France - Maroc 2022 : analyse pré-match

Analyse proposée par Adrien Tarascon, responsable du développement des joueurs, de la méthodologie et des données au LOSC.

🚨 Avant d'aller plus loin, inscrivez-vous à la newsletter

Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.

Ce qui pourrait être la dernière Coupe du Monde à 32 nations de l’histoire compte en réalité trente sélections et deux équipes de club. Elles se sont affrontées en 8ème de finale.

Celle qui s’est imposée affrontera la France en demi-finale après avoir mis de côté trois nations importantes du football européen, en leur posant à chaque fois la même question. Aucune n’a su apporter de réponse au meilleur bloc médian de la compétition.

Le travail de Walid Regragui est immense. Son contrôle stratégique est tel qu’il parait être LE scénariste de chaque match de sa sélection.  Sa tactique n’est que la partie émergée d’un iceberg fait de cohésion, de foi, de structure, dont la comparaison appelle forcément au souvenir d’équipes de club ; car personne dans le football de sélection moderne ne ferme les lignes de passe de manière aussi chirurgicale ; ni après trois mois, ni après dix ans.

Comment les considérer inférieur à la France dans ce duel entre les 2 équipes qui ont le plus maximisé le jeu dans les deux surfaces sur ce Mondial ?  Leur dernière erreur individuelle remonte à plus de 270 minutes, quand nous les Bleus en on réalisé cinq flagrantes contre l’Angleterre.

Ne pas pouvoir proposer leur XI le plus compétitif ne les a pas empêchés de délivrer leur prestation la plus aboutie en quart de finale. Dans leur organisation défensive, aucun joueur ne parait isolé ; protégés par la densité entre les lignes et le garde du corps Amrabat en dernier recours.

Il faudra les transpercer sans se faire contrer ; les faire reculer sans partager la possession. Certes le Maroc n’a plus l’effet de surprise, mais pose toujours cette même question, à partir de son bloc médian. Comment les Français parviendront-ils à y répondre ?

Quel Griezmann pour faire reculer le bloc median le plus compact de la competition ?

Comme évoqué avant le match face à l’Angleterre, le playmaker des Bleus devait changer de position pour s’adapter au défi anglais. Sa connexion avec Dembélé en début de match, auteur de plusieurs séquences en 1 touche de balle, est d’ailleurs synonyme des meilleures minutes françaises dans ce match.

Nouveau contexte face au bloc médian marocain. Quelle sera la réponse de Griezmann ? Décrocher et mettre sa qualité de distribution au service de la première relance bleue, à l’image de ce qu’il a pu faire lors du premier match contre l’Australie. Ou bien, préfèrera-t-il rester dans le demi-espace pour combiner avec Dembélé, proposer de la profondeur et chercher à offrir des coups de pied arrêtés dangereux dans cette filière ?


FRA ANG : Griezmann occupe le demi-espace, prêt à attaquer la profondeur dans le dos de Shaw grâce au jeu en 1 touche de Dembélé, ce circuit répété contre les anglais, rapporte ici un corner aux Bleus.


MAR POR : Une séquence similaire à la précédente. Une course dans le dos du latéral, met le Portugal en situation de centre.

Deux Mbappé en un

L’heure est venue dans cette compétition de voir un Mbappé plus axial. Il est LA réponse évidente au bloc médian marocain. Sa menace dans la profondeur les fera reculer. Entre les lignes, il appuiera sur la perte d’Aguerd, le seul central marocain capable de défendre en avançant sur les réceptions entre les lignes adverses.

La réponse tactique évidente pour ce match contre le Maroc est de mettre 3 joueurs entre leurs lignes, et de noyer
Amrabat sous notre densité quand Amallah ou Ounahi se feront fixer.

Cela aurait un coût à assumer dans la transition défensive autour d’une clef de voûte, Aurélien Tchouaméni. Sa qualité pour couper les transitions et la sécurité de son jeu de passe font de lui le milieu idéal pour tenter cette tactique. Ci-après sont détaillés trois bénéfices potentiels.

Face au bloc bas marocain, le bondynois aura tout le loisir, s’il le souhaite de retrouver la largeur, en alternance avec Théo Hernandez pour jouer des 1v1 face à son coéquipier Achraf Hakimi.


MAR POR : Amrabat doit couvrir le dos d’Ounahi. Si Mbappé vient occuper cette zone il sera obligé de redoubler de vigilance. Il n’a pas le temps de voyager à l’opposé pour couvrir et le Portugal créé un décalage intéressant grâce à ses 3 joueurs entre les lignes, mais une première touche délicate annule ce décalage.


BEL MAR : une fois la largeur trouvée, Mbappé pourrait faire mal à Hakimi par des courses sortantes dans son dos à l’image de ce service de Bruyne pour T. Hazard.

MAR POR : A l’image du comportement d’Hakimi sur Joao Felix, si Kylian Mbappé se rend disponible dans le dos d’Ounahi, Hakimi sera obligé de suivre, de quoi ouvrir des espaces pour les projections de Théo Hernandez dans le couloir.

Mbappé opère donc la plupart du temps à l’extrême périphérie ou à l’intérieur, pour des effets très différents. Dans le premier cas, il cherchera essentiellement à centrer devant le but. Dans le second, il cherchera des relais pour accéder à une zone qui lui est favorable et tirer ou se créer lui-même un accès au but adverse.

Mbappé opérant à l’extrême périphérie

Mbappé opérant à la frontière théorique entre la périphérie et le couloir intermédiaire.

Sur les deux situations ci-dessous face à la Pologne, Mbappé reçoit le ballon à l’extrême périphérie puis centre (assez facilement) devant le but. Ce ne sera pas aussi simple face à un joueur comme Hakimi, mais s’il y a bien un joueur qui est capable d’exploiter ce genre de situation, c’est bien l’attaquant français.

Les présences de Giroud (1er poteau, point de penalty), Dembélé (2nd poteau), voir Griezmann en arrivant depuis la 2nde ligne, seront prépondérantes pour espérer tirer quelque chose de ces situations.

Par ailleurs, Mbappé est aussi capable de rentrer en conduite, entre les deux derniers rideaux adverses, pour tirer directement au but ou trouver Dembélé à l’opposé. Cette alternance permettrait de semer le doute dans les rangs marocains et mettrait les Lions de l’Atlas, dans une situation inconfortable.

Lorsque Mbappé est à l’intérieur, dos au but adverse (sans intention apparente de progresser), sa position focalise l’attention de la paire central-latéral adverse et peut permettre à Giroud d’attaquer la profondeur.

L’avant-centre des Bleus a montré, face à la Pologne notamment, qu’il était capable d’exploiter les espaces dans le dos de la dernière ligne adverse, même lorsque la profondeur est restreinte.

Lorsque Mbappé reçoit le ballon en étant orienté pour progresser par la conduite ou la passe, en plus de focaliser l’attention de la paire central-latéral adverse, la dernière ligne va généralement reculer pour ne pas être prise de vitesse.

Ce faisant elle va libérer de l’espace devant elle, permettre à Mbappé de prendre de la vitesse et d’accéder à une zone depuis laquelle il peut directement tirer ou il trouvera un relai qui lui permettra d’accéder à cette zone, comme sur le 3ème but face à la Pologne.


FRA POL : Mbappé est à l’intérieur, dos au but adverse. Il ne profite pas directement de sa position, mais il permet à Griezmann d’essayer de trouver Giroud dans le dos de la dernière ligne.




FRA POL : Mbappé est à l’intérieur, mais il est orienté pour progresser. Il trouve Thuram à la périphérie, qui va fixer le latéral adverse, puis retrouver Mbappé dans des conditions favorables et dans une zone qu’il affectionne. Ca fait but.

La parole aux coups de pied arrêtés

En analysant leurs adversaires, il est probable que les deux équipes misent sur leurs faiblesses défensives respectives sur phase arrêtée. Celle des Bleus est récurrente en 2022, on se réjouira qu’en dépit des occasions concédées elle n’ait pas coûté.

Pour faire mal à la France, le Maroc pourra compter sur le pied de Ziyech, extrêmement dangereux, notamment sur les coups francs aux abords de la surface. En revanche sa ligne défensive sur coup franc est probablement sa structure la plus faible, des trajectoires sortantes pourraient les sanctionner.

Couper les transitions marocaine ou maîtriser les zones de perte ?

La résistance marocaine au contre-pressing a été commentée après les matchs contre l’Espagne et le Portugal. Les retards dans la réaction à la perte des Français ne les pousseront pas dans leurs retranchements sur ce plan. Reste les transitions à gérer, le Maroc monte en puissance sur ce plan à défaut de les concrétiser.

La réponse française passera par leur structure avec ballon, attaquer avec une « rest defense » qui occupe bien les espaces. L’autre point clé sera de choisir les zones de prises de risque, de maitriser les zones de pertes, en évitant trop de prise de risque entre les milieux marocains. Patienter pour trouver la ligne de passe vers leur interligne défense-milieu, seulement quand elle est claire, sera capital.

 

MAR POR : la qualité technique de Boufal créé une transition claire à partir d’une situation qui parait fermée au départ

Les marocains accepteront ils la possession partagée française ?

Y compris contre la Pologne, la France a dû se résoudre à une possession partagée, conséquence de ses difficultés pour presser dans ce tournoi. Si les Marocains sont parfaits sans ballon, depuis plus de 2 matchs, ils commettent beaucoup d’erreurs avec le ballon.

Le danger français sur contre-attaque n’est plus à prouver. Comment les Marocains résoudront la difficile équation de tenter de nous déséquilibrer, sans s’exposer à une phase du match qu’on ne leur imagine pas favorable ?


MAR CRO : face à une structure défensive avec Amrabat bloqué par le 9 croate, à l’imagine de ce que fait Giroud, Saiss perd un ballon central et donne une énorme opportunité sur contre-attaque à l’équipe croate

La défense de la surface comme remède a des faiblesses bien identifiées par les adversaires

A la différence d’un bloc marocain dont on cherche les failles, les circuits pour mettre à mal la France sont connus et exploités par tous ses adversaires. Le renversement de la gauche vers la droite – sans doute plus par Boufal que Saiss qui devra forcer sa nature – est à surveiller. Ziyech, sa qualité d’évitement et la précision de ses passes diagonales pourrait faire aussi mal – dans un autre registre – que Saka face aux Bleus.

Les décalages seront sans doute trouvés par les Marocains. Pour répondre, les Bleus devront s’appuyer sur une défense de la surface aussi solide et disciplinée que celle entrevue face aux anglais. Mention spéciale pour le marquage de Bellingham par Griezmann. Le 7 tricolore pourra retourner dans la surface, Amallah affectionne le même type de mouvement.


FRA ANG : le 2v2 mené par Henderson et Rice sur notre côté gauche a trouvé des espaces dans le dos du latéral français. Heureusement la défense de la surface d’Upamecano est propre. Les Bleus devront toutefois être vigilent à des situations où le 2nd poteau est laissé libre par Dembélé comme ici.


MAR CRO : Ziyech est capable d’exploiter par la passe, les espaces qui pourraient se créer entre Hernandez et Upamecano, comme il l’a montré face à la Croatie

Conclusion

Nos Bleus savent à quoi s’attendre mercredi soir ; le Maroc non. La France est insaisissable. A une âme on ne répond pas par de la tactique. A un vécu collectif on ne répond pas par de la stratégie.

N’être rien lui permet d’être un peu de ce que chaque match demande. En toutes circonstances elle trouve des réponses. Son polymorphisme la conditionne à souffrir mais il lui permet également de trouver individuellement et structurellement des contextes favorables pour répondre à chaque scénario de match.

Conscient de cela, le Maroc ferait bien de ne pas poser la même question aux Bleus, qu’au Portugal ou à l’Espagne. Le Maroc acceptera-t-il la possession partagée que la France propose à tous ses adversaires ? Verra-t-on le Maroc le plus ambitieux avec ballon de la compétition sur cette demi-finale ? Si la France, pour triompher, parait pouvoir rester elle-même ; pour le Maroc, être victorieux exigera sans doute de se transformer.

🤔 Cette proposition vous a plu ? 

Rejoignez + de 4500 passionnés en vous abonnant à notre newsletter et vous recevrez nos entretiens, directement par e-mail.