1Cs (adapté de Jowett, 2007)

La première dimension, la proximité, fait référence à la tonalité affective qui existe entre l’entraîneur et les athlètes. Cela renvoie à la sphère émotionnelle et cette dimension va traduire les sentiments mutuels de respect, de confiance et de soutien entre l’entraîneur et l’athlète. À quel point ces derniers vont s’apprécier, apprécier passer du temps ensemble que ce soit à l’entraînement, en compétition, mais aussi en dehors du contexte sportif.

Les notions de respect et confiance mutuelle sont les éléments centraux de cette dimension. Le fait de s’intéresser à l’autre en tant qu’athlète-individu, en tant qu’entraîneur-individu, de se soutenir dans les moments éventuellement difficiles, mais aussi dans les moments du quotidien. Cela implique un lien affectif intense, parfois d’amitiés profondes pouvant se développer entre un entraîneur et un athlète au fil du temps.

La seconde dimension, c’est l’engagement, qui fait référence aux aspects cognitifs. Elle renvoie à toutes les intentions, les pensées que peuvent avoir l’entraîneur et l’athlète. À quel point ces derniers ont l’intention de travailler ensemble, de rester liés, pour atteindre un objectif commun. La notion d’objectif commun est importante sur cette dimension, l’engagement va définir cette idée de co-construction par l’entraîneur et par l’athlète, d’un cadre de référence commun, orienté vers le long terme (objectifs communs, valeurs communes, etc.).

La troisième dimension, qui arrive juste après l’engagement, c’est la complémentarité. Pourquoi arrive-t-elle juste après ? C’est parce que, sur l’engagement, nous sommes à l’étape des intentions. La complémentarité constitue l’étape des comportements.

La complémentarité va être la dimension comportementale de la relation entre l’entraîneur et l’athlète. Comment se répartissent-ils les rôles et les responsabilités pour réussir à atteindre cet objectif commun ? Ce soir à l’entraînement ou le mois suivant, comment vont-ils fonctionner ? Est-ce que l’entraîneur dirige et l’athlète suit ? Est-ce que les deux travaillent ensemble ? Etc.

« Ces trois dimensions sont complètement connectées, elles sont interdépendantes. Si le degré de proximité évolue, il y aura forcément des répercussions sur l’engagement et la complémentarité. De la même manière, si l’engagement diminue ou augmente, cela aura forcément des répercussions. »

Il peut y avoir différents modes de fonctionnement. En fonction du contexte, avoir un entraîneur qui guide et un athlète qui suit, cela peut fonctionner. Dans un autre contexte, cela ne fonctionnera peut-être pas ou moins bien. Il n’y a pas de mode de fonctionnement qui soit meilleur qu’un autre, parce que d’un individu à l’autre, il y aura forcément des besoins et des attentes qui seront divergentes.

Néanmoins, cette notion de complémentarité va venir caractériser ce mode de fonctionnement en termes de comportement et, notamment, à quel point l’entraîneur et l’athlète s’entraident, coopèrent, afin d’atteindre un objectif commun qui été défini au préalable sur la dimension d’engagement. Le mode de coopération pouvant être différent d’un individu à l’autre, d’une relation à une autre.

Pour conclure sur ces trois dimensions, ce qu’il est important de souligner, c’est que nous ne pouvons pas les cloisonner. Ces trois dimensions sont complètement connectées, elles sont interdépendantes. Si le degré de proximité évolue, il y aura forcément des répercussions sur l’engagement et la complémentarité. De la même manière, si l’engagement diminue ou augmente, cela aura forcément des répercussions.

Pour que la relation soit de bonne qualité, il faut que les degrés de proximité, d’engagement et de complémentarité, perçus à la fois par l’entraîneur et par l’athlète, concordent au plus haut niveau possible. Ces trois dimensions étant interdépendantes, on ne peut pas complètement isoler une dimension et considérer que cela n’aura pas d’effet sur les autres. À ces trois dimensions va donc ensuite s’ajouter la co-orientation.

Cette notion de co-orientation est intéressante, car elle va permettre d’intégrer les différents types de perceptions des acteurs, qui vont inévitablement colorer la relation.

C’est justement l’intérêt de ce modèle des 3+1C, qui se “démarque” des autres modélisations qui existent en psychologie du sport, comme la théorie de l’autodétermination par exemple, qui pourrait être un modèle mobilisé pour appréhender la relation entre l’athlète et l’entraîneur.

La co-orientation ne doit pas être vue comme une quatrième dimension du modèle (sinon il aurait été le modèle des 4C). Elle va venir se positionner au centre du triangle formé par la proximité, l’engagement et la complémentarité. La co-orientation correspond au degré de concordance, de correspondance, entre ce que perçoit l’athlète et ce que perçoit l’entraîneur, du niveau de proximité, d’engagement et de complémentarité dans leur relation.

C’est une variable qui est complètement imbriquée dans le triangle formé par les trois dimensions du modèle. Ce qui est important et qui est intéressant avec la co-orientation, c’est qu’elle permet de prendre en compte à la fois le point de vue de l’athlète, et le point de vue de l’entraîneur, ce qui est singulier dans la littérature et dans l’étude des relations interpersonnelles en contexte sportif.

En effet, d’autres modélisations se sont souvent centrées uniquement sur l’entraîneur. Le modèle des 3+1C permet de prendre en compte à la fois l’athlète et l’entraîneur, sans qu’il y ait vraiment de hiérarchie. Il implique la notion d’interdépendance entre l’entraîneur et l’athlète, c’est-à-dire que l’entraîneur a une influence sur l’athlète, mais que l’athlète a aussi une influence sur l’entraîneur. C’est ce qui amène de la richesse dans l’interprétation de la relation.

« La co-orientation correspond au degré de concordance, de correspondance, entre ce que perçoit l’athlète et ce que perçoit l’entraîneur, du niveau de proximité, d’engagement et de complémentarité dans leur relation. »

Ce qui va amener encore plus de richesse, mais aussi de complexité, c’est que nous incluons l’athlète, ainsi que l’entraîneur et qu’il va y avoir deux modes de perception. En effet, nous pouvons percevoir les événements qui nous entourent de deux manières distinctes. D’une part, il y a ce que l’on appelle des perceptions directes et d’autre part, des métaperceptions.

En prenant le point de vue de l’athlète, les perceptions directes vont correspondre à la manière dont celui-ci perçoit la relation qu’il entretient avec son entraîneur. Par exemple, est-ce qu’il apprécie son entraîneur ? Est-ce qu’il éprouve du respect pour lui ? La métaperception, elle, va être “la manière dont l’athlète se projette dans la tête de l’entraîneur”. Par exemple, à quel point l’athlète pense-t-il que son entraîneur éprouve du respect pour lui ?

Ces perceptions vont enrichir notre compréhension de la relation, mais aussi la complexifier. Pourquoi ? Parce que nous allons prendre en compte l’athlète et l’entraîneur, leurs perceptions directes et métaperceptions respectives, ce qui va nous donner quatre types de perceptions et différentes combinaisons possibles. Ce qui va traduire la notion de co-orientation, c’est le degré de correspondance, de concordance entre toutes ces perceptions.

Plus il va y avoir de correspondance et de concordance entre ces perceptions, plus l’athlète et l’entraîneur vont être en mesure de comprendre l’autre, de comprendre ce que ressent l’autre, d’avoir de l’empathie, d’être accordés sur la manière dont ils veulent fonctionner, la manière dont ils perçoivent leurs relations.

Donc, avoir des niveaux de proximité, d’engagement et de complémentarité élevés est important pour la qualité de la relation, mais, pour que la relation soit de bonne qualité, il faut nécessairement que ces perceptions soient partagées par l’athlète et l’entraîneur, qu’elles convergent.

Si l’un perçoit des niveaux élevés de proximité, engagement, et complémentarité, mais que l’autre perçoit des niveaux significativement inférieurs, alors cela souligne une forme d’incompréhension (peut être de déni) entre les 2, et traduit une relation unilatérale qui n’est finalement pas de bonne qualité.

Par ailleurs, la co-orientation possède elle-même trois sous-dimensions (voir Figure 2) qui caractérisent la combinaison des perceptions directes et métas, de l’entraîneur et de l’athlète.

Figure 2. Illustration des trois aspects de la co-orientation (adapté de Jowett, 2007)

La première de ces sous-dimensions, c’est ce que l’on appelle les similarités réelles. Il s’agit du degré de correspondance entre les perceptions directes de l’athlète et de l’entraîneur.

Ensuite, nous avons les similarités supposées. À travers cette sous-dimension, nous allons nous intéresser au degré de correspondance entre les perceptions directes d’un individu et ses métaperceptions. Enfin, il va y avoir la compréhension empathique. C’est le degré de correspondance entre les métaperceptions de l’un et les perceptions directes de l’autre.

La prise en compte de ces différentes perceptions et de leurs liens est importante, car elle va venir enrichir notre compréhension des relations qui existent entre l’entraîneur et l’athlète. C’est par ailleurs quelque chose que l’on observe souvent dans notre activité de terrain lorsque nous accompagnons les staffs sur la question de la relation entraîneur-entrainé(s). En effet, ce qu’un entraîneur ou un athlète perçoit peut ne pas être exactement ou pas complètement ce qui est perçu par l’autre personne avec qui ils évoluent.

Lorsqu’il y a une discordance élevée, c’est qu’il y a des éléments qui ne sont pas passés. Un message a peut-être été mal émis ou mal compris, etc. Lorsqu’on accompagne les staffs, travailler sur la co-orientation est souvent un enjeu prioritaire. Essayer de rééquilibrer, de faire en sorte que les perceptions reviennent à un niveau équivalent. Encore une fois, c’est vraiment l’aspect qui fait la force de ce modèle, par rapport aux autres modélisations théoriques qui existent sur la relation entraîneur-entraîné.

Il est généralement accepté que les entraîneurs, à travers leurs comportements, peuvent exercer une influence considérable sur le fonctionnement de leur équipe et, pour certains, sont capables de « faire des miracles » avec le groupe qu’ils ont à disposition. En football, l’exemple de Carlo Ancelotti revient souvent lorsque la dimension psychologique de la relation entraîneur-joueur est abordée.

Carlo Ancelotti semble effectivement être un exemple intéressant illustrant les liens potentiels entre comportements de l’entraîneur, relation entraîneur-entrainé(s) et performances réelles sur le terrain (voir par ailleurs : Ancelotti, C. (2016). Quiet Leadership: winning hearts, minds and matches. Penguin UK.).

Globalement, dans mon travail de thèse, nous nous sommes intéressés à la question du rôle des comportements de l’entraîneur et de l’influence de ces derniers sur la qualité de la relation entraîneur-entrainé(s). Dans la littérature, de nombreux travaux ont d’ailleurs démontré l’impact de certains types de comportements de l’entraîneur sur la qualité de la relation entraîneur-entrainé(s).

Nous nous sommes focalisés dans mon travail de thèse sur la théorie des 4 facteurs de Rosenthal (2002) (développée initialement en contexte scolaire), parce que les liens entre les comportements issus de cette théorie et la qualité de la relation entraîneur-entrainé du modèle des 3+1C n’avaient pas été explorés jusqu’à présent.

Ce qu’il est intéressant de mettre en avant, c’est qu’il y a d’une part des catégories de comportements qui semblent avoir des effets sur l’ensemble des dimensions du modèle (proximité, engagement, complémentarité). D’autre part, il y a des catégories de comportements qui semblent avoir des effets plus spécifiques sur certaines dimensions.

Par exemple, l’une des catégories de comportements proposées par la théorie des 4 facteurs renvoie au climat socio-émotionnel mis en œuvre par l’entraîneur lorsqu’il interagit avec les athlètes à l’entraînement et en compétition. Nous avons observé que cette catégorie-là, globalement, a des effets positifs sur les trois dimensions.

Cela veut dire que le degré d’investissement affectif de l’entraîneur, les encouragements et le soutien social prodigués à l’athlète dans les moments difficiles, mais aussi dans les moments du quotidien, va avoir un effet favorable sur l’ensemble des dimensions de la relation. En revanche, nous avons aussi observé que certains types de comportements semblent être davantage liés à certaines dimensions.

Par exemple, les comportements de l’entraîneur associés au soutien de l’autonomie, c’est-à-dire faire en sorte que l’athlète participe au processus de décision, se sente impliqué dans les choix, les objectifs fixés, vont davantage favoriser la dimension d’engagement. Dimension qui fait référence à la co-construction d’un cadre commun, à l’engagement mutuel, au fait de rester liés, attachés l’un à l’autre pour atteindre un objectif commun.

« Le degré d’investissement affectif de l’entraîneur, les encouragements et le soutien social prodigués à l’athlète dans les moments difficiles, mais aussi dans les moments du quotidien, va avoir un effet favorable sur l’ensemble des dimensions de la relation »

Lorsque l’athlète ou l’individu va avoir l’impression de participer à quelque chose qu’il a choisi, son niveau de motivation, son niveau d’engagement envers l’autre et donc envers l’objectif qui a été déterminé, sera beaucoup plus important que s’il est imposé de manière descendante et que la personne a l’impression d’être « un pion ». Nous savons donc que ces comportements peuvent avoir des effets relativement positifs sur l’amélioration de la relation.

Maintenant, y a-t-il des comportements qui sont particulièrement néfastes ? Oui, inévitablement. Toute personne qui a un vécu de sportif a probablement, malheureusement, vécu des expériences négatives avec un entraîneur, des entraîneurs ou un staff. Certains comportements peuvent avoir des effets particulièrement négatifs.

Néanmoins, je ne pourrais faire une description précise de ces éléments-là, parce que nous ne les avons pas suffisamment explorés, pour vraiment affirmer que tel ou tel comportement est forcément négatif ou a des effets très néfastes. D’un point de vue scientifique, ce ne serait pas suffisamment robuste.

Toutefois, nous avons malheureusement des exemples récents dans le cadre sportif, qui ressortent. Tous les comportements d’emprise, les comportements de domination, de harcèlement, etc.

Même si, en sports individuels, les athlètes sont de plus en plus entourés, l’accompagnement diffère des sports collectifs où le fonctionnement en staff est la norme. Par ailleurs, ces derniers sont de plus en plus étoffés. Étant donné cette spécificité, est-ce que la manière d’appréhender la qualité de la relation entraineur-entrainé doit être différente ?

Oui, inévitablement, d’une manière générale, il y existe des différences. Les enjeux sont différents d’une situation à l’autre, d’une compétition à l’autre, d’un sport à l’autre. En sport collectif ou individuel, on ne retrouvera jamais exactement les mêmes situations. Par exemple, même si nous nous focalisons sur les sports individuels, que l’on fasse du ski, du cyclisme ou du tennis, la relation implique des contraintes différentes.

Toutefois, certains “piliers” semblent communs, transférables, indépendamment du contexte ou du sport, qu’il soit collectif ou individuel. Le modèle sert de base, de structure, permettant d’identifier les piliers d’une relation (la proximité, l’engagement, la complémentarité et la co-orientation). Ce qui va être différent, c’est la manière dont nous allons appréhender ces piliers dans le sport en question, avec les contraintes et spécificités de la pratique.

Il y a tout d’abord un enjeu lié au nombre de personnes impliquées dans la relation. Même si en sport individuel, il est rare qu’un entraîneur entraîne un seul athlète, c’est en compétition que la différence va se faire. En sport collectif, plusieurs personnes, en même temps, vont fonctionner et vont se confronter à plusieurs autres personnes. En sport individuel, on a beau entraîner un groupe d’athlètes, dans la plupart des cas, chaque athlète va concourir de manière individuelle (sauf quand il y a des relais ou des compétitions par équipe, par exemple).

« De manière très générale, la qualité de la relation est souvent un peu mieux perçu ou avec des niveaux plus élevés dans les sports individuels que dans les sports collectifs. La dimension de proximité est souvent un peu plus élevée dans les sports individuels que dans les sports collectifs. »

Ce qui va démultiplier les enjeux, c’est que plus il y a d’individus impliqués dans la relation, plus cela va créer de l’inertie. Ce sera également plus compliqué parce que d’un individu à l’autre, d’une personnalité à l’autre, la manière de fonctionner devra être adaptée, parce que ce qui fonctionne bien avec un individu ne fonctionnera peut-être pas avec un autre individu.

Dans la littérature, il existe quelques travaux sur les différences de perception de la relation entre sports collectifs-sports individuels. De manière très générale, la qualité de la relation est souvent un peu mieux perçu ou avec des niveaux plus élevés dans les sports individuels que dans les sports collectifs. La dimension de proximité est souvent un peu plus élevée dans les sports individuels que dans les sports collectifs.

Une hypothèse que nous pouvons émettre, c’est que lorsqu’ un entraîneur de sport individuel entraîne seulement trois athlètes, inévitablement, il passe plus de temps avec eux qu’un entraîneur de rugby qui entraînerait un groupe de 30 joueurs, par exemple. Néanmoins, il y a des choses qui peuvent être mises en place en contexte collectif et en contexte individuel pour répondre à ces enjeux.

« L’un des enjeux importants des futurs travaux de recherche, c’est qu’il faudrait aller de la relation entraîneur-entrainé, à la relation staff-groupe, lorsqu’il est question de sports collectifs. »

En sports collectifs, avoir la charge de plus d’individus nécessite d’avoir la capacité à prendre en compte chaque individu dans le collectif, donc de plus de temps. Si le staff, ou le groupe change tous les deux mois, cela va être très compliqué de mettre en place une relation pérenne sur le long terme.

L’autre enjeu, c’est que nous sommes effectivement de plus en plus confrontés à des staffs. Que ce soit au rugby, en football ou même en handball, il y a à minima un entraîneur principal, un entraîneur adjoint, un préparateur physique. Au rugby, on peut avoir un entraîneur des avants, un entraîneur des arrières, etc. On peut se retrouver avec un staff relativement étoffé.

L’un des enjeux importants des futurs travaux de recherche, c’est qu’il faudrait aller de la relation entraîneur-entrainé, à la relation staff-groupe, lorsqu’il est question de sports collectifs. Aujourd’hui, il n’y a pas de travaux sur le sujet. L’une des perspectives de recherche que nous envisageons, c’est donc d’aller plus loin sur cette relation entraîneur-entrainé(s) et d’essayer de comprendre l’ensemble des relations.

Percevoir s’il y a une relation staff-groupe, staff-athlètes, entraîneur-groupe, entraîneur-athlète. Par ailleurs, nous pourrions encore multiplier ce modèle des 3+1C, parce qu’il est essentiel pour un staff d’avoir et de montrer une forte unité, que les rôles sont bien définis et partagés au sein du staff, afin que ce soit le plus clair, le plus lisible possible pour les joueurs et joueuses.

C’est donc un enjeu fort de futurs programmes de recherche. Aujourd’hui, nous avons peu d’éléments dans la littérature qui nous permettent d’asseoir en pratique l’ensemble de ces paramètres entraîneur-manager-staff-groupe-athlète sur des fondements théoriques robustes nous permettant de dire comment tout cet écosystème fonctionne.

En football, les entraîneurs possèdent une double casquette. Ils doivent accompagner la progression du joueur et son développement individuel, avec tout ce que cela implique en termes de climat motivationnel, mais ils sont également décisionnaires. Ce sont eux qui décident avant et durant chaque match si le joueur débutera, sera remplaçant, ne jouera pas ou restera à la maison. Ces rôles vont probablement colorer la perception de la relation. Quelles peuvent donc être les conséquences sur la dynamique de la relation, dans le temps ?

Cette double casquette est quelque chose qui est souvent souligné par les entraîneurs, notamment chez les jeunes. Ils évoquent la difficulté d’être dans l’accompagnement, dans l’épanouissement de l’athlète, dans la progression, alors même que le contexte de compétition ou de sélection implique forcément un moment où ils vont prendre une décision qui sera perçue positivement ou négativement (faire jouer ou ne pas faire jouer, faire partie du groupe ou ne pas en faire partie, etc.).

En partant des trois dimensions du modèle des 3+1C, l’enjeu va être de travailler sur la notion de rôle, de clarification des rôles, d’explicitation des rôles, de co-construction des rôles et d’acceptation des rôles. Même si la décision peut être difficile à digérer, la non-clarification des raisons, le manque de transparence ou d’honnêteté peuvent être des facteurs particulièrement difficiles à digérer, notamment pour se projeter : quel est mon rôle ? Quelles sont les attentes ? Comment dois-je progresser ? Etc.

Dans ce type de situation, nous allons essayer de travailler sur les notions d’attentes. Quelles sont les attentes mutuelles ? Qu’est-ce que l’entraîneur attend de l’athlète ? Qu’est-ce qu’en retour, l’athlète attend de l’entraîneur ? Comment est-ce qu’ils vont fonctionner et avancer ensemble ?

« L’enjeu va être de travailler sur la notion de rôle, de clarification des rôles, d’explicitation des rôles, de co-construction des rôles et d’acceptation des rôles. »

Cette notion de clarification/compréhension des attentes et des rôles, et donc de responsabilités vis-à-vis de ces derniers, sont des éléments centraux à travailler lorsqu’on est dans le cadre de la compétition. Ce n’est pas simple, mais ce sont des enjeux auxquels l’entraîneur et son staff vont être confrontés.

La dynamique est un autre élément important. Il faut être très au clair sur le fait que la qualité de la relation évolue systématiquement. Ce n’est pas quelque chose de linéaire. Ce n’est pas parce qu’elle est de bonne qualité en début de saison qu’elle le sera forcément en fin de saison.

À l’image de la performance, la qualité de cette relation peut être influencée par une pluralité de facteurs. Cette notion de dynamique peut venir influencer ce qui peut se passer dans un club, dans une sélection ou dans un groupe. Le fait qu’elle évolue peut amener à des comportements particuliers.

Certains éléments forts peuvent influencer cette dynamique de la relation entraineur-entrainé, notamment les performances. Nous avons donc une relation à double sens entre la dynamique de la qualité de la relation et la performance. Une bonne relation a généralement des effets plus favorables sur la performance, mais, inversement, s’il y a de moins bonnes performances, cela peut impacter le degré de confiance, la manière de fonctionner, etc.

« Il faut être très au clair sur le fait que la qualité de la relation évolue systématiquement. Ce n’est pas quelque chose de linéaire. Ce n’est pas parce qu’elle est de bonne qualité en début de saison qu’elle le sera forcément en fin de saison. »

Aujourd’hui, il y a très peu de travaux longitudinaux dans la littérature qui ont essayé d’explorer sur un temps long comment évolue la relation. Pourquoi ? Probablement, car d’un point de vue méthodologique, cela demande beaucoup plus de temps, cela demande du lien avec des clubs, avec des fédérations, ce qui est assez lourd comme processus. Néanmoins, cela souligne encore des enjeux et des perspectives de recherche intéressantes.

Nous nous sommes intéressés à cette dynamique temporelle dans le cadre de ma thèse, avec un public spécifique, qui était composé de jeunes joueurs et joueuses de pôle Espoirs, donc dans des contextes de pratiques plutôt intensives. Les contextes étaient aussi spécifiques, puisqu’il y avait un enjeu pour ces athlètes d’intégrer le Parcours de Performance Fédérale (PPF), des enjeux de sélection, d’accéder à un centre de formation à la fin du pôle, etc. Dans le cadre de ces travaux, nous avons pu observer que, de manière générale, il y avait une tendance à la décroissance de la qualité de la relation sur une année au sein des pôles.

Toutefois, il faut prendre un peu de recul, parce qu’il faudrait aller plus loin en différenciant les années de pôle pour mieux comprendre ces observations et pouvoir en tirer des conclusions. Par exemple, est-ce qu’il y a des différences entre un joueur de première année de pôle versus un joueur de dernière année de pôle, qui lui a des enjeux d’intégration d’un centre de formation à la fin de l’année ?

Ce qui semble néanmoins important, c’est qu’il pourrait potentiellement y avoir une forme de lassitude qui s’installe au fil du temps, lorsqu’on s’entraîne intensivement et systématiquement avec le même entraîneur. Une des perspectives importantes à envisager, ce serait d’essayer de renouveler et d’apporter régulièrement de la variabilité dans la manière d’entraîner, dans les contenus pour éviter ce phénomène de lassitude au fil du temps.

Encore une fois, c’est à prendre avec un peu de recul parce que cela demande vraiment plus de travaux, plus d’expertise sur cette dynamique temporelle pour aller plus loin et mieux comprendre pourquoi elle évolue, comment elle évolue et que pouvons-nous mettre en œuvre pour que cela évolue plutôt dans le bon sens.

A travers votre parcours de pratiquant, d’universitaire, de praticien et vos expériences auprès de nombreux athlètes et entraîneurs, qu’avez-vous appris sur la nature humaine ?

J’ai d’abord beaucoup appris sur moi-même. Je pense que le fait de travailler sur ces sujets là, c’est aussi une manière de faire un peu d’introspection et de réfléchir sur sa manière d’agir au quotidien. Parfois il y a un décalage entre ce que nous faisons au quotidien et ce qui est perçu.

De manière générale, je pense avoir appris que les relations humaines sont particulièrement riches, mais aussi particulièrement complexes. Parfois, cela fait presque peur, car, paradoxalement, plus on avance dans le domaine et plus on se rend compte en réalité de la complexité de ce dernier.

Plus je prends conscience de la complexité des relations interpersonnelles, plus j’ai l’impression que le mur est grand. C’est probablement le cas pour beaucoup de personnes qui avancent dans l’expertise sur un domaine. Plus on comprend de choses, plus on se rend compte qu’il y a un certain nombre de paramètres qui entrent en jeu et qu’il est difficile de tout prendre en compte.

Cela peut parfois être frustrant mais c’est aussi rassurant, car cela montre que les “recettes”, ça n’existe pas. Il est normal et tentant de vouloir avoir accès à des recettes qui nous permettent de tout de suite réussir, mais c’est une utopie. Les recettes instantanées, qui fonctionnent telles quelles dans tous les contextes, cela n’existe pas.

Il y a bien entendu des principes que l’on peut essayer de mobiliser, mais cela demande du temps et du travail, cela demande de se tromper, de prendre conscience des enjeux spécifiques, de transférer des éléments théoriques et pratiques à son contexte, à sa situation, à son sport. Cela demande vraiment d’être accompagné et de travailler sur le long terme.

L’idée selon laquelle il serait possible de mettre des choses en place avec des effets immédiats est illusoire. C’est ce que mon parcours universitaire et mes expériences de terrain m’ont appris, je crois. J’ai essayé des choses qui n’ont pas marché, des choses qui ont marché, mais que j’ai mal utilisées et il a fallu que je prenne beaucoup plus de temps pour savoir comment les utiliser.

Parfois il y a des enjeux forts, mais lorsqu’on prend du recul, on se rend compte que c’est se tromper qui nous permet de tirer de meilleures conclusions.

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