Proposition d’Éric Duprat, entraineur de football (DES), professeur agrégé d’EPS, retraité de l’Université d’Évry Val d’Essonne et © Jean-Francis Gréhaigne, professeur des Universités honoraire en STAPS de l’Université Bourgogne Franche-Comté.
Merci à Alilou Issa et Olivier Alberola pour leur contribution et la relecture de versions antérieures de ce texte.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
A travers cet article, nous tenons à contribuer au débat ayant eu lieu lors du webinaire organisé par l’UNECATEF sur le thème : « Les entraineurs français n’ont plus la cote ? ».
Les intervenants invités (voir note) à débattre évoluent au sein de la famille du football professionnel : dirigeants, recruteurs, agents, journalistes et entraineurs ont été réunis pour aborder cette question. Seuls absents à ces échanges, mais pouvant être considérés comme des personnes intéressantes à questionner, les enseignants d’EPS spécialistes de football, souvent éducateurs ou entraîneurs en club, et les universitaires spécialisés dans cette pratique sportive.
Ceux-là mêmes qui ne gagnent pas leur vie uniquement avec le football mais participent à la découverte de l’activité, à l’initiation et à la « préformation » de la majorité des joueurs qui obtiennent un jour le statut de sportif de haut niveau. Ceux aussi qui depuis quelques années déjà participent à l’évolution de la pratique, quelle que soit la diversité de leurs travaux, qu’ils soient dans le domaine des sciences de la vie, des sciences humaines et plus récemment (1996 tout de même) dans le cadre de la technologie des pratiques physiques sportives et artistiques (PPSA), pour ne vexer personne.
Nous n’oublierons pas dans cette énumération, des personnes importantes dans la reconnaissance d’un statut ou d’une compétence à l’international, c’est-à-dire tous les collaborateurs du monde médical, de la préparation physique et mentale, les analystes qui, à des titres divers et complémentaires, participent à l’élaboration de la performance. Mais ils dépendent souvent de l’entraineur principal car c’est lui qui choisit, quand il le peut, ses collaborateurs.
Le développement des pratiques physiques au sein de l’école mis en place par le vote des lois de Jules Ferry à partir de 1881 et 1882 et la formation des enseignants d’éducation physique avec la création d’Instituts régionaux d’éducation physique (IREP) constituent, à la fin des années 1920, des étapes essentielles dans la légitimation scolaire des pratiques physiques. Développement et poursuite de ces orientations au sein des universités françaises bien avant que le football devienne professionnel (1932-33).
Ainsi en 1930, l’IREP de Nancy développe une convention avec la Fédération Française d’Athlétisme (FFA) pour démontrer que l’institution universitaire peut occuper une place centrale dans le monde de l’éducation physique et du sport et ainsi contribuer au rapprochement de « ces frères ennemis ».
La promulgation de la loi de 1901 sur les associations constitue un tournant majeur dans le développement des pratiques sportives. Les mises en commun des volontés de s’associer pour vivre sa passion dans les diverses activités physiques constituent un outil unique dans le monde. Relayée dans le milieu universitaire et scolaire français, cette volonté de pratiquer l’exercice physique en commun représente un atout considérable dans l’organisation et la gestion des activités.
En parallèle, l’éducation physique enseignée dans les établissements scolaires créée des vocations et ouvre l’accès à la découverte de la diversité des activités accessibles pour les hommes et progressivement pour les femmes. Même si la place qui lui est accordée reste minime après la méthode Hébert, la déroute française aux Jeux olympiques de Rome (1960) remet l’Éducation Physique et Sportive sur les rails. L’évolution des structures d’accueil de formation, de l’ENSEP au CREPS, puis UEREPS et UFR STAPS a permis l’accès au monde universitaire (1981) dans lequel il n’est pas aisé d’être accepté.
La pratique du « football association » venue de Grande-Bretagne à la fin du 19e siècle est peu à peu structurée pour parvenir à la création de la Fédération Française de Football (FFF) en 1919. Même si la pratique se développe au sein d’autres fédérations, la FFF devient l’interlocuteur principal du ministère des Sports ou autre appellation suivant l’évolution du système d’État (Mercier, 1973). L’organisation technique de cette structure est constituée en 1970 avec la nomination de Georges Boulogne comme Directeur Technique National (DTN) secondé par quatre Entraineurs Nationaux (EN) : Henri Guérin, Jacky Braun, Gaby Robert et Michel Hidalgo.
À l’époque, la nécessité d’une vraie formation pour les entraîneurs n’était pas évidente pour beaucoup de gens. En effet, il ne faut pas oublier que les premiers recrutés en France étaient en immense majorité des étrangers et surtout Britanniques (travaux de Grün, 1999). En 1937, parmi les 16 équipes de division 1 française, une seule est dirigée par un entraîneur français : Azéma, à Sète. Par ailleurs, on recense 4 Anglais, 3 Écossais, 3 Autrichiens, 2 Hongrois, 1 Yougoslave, 1 Uruguayen, 1 Argentin (Football n° 396, 1937).
Après la guerre, dès 1946 la F.F.F.A. reprend ses efforts visant la formation et met en place des sessions de deux semaines. « En incitant ses professionnels à suivre les cours de moniteur-entraîneur, la 3 F.A. poursuit un double but : assurer l’avenir matériel des membres de son élite, arrivés au crépuscule de leur carrière de joueur, constituer un cadre d’éducateurs indispensable à l’amélioration technique et au perfectionnement tactique de ses licenciés ». (L’Almanach du Football, 1947).
Cependant, dans certaines équipes le capitaine jouit toujours d’un prestige qui remonte aux prémices du football français, à tel point que parfois, l’entraîneur, même s’il est dorénavant le directeur de l’équipe, ne peut toujours pas systématiquement imposer ses points de vue sans avoir à composer. Les mentalités issues du siècle passé disparaissent d’autant moins facilement que l’entraîneur en a parfois lui-même hérité avec son expérience de joueur.
La mise en place des formations des entraineurs au sein de la FFF par Georges Boulogne (lui-même enseignant) renvoie à la création d’un diplôme permettant, entre autres, d’assurer la retraite, la reconversion, des footballeurs professionnels.
Son objectif initial de reconnaissance d’un statut professionnel permettant d’exercer avec une rémunération est indiscutablement très louable. Néanmoins, le fait d’être un passionné dans une activité et de la pratiquer ou de l’avoir pratiquée excellemment ne garantit en rien la capacité à l’enseigner et à former, ou entrainer, des joueurs d’élite.
Sur l’autre versant, le corporatisme affiché du monde des enseignants d’EPS, eux aussi protecteurs de la profession et continuellement en quête de reconnaissance au sein du monde de l’éducation nationale, a constitué un contretemps non négligeable dans les collaborations possibles à mettre en œuvre.
La volonté de la FFF d’intervenir dans le système éducatif scolaire en commençant dans l’école primaire pour y placer des éducateurs formés par la fédération est subtile. Cependant, elle est contradictoire avec le but de l’EPS qui est une découverte des différents champs de la motricité et cela n’aide pas à la collaboration. La tentative de collaborer avec l’enseignement supérieur, pour y placer des cadres formés par la FFF, ne pouvait aboutir sans une réelle reconnaissance et valorisation des formations mises en place.
Dans les deux cas, la légitimité ne peut s’étendre dans le temps sans une réactualisation des savoirs et connaissances et une ouverture vers les évolutions en cours. Si celle-ci s’est faite à la DTN (Direction Technique Nationale) sous la direction de François Blaquart (professeur de sport) qui a entrouvert les portes, elle n’a pas empêché la discrimination mise en place progressivement par les anciens joueurs professionnels, logiquement protecteurs de la corporation, placés aux postes d’entraineurs nationaux.
Lorsque le ministère de la Jeunesse et des Sports augmentait les exigences pour l’obtention des diplômes, facilitant l’accès au monde universitaire, les conséquences étaient douloureuses pour les enseignants d’EPS, formateurs universitaires spécialisés dans le football.
Même l’ouverture d’esprit du premier sélectionneur national champion du monde (Aimé Jacquet), de certains entraineurs nationaux, de quelques directeurs techniques départementaux n’a pas empêché le clivage de perdurer. La réunion de personnalités des deux corporations décidées à œuvrer dans le même sens a parfois vu le jour au sein de l’université (Bernard Guignedoux, Yannick Stopyra, Éric Duprat à Paris-Sud Orsay). Pour le très haut niveau, le duo Didier Deschamps – Guy Stéphan est une illustration d’une collaboration performante des deux professions. On peut y ajouter Pierre Jacky pour son rôle dans le développement du futsal (FFF de 1997 à 2022). Sans doute pourrait-on en citer d’autres.
Le nombre de licenciés au football, dépassant aujourd’hui les deux millions trois cent mille, adhérents permet à la FFF d’exercer une certaine pression sur les décideurs politiques qui se sont peu à peu désengagés du processus permettant de valider les compétences professionnelles en termes de certification. L’Etat a peu à peu perdu de son influence puisque seul un niveau est actuellement reconnu, au lieu de trois à l’origine de la création des Brevets d’État.
La FFF exerce donc un monopole dans le parcours de formation mais aussi au niveau législatif par l’intermédiaire du statut des éducateurs et des entraineurs jusqu’au niveau professionnel. Ce système est établi pour obtenir une reconnaissance professionnelle des titulaires et une rémunération correspondante, afin de protéger les éducateurs, formateurs, entraîneurs employés par les clubs. Mais il peut aussi devenir un moyen discriminateur afin de limiter l’accès à la reconnaissance certifiée pour certains profils de candidats.
Venons-en aux différentes raisons évoquées lors du webinaire permettant de mieux comprendre cette éventuelle mise à l’écart des entraîneurs français, en France et à l’international.
Raymond Domenech présente les participants puis sollicite le monde des dirigeants par l’intermédiaire de Damien Comolli Président du Toulouse Football Club.
Le premier thème abordé concerne le mode d’action du club pour choisir les entraineurs et les joueurs. D. Comolli souligne l’importance de l’utilisation des nouvelles technologies, notamment l’utilisation de la data, afin d’enrichir le processus de décision et de guider les choix du recrutement, entre autres. Pour un club, cela nécessite d’employer des personnes suffisamment compétentes pour établir des données à saisir en lien avec les objectifs affichés.
Il explique qu’à partir de certains critères établis par les dirigeants toulousains, une base de données contenant plus de 300 entraineurs français et étrangers à été mise en place. En fonction de chaque critère, un classement s’établit et permet de solliciter les entraineurs correspondant au profil attendu. Il insiste sur la particularité de chaque entraineur au regard de son style de jeu, son projet de jeu, considéré comme son « identité ».
Les trois éléments principaux pris en compte au TFC concernent la périodisation tactique, le jeu de position et la récupération haute du ballon. Il précise que son entraineur actuel, Carles Martinez Novell (ex-adjoint de Philippe Montanier), qui a entraîné durant une dizaine d’années les équipes de jeunes du FC Barcelone et de l’Espanyol Barcelone avait intégré la base de données d’entraineurs suivis par le club, car il était reconnu en Espagne pour sa connaissance et sa mise en pratique d’idées relatives au « jeu de position ».
Raymond Domenech s’interroge sur la présence de certains des participants du webinaire dans la base de données d’entraîneurs créée par le Toulouse FC, chose confirmée par D. Comolli concernant Luka Elsner.
Eric Roy (entraineur du Stade Brestois) aborde, à la suite de cette intervention, l’importance de l’adaptabilité chez l’entraîneur suivant la diversité des situations rencontrées à son arrivée dans un club. Les cas peuvent en effet être très différents et cela implique pour les entraineurs d’être capables de s’adapter au regard des profils des joueurs recrutés, mais aussi du staff parfois déjà en place.
R. Domenech passe le relais à Damien Degorre, journaliste au journal l’Équipe, qui va porter l’accent sur l’apparition des « chasseurs de têtes » spécialisés dans le recrutement en lien avec les attentes des clubs (pays anglo-saxons), en s’appuyant aussi sur la data. Il met en avant la méconnaissance des langues étrangères chez les entraineurs français, surtout l’anglais, et aborde le problème de la formation. Il note par exemple que les seuls entraineurs qui ont réussi à l’étranger maitrisaient l’anglais (Arsène Wenger, Gérard Houllier), ou ont très vite appris la langue du pays où ils ont exercé (Rudi Garcia).
Nous pourrions aussi parler du cas où un joueur a bénéficié de sa carrière, avec un passage à l’étranger pour apprendre à communiquer localement ce qui facilite sa prise de fonction dans le même pays (Didier Deschamps, Zinedine Zidane). Les autres ayant essentiellement évolué dans des nations africaines ou la langue française était utilisée (Claude Le Roy, Hervé Renard, entre autres). Il fait aussi le constat que les clubs français n’imposent pas à leurs entraineurs de parler la langue nationale, ce qui peut être considéré comme un avantage à prendre en compte.
R. Domenech donne ensuite la parole au représentant de la profession d’agent par l’intermédiaire de Fabrice Picot qui met en avant la différence existante suivant la notoriété des clubs et la renommée des entraineurs étrangers engagés par les clubs français. Il revient sur le nécessité de maitriser l’anglais pour partir entrainer à l’étranger, d’avoir une certaine renommée et de profiter d’un réseau à l’exemple de ce que les Portugais ont mis en place.
Il insiste malgré tout sur l’existence d’un réseau français déjà opérationnel au regard des transferts de joueurs réalisés à l’étranger. Lorsque R. Domenech aborde le problème des compétences, il lui est répondu que les résultats des équipes françaises au niveau européen ne plaident pas en leur faveur. Que la vitrine française est peu reluisante sur cet aspect et que les propriétaires étrangers de clubs français ont une vision plus étendue que notre Hexagone.
Olivier Dall’Oglio (entraineur de l’AS Saint-Étienne) met en avant la tendance des grands clubs français à choisir des entraîneurs étrangers, plutôt que des entraineurs français. Il relève la difficulté d’obtenir les diplômes en France en comparaison avec l’étranger et aborde le sujet des compétences qui ne semblent pas moins bonnes que dans les autres pays. Il souligne la longueur du parcours de formation en France qui retarde l’accès à la reconnaissance à travers l’obtention du BEPF (UEFA Pro) avec ses conséquences du point de vue de la concurrence.
Il s’appuie sur l’exemple de l’Olympique Marseille, lors de la saison 2023-2024, pour montrer la tendance des clubs à vouloir satisfaire les supporters en recrutant d’ex-joueurs de renom à l’étranger (Gennaro Gattuso), pour finalement revenir à un entraineur français expérimenté, en fin de carrière (Jean-Louis Gasset). Il insiste aussi sur le problème de l’apprentissage des langues en France.
Luka Elsner (entraineur du Havre AC), qui a entrainé dans son pays de naissance, la Slovénie, en Belgique et en France, aborde les problèmes de compétence et parle de la plus grande facilité à obtenir les diplômes à l’étranger. Il évoque aussi la complexité pour valider des équivalences de diplôme au niveau UEFA ou FIFA, pour lesquelles le manque de maitrise d’une langue est un point important. Puis il parle de la tendance des entraineurs français à rester dans une situation confortable qui leur évite de devoir s’adapter à un changement de vie nécessitant une adaptation culturelle parfois contraignante ou difficile sans maitrise de la langue.
Il rejette l’idée d’un problème de compétences et revient sur la difficulté d’obtenir les diplômes. Il évoque le manque de renommée et d’image de marque des entraineurs français ce qui fait référence au manque de marketing, à la difficulté française de se vendre, de se présenter comme un produit de qualité. Finalement, il parle de la bonne renommée des formateurs français.
Néanmoins est-elle due à l’augmentation de nos joueurs migrateurs ou réellement à la qualité des formateurs ? Est-ce l’aspect structurel de la formation française qui serait à mettre en avant avec les centres de formation et les structures d’accueil existantes durant la scolarité des élèves ? Ou bien la qualité des fondements théoriques utilisés par les formateurs, ce qui entre en opposition avec l’idée véhiculée que les meilleurs joueurs français s’expatrient pour compléter leur formation dans les pays où le domaine tactique est très développé ? Ou encore le maillage minutieux du territoire organisé par la FFF dans le processus d’identification et de sélection des talents émergents ?
Sébastien Desabre (sélectionneur de l’équipe nationale de la République Démocratique du Congo), a effectué la majeure partie de son activité dans des pays africains. Il confirme la complexité à trouver un poste car la loi du marché devient de plus en plus difficile comme dans tout le monde du travail. La complexité d’obtenir le diplôme UEFA Pro, pour les Français, et la concurrence qui s’établit avec les autres pays où les diplômes sont plus faciles à obtenir.
Il parle de l’évolution de la réglementation qui bloque certains entraineurs vers une évolution rapide de leur statut, loin des problèmes de compétences ; et de l’existence de réseaux déjà constitués par d’autres pays qui occupent la place et ne sont pas disposés à la laisser.
Outre ces interventions personnalisées, sont évoqués divers points à la volée tels que la notion de concurrence de plus en plus élargie dans le monde des entraîneurs, à nouveau la longueur du parcours de reconnaissances diplômantes en France, la nécessité d’élargir le réseau par une grande solidarité entre entraineurs français, en cooptant des collègues. Le manque de lisibilité sur les caractéristiques et les qualités des entraîneurs français.
Nous avons séparé l’analyse de ce webinaire en deux parties afin de nous focaliser maintenant sur l’intervention de Damien Comolli qui, à partir de trois questions/remarques, sans jugement de valeur ni apport de réponse, a relancé le débat :
« Il existe un gros problème de renouvellement [des entraineurs] »
« Est- ce que notre formation est bonne ? Je n’en sais rien… »
« Est-ce qu’elle est bonne parce qu’elle est longue ? J’en doute… »
« Est-elle meilleure que les autres ? J’en doute énormément… »
« Il faut se poser les bonnes questions, je n’ai pas de réponse, je pose les questions. »
« Soit on continue à chercher des responsables au niveau du réseau et des agents soit on se pose les bonnes questions. »
Pour D. Comolli, le problème de la langue ou du réseau ne constitue pas des obstacles majeurs. Il revient sur l’importance de l’identité de jeu de l’entraineur en distinguant trois courants : le jeu de position, le jeu de transition et le relationnisme, modélisation ayant actuellement un certain nombre de partisans. D’autre part, ce qui va aujourd’hui interpeller les décideurs dans les clubs, c’est la surperformance.
Il appuie son argumentation sur la formation des cadres et la nécessité de la faire évoluer en s’inspirant des autres nations, où le passage universitaire de ses cadres techniques est très fréquent et pour lesquelles l’apprentissage d’une ou plusieurs langues étrangères a une dimension quasiment stratégique.
Citons l’exemple des entraineurs allemands qui sont très tôt passés par l’université de Düsseldorf, spécialisée dans le domaine sportif ou encore par l’école de sport de Cologne. La reconnaissance du savoir-faire des entraîneurs portugais sur la scène internationale, depuis la génération Mourinho, est le fruit d’une formation universitaire exigeante. Les Espagnols très tôt importateurs de talents ont bénéficié d’influences diverses. Ils ont notamment été inspirés par l’école hollandaise avec la venue de Johan Cruyff, ambassadeur du « football total ». Ils ont également intégré des écrits d’auteurs français qui ont été négligés dans notre pays (Gréhaigne, 2001).
Par ailleurs, nous entendons parler d’école espagnole, hollandaise, portugaise, mais jamais d’une école française. Pourtant les compétences sont bien présentes et Olivier Dall’oglio signale bien que nous faisons les mêmes choses que les autres même si nous ne les habillons pas avec des mots. Néanmoins, attention le copier-coller est risqué, il n’est pas une solution favorisant la reconnaissance et l’affirmation d’un style. Nous avions la possibilité grâce aux travaux réalisés en didactique des disciplines sur le football, à la fin du siècle dernier et au début du second millénaire, d’affirmer notre style à la française car nous avons été des novateurs dans ce secteur.
Les portes de la FFF se sont parfois entrouvertes, mais pas suffisamment pour qu’une réelle identité française voit le jour. Nous avons les moyens de compléter les performances réalisées par nos équipes nationales en renouvelant nos parcours de formation des cadres, éducateurs, formateurs et entraineurs. C’est au directeur technique national (DTN) de dynamiser cela, comme il l’a fait au travers de la création du Centre de Recherche FFF qui doit collaborer avec le monde universitaire et revenir sur les bases déjà existantes.
Il y a aussi la nécessité d’un retour sur les concepts afin de clarifier le sens des mots et de se méfier des traductions parfois source de confusion. Prenons comme exemple la transition (en anglais) qui correspond en fait à la réversibilité (en français), liée aux possibilités d’agir à l’instant du changement de statut lié à la possession ou non du ballon.
Précisons que la transition en Français correspond au type de mouvement offensif choisi en fonction de l’endroit et du type de récupération du ballon : contre-attaque, attaque rapide ou attaque placée qui nous amène à une phase de conservation du ballon préparatoire qui peut conduire au jeu de possession…
Eric Roy sollicite alors les philosophes, les universitaires sans réellement faire la distinction entre les fonctions, pour préciser le sens que l’on donne aux mots en lien avec les actes accomplis, afin de les rendre accessibles à tous. Il n’a sans doute pas eu accès, durant sa formation, aux divers travaux déjà réalisés par nos universitaires et enseignants-chercheurs (cf. Dugrand, 1985 ; Gréhaigne, 1989 ; Menaut, 1982). C’était malheureusement une des responsabilités de la FFF, non réalisée à l’époque et toujours compliquée aujourd’hui. À qui peut-on le reprocher ?
À ce titre, il faut reconnaître que les auteurs qui ont transformé le ballon en « référentiel bondissant » ont causé beaucoup de torts. Le travail universitaire n’est pas fait à l’origine pour adopter un langage inaccessible à la majorité de la population. Dans notre domaine et nous espérons que c’est le cas dans d’autres, l’objectif premier de la recherche est la production de connaissances et de rendre les résultats des travaux lisibles et compréhensibles pour une majorité de lecteurs. En ce sens, les entraîneurs de football français bénéficieront grandement des études et des travaux, qui ont déjà été publiés et ceux qui le seront.
« L’objectif premier de la recherche est la production de connaissances et de rendre les résultats des travaux lisibles et compréhensibles pour une majorité de lecteurs »
Revenons sur la difficulté pour les entraineurs français à obtenir les diplômes, ce qui semble être un obstacle majeur. Cela ne paraît pas évident lorsque l’on sait que la FFF facilite l’accès aux diplômes pour les joueurs ayant eu le statut professionnel, avec des validations ou des minimas accordés au niveau de certaines notes. Pour d’autres, la longueur du processus provoque une arrivée tardive sur le marché du travail, à un âge avancé après une carrière de joueur professionnel accomplie.
D’où l’arrivée sur le marché de jeunes entraineurs, parfois étrangers, comme Will Still, Carles Martinez Novell ou encore Francesco Farioli, qui occupent les postes dans les clubs français. Ce qui semble difficile à accepter pour certains ex-joueurs professionnels, c’est que des joueurs amateurs puissent parvenir, souvent plus jeunes, à l’excellence dans le cadre de l’entraînement.
Mais tant qu’ils seront performants, la place leur sera acquise et il sera nécessaire d’accepter cette autre concurrence. Par ailleurs, il est certainement plus compliqué pour un entraîneur amateur de parvenir à avancer dans ce processus de reconnaissance s’il n’a pas les moyens financiers et le réseau, dont peuvent bénéficier les joueurs professionnels en carrière.
Rappelons que le long parcours à accomplir pour obtenir les diplômes a été mis en place par la Direction Technique Nationale. En France, pour échapper à la grogne, des équivalences ont été obtenues largement en faveur des ex-joueurs professionnels, et encore plus avec la fuite de l’État dans la mise en place du processus de certification. Enfin, que ces multiples étapes rapportent des sommes conséquentes à la FFF qu’elles redistribuent dans certaines actions ou campagnes fédérales.
L’autre préoccupation de nos entraineurs concerne la loi du marché et la présence de plus en plus d’entraîneurs, issus de différentes nations, ce qui est le cas dans n’importe quel secteur économique de toutes les activités développées à l’international. Pour cet aspect, la FFF semble suivre une vision stratégique dans la concurrence internationale. Les difficultés rencontrées par les entraineurs français pourraient s’expliquer par l’étranglement de l’accès à la formation des entraineurs.
Trop peu d’entraineurs peuvent accéder aujourd’hui au BEPF (environ une douzaine par saison), l’équivalent de l’UEFA Pro, laissant ainsi la porte ouverte aux techniciens étrangers détenteurs du fameux sésame pour être en conformité.
Ainsi, un technicien aussi compétent soit-il, ne pourra se voir offrir une opportunité professionnelle, sous peine que son club ait à s’acquitter d’une amende exorbitante (25 000 euros à chaque match). Par ailleurs, il conviendrait de questionner les termes de formation et de certification, puisqu’en France, l’étape la plus difficile statistiquement est celle de pouvoir accéder à la formation fédérale et pas forcément d’obtenir le diplôme.
D’autre part, entre le Brevet d’Entraineur de Football (UEFA A) et le Brevet d’Entraineur Professionnel de Football (UEFA Pro), vient s’intercaler un diplôme supplémentaire, le Diplôme d’Entraineur (DES) non reconnu par l’UEFA. Enfin, le certificat de formateur (Youth Elite), spécialité optionnelle de l’UEFA A, est devenu un diplôme à part entière au même titre que ceux destinés à l’entrainement des gardiens de but et à la préparation physique.
La fin de notre analyse sera consacrée à la communication, nouvelle compétence introduite dans les formations et incontournable dans la gestion d’une image de marque, du marketing. D. Degorre souligne qu’il existe un problème au niveau de la communication avec les médias.
Il cite quelques exemples d’entraineurs avec lesquels il est très difficile de communiquer, ce qui ne facilite pas les relations avec les médias, ce qui ne grandit pas leur image auprès des spectateurs et peut-être des décideurs. En dehors des raisons évoquées par F. Picot concernant les personnalités différentes des acteurs pour lesquels il est parfois difficile d’intégrer cette compétence professionnelle, nous reviendrons sur un historique pesant.
Ne parle-t-on pas là des séquelles encore apparentes de la relation catastrophique de certains journalistes spécialisés à l’époque du premier titre mondial de la France ? La formation actuelle des cadres intègre des cours de communication qui facilitent l’expression des entraîneurs. Mais ont-ils vraiment envie de parler football comme peut le faire l’entraineur actuel de l’Olympique Lyonnais, Pierre Sage, alors qu’une majorité des journalistes posent des questions uniquement sur les individualités marquantes. Nous parlons là d’un sport collectif où la priorité reste le jeu fourni par l’équipe. Cette responsabilité des médias, quels qu’ils soient joue un rôle déterminant dans les représentations qui sont véhiculées auprès de tous les passionnés de ce jeu et de la population.
Faire d’un sport collectif une affaire de star va à l’encontre de la logique. Il n’existe pas un sport même individuel aujourd’hui ou la performance d’un sportif n’est pas le fruit d’un travail collectif, d’une équipe entière qui assure son suivi. Paul Heim (1977) condamnait déjà cette attitude des journalistes et aujourd’hui des consultants à critiquer sans avoir toujours les éléments pour une évaluation objective, et cette individualisation de la performance collective. Comment peut-on mettre en concurrence un but réalisé à la suite d’une action collective sans failles, avec un but réalisé à la suite d’une gestuelle remarquable qui relève de l’esthétique.qyu
Il faut être fort mentalement pour relever le défi d’une carrière professionnelle de joueur. Malgré cela, l’expérience de joueur ne garantit en rien les compétences spécifiques et nécessaires à la fonction d’entraîneur et il n’est pas nécessaire d’avoir évolué au haut niveau en tant que joueur pour être un bon éducateur, formateur, entraîneur. Par ailleurs, le nombre d’équipes professionnelles n’est pas extensible et les places sont d’autant plus chères que la concurrence s’étend à l’international.
Il semblerait que les formations de cadres à l’étranger soient plus performantes ou mieux reconnues que la nôtre. Une majorité des entraineurs français qui ont brillé à l’international ont bénéficié d’une expérience à l’étranger avant ou après leur fin de carrière, d’autres ont complété leurs bagages de joueurs avec des formations universitaires, d’autres encore sont passés par le statut d’adjoint sous la houlette d’un entraineur expérimenté. Évincer par protectionnisme l’apport des enseignants d’EPS spécialistes football ou des universitaires spécialistes de l’activité n’est pas, d’après nous, la solution qui permettra de modifier l’image de marque défavorable de « l’entraîneur français de football ». De la collaboration de ces deux corporations jaillira la lumière.
Pour revenir à la question initiale « les coachs français n’ont plus la cote ? » on pourrait d’abord chercher à savoir si un jour ils ont eu la cote. En dehors de certaines figures de proue déjà évoquées, on ne peut pas vraiment dire que les entraineurs français ont globalement réussi à se construire un palmarès dans des clubs étrangers, même si certains comme Raynald Denoueix (Real Sociedad) ont laissé une trace forte de leur passage. Si nos formateurs semblent plus appréciés, cela ne suffit pas à leur apporter une reconnaissance favorisant leur accès à la tête de grandes équipes en France ou ailleurs.
Lorsque la notion d’effet de mode est mise en avant, il est nécessaire de faire un retour en arrière sur les processus de construction des tendances qui évoluent avec le temps. Comme précisé en amont les premiers entraineurs évoluant dans le championnat français étaient d’origine britannique ceci correspondant au développement de la pratique dans notre pays. Le courant passé des entraîneurs yougoslaves évoqué lors du webinaire était le fruit de l’influence de la théorisation des sports collectifs produite à l’origine dans les pays d’Europe de l’Est, dont Léon Teodorescu (Roumain) fut un ambassadeur auprès de nos spécialistes français des sports collectifs. Historiquement très performant dans tous les sports à cette époque la Yougoslavie était le fer de lance de cette force. L’éclatement du pays n’empêche pas d’avoir encore des équipes performantes comme la Croatie et plus modestement la Serbie voire la Slovénie. Cette partie de l’Europe reste toujours un fournisseur de grands joueurs qui s’exportent régulièrement dans les meilleurs clubs européens.
Puis les Allemands ont très vite occupé l’espace, grâce aux performances des équipes nationales, mais aussi en partie grâce à une formation universitaire efficace. Ils ont été recrutés sur tous les continents et ont occupé une place majeure avec les Hollandais qui bénéficiaient de l’image de marque du « football total » véhiculée par l’Ajax d’Amsterdam et la sélection nationale (des années 70-80). L’autre nation dont les entraineurs sont toujours prisés est l’Italie qui bénéficie d’une culture tactique ancestrale et où beaucoup de nos meilleurs joueurs français sont allés finir leur formation.
N’oublions pas que le football français s’est ouvert à la « tactique » dans les années 1970, par l’intermédiaire de Ștefan Kovács qui a dirigé l’équipe de France de 1973 à 1975 et dont l’adjoint était Michel Hidalgo, et un peu plus tard de Michel Platini, revenant d’Italie pour évoluer dans notre équipe nationale.
Si les Portugais sont à la mode aujourd’hui avec leurs collègues espagnols, il est inévitable de signaler que dans les deux cas, le monde universitaire occupe une place essentielle dans le processus de formation des entraineurs. Pour le Portugal, José Mourinho s’est positionné comme la tête de file de cette mouvance et la qualité de leur formation est indiscutable. Pour l’Espagne, les deux filières, fédérales et universitaires ont été réunies pour bonifier leurs formations et ils se sont même inspirés d’écrits universitaires français peu utilisés dans notre pays (2001).
La question émergente est de savoir si la FFF sera capable de prendre un virage déterminant dans l’ouverture d’esprit qu’elle devrait afficher. Depuis une vingtaine d’années les choses ont un peu évolué. Les échanges ont été rendus possibles avec certains entraineurs nationaux et nombre de cadres fédéraux sont passés à l’université et ont suivi un cursus STAPS. Cela nous amène à la seconde question de la formation des éducateurs, entraineurs, formateurs. Inévitable retour sur la méthode de formation des joueurs, sur ce que l’on doit chercher à faire acquérir et par quels moyens ?
Points forts de la formation des joueurs-ses, la structuration mise en place par la FFF, les structures d’accueil scolaires et l’organisation de regroupements des meilleurs pour extraire progressivement les joueurs et joueuses les plus talentueux-ses. Peu de nations ont cette organisation fonctionnelle de la détection des footballeurs-ses de haut niveau ; c’est un point fort de notre nation.
Deuxième aspect, sujet de polémique et qui est essentiel pour former des joueurs capables d’évoluer dans un football changeant, en lien avec les types de jeu prônés par les entraineurs et la nécessité de s’adapter tactiquement mais aussi avec les stratégies ponctuelles établies. Le type de pédagogie choisie pour équiper les pratiquants d’un maximum d’outils qu’ils pourront réinvestir dans la pratique. S’opposent alors la pédagogie des modèles d’exécution (PME), la pédagogie de modèles autoadaptatifs (PMAA) ou la pédagogie des modèles de décisions tactiques (PMDT). Il semble difficile pour être efficace de mettre en place un cocktail des différents types de pédagogie.
La première semble rester le cheval de bataille de la FFF même si les choses évoluent doucement, la seconde a perdu de son pouvoir avec les temps consacrés au football « sauvage » ou « de rue » de plus en plus réduits, et la troisième est toujours insuffisamment exploitée pour que nos jeunes disposent des atouts nécessaires à l’adaptabilité demandée par le jeu.
Si nous mettons en avant les objectifs à atteindre dans la formation des joueurs c’est bien évidemment car elle est incontournable à prendre en compte dans le processus de formation des éducateurs, formateurs et entraîneurs.
Non seulement il est impératif de revenir sur les concepts de base du jeu, et nous n’avons pas attendu l’Espagne pour évoquer, l’organisation du jeu, les systèmes de jeu, les types de jeu, l’occupation rationnelle du terrain, les déplacements dans les espaces libres, la circulation du ballon dans les intervalles, le bloc équipe, etc. Mais il est aussi primordial que la PMDT devienne le moteur principal du processus de formation, et cela nécessite une reconstruction du patrimoine des situations d’apprentissages à proposer pour favoriser les acquisitions signifiantes (qui ont du sens, une raison d’être, une intelligence pratique, une pertinence) des pratiquants.
Et nous n’avons pas suivi sans réfléchir certains perroquets avec leur « jeu dans la verticalité » alors que nous utilisons la profondeur depuis un siècle, nous ne sommes pas tombés dans le piège du « gegen-pressing » et nous avons produit des écrits pour rendre la culture tactique du football accessible à tous. Encore faudrait-il que ces écrits soient lus, ou qu’ils soient réellement intégrés dans le processus de formation des entraîneurs.
En ce qui concerne le niveau de notre championnat, les plus grands détracteurs sont les journalistes eux-mêmes dans leur perpétuel discours défaitiste, alors que les entraineurs étrangers travaillant en France reconnaissent la difficulté d’évoluer dans cette compétition. L’analyse des performances des clubs français ne peut pas oublier de prendre en compte les moyens financiers dont ils disposent au regard de l’énorme décalage qui existe avec d’autres pays. En effet, il est à noter le décalage entre les pays avec les dividendes issus des médias comme en Angleterre, de certaines personnes de haut rang (roi d’Espagne), des « socios » ou supporters comme en Espagne, en Italie ou au Portugal, de la bonne gestion des clubs comme en Allemagne ou des structures d’État comme au Moyen-Orient.
En France, la DNCG qui contrôle les finances des clubs professionnels, afin d’éviter les mises en liquidation judiciaire, est un organisme sécurisant nécessaire au bon fonctionnement de nos compétitions nationales. Il est impératif d’avoir une approche objective de la question en prenant en compte l’ensemble des facteurs qui pèsent sur la compétitivité.
Retour sur quelques raisons évoquées, par exemple sur l’idée que les entraîneurs recrutés par les clubs français sont souvent étrangers. Mais n’en est-il pas de même dans le championnat anglais considéré comme un des plus relevés du monde au regard des moyens financiers dont il dispose ? Combien d’étrangers exercent en Italie, au Portugal, en Espagne, en Allemagne ? Est-ce une question de rémunération, de reconnaissance ou simplement de priorité nationale ; ou encore une reconnaissance de la compétence ?
En ce qui concerne la connaissance des langues étrangères et prioritairement de l’anglais. Nous devons reconnaître que l’apprentissage des langues étrangères n’est pas le point fort de notre système éducatif, non d’un point de vue didactique, mais plus pour l’importance qu’on y accorde et des moyens qui y sont alloués.
Le manque de reconnaissance de l’Education Physique et Sportive, alors que la France est à la pointe des questions didactiques dans ce domaine, se traduit par l’image d’une nation peu sportive ou l’activité physique ne serait qu’une question de santé. Il faut aussi admettre que notre côté gaulois, irrévérencieux et franchouillard est parfois un obstacle à l’ouverture à l’international.
Et dans tous les cas, il serait bon d’échapper à un dernier aspect, évoqué par Yannick Stopyra (2024) : « Je me suis rendu compte aussi d’une chose, c’est que le français c’est un petit Napoléon. Il arrive, il n’y a que lui qui travaille bien, on a les meilleurs entraîneurs… Oui mais les autres, ils font quoi, ils te regardent. On donnerait presque des leçons… cependant, être parfois un peu humble, avoir un peu de respect, regarder ce qui se passe ailleurs, çà serait pas mal aussi ».
L’Institut National du Football (INF) de Vichy est créé en 1972 et transféré au Centre Technique National du Football à Clairefontaine (CTNF) en 1988. La première rencontre « officielle » de la FFF (DTN Gérard Houllier, initialement professeur d’anglais) avec le monde universitaire a lieu en juin 2009 à Clairefontaine, organisée par l’université Paris-Sud Orsay. Quelques collaborations voient le jour surtout dans le domaine de la préparation physique ou mentale, mais les chercheurs dans le domaine de la technologie des PPSA ne sont pas sollicités même si quelques travaux de recherches sont soutenus localement grâce au service bibliothécaire et audiovisuels du CNF Clairefontaine aujourd’hui. Il faut attendre septembre 2017 pour voir apparaître la « cellule innovation » et 2022 pour la création du Centre de recherche du CNF Clairefontaine sous la direction de Franck Thivilier.
Le Centre de Recherche de la FFF a été créé avec « une vision de la recherche orientée vers l’innovation pour expérimenter et développer et adapter les outils scientifiques qui pourront faire la différence demain. La richesse et la rigueur scientifique représenteront des gages de qualités pour l’ensemble des réponses qui pourront être apportées. » (cf. FFF.FR). Il est bien regrettable que les premiers chercheurs français dans le domaine du football dès la fin des années 1980 aient longtemps été laissés sur la touche.
Si l’on peut faire un parallèle avec la Fédération Française de Rugby, le centre national du rugby de Linas-Marcoussis est inauguré en 2002, et très rapidement se met en place une collaboration avec le monde universitaire dans le sillon des travaux de René Deleplace, relayés par Daniel Bouthier (directeur de recherche au CNR de 2002 à 2006) et concrétisés en amont par Pierre Villepreux, premier disciple qui développe la méthode au sein du Stade Toulousain. La volonté d’améliorer la performance en s’appuyant sur des travaux scientifiques bien orientés s’inscrit rapidement dans les démarches de la politique fédérale.En 2015 la cellule technique est mise en place et en 2016 est créé le « Département Recherche et Développement » actuellement sous la responsabilité de Julien Piscione.
La différence affichée entre ces deux fédérations de sports collectifs reposant sur une même origine, montre bien la différence de considération entre le football devenu professionnel dans la première partie du 20e siècle et le rugby à la fin des années 1990. Ce qui révèle une approche intellectuelle de la pratique bien différente et dommageable. En effet les expériences, aussi riches soient-elles et le partage sont bien plus productif que la prise de distance corporatiste.
De son côté, l’Association des Chercheurs Francophones de Football (ACFF, créée en 2006), dans sa volonté de mettre en avant les travaux réalisés par des chercheurs francophones confrontés à la recherche internationale, a sans doute commis l’erreur de ne pas s’ouvrir plus vers l’extérieur afin d’universaliser ses travaux. Là encore, une volonté de reconnaissance face au rejet du monde fédéral porte finalement préjudice à une éventuelle démonstration de la compétence française. Il est à noter que certains entraineurs français se sont approprié les travaux d’auteurs universitaires, sans les citer (plagiat ou malhonnêteté intellectuelle) pour valider leurs propos et gagner en notoriété. Apprenons de nos erreurs pour ne pas les reproduire…
Avant de conclure, nous allons tenter de répondre à l’idée avancée, par Eric Roy, de définir le terme d’adaptabilité lorsqu’il s’agit des entraîneurs de football entre autres. Un retour sur les travaux de Piaget nous ramène aux notions d’assimilation et d’accommodation qui nous semblent incontournables et nécessitent quelques lectures. Pour faire simple, nous présenterons certaines des caractéristiques qui nous paraissent correspondre à cette qualité ou compétence nécessaire à la fonction.
Être capable de s’adapter c’est, nous semble-t-il, avoir :
– la capacité d’agir ou de réagir face à une situation connue ou méconnue,
– la capacité de faire appel à ses connaissances et savoirs et à s’ouvrir vers les nouveaux apports scientifiques dans les différents domaines consacrés à notre pratique,
– la capacité à déléguer et à confier le travail à des collaborateurs spécialisés dans un domaine qui ne nous est pas familier,
– la capacité à gérer un groupe de joueurs ou de joueuses guidés-ées vers un objectif commun en étant confronté à des motivations spécifiques et à des problèmes individuels et personnalisés,
– la capacité à fonctionner sous la dépendance d’un employeur qui a des objectifs de performances parfois en décalage avec les moyens dont on dispose,
– la capacité à collaborer avec une équipe technique et médicale et à s’adjoindre un collaborateur proche qui a les mêmes conceptions que vous,
– la capacité à faire évoluer la stratégie établie avant un match en fonction du rapport d’opposition et des contraintes subies. Cela nécessite en amont d’avoir développé des qualités d’observateur pour analyser rapidement la situation et passer les consignes pertinentes,
– la capacité à faire adhérer les joueuses ou joueurs à vos choix en argumentant à partir d’une évaluation objective des performances
– la capacité à communiquer avec un monde médiatique diversifié, parfois issu du sérail, élogieux quand vous gagnez et impitoyable quand vous perdez,
– la capacité à subir les aléas du métier qui s’exerce dans un monde impitoyable où l’ami d’un jour est l’ennemi du lendemain,
– la capacité à se remettre en cause et à admettre les erreurs qui font partie du parcours et de la mise en compétition.
Sans doute que la liste pourrait s’élargir avec la participation de certains spécialistes de la question…
Dans la famille du football, les tensions qui existent depuis bien longtemps entre le monde de l’éducation, universitaire, et le monde associatif dès que l’on touche au haut niveau sont bien regrettables. Les compétences des uns et des autres partagées et réunies apporteraient sans aucun doute un nouvel élan dans la reconnaissance de nos cadres de haut niveau à l’international.
Les motivations premières qui ont provoqué cette distanciation sont louables dans les deux cas, mais cette guéguerre institutionnelle a finalement plus porté préjudice aux deux protagonistes qu’elle ne les a aidés à avancer vers la lumière.
Pourtant certains footballeurs universitaires ont un curriculum bien plus étoffé qu’on ne le pense dans le domaine de l’encadrement des équipes de jeunes, mais aussi d’adultes femme et/ou homme. Pour certains, le palmarès est remarquable même s’ils ne brillent pas au firmament. Ils ont parfois aussi connu l’échec ce qui, parait-il, contribue à la formation complète des entraineurs qui aurait oublié la notion d’humilité.
Alors même si les résistances sont encore fortes, les espoirs produits depuis l’accès récent dans le monde fédéral de jeunes cadres formés à l’université dans le domaine des Sciences et techniques des Activités physiques et sportives (STAPS), peuvent nous faire espérer une amélioration des choses.
La France semble rester un des rares pays européens à ne pas intégrer dans la formation de ses entraineurs de football de haut niveau un passage obligatoire par l’université, afin d’ouvrir les esprits à la confrontation des modes de pensée, aux remises en cause, à l’acceptation de la critique et au débat. Mais aussi à approfondir les méthodes pédagogiques utilisées dans l’entrainement afin de ne pas se contenter de contenus vulgarisés, parfois même vidés de leur sens, ne correspondant pas à la réalité du terrain et du jeu.
Il nous semble que c’est un élément non négligeable de la reconnaissance à l’international. Certainement pas l’unique, mais il s’ajoute à toutes les raisons évoquées par chacun des intervenants qui ont apporté leurs réflexions au cours de ce webinaire.
Nous terminerons par les mots du regretté Joseph Mercier (1973, p. 86) : « L’entraînement s’oriente donc vers cette étroite collaboration entre l’homme de terrain que l’expérience enrichit, que l’empirisme guide, mais ne peut échapper à l’évolution scientifique, ni s’en désintéresser, et ces hommes de laboratoire que ne peut laisser insensibles le développement complet du jeu sportif, dans le cadre d’une activité plaisante qui participe à son éducation d’homme ».
Manifestement, cette idée met son temps à faire son chemin au sein de la DTN.
Personnalités ayant participé à ce webinaire :
Raymond Domenech, ex-sélectionneur de l’équipe de France, entraîneur National et ex-Président de l’UNECATEF
Luka Elsner, entraineur professionnel de football – Havre AC
Éric Roy, entraineur professionnel de football – Stade Brestois 29
Damien Comolli, président du Toulouse FC
Olivier Dall’Oglio, entraineur professionnel de football – AS Saint-Étienne
Sébastien Desabre, sélectionneur de l’équipe de la République démocratique du Congo
Fabrice Picot, agent de joueurs
Damien Degorre, journaliste au journal l’Équipe
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Dugrand, M. (1989). Football de la transparence à la complexité. Presses Universitaires de France, Paris
Duprat E. (2007). « Le football français : un système cohérent ». Revue « Contre-Pied » n° 10, France.
Gréhaigne, J.-F. (1989). Football de mouvement : vers une approche systémique du jeu. Thèse de Doctorat. Université de Dijon.
Gréhaigne, J.-F. (2001). La organización del juego en el futbol. Barcelona : INDE.
Gréhaigne, J.-F. (2022). Les mots du foot : Dictionnaire culturel. Paris : Atlande.
Grün, L. (1999). L’émergence de la profession d’entraîneur et l’évolution de l’entraînement en football entre 1900 et 1970. Mémoire de D.E.A. non publié, Université de Metz.
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Mercier, J. (1973). Le football. Collection Que sais-je ? Presses Universitaires de France, Paris
Stopyra Y. (2024). Émission « Grand témoin » BordoFM.
UNECATEF (2024). Les coachs français n’ont plus la cote. Consulté le 11/04/2024 à l’adresse https://youtube.com/watch?v=_OYxkJhegJA