Proposition théorique de Eric Duprat, entraineur de football (DES), professeur agrégé d’EPS, retraité de l’Université d’Évry Val d’Essonne et © Jean-Francis Gréhaigne, professeur des Universités honoraire en STAPS de l’Université Bourgogne Franche-Comté.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Bien que notre société soit inondée d’images de football d’une qualité de plus en plus irréprochable, les mots écrits ou dits ont toujours leur importance. Sans eux, une démarche visant le développement de connaissances n’est pas complète. Seul bémol, le langage sportif courant tend plutôt à s’appauvrir. Pire, il se noie dans une inflation des poncifs peu utiles voire de connotation militaire.
Ici, le fait d’affirmer simplement qu’un mot signifie quelque chose de précis est une opération qui vise à donner une idée la plus juste possible de la réalité du jeu. Aussi, dans cet article nous allons examiner successivement les emplois des concepts de réversibilité, de réciprocité et de transition dans leurs aspects théoriques et tactiques en football afin de clarifier les confusions possibles.
Nous avons déjà cherché à sensibiliser les acteurs du football sur les risques d’un usage inadapté de certains termes. Les divers médias sont évidemment au premier plan de cette problématique puisqu’ils sont les vecteurs essentiels de tout ce qui concerne cette belle pratique sportive qu’est le football. Belle par les émotions qu’elle procure des plus jeunes aux plus anciens. Belle par sa richesse éducative et d’épanouissement personnel. Belle par sa complexité et le défi de réduction d’incertitude.
Belle parce que c’est un « jeu » comme se plaisait à le dire Joseph Mercier (1966, p.28) « Ni art, ni science, seulement jeu, mais quel jeu ». Et tout au long de sa vie, l’être humain se plait à jouer et à affronter ses congénères dans un contexte sécuritaire précisé par les lois du jeu. Pratique parfois moins belle, voire affreuse, lorsqu’elle affiche des comportements humains inadaptés sur ou en dehors du terrain ; ou lorsque les enjeux économiques dépassent les limites, d’ailleurs non posées, d’où les débordements.
Nous tenons à insister sur la responsabilité des journalistes sportifs spécialisés, des consultants, des entraîneurs interrogés, qui diffusent largement les informations qui nourrissent les passions. Nous avons déjà participé à divers débats d’idées concernant un certain nombre de termes passés à tort dans le langage commun d’une pratique qui représente un outil éducatif d’une grande richesse et qu’il est impératif de protéger des contresens.
Parfois issus d’une traduction inadéquate, d’une conceptualisation non aboutie ou d’un effet de mode, les termes utilisés peuvent perdre de leur sens et/ou de leur pertinence.
C’est ainsi que par exemple nous avons attiré l’attention des spécialistes sur la notion de « verticalité » (mai et novembre 2023), abondamment et maladroitement utilisée au regard de la langue française. Comment peut-on généraliser cette image de hauteur, qui correspond au jeu aérien lorsqu’on veut parler du jeu favorisant la progression vers le but adverse, la cible à atteindre pour marquer ? Comment peut-on par mimétisme utiliser ce mot bien que traditionnellement, et depuis longtemps, le terme de « profondeur » est entendu par tous les acteurs de la pratique dans notre pays ?
C’est aussi pour cela que nous nous sommes posé la question de l’utilisation du terme de « contre-pressing » (Duprat & Gréhaigne, 2023) largement utilisé, mais produisant un contresens majeur dans l’utilisation de notre langue. Nous rappellerons succinctement que contrer le pressing est une action défensive visant la récupération du ballon et ne peut concerner qu’une action offensive et non défensive.
Qu’à ce titre, il existe plusieurs types de pressing qui s’exercent a priori dès la perte du ballon lorsqu’on se situe en attaque donc majoritairement dans le terrain adverse et plutôt en partie haute, proche du but adverse. Que cette volonté initiale de récupérer au plus tôt le ballon grâce à une défense agressive peut se faire en premier à la suite d’une perte de la possession du ballon, se traduisant par une phase statique (touche, CPB, CF) en faveur des adversaires.
Les joueurs disposent alors d’un laps de temps favorable au repositionnement et à la prise en charge des adversaires. Le second cas se situant dans la continuité du jeu où la « réactivité » des joueurs devient prépondérante pour presser immédiatement le porteur du ballon et ses partenaires proches ce qui n’est pas chose aisée comme on peut le voir parfois au très haut niveau. Il n’existait pas de termes pour qualifier la situation ou le pressing s’exerce systématiquement et immédiatement après la perte du ballon, quelle que soit la zone sur le terrain. D’où notre proposition du « sur-pressing » plus adapté à la langue française et correspondant à la caractérisation d’une évolution de la pratique du jeu.
Il en est de même pour le mot « démarquage » qui n’a de sens qui si un marquage préalable existe. Or la défense de zone ayant fait des émules et s’étant généralisée, le quadrillage du terrain et la volonté de couper les trajectoires de passes ont relégué le marquage individuel au second plan. Cela n’est pas sans poser certains problèmes à l’approche du but que l’on défend lorsqu’un ou deux attaquants se trouvent libre d’agir. Ceux-là mêmes qui exploitent les déplacements dans les « espaces libres » et se rendent accessibles en enclenchant leur appel de balle « au bon moment » et en dehors du champ visuel de leur adversaire le plus proche.
C’est sans doute ce qui est à l’origine de la mise en place du « sur-pressing » où l’accent est porté sur la prise en charge d’un adversaire direct, le marquage, afin de pousser les attaquants à la faute au plus tôt après la perte du ballon. Nous revenons donc à une prise au marquage effectuée en position haute, qui permet de s’appuyer sur la loi du hors-jeu, empêche les adversaires de s’approcher de notre but et provoque une récupération plus rapprochée de la cible à atteindre.
Cette rigueur dans la lutte pour s’approprier le ballon qui se réalisait traditionnellement proche de son propre but est parfois encore mise en place par certaines équipes lorsque le rapport de force leur est trop défavorable. Certaines font d’ailleurs le choix de densifier leur zone de vérité défensive tout en restant en zone ce qui ne favorise pas le spectacle, mais ne règle pas toujours leur problème.
La notion de « transition » à son tour, apparaît également comme un « fourre-tout » bien utile dans lequel chacun peut présenter des idées concernant essentiellement la phase offensive développée suite à une récupération du ballon. Mais il nous semble essentiel de préciser le sujet abordé, et le concept de « réversibilité » s’invite à la table des négociations…
La réversibilité constitue la propriété d’un processus pouvant également fonctionner si on permute les rôles des éléments d’entrée et de sortie (CNRTL, 2020). Dans le jeu, cela renvoie au passage du statut d’attaquant à celui de défenseur avec la perte ou le gain du ballon. Cette phase rend nécessaire pour les joueurs une observation continuelle des évolutions des configurations du jeu pour faire face à toutes éventualités.
Par exemple, d’un point de vue défensif, il est décisif qu’ils reconnaissent les indices du moment où ils peuvent récupérer le ballon rapidement et/ou quand ils doivent rester dans la défensive. Ainsi, les joueurs doivent comprendre leur rôle au sein du groupe et la meilleure façon de dépasser les problèmes posés par la réversibilité avec rapidité et cohésion.
Nous pouvons également noter que la réversibilité est la capacité que possède le joueur quand il est capable de concevoir que toute action a son inverse. Indépendamment des transformations actuelles de la forme de jeu, celle-ci pourra retrouver une forme antérieure. Piaget (1957) caractérisait la réversibilité comme la capacité d’exécuter une même action dans les deux sens mais en ayant conscience qu’il s’agit de la même action. Au plan général, Piaget (1974) ajoutait que la réversibilité opératoire constitue un mécanisme essentiel des opérations mentales, qui permet de réaliser des relations d’inversion et de réciprocité entre différents éléments.
Pour les éducateurs de football ou les formateurs, ce concept devrait occuper une place essentielle, car c’est à cet instant de la perte ou du gain du ballon que beaucoup de choses se passent ou bien se jouent. Nous savons tous que la capacité de réagir à cet instant crucial est un facteur prépondérant dans la réussite du mouvement qui suit.
Mais il ne faut pas oublier que cela concerne autant le mouvement offensif qui suit pour progresser vers la cible et marquer que le repositionnement défensif du collectif afin de protéger son propre but et de récupérer le ballon pour repartir de l’avant.
L’analyse des opportunités créées par ce changement de statut est dépendante de la notion de « configuration du jeu » issue des travaux de Gréhaigne (2007). L’évolution des configurations momentanées du jeu doit être recherchée dans les configurations précédentes, le contour du dispositif défensif ainsi que les effets et les choix tactiques qu’ils ont entraînés. Dans cette intrication d’événements, les termes « réversibilité », « réciprocité » et « transition » recouvrent des concepts qui prêtent souvent à confusion lorsqu’on a recours à une approche technologique des sports collectifs (Bouthier, 1993 ; Bouthier & Durey, 1994).
Ces notions sont constamment employées, l’une pour l’autre, sans problème. Cependant, la mise en mots et la formulation des problèmes posés par les sports d’équipes doivent être précises pour éviter les difficultés d’un échange en l’absence d’un vocabulaire précis. En effet, une verbalisation s’appuyant sur des concepts clairement définis facilite la réflexion et l’observation. En s’appuyant sur des données fiables, il est possible de mener un échange fructueux entre entraîneurs dans un séminaire, entre joueurs dans un débat et surtout dans les relations entraîneurs-joueurs.
Ici, le fait d’affirmer simplement qu’un mot signifie quelque chose de précis est une opération qui vise à donner une idée la plus juste possible de la réalité du jeu. Si l’on s’entend sur ce terme de « configuration du jeu », schématisé par l’idée d’une photographie à l’instant T de la perte du ballon, illustrant les positions des joueurs sur l’espace de jeu, les orientations des déplacements éventuelles et l’estimation des distances possible à parcourir en lien avec la vitesse, nous pouvons aborder le terme de réversibilité. Celui-ci permet d’anticiper ou de prévoir les réactions possibles des acteurs du jeu dans le déroulement des actions à venir. La priorité est logiquement de prendre en compte l’équipe qui s’approprie le ballon, dans la continuité du jeu, afin d’appréhender les enchaînements possibles permettant de profiter du déséquilibre structurel ou organisationnel que cela provoque chez l’adversaire.
Ici, la « réactivité » que nous définirons dans ce cas, comme la capacité de chacun à réagir à ce changement de statut dans un laps de temps le plus court possible, est un facteur déterminant dans la réussite.
Le projet de jeu stratégique établi en amont pour cet instant crucial peut proposer diverses alternatives. N’oublions pas de préciser que la position sur le terrain de cet événement (artefact) du jeu en termes d’éloignement de la cible à atteindre représente un facteur primordial dans la suite du mouvement. Soit, l’idée de base est de produire une action offensive la plus rapide possible afin de profiter des espaces libres et de ceux qui s’ouvrent. Alors nous retrouvons la notion de « contre-attaque » qui se traduit par une utilisation la plus rapide possible du jeu dans la profondeur, direct ou indirect, pour un ballon récupéré dans la partie proche de notre propre but. Ou alors, toujours dans cette optique, le ballon est récupéré dans la partie médiane du terrain et la notion « d’attaque rapide » combinant la largeur et la profondeur est mise en œuvre. Soit, l’idée de base est de passer par une phase de possession, d’améliorer sa propre position, d’accumuler des supériorités qui, isolées, paraissent insignifiantes pour l’adversaire, par opposition à une tentative de gain direct et le mouvement qui suit s’orientera vers une « attaque placée » suite à une phase de sécurisation de la possession du ballon.
Comme nous pouvons le voir, les termes traditionnels en lien avec les types de mouvements collectifs existent déjà et il suffit de les repositionner dans l’utilisation de termes génériques nouveaux pour illustrer simplement les alternatives exploitables.
Mais il ne faut pas oublier que la notion de « transition » est aussi présente dans le secteur défensif puisque la réversibilité s’exerce pour tous les acteurs du jeu lors du changement de statut. Nous retrouvons là aussi divers moyens de réagir tous en lien direct avec la configuration du jeu et les choix stratégiques préalables et tactiques à mettre en œuvre à l’instant T. La réactivité immédiate est souhaitée pour se repositionner et retrouver un équilibre défensif limitant les risques et favorisant la récupération du ballon. Différents types d’organisation de la défense existent (de la défense individuelle à la défense de zone en passant par les types de défense mixtes, auxquels s’ajoute la volonté de récupérer le ballon immédiatement ou d’attendre la phase de repositionnement pour se lancer dans la reconquête du ballon).
Pour que tout cela fonctionne, l’unité de l’équipe est fondée sur la réciprocité médiée : le projet de chaque joueur converge vers celui des autres et le projet du groupe devient celui de chacun. Cette mécanique engendre un mouvement d’intégration de chaque joueur, gage de la pérennité de l’équipe (Sartre, 1960).
Par définition, la réciprocité des phénomènes est un concept relationnel. Prise dans un sens très général, la réciprocité réfère à un état ou une relation impliquant une action ou influence mutuelle. C’est le fait pour deux entités d’interagir et de maintenir des échanges mutuels qui servent de fondement à leur relation.
En sport collectif, la réciprocité entre joueurs et entre équipes se définit par leur capacité à interagir et à maintenir des échanges. La réciprocité comporte également des activités qui permettent de répondre ou de réagir de manière appropriée aux avantages ou aux préjudices produits par les actions réciproques. Quand la continuité du jeu est assurée, il y a aussi une dimension proactive qui suppose d’anticiper et de favoriser des actions à venir voir rétroactives qui implique de restaurer et maintenir un certain équilibre après un phénomène inattendu qui a émergé.
Par exemple, si l’équipe A attaque avec un jeu étalé en largeur, soit la défense de l’équipe B est bien en place et attend la suite des opérations laissant à la cellule de l’action de pointe le soin de régler le problème temporaire, soit la défense se déforme en largeur pour s’adapter à cette nouvelle donne. En revanche, si l’on réussit à imposer son jeu à l’adversaire, on a souvent un coup d’avance car la réaction réciproque fournie par l’équipe adverse sous forme d’adaptation ou non, est toujours en retard.
Dans une approche « locale », ce sont les interactions joueurs – contexte, qui font émerger l’équilibre de chaque structure collective. Dans ce cas, chez chacun des deux adversaires, ces formes de réciprocité se définissent comme la capacité d’un ou plusieurs joueurs à interagir et à maintenir ou non ces échanges. Cela suppose également la maîtrise des effets de réciprocité entre le système match et les différents sous-systèmes impliqués dans l’action. Ce concept de réciprocité ininterrompue souligne que pour bien comprendre les manœuvres en cours et la transformation des configurations du jeu, il faut toujours saisir ensemble le mouvement du ballon et le mouvement correspondant des joueurs, dans une nécessaire réciprocité.
Pour Deleplace (1979), il faut saisir le mouvement correspondant, de chacun des deux antagonistes dans une nécessaire réciprocité. À cet effet, dans le système des matrices, il y a une « matrice offensive » – choisir une manière de pénétrer dans le dispositif défensif adverse en jouant au sol ou en l’air – et une « matrice défensive » – se distribuer collectivement entre défense sur l’homme, défense sur la balle – avec une réciprocité logique entre ces deux matrices.
Il est aussi décisif pour l’entraîneur, d’avoir toujours présent à l’esprit que le joueur a des réactions émotives, en même temps qu’il déploie une véritable activité cognitive. Ainsi, les rapports de réciprocité sont décisifs entre la cognition et la motricité mais il ne faut pas oublier d’y incorporer les problèmes de réciprocité liés aux aspects affectifs. C’est le principe des actions réciproques où toute action de l’équipe A sur l’équipe B entraîne une réaction de l’équipe B sur l’équipe A.
Aussi, contrairement à une conception didactique habituelle du football, cette nécessaire réciprocité souligne que les rapports à l’adversaire sont plus décisifs que le rapport aux objets de la technique ou aux rapports des partenaires entre eux. Alors, tant pour l’initiation et surtout pour le perfectionnement, cette réalité profonde du jeu doit être respectée à l’entraînement : l’obstacle réel, articulé et changeant, que l’adversaire propose sur le chemin du but est à faire expérimenter dès le plus jeune âge. Avec ce concept de réciprocité, l’objectif est au moins de montrer qu’au-delà des asymétries dans les comportements possibles des joueurs, que l’élément le plus critique dans ces rapports est lié à la nature des réciprocités et à la portée des implications affectives qu’elles suscitent.
Dans la continuité de notre démarche, il nous est apparu nécessaire de revenir sur le terme largement utilisé actuellement : « la transition ».
Transition de phases ou jeu de transition, ce concept de transition prend depuis quelques années une place croissante dans la réflexion sur l’action. La transition désigne « un processus de transformation au cours duquel un système passe d’un régime d’équilibre à un autre » (CNRTL, 2020). La transition n’est donc pas un simple ajustement mais une reconfiguration fondamentale du fonctionnement et de l’organisation du système.
Les transitions sont des moments qui présentent un grand intérêt dans un sport comme le football. Les matchs sont gagnés et perdus en fonction de la capacité d’une équipe à conserver une bonne organisation offensive ou défensive dans différentes phases de jeu. Cependant, l’équilibre et/ou le déséquilibre des rapports d’opposition est souvent influencé par les choix, la densité des joueurs, et fréquemment cela se joue en quelques fractions de seconde.
Une telle situation est, aussi, bien illustrée avec la notion de transition de phases qui, pareillement, n’acquiert pas un sens précis qu’au moment de la bascule du jeu entre deux configurations avec, par exemple, un long changement d’aile. Pour la circonstance, cette rupture souligne la notion de transition par rapport à la phase précédente mais aussi d’une éventuelle transition avec la phase à venir. Continuité et rupture sont au cœur de ces transitions et constituent des aspects importants des influences réciproques entre les phases de jeu que le joueur doit décoder et interpréter pour agir.
Ainsi, le jeu de transition consiste en la conservation de la balle dans la remontée du ballon vers le camp adverse permettant un enchaînement entre la récupération de la balle et un développement du jeu en vue d’atteindre la cible adverse. Suivant la configuration défensive du moment, le jeu de transition peut prendre la forme d’une contre-attaque, d’une attaque rapide ou d’une attaque de position, attaque placée, face à une défense déjà bien réorganisée. La contre-attaque succède à une récupération du ballon proche de son propre but (Zone de Vérité Défensive) dans la continuité du jeu. Elle est caractérisée par une grande vitesse, un nombre réduit de passes et une supériorité numérique provoquée rapidement ou, au moins, par un positionnement avantageux des attaquants. Le fait de marquer un but lors d’une contre-attaque détermine le renoncement aux autres phases de l’attaque.
L’attaque rapide fait suite à un ballon récupéré dans la zone médiane, toujours dans la continuité du jeu. Le passage rapide en zone d’attaque (zone de vérité offensive) implique que l’équipe qui vient de récupérer le ballon profite de la désorganisation momentanée des adversaires pour atteindre rapidement la cible. On recherchera en priorité le jeu dans le couloir de jeu direct et/ou l’utilisation de la profondeur.
L’utilisation du jeu long transversal peut, aussi, transformer rapidement les configurations du jeu. Le jeu doit être rapide et demande des déplacements adaptés et coordonnés avec au plus trois à six échanges de la balle. Jouer vite vers l’avant ne veut pas dire que tous les joueurs, notamment les attaquants doivent courir droit vers le but adverse, l’objectif est de proposer des appuis démarqués avec un jeu express en peu de touches de balle.
Le passage lent en zone d’attaque, face à une défense en barrage renvoie à la notion d’attaque placée. Ces situations d’attaque placée sont celles que l’on retrouve le plus souvent dans un match de football lors d’une récupération par phase statique (touche, coup de pied de but, coup franc). L’attaque fait alors face à une défense organisée et replacée entre le ballon et la cible. Elle peut découler d’une récupération dans la continuité du jeu lorsque l’équipe conserve le ballon et passe dans une phase de possession (jeu de position) avant de reconstruire son attaque. Afin de déséquilibrer le bloc défensif adverse, les attaquants vont devoir, d’abord conserver la balle tout en progressant dans la défense.
Pour réussir, l’attaque placée demande des mouvements et des déplacements organisés. La conservation du ballon est la clé de voûte du succès avec l’apport permanent de propositions de solutions par les partenaires ce qui permet une circulation de la balle en toute sécurité. Le passage lent en zone d’attaque est constitué souvent par du jeu court avec une montée patiente de l’ensemble de l’équipe. Elle est suivie par les mouvements des joueurs et la circulation du ballon en vue de créer un déséquilibre dans la défense par une accélération finale. Le modèle de jeu en contraction se retrouve souvent dans un affrontement sur espace stabilisé près de la cible avec une densité importante de joueurs.
Les phases de transition sont très importantes à repérer entre un jeu stabilisé dans la zone de défense et ce même jeu stabilisé dans la zone d’attaque car on va souvent d’une compression vers une expansion et vice versa. Il existe une relation simple entre dispersion, densité et distance : plus la distance entre les joueurs augmente, plus la densité diminue et plus la dispersion augmente jusqu’à une limite où elle deviendrait presque constante. Dans la réalité, densité (variable plutôt qualitative) et dispersion / concentration (variables plutôt quantitatives) fonctionnent à l’intérieur de possibilités définies que sont les limites extérieures de l’aire de jeu utilisée. Dans une séquence de jeu, il peut exister, au même moment, une concentration dans certains endroits du terrain et une dispersion dans d’autres (Gréhaigne, 2018). Une autre caractéristique de la circulation des joueurs est qu’elle peut être à la fois très rapide mais entrecoupée d’une succession d’arrêts.
S’y ajoute la notion de démarquage qui ne va pas sans la maîtrise des notions de soutien ou d’appui à un partenaire et de création ou d’exploitation d’un temps d’avance qui traduisent l’utilisation des espaces libres. Le démarquage n’est effectif que lorsque le porteur de balle a vu le mouvement de son partenaire et que celui-ci se trouve à distance de passe. Ainsi, le joueur sous pression, qui récupère le ballon, peut le jouer vite par une passe courte vers un partenaire qu’il voit le mieux. Ce partenaire se trouve soit en soutien ou en appui proche. La feinte, le contre-appel ou le mouvement de démarquage doivent être effectués avant que le partenaire prenne le renseignement visuel. Il est donc fondamental de synchroniser les mouvements de feinte sur l’adversaire et de démarquage avec les temps du porteur de balle. Le ou les réceptionneurs éventuels doivent aller se placer dans une « zone libre » ou « peu occupée ». On peut aussi demander aux joueurs sans ballon de se déplacer rapidement sur quelques mètres pour se distancer des adversaires.
La connaissance et la maîtrise de ces liens d’opposition soulignent que l’on peut analyser le jeu en faisant attention aux détails et qu’il est parfaitement possible de parvenir à les formuler pour une mise en œuvre consciente et méthodique. Ces liens ont comme principe opératoire en football, la diversité entre le jeu aérien et le jeu au sol ; le jeu collectif en passe ou le jeu individuel en conduite de balle.
D’un point de vue offensif, nous possédons avec ce rapport de réciprocité, une perception claire que permet le mouvement général en relation avec la fluctuation continuelle de la distribution des acteurs sur le terrain. Ces qualités tactiques sont souvent considérées comme instinctives, voire innées, mais elles relèvent en fait des apprentissages issus de la formation et de l’expérience.
En football, l’échec d’une attaque en première main représente souvent un moment clé, car il peut avoir pour conséquence la récupération du ballon par les défenseurs dans de bonnes conditions ou entraîne la nécessité de se réorganiser pour enchaîner vers une nouvelle attaque (Duprat, 2005). Avec cette nouvelle phase, les réponses d’un système non linéaire une fois que le seuil critique d’écart à l’équilibre a été franchi vont provoquer des perturbations encore plus importantes de cet état (Gréhaigne & Godbout, 2014).
Par exemple, examinons le comportement qui accompagne l’apparition de cette nouvelle attaque. À ce moment, le changement de certaines propriétés comme la concentration de joueurs à un endroit du terrain, le sens et la vitesse du ballon posent d’autres problèmes : la défense va donc développer des mécanismes pour tenter d’amortir cette nouvelle perturbation. En barrage, à égalité (à l’intérieur ou à l’extérieur) ou à la poursuite pour la défense, position en avance, à égalité (à l’intérieur ou à l’extérieur), ou en retard pour l’attaque, arrêts ou mouvements deviennent des éléments clés de la prise d’information.
Un second phénomène peut arriver car au lieu d’évoluer vers un état plus stable, le jeu peut exécuter des oscillations, dont les propriétés (contraction, expansion, périodes, etc.) ne dépendent plus des caractéristiques internes du système (choix, référentiel, décision). D’où parfois des phénomènes émergents apparaissent : les phénomènes émergents sont des phénomènes imprévisibles, voire inexpliqués, qui prennent la forme d’entités originales (Walliser, 1977 ; 2006). Cette émergence est consécutive à un phénomène inattendu et entraîne une perturbation plus ou moins profonde de l’affrontement.
On observe, néanmoins, que la même configuration peut émerger en partant d’états initiaux fort différents. Cette propriété reflète la stabilité de certains comportements périodiques du système avec l’apparition de ce type de mouvements, le système est confronté à la notion du temps et à la notion de transition entre les phases de jeu car ce nouveau cycle a brisé les symétries temporelles. Ainsi, loin de l’équilibre, les systèmes non linéaires peuvent présenter de façon spontanée des comportements qui peuvent conduire à de l’auto-organisation et à une certaine forme de stabilité temporaire. Les configurations prototypiques sont un exemple patent de ce type de comportements.
Que se passe-t-il au-delà de cette phase de jeu ? La réponse à cette question repose sur la notion de cascades de décisions (Deleplace, 1979) produites lorsque l’on contrôle simultanément les paramètres principaux du jeu. Ici, il s’agit bien de résoudre en acte et avec ses équipiers des cascades de problèmes non prévus a priori dans leur ordre d’apparition, leur fréquence et leur complexité.
Ces relations d’opposition peuvent donner lieu à une variété des formes, caractérisées par des ruptures successives de symétrie conduisant à des asymétries spatiales ou temporelles très prononcées. On peut noter également des comportements inattendus avec l’apparition de comportements chaotiques dans l’espace ou dans le temps. Néanmoins, les conditions qui président à la récupération du ballon, son lieu et le dispositif adverse donnent une forme à l’attaque en première main qu’elle conservera généralement jusqu’à son succès ou son échec.
L’objectif de cet article était de discuter la pertinence des mots à propos de l’enseignement du football. Dans cette optique, il est à noter que les principes de jeu et les « matrices d’action » (Gréhaigne,2022) pour l’attaque et la défense sont particulièrement utiles pour développer un référentiel commun dans l’équipe et anticiper l’évolution des rapports de forces dans un système en équilibre ou pas (Gréhaigne, Caty, Billard, & Chateau, 2005).
La logique qui a présidé à la construction de cette analyse vise aussi à tenir compte des rapports d’opposition dans un match de sport collectif. Ceux-ci constituent une trame dynamique de transformation où la réversibilité souligne l’immédiateté du passage d’attaquant à défenseur et met en évidence la notion de situation à double effet ainsi que les effets de réciprocité entre les niveaux de l’action (Gréhaigne, 1989 ; 1992).
En football, il faut préserver ce caractère continu et fondamentalement réversible du jeu, les joueurs étant tour à tour, défenseurs ou attaquants, dominants / dominés en fonction du rapport de forces et des configurations du jeu. Ces différentes caractéristiques permettent de bien situer les choix qui devraient sous-tendre une conception du jeu.
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