La passe ou l’échange de la balle

Proposition théorique de © Jean-Francis Gréhaigne, professeur des Universités honoraire en STAPS de l’Université Bourgogne Franche-Comté

À la base du jeu collectif, la passe est un geste qui relève de la tactique individuelle. Pour tout un chacun, la passe consiste à transmettre le ballon à un partenaire. On parle aussi de passe aveugle, c’est-à-dire faire une passe à un coéquipier tout en regardant dans une autre direction, afin de troubler l’adversaire ; de passe décisive ou d’assistance qui est la dernière passe reçue par le joueur qui marque un but.

Certains grands spécialistes de l’extérieur du pied ne tarissent pas d’éloges à propos de ce type de passe, rapide, à la trajectoire fuyante pour les adversaires mais revenant vers les partenaires : ce type de passe, en particulier dans la profondeur, est difficile à apprécier et à attraper. Les balles brossées rentrantes qui reviennent vers les partenaires sont plus faciles à capturer par les attaquants mais redoutables pour la défense et le gardien. Si le joueur possède toute la palette de passes, il devra effectuer de bons choix et utiliser la surface adaptée à chaque situation. Enfin, il faut être conscient qu’une passe aérienne renvoie, le plus souvent, à un ballon libre dont on doit regagner la possession.

Échange de statut de passeur à réceptionneur

Si l’on considère la passe comme un échange de statut entre Passeur / Réceptionneur (P — R), différents statuts de joueurs peuvent être regroupés en quelques catégories : P = possesseur du ballon ; R = joueur non possesseur du ballon impliqué dans la possession proche du ballon ; N. R. = joueur non possesseur du ballon et non impliqué dans la possession proche du ballon. Pour l’équipe adverse, il existe d’autres rôles I = intercepteur ; N. I = défenseur non intercepteur.

On peut définir l’échange de statut Passeur (P) – Réceptionneur (R) lorsque le joueur en possession du ballon (P) lance celui-ci à un partenaire (R), les deux joueurs concernés échangent leur situation respective : P devient R (ou NR) ; R devient passeur. Lorsqu’un porteur du ballon lance celui-ci à un non-porteur de ballon dans une situation où l’échange s’opère strictement à deux, c’est-à-dire hors du contexte de l’équipe des partenaires et de celle des adversaires, le porteur de ballon pourrait être symbolisé par un (lanceur) et le non-porteur de ballon par un A (attrapeur) soulignant, par-là, que l’échange ne comporte qu’un lancer et un attraper.

« À la base du jeu collectif, la passe est un geste qui relève de la tactique individuelle »

Le porteur de ballon est un joueur et le non-porteur de ballon également lorsque l’échange s’opère dans un contexte de jeu. Le lancer devient une passe et l’attraper devient une réception d’où la symbolisation P – R. L’intérêt de cette distinction réside dans le fait qu’elle permet de souligner que le stéréotype d’échange P — R au niveau « débutant » présente les caractéristiques de l’échange L — A. Le système de repères proposé : axe P – R par rapport à l’axe de déplacement; orientations de P et de R sur cet axe ; distance P — R et forme de la trajectoire du ballon. Les critères reposent sur les postures respectives P et R au moment du lancer et les postures respectives R et P au moment de l’attraper. Le continuum de l’échange va du pôle L — A (action ponctuelle exclusive de toute autre) au pôle P — R (action intégrée dans une circulation tactique complexe coordonnant plusieurs actions simultanées de jeu).

Les modalités de l’échange de la balle représentent des éléments qui sont à observer attentivement car elles renseignent objectivement sur le niveau du jeu dans un rapport de forces donné. Dans les exemples (Figure 1) qui suivent, nous allons du plus facile, en face à face à l’arrêt, au plus difficile quand un joueur se déplace rapidement et reçoit une balle suite à une trajectoire orthogonale par rapport à son déplacement.

Quelques données

Dans un premier temps, le passeur est libre dans ses choix en fonction de ce qu’il pense de la continuité du jeu mais, une fois qu’il a choisi, il devient prisonnier de son choix car il se doit de donner le ballon dans les meilleures conditions à l’endroit demandé par le partenaire. Parfois sous pression le passeur se débarrasse du ballon et au réceptionneur de se débrouiller.

L’appel de balle

L’analyse des actions que le futur réceptionneur peut effectuer par rapport au porteur de balle permet de définir plusieurs catégories d’appels de la balle en fonction des rapports topologiques entre le porteur de balle et ses partenaires, de la direction et de la vitesse dans laquelle ceux-ci donnent ou sollicitent le ballon si les partenaires se rapprochent ou s’éloignent du porteur de balle.

Loi de l’appel de balle : trois conditions sont nécessaires pour un bon appel de balle. Le futur réceptionneur doit être dans le champ visuel du porteur de balle, à̀ distance de passe et se trouver hors du volume d’interception d’un adversaire (Frantz, 1975).

Loi de compatibilité.

Cet ensemble de données repose sur l’échange de statut passeur à réceptionneur avec les problèmes liés à l’appel de balle qui consiste à solliciter le ballon par une course comme que nous venons de voir plus avant. Le déplacement d’un joueur, ses repères visuels et la trajectoire de balle doivent être le plus alignés possible. Quand ces trois aspects sont réunis, le joueur est dans les conditions de réussite maximum.

Le système de repères est donc constitué par l’axe Passeur – Réceptionneur ainsi que l’orientation du P et du R par rapport à cet axe et de la distance entre le P et le R. La forme de la trajectoire de balle peut apporter une indication supplémentaire en cas de besoin. Les critères utilisés pour caractériser la loi de compatibilité reposent sur l’arrêt ou le déplacement des joueurs et les postures respectives du P et du R au moment du lancer. En conséquence pour l’échange de la balle, du plus facile au plus difficile nous présentons dans la figure 1 les différentes configurations d’échange que l’on peut repérer avec ce type d’analyse.

Fig 1. Illustration de la loi de compatibilité . (1) Échange de balle entre deux joueurs, face-à-face, à l’arrêt et à faible distance ; (2) Échange de balle entre deux joueurs en déplacement mais où la balle est passée dans la course du receveur ; (3) Échange de balle pour deux joueurs, mais se déplaçant dans un plan orthogonal et à distance.

Les signes et la sémiotique

La sémiotique est définie par Saussure (1913/1995) comme « science des signes au sein de la vie sociale » et comme monsieur Jourdain, beaucoup de joueurs en font sans le savoir. Le signe est utilisé pour transmettre une information à l’aide de gestes, mimiques ou mouvements volontaires destinés à communiquer quelque chose à quelqu’un, voire manifester ou faire savoir quelque chose.

Communication non verbale

La communication non verbale fait référence à l’étude du langage corporel et envisage tous les éléments d’un échange qui n’ont pas de lien avec la parole. Il ne s’agit pas de concevoir une opposition entre la communication verbale et la communication non verbale : la communication est un tout intégré. L’échange de la balle questionne la formation des joueurs dans un domaine de compétence où la communication non verbale doit être considérée comme un processus de signification où le sens s’élabore ensemble.

« La communication non verbale peut être définie comme étant la communication effectuée par tous les moyens à l’exception des mots »

La communication non verbale peut être définie comme étant la communication effectuée par tous les moyens à l’exception des mots. Bien qu’elle soit également associée aux messages transmis par les caractéristiques physiques des personnes qui communiquent et du milieu où la communication a lieu, la communication non verbale fait principalement référence aux messages transmis par les comportements et les attitudes. Cela recouvre la distance interindividuelle, la posture, les gestes, les mouvements et les expressions faciales des personnes qui communiquent.

Postures

L’importance de la notion de posture n’est plus à démontrer dans la communication. La posture, dépend assez directement de l’activité en cours, des habitudes gestuelles et de l’état dans lequel est le joueur compte tenu de la fugacité du moment. Une première définition de la posture pourrait être la disposition relative de différentes parties du corps dans l’espace formant une position relativement stable. Elle est le fruit d’une activité musculaire à la fois tonique et phasique. Il existe donc une infinité de postures possibles et concernant celles-ci, leur forme, leur structure temporelle, c’est-à-dire leur rythme et surtout leur orientation, sont constitutives de son sens et de son efficacité.

En football, toute manipulation de cette structure, par un simple ralentissement ou une accélération, lui fait subir un changement fondamental. Ainsi, les postures respectives du réceptionneur et du passeur au moment de l’attraper peuvent également être prises en compte. Les progrès dans l’échange vont du lancer simple à l’arrêt, action ponctuelle exclusive de toute autre, à un lancer long et tendu, cette action étant intégrée dans une circulation tactique en mouvement coordonnant plusieurs actions simultanées de jeu.

Passe et latéralité

La conception classique de la « droiterie » et de la « gaucherie » amène l’observateur à privilégier, le travail de l’un ou de l’autre pied, avec le débat jamais tranché qui consiste soit à améliorer encore le meilleur pied soit à tenter de développer aussi l’autre.

Dans le cas du ballon, la précision est, certes importante, mais plus secondaire. Ce qui est important, c’est d’avoir une bonne force, un chemin de lancement long pour obtenir si nécessaire un lancer puissant. Ici pour les droitiers, le pied d’appui est dans 100 % des cas le pied gauche. Pousser le ballon à l’amble permet de lancer vite et de surprendre les adversaires car ce n’est pas une forme de tir courante à laquelle s’attend l’adversaire direct.

Circulation tactique

La circulation tactique (Teodorescu, 1965) est appliquée de préférence dans l’attaque, servant comme phase de préparation collective à l’attaque finale. C’est une forme supérieure de schéma tactique. La circulation tactique s’applique dans l’ensemble du système du jeu. Cette méthode est utilisée devant une défense organisée, qui se trouve déjà dans un dispositif précis. La circulation tactique représente une suite d’actions individuelles et de combinaisons tactiques effectuées suivant un certain plan d’organisation, le ballon et les joueurs circulant successivement vers des endroits du terrain établis à l’avance.

« La circulation tactique représente une suite d’actions individuelles et de combinaisons tactiques effectuées suivant un certain plan d’organisation, le ballon et les joueurs circulant successivement vers des endroits du terrain établis à l’avance »

Par opposition au schéma tactique, la circulation tactique est élastique, supposant la détermination à l’avance non seulement de certains principes de déplacement du ballon et des joueurs, mais aussi le sens, les variations et le rythme de ces déplacements. La forme des trajectoires de balle apporte, aussi, une indication supplémentaire. À terme, pour les joueurs, la passe doit devenir un élément de dialogue et d’échange entre coéquipiers. Ils communiquent en se passant la balle et, la richesse des échanges (le nombre de passes réussies) est un indicateur de l’intelligence du joueur dans le jeu.

La circulation du ballon à une touche de balle

La « vitesse de transmission du ballon » (VTB) est un indice chiffré mis au point par Dugrand (1985 ; 1989). Il est défini comme « le quotient du nombre de fois ou un joueur reçoit le ballon (NR) par rapport au nombre de contacts pied / ballon utilisés pour le transmettre (NC) ». Plus le quotient est proche de 1 puis le joueur et / ou l’équipe jouent en une touche de balle.

Il n’en reste pas moins que la VTB est un indice très intéressant au plan de la formation. Lemoine et Jullien (2004), pour le jeu de haut niveau, complètent ce propos en affirmant que les réseaux défensifs des grandes équipes modernes sont tellement structurés et denses qu’ils ne permettent plus aux attaquants d’avoir des espaces d’évolution importants. Dans un contexte où il y a beaucoup moins de temps pour contrôler le ballon, sans être gêné d’une manière ou d’une autre par un adversaire, la déviation de la balle associée à la vitesse de déplacement du joueur apparaît comme une réponse efficace pour d’une part faire circuler et conserver le ballon et d’autre part atteindre la cible adverse tout en tentant d’échapper aux marquages des défenseurs.

Les rapports de vitesse

Pour représenter ces données temporelles dans le plan, nous avons proposé les notions de secteur d’action pour les attaquants et de secteur d’intervention pour les défenseurs. Ces secteurs définissent spatialement, les limites de l’action possible des différents joueurs par rapport à trois paramètres. Pour chaque joueur, sa position, le sens de son déplacement et sa vitesse définissent les changements de direction possible et une quantité de terrain pouvant être parcourue en une seconde. Ces éléments sont au cœur d’un échange de la balle réussi ou d’une perte de la balle.

Fig 2. Exemples de secteurs d’action et de secteurs d’intervention dans un échange de balle.

Il est à noter que plus la vitesse du joueur est élevée moins le joueur peut infléchir sa course. Par contre, le joueur à l’arrêt peut couvrir presque 360 degrés ce qui lui permet de se retourner sans tomber.

Initiative et intention

Une intention peut être définie comme l’envie ou la résolution prise par une personne d’agir pour atteindre un ou plusieurs objectifs fixés à l’avance, sa décision de passer à l’action étant quasiment définitive. C’est donc une disposition d’esprit par laquelle on se propose délibérément un objectif. Dans le jeu avoir des intentions ne suffit pas car on peut en rester longtemps au niveau des illusions voire des projets irréalistes et non pas se confronter aux réalités du rapport d’opposition.

Une initiative consiste en l’action d’une personne qui agit ou c’est la qualité de quelqu’un qui entreprend des choses, prend des décisions par lui-même ou pour ses équipiers. L’avantage de l’attaque est fondé sur la possession du ballon, condition sine qua non pour la réalisation d’un point. Ici, les initiatives du porteur de balle sont particulièrement importantes. Par contre, la défense cherche à contrecarrer les initiatives des attaquants tout en cherchant à récupérer le ballon. L’application de ce principe suppose du dynamisme, de l’agressivité et, aussi, de l’initiative.

On privilégiera chez les joueurs l’initiative car porteuse de progrès versus une intention qui peut relever de la chimère. Cela représente la base même de l’efficacité en football que de permettre, pour tous les participants d’une même équipe, le plein déploiement de l’initiative individuelle.

Conclusion provisoire (en attendant l’évolution des connaissances)

Cet ensemble de connaissances illustre bien, en relation avec différents types d’objets de la technique, les problèmes posés par la passe ou l’échange de la balle. En résumé, pour qu’une passe soit réussie, il faut un bon dosage de la frappe car la passe doit être réceptionnée facilement par le partenaire. L’échange de la balle doit atteindre le partenaire et être donné sur lui ou dans sa course, s’il est en mouvement, en vue de faciliter la capture du ballon. Des appuis dynamiques sont nécessaires, soit pour appuyer la passe ou pour augmenter la vitesse d’exécution.

En définitive, améliorer l’efficacité de la passe, sous pression temporelle et en présence d’une forte densité de joueurs, suppose de travailler à l’entraînement en situation d’opposition. Enfin, les temps sont bien révolus où l’entraîneur disait au petit nouveau : « Reviens me voir, grand, quand tu sauras faire une passe ».

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Références

AEEPS (1977). Sports co n° 3. Paris : Amicale ENSEPS.

Dugrand, M. (1985). Approches théoriques, expérimentale et clinique de l’enseignement du football. L’exemple au Sénégal. Thèse de troisième cycle, Université de Caen.

Duprat, E (2005). Approche technologique de la récupération du ballon lors de la phase défensive en football, contribution à l’élaboration de contenus de formation innovants. Thèse de Doctorat (non publiée), École Normale Supérieure de Cachan

Frantz, P. (1975). Le football. Mulhouse : L’Alsace.

Gréhaigne, J.-F. (1992). L’organisation du jeu en football. Joinville le Pont : Éditions Actio.

Lemoine, A., & Jullien, H. (2004). Étude de la production d’Information dans le cadre de la transmission instantanée du ballon en football. eJournal de la Recherche sur l’Intervention en Éducation Physique et Sportive, 6, 47-55.

Saussure, (de) F. (1913/1995 ).Cours de linguistique générale. Paris : Payot.

Teodorescu, L. (1965). Principes pour l’étude de la tactique commune aux jeux sportifs collectifs. Revue de la S.I.E.P.E.P.S., 3, 29-40. (Texte publié à nouveau en 2013 dans la revue eJRIEPS, 28, 99-117).

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