Propositions et réflexions d’Alilou ISSA (NOSOTROS) et Mickaël BOULLY, entraîneur de football professionnel, spécialiste des gardiens de but (Paris FC).
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
La perception du rôle de gardien de but a évolué ces dernières années. Nous sommes passés d’un gardien unidimensionnel (1D) à un gardien tridimensionnel (3D). Aujourd’hui les principales fonctions remplies par un gardien de but sont associées à la possession du ballon par son équipe, les transitions, la gestion des espaces et la défense de son but.
Ce sont les idées développées par l’entraineur principal lorsque son équipe à le ballon, mais aussi la dynamique du jeu, qui conditionneront le positionnement tactique du gardien, son comportement en transition et le système d’apprentissage développé par l’entraineur spécialiste de ce rôle, afin d’aider le gardien de but à prendre les décisions les plus adaptées à chaque situation et à les exécuter.
On peut donc considérer qu’au cours d’un match de football, un gardien de but est impliqué dans trois types de tâches complexes ou trois dimensions :
Dès le coup d’envoi et pour chaque tâche, il devra être prêt à percevoir les multiples sources d’informations contextuelles pertinentes, décider et exécuter les actions qui y sont associées, de manière optimale (figure 1). Par ailleurs, sa capacité à faire la transition entre chaque tâche, en fonction de l’évolution des rapports d’opposition, sera aussi fondamentale.
Cela signifie aussi qu’il devra, au préalable, être préparé à pouvoir faire preuve de flexibilité et de variabilité pour répondre, à tout moment, aux événements prévus ou émergents durant le match.
Au cours d’un match, que ce soit pour réaliser des actions très simples ou très complexes, les joueurs ont besoin d’informations (visuelles, auditives, …) pour réguler leur comportement. Ces informations les aident à agir et inversement, leurs actions peuvent leur permettre d’accéder à de nouvelles informations. C’est cette relation information-mouvement ou couplage perception-action qui leur permettra de trouver une réponse fonctionnelle aux problèmes auxquels ils sont confrontés.
L’un des aspects fondamentaux dans la conception d’entraînements, c’est maintenir ce couplage perception-action afin de se rapprocher de l’expérience vécue par le joueur durant un match. Pour cela, il faut avoir une bonne compréhension de l’interaction entre les besoins/préférences du gardien de but, l’environnement dans lequel il va évoluer et la tâche à réaliser (figure 2).
Il concevra ensuite des entraînements qui prennent en compte ces interactions et manipulera les contraintes, afin de faire émerger des opportunités d’action similaires à celle dont le gardien ferait l’expérience en match.
Figure 2. Modèle d’interaction des contraintes individuelles, de la tâche et de l’environnement
En étant confrontés de manière répétée, à des problèmes liés au jeu et à l’évolution de différentes configurations, les gardiens apprennent à percevoir les informations les plus pertinentes. Ils peuvent constituer une bibliothèque d’invariants opératoires. Cette perception est ensuite couplée à des solutions motrices, qui sont individuelles.
En d’autres termes, les gardiens de but résolvent de manière répétée des problèmes de jeu et trouvent des solutions (par opposition à la simple répétition d’un mouvement isolé) et apprennent ainsi à adapter leurs actions dans différents contextes et de différentes manières.
Dans cette proposition, nous nous focaliserons sur la dernière activité préparatoire à la performance avant le match : l’échauffement. Dans la continuité du microcycle, il doit aider le gardien à s’adapter, au mieux de ses capacités et de manière coordonnée, aux problèmes spécifiques auxquels lui et ses partenaires pourraient être confrontés durant le match.
Lorsque l’on parle d’échauffement d’avant-match, l’accent est souvent mis sur les adaptations, nécessaires, qu’il génère d’un point de vue physiologique, moteur ou encore mental. Étant donné l’importance du couplage perception-action dans une activité comme le football, nous nous concentrerons sur les adaptations liées à cet aspect.
Donc, en plus de préparer physiquement, physiologiquement et psychologiquement les joueurs à concourir, il peut (doit ?) aussi les préparer à percevoir les sources d’informations qui leur permettront de décider et d’agir de manière optimale, dans l’environnement dynamique du jeu.
L’échauffement du gardien de but est souvent une combinaison d’exercices « techniques » isolés (représentativité faible) et d’exercices plus représentatifs du match (représentativité élevée).
Les différents exercices utilisés peuvent être réparties en trois catégories, proposées par la grille d’observation GK Decision Making Form:
L’aspect prévisible des exercices où la prise de décision est faible, peut conduire à de meilleures performances à l’échauffement (ex ballons arrêtés, etc) et par conséquent, avoir un impact positif sur certains facteurs psychologiques critiques, tels que la motivation et la confiance. Néanmoins, étant donné la nature du football, ce sont bien les capacités à décider et agir sous pression temporelle, individuellement et collectivement, qui sont les plus importantes.
L’art de l’échauffement, c’est d’arriver à naviguer entre ces 3 catégories afin de favoriser et développer, juste avant le match, le sentiment de compétence du gardien, sa confiance, sa motivation, mais aussi le préparer à décider et à s’adapter aux situations auxquelles il sera confronté durant le match.
Comme présenté sur la figure 1, on peut considérer qu’un gardien de but sera impliqué dans trois types de tâches durant un match. En plus de la défense de son but, le gardien de but doit aussi être préparé à participer au jeu offensif de son équipe (surpasser le 1er rideau adverse, trouver le dos de la dernière ligne, etc.), ainsi qu’à la défense de l’espace, dans des zones plus ou moins éloignées de son but (profondeur/périphérie).
Ces deux aspects seront fortement conditionnés durant un match, par ce à quoi l’entraîneur veut que son équipe ressemble, l’évolution des rapports d’opposition, mais aussi par le vécu et les caractéristiques du gardien.
L’implication de ce dernier dans ces différentes tâches aura aussi un impact physique/physiologique différent. Par exemple, un “gardien de ligne” qui évolue dans un bloc médian/bas n’aura pas les mêmes sollicitations qu’un gardien qui évolue plus haut sur le terrain. Par ailleurs, la hauteur du bloc aura aussi un impact. Soit il constitue une couverture dans l’axe profond, soit en cas de bloc bas, il est intégré à la dernière ligne.
De prime abord, les ressources disponibles à l’échauffement (surface de jeu et joueurs) peuvent paraître limitées pour aborder ces aspects. Avec seulement les gardiens n°1, n°2, voire n°3 et l’entraîneur des gardiens, il sera difficile de faire émerger des opportunités d’action qui soient représentatives du match à venir pour les deux tâches évoquées.
Pour faire face à ces problématiques, deux solutions sont intéressantes. Partir à l’échauffement avant le reste du groupe et y intégrer les remplaçants. Sortir plus tôt peut permettre d’utiliser une moitié de terrain complète et le faire avec les remplaçants est un bon moyen de les impliquer, de leur permettre de prendre les repères. Ils auront, dans la mesure du possible, des fonctions similaires à celles qu’ils rempliraient durant le match.
Néanmoins, il faut garder à l’esprit que l’objectif durant l’échauffement n’est pas de répliquer l’intensité du match à venir, mais de préparer le gardien (et les remplaçants) à faire face aux situations auxquelles il sera confronté durant le match. L’échauffement est une activité préparatoire, il ne se substitue pas au match.
Afin d’illustrer notre propos, voici quelques exemples de situations extraites de l’échauffement des gardiens de but de l’équipe 1ère du Paris FC (L2), en préparation de leur match face à QRM (saison 2022/2023).
A noter: les gardiens ont réalisé une pré activation au vestiaire avant d’arriver sur le terrain.
Installation
Défense du but
Défense de l’espace
Jeu offensif
Le gardien de but moderne ne peut plus se contenter de défendre son but. Il doit activement défendre l’espace devant celui-ci et participer au jeu offensif de son équipe. Cela signifie que ces aspects doivent être intégrés dans sa préparation et celle de ses partenaires, afin qu’ils soient prêts à être performants durant le match.
Le grand défi pour chaque entraîneur principal, entraîneur spécialiste des gardiens de but et gardien de but, c’est être capable de définir conjointement une approche qui soutiendra cette préparation. Pour préparer un gardien de but, il ne suffit pas de développer sa motricité, il faut aussi s’intéresser aux processus cognitifs qui permettent de décoder les configurations du jeu, le couplage perception-action étant un bel exemple.
Les auteurs remercient Jean-Francis Gréhaigne pour ses propositions, suite à la lecture d’une précédente version de ce texte.
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Otte, F., Millar, SK., & Klatt, S. (2019). How does the modern football goalkeeper train? – An exploration of expert goalkeeper coaches’ skill training approaches. Journal of Sports Sciences, DOI: 10.1080/02640414.2019.1643202
Otte, F., Millar, SK., & Klatt, S. (2020). Ready to perform? A qualitative-analytic investigation into professional football goalkeepers’ match warm-ups. International Journal of Sports Science & Coaching.
Otte, F., Dittmer, T., & West, J. (2022). Goalkeeping in Modern Football: Current Positional Demands and Research Insights. International Sport Coaching Journal. Advance online publication. doi.org/10.1123/iscj.2022-0012.