En football, le produit passe souvent avant le processus

Docteur en Sciences du Sport et Maitre de conférence à la Faculté d’Education de l’université de Montpellier, Simon Isserte nous propose un éclairage sur son travail de thèse intitulé Étude d’un dispositif de formation d’entraîneurs à des usages de technologies numériques au service de l’apprentissage d’actions collectives par les joueurs, ainsi que sur son expérience de la collaboration entre les mondes universitaire et fédéral.

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Qu’est-ce que le football représente pour vous ?

Avant tout, c’est une passion, une activité qui m’anime et qui me procure des émotions fortes. C’est un jeu qui en dit beaucoup sur nos sociétés. Je m’y suis d’abord longtemps investit en tant que joueur, en tant qu’éducateur dans différents contextes, puis dans le monde universitaire, plutôt sur des aspects formation et recherche.

Peu importe le niveau de pratique, j’aime comprendre ce jeu, le pratiquer ou le faire pratiquer. Et en même temps, de nombreuses dérives me désolent un peu, que ce soit dans le football professionnel mais également dans certaines pratiques du monde amateur. Cela reste toutefois un formidable terrain de jeu pour étudier la nature humaine, et les comportements collectifs en particulier.

Vous avez introduit votre travail de thèse (Étude d’un dispositif de formation d’entraîneurs à des usages de technologies numériques au service de l’apprentissage d’actions collectives par les joueurs), en citant Edgar Morin : « Une vraie réflexion doit venir à la fois du dedans et du dehors. Pour pouvoir en parler, il faut avoir connu l’ivresse du stade et, en même temps, être capable de s’en détacher ». Pourquoi avoir choisi ce passage du livre Le sport porte en lui le tout de la société (2020) et pourquoi est-il si important de connaître cette ivresse-là, de pouvoir se la représenter et en même temps, de pouvoir s’en détacher pour être quelque part critique vis-à-vis de cette expérience vécue depuis l’intérieur ?

Cette citation a été inspirante pour moi, et de manière générale Edgar Morin est quelqu’un de très inspirant. Le football est une activité qui procure beaucoup d’émotions et qui est très prenante. C’est une activité dans laquelle une personne s’engage dans un collectif, sur du temps long. Elle s’engage à être présente chaque week-end, à s’entraîner plusieurs fois par semaine et cela peut être pesant à long terme. Il y a par ailleurs cette ivresse que l’on peut ressentir dans la victoire comme dans la défaite.

En tant qu’entraîneur, c’est un peu pareil. Les entraîneurs de haut niveau évoquent souvent le fait d’être dans une machine à laver, de ne pas avoir le temps de respirer, etc. En réponse, les staffs s’épaississent de plus en plus et un certain nombre de personnes jouent parfois en quelque sorte un rôle de tampon pour, entre autres, permettre à l’entraîneur de prendre du recul.

« Le football est une activité qui procure beaucoup d’émotions et qui est très prenante. C’est une activité dans laquelle une personne s’engage dans un collectif, sur du temps long »

Néanmoins, connaître cette sensation, cet engouement, me semble important parce que je suis très attaché à la dimension incarnée, au fait de situer les choses. Vivre ces émotions-là sur le terrain peut certainement aider. D’ailleurs, on dit souvent qu’à travers leur vécu, les joueurs de très haut niveau acquièrent une forme d’expérience singulière. En même temps, cette expérience est trop souvent mise en avant pour expliquer qu’un entraîneur qui n’a pas joué à haut niveau ne pourrait pas être un entraîneur de haut niveau. Ce qui est très discutable.

« Connaître cette sensation, cet engouement, me semble important parce que je suis très attaché à la dimension incarnée, au fait de situer les choses »

Pendant très longtemps, en tant que joueur et, modestement en tant qu’éducateur, j’ai vécu intensément l’activité. J’ai par la suite pris un peu de recul, en me détachant un petit peu du résultat et de cette forme de pression : cela permet d’avoir un regard différent sur l’activité des joueurs, des entraîneurs.

Parfois, il y a des comportements qui interrogent. Je me questionne sur le sens de l’activité : les problèmes sociétaux auxquels nous sommes actuellement confrontés (changement climatique, inégalités sociales, santé, etc.) doivent nous amener à réfléchir sur la manière dont nous vivons cette activité qu’est le football. Cette prise de recul me semble nécessaire.

Le football requiert un engagement sur du temps long et vous avez vous même été engagé, à travers votre travail en thèse, dans une tâche qui s’inscrit dans cette temporalité. Que vous évoque ce chemin ?

On dit souvent que la recherche, c’est du temps long. La démarche méthodologique, scientifique, nécessite forcément une certaine temporalité, et en même temps, il faut tenter de la rendre compatible avec des préoccupations sociétales. Si le protocole de recherche s’éternise et que finalement, le questionnement qui était en jeu n’est plus vraiment d’actualité, on passe à côté de l’un des enjeux.

Dans le sport de haut niveau, nous savons que les entraîneurs ont besoin d’obtenir des réponses toujours plus rapidement. Ce besoin se heurte souvent au temps long dans lequel s’inscrit la recherche. L’une des perspectives à envisager et que j’aborde à la fin de mon manuscrit de thèse, c’est de rendre les collaborations entre l’Université et le monde fédéral plus étroites. Pour tisser des relations plus fortes, plus pérennes, afin que la collaboration chercheur-praticien soit plus fructueuse.

« Si le protocole de recherche s’éternise et que finalement, le questionnement qui était en jeu n’est plus vraiment d’actualité, on passe à côté de l’un des enjeux »

Pour revenir à mon doctorat, j’étais en parallèle formateur universitaire (en STAPS) et j’ai continué à avoir un engagement fédéral, en tant que joueur au départ, puis au sein de formations dispensées par la FFF. Ces activités se sont nourries les unes des autres, ce qui a été très formateur pour moi.

Auparavant, dans mes premiers travaux de recherche en Master, je m’intéressais à la coordination interindividuelle des joueurs. J’étais passionné en tant que joueur, puis en tant qu’entraîneur de l’analyse technico-tactique, de l’outil vidéo qui permettait de se revoir d’un point de vue collectif et de progresser sur cet aspect tactique. C’est ce qui m’a mené à m’engager en thèse, pour approfondir ces dimensions et questionner l’accompagnement des entraîneurs sur ce sujet.

Instituer de nouveaux modes de collaboration entre chercheurs et professionnels, notamment entre l’université et le monde fédéral, semble être une voie de développement prometteuse pour le futur. Quelle est votre perception de l’évolution de ces liens à travers le temps et comment votre travail s’est-il inscrit dans ce type de collaboration ?

D’un point de vue historique, je ne serai pas très précis sur cette question. C’est lié il me semble à la structuration de ces deux institutions (Université et monde fédéral), et un fonctionnement parfois un peu cloisonné. Toutefois, ce que je voudrais mettre en avant, c’est la nécessité d’être complémentaires et que chacun fasse un pas de côté.

Peut-être qu’à un moment donné, certains ont voulu opposer ce que l’on pourrait appeler la « théorie » et la « pratique ». Il est possible également que les universitaires ne parviennent pas toujours à se faire comprendre auprès de certains professionnels. Et que les éducateurs, entraîneurs, dirigeants ou sportifs ne soient pas toujours enclins à réinterroger différemment leurs pratiques.

Je pense que c’est un travail commun, qui est d’ailleurs déjà engagé, souvent par des initiatives locales. Il y a des choses qui existent à plus ou moins grande échelle. Par exemple, avec la Faculté des Sciences du Sport et du Mouvement Humain (F2SMH) de Toulouse, nous avons une collaboration étroite avec la Ligue de Football d’Occitanie et le Toulouse FC. Ces échanges-là sont basés sur un fonctionnement gagnant-gagnant. C’est également à travers des relations humaines de confiance, qui se tissent progressivement, que l’on arrive à construire de la collaboration.

« Peut-être qu’à un moment donné, certains ont voulu opposer ce que l’on pourrait appeler la théorie et la pratique »

Du point de vue de la formation, le modèle portugais par exemple est beaucoup plus basé sur une formation liée à l’université, et l’on pourrait espérer que cela le soit davantage en France. En ce sens, le partenariat entre la C3D (Conférence des Directeurs et Doyens d’UFR STAPS) et la FFF est une illustration intéressante de collaboration. Au niveau local, à Toulouse, cela nous a permis d’enrichir les formations proposées aux futurs éducateurs de football en croisant les expertises des formateurs issus du monde fédéral et de l’Université.

Du point de vue de la recherche, des propositions existent pour « faire de la recherche fondamentale de terrain ». Par exemple, Sébastien Chaliès et Stéfano Bertone insistent sur l’importance de l’étape de contractualisation entre chercheurs et partenaires du monde socio-économique. C’est un moment de négociation durant lequel chacun fait un pas de côté, pour aboutir à un objet « intermédiaire », dans lequel chacun trouve quelque chose à y gagner.

La performance collective est au cœur de votre travail de thèse et “omniprésente dans le domaine de l’entraînement sportif”. Pour vous, à quoi renvoie-t-elle ?

A propos de la performance, nous avons eu besoin de voir ce qu’il se passait à l’international. En football, dès que l’on s’intéresse à la haute performance, le produit, c’est-à-dire le score final, passe souvent avant le processus. Les enjeux médiatiques ou encore financiers peuvent happer l’entraîneur et le contraindre à se focaliser sur le produit et non sur le processus.

La performance est quelque chose de multifactoriel. Le résultat du match ne traduit que rarement, ou assez mal, la performance collective produite par l’équipe. Sur du temps plus ou moins long, à l’échelle d’un championnat ou d’un tournoi, les systèmes de compétition permettent de discriminer une équipe qui remporte la compétition, mais il y a toujours des débats autour de cette question : est-ce que l’équipe qui a remporté le championnat est celle qui a le mieux joué ?

« En football, dès que l’on s’intéresse à la haute performance, le produit, c’est-à-dire le score final, passe souvent avant le processus »

Il existe finalement de nombreuses manières d’étudier la performance collective. Dans une revue de littérature internationale, nous avons donc essayé de voir comment les chercheurs en Sciences du sport s’y sont intéressé. Ce que nous avons remarqué, c’est que de nombreux moyens permettent d’évaluer le produit final ; mais que sur le processus, il y a tellement de facteurs en interaction, qu’il n’est pas toujours simple d’y voir clair. C’est ce qui a animé par la suite ce travail de thèse.

Pourquoi avoir choisi l’action collective comme l’un de vos trois objets d’étude (avec la formation des entraîneurs et les technologies numériques) et en quoi la notion d’intentionnalité est-elle importante ?

La performance peut être analysée à l’échelle du match, mais finalement, sur l’ensemble de ces 90 minutes (ou plus), nous nous sommes dit qu’il y avait peut-être des « épisodes » d’action collective qui peuvent être délimités. Dans le flux du match dans lequel sont engagés les joueurs, il y a forcément du « désordre » et peut-être des moments où nous pouvons saisir ces épisodes d’action collective, afin de mieux observer la coordination entre joueurs.

Concernant l’intentionnalité, c’est aussi lié au cadre théorique dans lequel nous nous sommes inscrits, (l’anthropologie culturaliste). Dans les approches dites « situées », le primat est donné au point de vue de l’acteur : à ce que vit l’acteur lorsqu’il agit, en situation. L’apprentissage est alors pensé au prisme de ce que vit l’acteur en situation, des informations qui font sens pour lui dans l’environnement. Nécessairement, l’intention est couplée à l’action.

Nous sommes également allés chercher des travaux en philosophie de l’action, pour nous permettre de mieux définir, de conceptualiser ce que pourrait être une action collective. Nous avons ainsi proposé une modélisation théorique comportant quatre caractéristiques. L‘intersubjectivité, c’est-à-dire que nous partageons une même intention au sein d’un collectif. La substituabilité : chaque individu peut, à un moment donné, prendre la place de l’autre. La virtualité : il y a plusieurs possibles, plusieurs trajets virtuels, dont un seul sera actualisé au moment de l’action. Ce qui, nécessairement, amène la quatrième caractéristique qui est celle de l’adaptabilité, c’est-à-dire que les individus vont devoir s’adapter au trajet finalement retenu.

En ce sens, comment les concepts de jeu programmé et jeu en lecture peuvent-ils aider l’entraîneur à favoriser l’intelligence collective ?

Ces notions de jeu programmé et jeu en lecture (notamment mobilisées par l’équipe de Gilles Kermarrec à Brest) m’avaient interpellées, parce que le football est une activité dans laquelle on a parfois l’impression que l’aléatoire occupe une place assez importante. On entend souvent dire que les actions offensives sont organisées, mais qu’il y a un moment où l’instinct, le génie créatif ou encore la prise d’initiative individuelle prennent le pas.

En revanche, défensivement, on a plutôt tendance à dire que les joueurs savent très bien ce qu’ils doivent faire collectivement pour récupérer le ballon, comment exercer le pressing, etc. C’est quelque chose que nous questionnons par rapport à d’autres activités dans lesquelles il y a des combinaisons beaucoup plus précises, comme le football américain. Au rugby, il y a également des lancements de jeu qui sont très précis, etc.

« Pour que les joueurs soient capables d’être en lecture, il semble nécessaire qu’ils possèdent au préalable des repères, qui vont leur permettre de construire cette intentionnalité partagée avec les autres joueurs. Ils seront alors en mesure de repérer ces éléments en cours de match »

A travers notre conceptualisation théorique, l’idée est aussi d’identifier, de formaliser les actions collectives que les entraîneurs veulent faire apprendre à leurs joueurs. Cela renvoie plus largement à la notion d’improvisation : pour que les joueurs soient capables d’être en lecture, il semble nécessaire qu’ils possèdent au préalable des repères, qui vont leur permettre de construire cette intentionnalité partagée avec les autres joueurs. Ils seront alors en mesure de repérer ces éléments en cours de match.

D’où l’ancrage de ce travail dans un programme de recherche en anthropologie culturaliste, et dans une conceptualisation de la formation singulière, qui en découle. L’idée centrale repose sur la continuité des expériences vécues par les joueurs. Il s’agit d’enseigner explicitement l’action collective délimitée par l’entraîneur, puis de s’exercer à l’entraînement dans des situations se rapprochant progressivement de la réalité du match. L’objectif étant de pouvoir la reproduire puis de se l’approprier, afin de s’adapter à différentes oppositions adverses.

Comment avez-vous construit votre protocole afin d’avoir une continuité entre l’apprentissage hors du jeu et l’apprentissage dans le jeu ? Par ailleurs quels outils numériques avez-vous utilisé pour favoriser l’apprentissage et à quel(s) moment(s) ?

Cela pose justement la question de la continuité des expériences que nous donnons à vivre aux joueurs. À l’échelle de la séance, mais aussi de la semaine et du cycle d’entraînement. L’approche théorique dans laquelle je m’inscris met en avant l’importance de ce flux d’expérience qui est progressivement enrichi (les nouvelles expériences venant en quelque sorte s’inscrire dans les expériences précédentes). L’objectif étant d’éviter les ruptures dans cette continuité, de faire en sorte que ce flux s’épaississe progressivement.

Nous avons donc construit le dispositif d’entraînement en ce sens : il partait d’un enseignement que nous avons pensé hors du jeu (dans les vestiaires, à l’aide d’une animation vidéo 3D[1]) pour ensuite aller sur le terrain. Nous avons proposé des conditions qui étaient dans un premier temps au plus proche de ce qui avait été enseigné, c’est-à-dire un exercice dans lequel il n’y a pas d’opposition adverse. Puis, une situation avec un travail sous forme de vagues, face à une opposition en infériorité numérique. Et enfin, cette complexité croissante mène vers la réalisation de type jeu, permettant de se rapprocher de la réalité du match.

Ensuite, en lien avec les travaux réalisés par Sébastien Chaliès et Cyrille Gaudin (mes co-directeurs de thèse) au sujet de la vidéo-formation, nous nous sommes interrogés sur des usages particuliers permettant aux entraîneurs d’accompagner les joueurs dans la construction de ces actions collectives. Ces actions étaient modélisées via des configurations collectives (en référence au concept de « configuration de jeu » développé par Jean-Francis Gréhaigne).

Tous les usages du numérique que nous avons proposés avaient pour objectif d’aider les joueurs à mieux comprendre les repères et les configurations collectives que nous attendions d’eux. Il s’agissait donc de revenir parfois hors du jeu : par exemple, en utilisant lors des situations une vidéo en léger-différé à l’aide d’une tablette, s’appuyant sur une vue en hauteur qui permet de mieux voir ces configurations collectives.

La vidéo était également utilisée lors du temps d’évaluation, à la fin. Nous donnions à l’entraîneur la possibilité de s’extirper de la pression temporelle, de revoir les actions réalisées lors du jeu, afin d’identifier ou non des apprentissages. Ce qui était particulièrement intéressant, c’est que malgré les aspects objectivables, la part d’évaluation subjective était bien présente.

[1] Logiciel développé par la société Tactic3D (Laurent Tournier)

Justement, “malgré les aspects objectivables”, étant donné que chaque individu participant au collectif (entraîneur et joueurs) peut avoir une perception différente de la situation vécue, comment évaluer collectivement que l’action réalisée est réussie ? D’autre part, comment les outils numériques peuvent-ils favoriser la co-construction d’un référentiel commun permettant d’orienter la perception, ainsi que faciliter la coordination de la prise de décision et l’action des différents joueurs de l’équipe ?

Le premier point renvoie à la nécessité pour l’entraîneur d’être au clair sur ce qu’il veut voir et le fait de l’expliciter clairement aux joueurs. L’action est réussie si l’on parvient à retrouver la configuration collective qui a été délimitée par l’entraîneur et qui a été enseignée, travaillée à l’entraînement durant la semaine. Dans notre dispositif, l’entraîneur dessinait sur un tableau blanc la configuration collective à partir de la vidéo du jeu, pour valider ou non sa réussite.

Toutefois, l’entraîneur peut très bien considérer que ce qui a été produit par les joueurs ne correspond pas tout à fait à la configuration qui avait été travaillée, mais quand même la valider, parce qu’un joueur s’est très bien adapté aux comportements adverses. Ce résultat renvoie au caractère nécessairement situé de toute activité humaine.

Nous pourrions imaginer qu’une intelligence artificielle soit capable de déterminer si l’action est validée ou non, néanmoins, l’activité humaine n’étant pas binaire, l’entraîneur, qui est celui qui a délimité cette configuration, est en quelque sorte le seul capable de déterminer s’il y a apprentissage ou pas. Des éléments subjectifs liés à sa connaissance des joueurs, à la contextualisation de la performance réalisée, entrent ici en jeu.

« L’entraîneur peut très bien considérer que ce qui a été produit par les joueurs ne correspond pas tout à fait à la configuration qui avait été travaillée, mais quand même la valider, parce qu’un joueur s’est très bien adapté aux comportements adverses. Ce résultat renvoie au caractère nécessairement situé de toute activité humaine »

Concernant le second point lié aux outils numériques mobilisés (tableur, animation vidéo 3D, tablette avec léger-différé, enregistrement vidéo, etc.), chacun avait un objectif précis (délimiter une action, enseigner, accompagner l’apprentissage, évaluer, etc.). L’ambition était de former les entraîneurs à des usages singuliers.

Par exemple, l’utilisation de la tablette à l’entraînement se démocratise de plus en plus, mais : est-ce que ce sont les joueurs qui regardent eux-mêmes ? Que doivent-ils regarder ? Quels repères leur donnons-nous ? En suivant notre modèle théorique, à la question : « que voulons-nous qu’ils regardent ? », la réponse était : « nous voulons que le collectif regarde s’il retrouve la même configuration que celle qui a été enseignée ».

Si c’est oui, alors nous allons essayer de continuer à la reproduire. Si c’est non, alors que faut-il changer ? L’outil offre la possibilité de comparer : en étant sur le terrain, à hauteur d’homme, il est parfois difficile pour les joueurs de voir la configuration collective. En changeant de point de vue, avec une prise de vue aérienne, et un peu de recul sur ce qu’ils viennent de faire (en étant hors du jeu), alors ils peuvent observer et comparer.

Sur différentes échelles de temps, comment les outils numériques peuvent favoriser la continuité d’expérience ?

Un des enjeux de mon doctorat résidait précisément dans cet aspect : penser des usages articulés d’outils numériques pour favoriser l’apprentissage, cette continuité d’expérience. Nous avons effectué une proposition en rapport avec l’intention d’apprendre des actions collectives, selon une modélisation théorique. Mais plus largement, tout entraîneur ou formateur doit d’abord se poser la question de ce qu’il veut réellement faire. Puis, quels sont les outils adaptés pour cela ? Et surtout, quels usages vont être fait de ces outils : à l’échelle de la semaine, du mois ou de l’année ?

Les moyens technologiques, notamment à haut niveau, peuvent permettre de renforcer la dimension incarnée de l’apprentissage. Par exemple, si l’on peut visionner au bord du terrain avec un écran amovible plutôt que dans les vestiaires. Mais cela pose de réelles questions en termes de formation des entraîneurs ! Pour revenir à l’utilisation de la vidéo en léger-différé lors d’une situation : comment intervenir sans réduire drastiquement le volume de pratique ? Est-ce que ce retour est fait en individuel ? ou avec des micro-collectifs ? Comment cela s’articule avec les situations suivantes ? etc.

En fonction de l’observateur (joueur, entraîneur, analyste du jeu, psychologue du sport, etc.) et de l’objectif de l’observation, l’angle de vue choisi pour travailler avec le support vidéo va différer ?

En effet, tout dépend de ce que l’on observe, de ce que l’on a besoin de voir. En nous intéressant à l’action collective, nous avions besoin d’une vue en plongée sur l’action, d’une prise de vue en hauteur qui permettait de voir les configurations. En revanche, si je dois faire une séance individuelle avec un joueur, ciblée sur des aspects techniques, ce ne sera peut-être pas la vue qui est la plus appropriée !

Il s’agit de choisir les outils qui permettent de répondre à ce que l’on veut saisir. Nous avons des outils technologiques (casques de réalité virtuelle, caméra embarquée, etc.) qui nous permettent de saisir des traces de plus en plus fines, mais cela ne remplace pas le point de vue de l’acteur. En ce sens, les techniques d’entretien ou de recueil de données intrinsèques s’appuyant sur ces traces nous permettent d’aller renseigner la subjectivité de l’acteur.

Compte tenu de toutes vos expériences en tant que chercheur, entraîneur mais aussi joueur, qu’avez-vous appris sur l’apprentissage et la nature humaine ?

Ces diverses expériences me confortent dans l’idée que nous avons encore énormément de choses à apprendre sur la manière dont les êtres humains arrivent à faire collectif. Le champ du sport peut nous aider à avancer sur le sujet, mais il semble intéressant de se nourrir des diverses formes de groupements qui existent : dans la vie quotidienne, le monde professionnel ou encore dans le monde animalier.

Ensuite, il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont nous apprenons. Lorsque nous explorons un domaine, nous avons l’impression de savoir et plus nous creusons, plus nous nous rendons compte de l’océan de connaissances qui s’ouvre devant nous. Le courant théorique dans lequel je m’inscris offre une perspective originale sur la manière dont les individus apprennent et se développent professionnellement au travail. Avec en corollaire, comment nous pouvons penser des aménagements afin d’accompagner les apprentissages, que ce soient des joueurs et/ou des entraîneurs en formation.

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