© BRUNO PERREL / FC LORIENT

Du centre de compétition, au centre de formation

Directeur du centre de formation et entraineur de l’équipe réserve, puis entraineur principal du FC LorientRégis le Bris a été l’un des éléments clé du projet lorientais, depuis plus de 10 ans.

Club atypique et novateur, avec une approche de l’expérimentation qui peut rappeler l’approche Lean Startup, nous avons profité de cet entretien pour essayer de comprendre le fonctionnement de ce système ouvert et en évolution perpétuelle.

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Dans votre communication, vous évoquez régulièrement la difficulté du parcours des jeunes footballeurs pour s’épanouir dans le football professionnel. Pouvez-vous nous expliquer votre position sur ce sujet ?

Dans les catégories de jeunes, les représentations de notre milieu s’accordent généralement pour définir les meilleurs joueurs par rapport à un niveau de performance supérieur à la moyenne à un instant T, en se focalisant prioritairement sur la dimension d’expression individuelle sur le terrain.

Des qualités d’habiletés gestuelles, de percussion et de vitesse seront par exemple particulièrement valorisées surtout si le joueur est considéré comme immature, laissant supposer qu’il possède une marge d’évolution importante. Notre système créant les conditions d’une sélection de plus en plus précoce, ce sont ces éléments qui sont prioritairement retenus et qui bénéficient des meilleures conditions de développement en centre de formation.

Globalement, ces joueurs rencontrent, sauf exception, peu d’obstacles « naturels » majeurs durant leur parcours de formation. La balise culturelle de référence est le niveau de compétition atteint en fonction de l’âge. Un joueur est considéré en réussite à partir du moment où il joue dans les championnats nationaux, la plupart du temps en étant surclassé d’un an, et en équipe de France de sa catégorie d’âge.

« En football, les chemins qui mènent à l’excellence sont très variés et cela pose deux questions fondamentales à propos du développement d’une part et du recrutement d’autre part »

La signature du contrat professionnel se produit à un moment ou un autre de cette trajectoire quasi rectiligne. Puis, il y a l’entrée dans le groupe professionnel et à cet instant, les règles du jeu changent (la balise de référence évoquée plus haut également). Le joueur prend plus ou moins rapidement conscience des difficultés à franchir l’obstacle de la titularisation « durable » en équipe professionnelle.

Après huit saisons passées au Stade Rennais FC en tant qu’éducateur (U19 nat. pour l’essentiel) puis trois au FC Lorient en tant que directeur de centre de formation et éducateur des U17 nationaux, j’ai réalisé le même constat. J’observais les jeunes joueurs extrêmement performants en formation quelques mois auparavant, se retrouver face à cette difficulté en donnant l’impression de ne plus être en capacité d’exploiter leurs ressources dans ce nouveau contexte.

La culture prédominante était celle de l’alibi et de la participation. C’était systématiquement la faute de quelqu’un d’autre : le club, le coach, la concurrence, les coéquipiers, même l’agent pouvait être critiqué … Le joueur et son entourage se montraient extrêmement impatients et la relation avec le club se détériorait rapidement.

Généralement, le joueur « en échec de titularisation » souffre d’un manque de reconnaissance, son estime et sa confiance pouvant être altérées et il ne parvient pas à créer du sens dans la complexité de la situation (le tout avec des modifications parfois très significatives de ses conditions de vie). Le contraste entre la situation de réussite initiale et la nouvelle configuration peut être très important.

« La culture prédominante était celle de l’alibi et de la participation »

Il accumule beaucoup de frustration et plutôt que d’exercer toute sa responsabilité, il se désengage progressivement. Idéalement, nous pourrions imaginer que cette épreuve soit considérée dans sa dimension positive, c’est-à-dire dans ce que cela mobilise comme engagement supérieur, passion et créativité pour la dépasser !

Les difficultés de ce passage ne sont évidemment pas uniquement liées à un défaut de gestion de projet de la part des joueurs. De nombreux facteurs peuvent être impliqués. Des contraintes structurelles telles que le nombre de contrats dans l’effectif professionnel, l’instabilité des staffs et des politiques sportives, la pression du résultat, les possibilités de valorisation financière précoces (club, agents, intermédiaires en tous genres) interviennent dans ce processus.

« Il est aujourd’hui largement démontré que la prédiction du talent à partir d’indicateurs précoces est très difficile (nombreux biais) et qu’un certain nombre de joueurs pas ou peu identifiés chez les jeunes évoluent au plus haut niveau quelques années plus tard (et inversement) »

Une curiosité se produit d’ailleurs très régulièrement durant cette étape du parcours car nous y observons l’éclosion de joueurs peu mis en valeur dans les catégories de jeunes. Ces derniers à maturité tardive pour certains, se caractérisent fréquemment par un profil de jeu plus collectif et semblent se mouvoir plus aisément dans cet environnement soudainement difficilement intelligible.

Votre entretien avec Joe Baker (« Le talent est inné, multidimensionnel, émergent, dynamique et symbiotique ») avance dans ce sens plusieurs arguments très intéressants. Il est aujourd’hui largement démontré que la prédiction du talent à partir d’indicateurs précoces est très difficile (nombreux biais) et qu’un certain nombre de joueurs pas ou peu identifiés chez les jeunes évoluent au plus haut niveau quelques années plus tard (et inversement). En football, les chemins qui mènent à l’excellence sont très variés et cela pose deux questions fondamentales à propos du développement d’une part et du recrutement d’autre part.

En quoi ce constat a-t-il influencé l’évolution du projet de formation au FC Lorient ?

Le projet est en perpétuelle évolution mais à mon sens, il a connu une évolution majeure à partir de 2015. Face aux difficultés évoquées, nous avons, en premier lieu, questionné notre responsabilité à propos de notre dispositif de formation et notre environnement de développement. Considérant qu’un certain nombre de problématiques risquaient d’apparaître, nous devions notamment beaucoup mieux aborder le développement des ressources du joueur et en particulier celles nécessaires pour gérer les multiples évènements entre la signature du contrat professionnel et la performance au plus haut niveau.

« Notre structure innovait beaucoup en étant à la recherche de gains marginaux mais elle n’avait pas la capacité suffisante à penser sous des angles originaux »

L’intuition que nous avons à ce moment-là, c’est que, comme nous sommes nous-même le produit de toutes les représentations du monde du football, nous n’allons pas forcément avoir le recul nécessaire pour bien appréhender la problématique. Notre structure innovait beaucoup en étant à la recherche de gains marginaux mais elle n’avait pas la capacité suffisante à penser sous des angles originaux. Nous avons la conviction à ce moment-là qu’il nous faut adopter une autre démarche afin de transformer en profondeur notre modèle et lui donner une efficacité supérieure.

Pour ce faire, je me mets à la recherche d’un consultant en ciblant des caractéristiques très précises. Il ou elle devait avoir exercé au haut niveau et obtenu des résultats sur une longue période (ce ne devait pas être un accident), avoir organisé et managé des structures tout étant capable de l’expliquer. Mes recherches me conduisent à Claude Fauquet, l’ex DTN de la natation. La relation se créé grâce à Arnaud Tanguy, notre DG de l’époque, et le courant passe immédiatement. Nous entamons aujourd’hui notre sixième année de travail en commun. Cette rencontre a été déterminante. Claude est quelqu’un qui aide beaucoup notre structure et qui me fait énormément grandir. C’est quasiment comme un mentor aujourd’hui, c’est difficile de le dire autrement.

« Notre modèle s’enrichit en permanence au gré des contributions de chacun des collaborateurs et des problématiques que nous rencontrons »

Nous avons débuté nos travaux en questionnant nos représentations et en redéfinissant les bases théoriques liées à notre métier. La performance humaine (« comment la qualifier ? » …), la situation de compétition (« quelles en sont ces caractéristiques ? …), le talent (« fixe ou évolutif ? …), le développement (« quelles sont les différentes dimensions impliquées ? …), le recrutement (« quelles relations avec le modèle de formation et l’environnement créé ? …), l’entraînement, le management, l’organisation, la relation entraineur/entrainé … En fait, tous les sujets qu’il y a à traiter dans une structure de formation sont discutés.

« La curiosité, la bienveillance et l’ouverture sont présentes en permanence »

Nous nous sommes attachés en premier lieu à valoriser ce qui définit l’ADN du FC Lorient. L’héritage laissé par Christian Gourcuff compte énormément sur ce sujet bien entendu. Des collaborateurs comme Arnaud Le Lan et Benjamin Genton qui ont été longtemps joueurs au club, incarnent et prolongent ces idées en tant qu’éducateurs à la formation. En second lieu, nous modernisons le dispositif de formation, en nous appuyant sur la pensée de Claude. Notre modèle s’enrichit en permanence au gré des contributions de chacun des collaborateurs et des problématiques que nous rencontrons. La curiosité, la bienveillance et l’ouverture sont présentes en permanence.

A propos de Claude Fauquet, on observe lors de ses conférences sa volonté d’interroger les représentations véhiculées dans son milieu. On le voit notamment sur sa réflexion concernant la résistance à l’avancement ou sur les minimas. Même s’il n’y a pas de copier-coller, est-ce que cette approche-là est un peu abordée de la même manière chez vous ?

Les principes et les méthodologies développés en natation ne sont naturellement pas directement transférables au football. C’est la conception que nous partageons de la performance humaine qui nous réunit. Claude a une idée fixe : gagner (au niveau professionnel). C’est ce qui l’a guidé pendant toute sa carrière.

« [Avec Claude Fauquet], c’est la conception que nous partageons de la performance humaine qui nous réunit »

Il voulait que l’équipe de France soit l’une des meilleures mondiales et elle est devenue deuxième sous son mandat. Il pensait que c’était possible de battre les Américains sur le 4×100. Il visait les médailles olympiques, pas seulement en bronze ou en argent, mais en or. Les minimas dont il a beaucoup été question à l’époque proviennent d’une réflexion de fond dont le but était de créer les conditions pour devenir champion olympique. Ces critères de sélection hyper exigeants posent 2 balises de manière très pragmatique :

• On ne peut pas avoir l’ambition d’être sur le podium si on n’est pas éligible à rentrer dans une finale olympique. La culture de la participation ne conduit pas à la performance, il faut faire partie des meilleurs temps mondiaux pour concourir à la médaille.
• Il ne s’agit pas de dire ce qu’il faut faire mais de dire que quelque chose doit être fait. Pour atteindre l’élite mondiale et s’y maintenir, il vaut mieux responsabiliser les structures d’entrainement locales, utiliser l’énergie et les compétences collectives plutôt de centraliser autour de la pensée d’une seule personne.

Nous nourrissons cette même ambition au FC Lorient. Notre objectif est de former des joueurs performants pour notre équipe professionnelle, capables de se projeter vers les élites française et européenne. Nous voulons le faire en équipe, en s’appuyant sur les contributions du joueur bien entendu, de tous nos collaborateurs mais aussi sur la famille et l’environnement proche du joueur.

Le chemin ne pourra pas être écrit à l’avance car chaque joueur présente ses singularités propres. Néanmoins, nous engagerons une démarche de responsabilisation, d’anticipation de certaines problématiques et nous positionnerons toujours en soutien pour accompagner le parcours.

« Notre objectif est de former des joueurs performants pour notre équipe professionnelle, capables de se projeter vers les élites française et européenne »

Comme en natation, notre point de départ a été la situation de compétition. Le documentaire « Football, l’intelligence collective », réalisé par J.-C. Ribot au FC Lorient en 2006 abordait déjà son analyse à partir d’éclairages d’autres disciplines (P. Parlebas, J. De Rosnay, J.P. Rennard, A. Damasio). Cette situation peut être caractérisée par une série d’éléments (dont les joueurs) qui interagissent entre eux dans le but d’atteindre un objectif précis (gagner le match).

En somme, elle présente les caractéristiques d’un système complexe ouvert et se définit notamment par les notions d’interdépendance, d’émergence et d’incertitude (E. Morin). Si cette situation de compétition est unique et singulière, qu’elle évolue d’une manière imprévisible, que les évènements qui s’y produisent émergent des interactions en situation, alors qu’est-ce que cela veut dire du point de vue de la performance ?

Pour résumer en quelques mots notre pensée, nous nous sommes retrouvés sur l’idée que c’est le joueur en situation, dans le cadre d’une intention large bien définie (marquer un but de plus que l’adversaire), qui apporterait du sens à ce qui est en train de se produire, en résolvant des problèmes. Les expériences passées (entrainement, compétition …) contribuent à construire des dispositions à agir qui peuvent ou non être mobilisées en situation. Néanmoins, le joueur doit décider non pas avant, mais pendant et avec ses partenaires.

« Nous nous sommes retrouvés sur l’idée que c’est le joueur en situation, dans le cadre d’une intention large bien définie, qui apporterait du sens à ce qui est en train de se produire, en résolvant des problèmes »

L’étape suivante a consisté à questionner nos pratiques d’entrainement : « Quels sont nos modèles d’apprentissage ? Comment sont organisées nos séances ? ».
En premier lieu, il n’apparaît pas possible de concevoir un modèle d’intervention unique à partir du moment où nous prenons en compte la diversité des profils de joueur (postes, maturité, niveau et potentiel de développement …) et la multiplicité des dynamiques de progression individuelle.

En second lieu, nous avons interrogé les stratégies d’apprentissage et nous avons pris conscience de la prédominance d’une culture prescriptive. Notre école et notre dispositif sportif construisaient avant tout de bons élèves, entendus comme de parfaits exécutants d’un modèle pensé par quelqu’un d’autre, en l’occurrence l’entraineur (ou le professeur).

Le risque associé à l’utilisation exclusive de cette stratégie est que face à des évènements imprévus (qui ne manqueront pas de se produire), le joueur se positionne spontanément en attente de directives de son entraineur et soit incapable de fournir sur l’instant des réponses justes et potentiellement originales. Cette méthode pourra être extrêmement puissante et sera d’ailleurs utilisée bien à propos par les entraineurs en certaines occasions.

« Notre école et notre dispositif sportif construisaient avant tout de bons élèves, entendus comme de parfaits exécutants d’un modèle pensé par quelqu’un d’autre, en l’occurrence l’entraineur (ou le professeur) »

Néanmoins, elle ne peut pas être la seule mise à disposition dans le cursus de formation car cela vient fondamentalement en contradiction avec l’idée que nous nous faisons de la performance. Depuis plusieurs saisons, nous menons un travail de déconstruction – reconstruction de nos pratiques et continuons à rechercher les meilleures stratégies d’apprentissage dans tous les domaines de la vie du jeune footballeur.

Robert Damien (philosophe) nous a, dans ce sens, beaucoup inspiré par ses réflexions sur la construction de l’autorité. Il évoque trois qualités interdépendantes nécessaires à l’homme d’autorité. La première qualité est, selon l’auteur, l’intelligence instruite des situations. Nous l’abordons sous l’angle de la connaissance du jeu. Pour avoir la capacité à prendre de bonnes décisions en situation avec ses partenaires, le joueur doit posséder une connaissance très fine des problématiques des différentes phases et si possible à différents postes. Le coach est dépositaire d’un haut niveau de culture, il sera une ressource essentielle mais le joueur doit le devenir aussi. Surtout lui d’ailleurs.

La deuxième qualité, c’est la capacité à réaliser en situation. C’est à dire que le joueur peut être extrêmement cultivé du jeu, être érudit et pour autant, se sentir complètement incapable de réaliser quoi que ce soit sur le terrain avec des contraintes de vitesse, d’intensité, d’interactions et de problèmes qui se posent en situation.

Enfin, la troisième qualité évoquée par Robert Damien c’est la capacité à prendre des décisions (« la continuité conséquente »). Il s’agit de décider et d’assumer les conséquences de ses choix y compris face à des évènements inattendus. Dans notre contexte, nous traitons ce sujet à deux niveaux.

« Notre environnement doit permettre cette prise d’initiatives pour que le joueur ose exécuter la décision qui lui semble juste »

Au premier niveau, il y a la capacité à prendre des risques car s’entrainer à saisir des opportunités en situation occasionne nécessairement des erreurs. Dans l’environnement et l’histoire du joueur (éducateurs, parents, professeurs et instituteurs, pairs …), cette dernière peut avoir été stigmatisée et être porteuse d’une connotation négative. En conséquence, le joueur peut avoir la tentation d’en commettre le moins possible et de se limiter dans son expression.

Notre environnement doit permettre cette prise d’initiatives pour que le joueur ose exécuter la décision qui lui semble juste. La création d’un environnement bienveillant et sécurisant est dans ce cadre une priorité. La place du résultat et la pédagogie de l’éducateur influenceront beaucoup le climat d’apprentissage. Nous accompagnons le joueur afin qu’il exprime sa singularité, ce qu’il a de particulier en tant que footballeur. Nous avons la conviction que sa performance passera avant tout par l’expression de ses points forts.

Dans la continuité du processus, il s’agira au second niveau que le joueur soit en capacité de reconnaitre ses erreurs et à les analyser. Accompagné par l’éducateur, cela constituera un puissant levier d’apprentissage. En fait, c’est une sorte de continuum de management, sur lequel nous travaillons.

Il y a plusieurs saisons, le FC Lorient a pris une décision qui peut sembler radicale en ne présentant plus d’équipe dans le championnat U19 Nationaux. En quoi cette décision, s’inscrit-elle dans la démarche que vous venez de décrire ?

Ce choix a été interprété de multiples manières et souvent, les arguments qui fondent cette décision ne sont pas bien connus. Nous avons la conviction que la qualité de l’organisation, la clarté du projet sportif et la cohérence à tous les niveaux de l’entreprise ont une influence majeure sur le vécu du joueur et donc sur ses possibilités d’épanouissement.

Nous avons défini une matrice de management (7 items) dont le but est de contribuer à la création d’un environnement stimulant la prise de responsabilité du joueur dans sa progression. Parmi les éléments fondamentaux de cette matrice, nous trouvons des éléments d’ordre organisationnel avec par exemple la structuration des effectifs, la qualité des situations de compétition et les opportunités de jouer chez les professionnels.

Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Sur la partie structure d’effectifs, la réflexion a débuté véritablement à partir de 2014. Au centre de formation, nous avions 2 groupes d’entrainement. Le groupe U17 dont j’avais la charge, composé de 21 joueurs et le groupe réserve dirigé par Franck Haise avec 34 joueurs.

Ce second groupe était à la fois important en nombre et très hétérogène car les joueurs qui le composait pouvaient être pour certains très proches du groupe professionnel et pour d’autres soutenir tout juste le niveau en U19 nationaux. Le 2nd point remarquable est que je ne pouvais pas facilement, dans ces circonstances, promouvoir mes meilleurs U17 vers la réserve alors que leur progression le réclamait.

Notre finalité en tant que centre de formation est de créer les conditions de l’émergence d’au moins trois joueurs par promotion vers le groupe professionnel. Le constat que nous avons fait est que, par usage, la structuration de nos effectifs était réalisée par rapport à l’organisation des compétitions (U17 nationaux, U19 nationaux et CFA) et non en fonction de cette finalité. Nous étions plutôt un centre de compétition qu’un centre de formation.

« Notre finalité en tant que centre de formation est de créer les conditions de l’émergence d’au moins trois joueurs par promotion vers le groupe professionnel. »

Nous conservions par exemple plusieurs U19 pour construire l’effectif pour la saison alors que les perspectives pour atteindre le groupe professionnel n’existaient pas. Pour être en phase avec nos objectifs, nous avons transformé le parcours avec en 1er lieu des choix beaucoup plus sélectifs à la sortie des U18 (fin du contrat Aspirant et du Lycée) : nous ne conservons que les joueurs dont nous avons la conviction qu’ils pourront commencer à s’exprimer dans le groupe professionnel dans les 1 à 3 ans qui suivent (processus de décision collégial intégrant la direction sportive et l’entraineur professionnel).

Cela participe aussi à un principe d’honnêteté que nous devons avoir avec les joueurs qui ne rentrent pas dans cette perspective. Si la croyance en leur réussite est faible, il vaut mieux leur donner la possibilité de continuer à s’exprimer ailleurs sur un projet sportif et/ou scolaire (post-bac) qui leur correspondrait mieux plutôt que de les garder dans les effectifs pour les besoins éphémères d’une compétition.

Par ailleurs, la distribution des joueurs entre les 2 groupes a sensiblement évolué car nous avons considéré que le groupe réserve ne devait être composé qu’avec des joueurs démontrant un niveau et un potentiel de développement en phase avec nos finalités. En conséquence, ce groupe n’excède aujourd’hui pas 22-23 joueurs et intègre définitivement ou occasionnellement les meilleurs U17 en fonction de leur degré de maturité (physique et/ou psychologique). Le 1er groupe d’entrainement réunit lui les U16 et les U17-U18 qui n’ont pas, ou pas encore, les caractéristiques suffisantes pour franchir l’échelon supérieur.

« Nous étions plutôt un centre de compétition qu’un centre de formation »

Le fait de ne plus conserver ces 5 à 7 U19 dans nos effectifs nous a mis immédiatement en difficulté pour construire un groupe pour nos U19 nationaux. Nous avons testé différentes hypothèses avant de conclure que dans notre contexte (promotions U16, U17 et U18 composées chacune de 8 à 12 joueurs souvent immatures), la meilleure solution était de supprimer les U19 nationaux et d’élaborer un autre parcours de compétition. J’ai beaucoup échangé avec le DTN de l’époque, François Blaquart, qui soutenait lui aussi qu’il y avait trop de joueurs dans les centres de formation.

Nous avons expérimenté durant 3 saisons un championnat sénior R1 afin notamment de nous confronter plus rapidement à un football plus mature puis, durant 2 saisons, une équipe qui ne jouait que des matchs amicaux. Dans les 2 cas, les dynamiques d’entrainement et de gestion de charge fonctionnent mais la situation de compétition n’est pas suffisamment qualitative sur la durée d’une saison entière. Or, cette dernière est fondamentale dans notre processus de développement.

Entre temps nous avons renforcé notre section sportive 2nd cycle et nous allons prochainement recréer une compétition U19 nationaux supportée par le dispositif section. Nous pourrons ainsi proposer à nos meilleurs U17 et U18 (voire U19 pour ceux qui manquent de temps de jeu en N2) les meilleures oppositions U19 nationaux et les matchs amicaux de la réserve.

« Nous avons testé différentes hypothèses avant de conclure que dans notre contexte, la meilleure solution était de supprimer les U19 nationaux et d’élaborer un autre parcours de compétition »

Cela semble être à ce jour le meilleur compromis car nous pourrons poursuivre notre réduction d’effectif au centre de formation, proposer un nombre de matchs conséquent (entre 25 et 35 environ) avec des oppositions variées (centre de formation, football sénior) tout en maintenant l’authenticité de la situation de compétition (dialectique gagner-perdre, niveau des adversaires, intégration dans un championnat …).

A peu près tout le monde s’accorde sur le fait que le championnat de National 2 est un championnat exigeant, avec une palette d’adversité très diverse : on peut jouer des très bons clubs amateurs avec des adultes, des gens matures physiquement, on peut jouer des réserves professionnelles et selon la politique de ces clubs, on peut tomber sur des équipes très jeunes (en termes de date de naissance), ou au contraire un peu plus vieille. Est-ce que c’est aussi un des éléments que vous évoquiez lorsque vous parliez du coté imprévisible de la compétition et finalement, d’avoir des problèmes différents à résoudre chaque week-end ?

L’une des difficultés que nous rencontrons est que les problèmes de jeu rencontrés durant une grande partie du parcours de formation ne sont pas nécessairement représentatifs de ceux qui vont être déterminants au moment de l’entrée dans le groupe professionnel.

Nous pourrions considérer que de manière progressive chaque catégorie propose des problématiques toujours plus riches et nous accommoder d’une construction régulière des compétences. Ce n’est pas l’observation que nous en faisons. Les matchs joués dans les compétitions U17 et U19 nationaux (le processus peut débuter en U15 R1) présentent en effet beaucoup de régularités.

Nous jouons presque contre notre miroir vs d’autres centres de formation et essentiellement en attaque placée vs les équipes qui n’ont pas nos moyens de recrutement (clubs de national et inférieurs). L’homogénéité du parcours de compétition quelques fois accentuée par le biais des préférences personnelles des éducateurs (souvent sur la possession du ballon), peut nous conduire à ne construire qu’une partie de la culture de jeu requise au niveau professionnel.

« L’une des difficultés que nous rencontrons est que les problèmes de jeu rencontrés durant une grande partie du parcours de formation ne sont pas nécessairement représentatifs de ceux qui vont être déterminants au moment de l’entrée dans le groupe professionnel »

Le championnat National 2 est intéressant car il est exigeant pour des jeunes joueurs et en même temps, il offre une diversité importante de styles de football (une réflexion vers la possibilité d’accession au National voire la Ligue 2 pour les meilleurs CDF irait dans ce sens). Cela augmente notre exposition à l’imprévisibilité et sollicite d’autant plus la capacité d’adaptation en situation.

Chez les professionnels, le jeu est plus stable. Lorsque les garçons atteignent ce niveau, ils nous disent régulièrement qu’ils y trouvent plus de repères notamment en ce qui concerne la lecture des espaces. Ils doivent par contre s’accommoder rapidement du différentiel sur le plan athlétique (impact dans les duels, changements de rythme, vitesse/puissance) et élever considérablement leur niveau d’efficacité.

« L’homogénéité du parcours de compétition quelques fois accentuée par le biais des préférences personnelles des éducateurs (souvent sur la possession du ballon), peut nous conduire à ne construire qu’une partie de la culture de jeu requise au niveau professionnel »

Travaillant avec des effectifs peu nombreux, nous avons besoin de recruter quelques joueurs en post-formation pour venir encadrer nos plus jeunes joueurs. C’est ce qu’ont réalisé Maxime Etuin et Tristan Boubaya par exemple durant quelques saisons. Ces cadres apportent une réelle plus-value de niveau de jeu, élèvent le degré de concurrence et en même temps diffusent une maturité en particulier dans la relation qu’ils entretiennent à leur projet de développement (exemplarité). Ils s’apparentent à des éducateurs en interne et peuvent agir comme des tuteurs. Ce levier de formation est pour nous très important.

Vous évoquiez juste avant les opportunités de jouer chez les professionnels, qu’est-ce que vous voulez dire précisément ?

Dans le but de stimuler notre politique de formation, nous avons dans le même temps, repensé la structuration de l’effectif professionnel et les règles de fonctionnement concernant le temps de jeu en N2 :

  • Objectif de maintenir une taille du groupe professionnel de 22-23 joueurs maximum
  • Les joueurs qui ne jouent pas avec le groupe professionnel (surplus d’effectif occasionnel) ne viennent pas impacter le groupe de compétition National 2. Seuls viennent les joueurs en réathlétisation ou les jeunes joueurs qui ont besoin de temps de jeu (soit 2 à 3 joueurs maximum en moyenne)

Dans ce cadre, les meilleurs joueurs de la réserve s’entrainent régulièrement avec le groupe professionnel et le groupe de joueurs peut construire son histoire d’entrainement liée à la compétition N2. Chaque saison, nous portons une attention particulière à la construction de cet effectif réserve (recrutement post-formation, recherche de cadres, intégration des U17 des U18). Nous devons ajuster le niveau de concurrence car il ne s’agit pas d’installer à proximité du groupe professionnel une contre-culture où le temps de jeu est « offert » avec une faible exigence à la fois en termes de niveau de jeu et de comportements (« devenir un meilleur joueur »).

Ces décisions ont été fondamentales pour donner de l’oxygène à la formation et accélérer le processus d’éclosion de nos meilleurs éléments. Aujourd’hui, le projet du centre de formation est pleinement intégré dans le projet club, il n’est pas comme cela peut souvent être le cas situé « à côté » et déconnecté de la dynamique globale.

« Il ne s’agit pas d’installer à proximité du groupe professionnel une contre-culture où le temps de jeu est « offert » avec une faible exigence à la fois en termes de niveau de jeu et de comportement »

Différentes étapes ont été franchies et il reste encore beaucoup à faire, la donnée temps étant incontournable. La confiance et le soutien qu’accordent le président Loïc Féry sont assurément des éléments clé de l’équation. Il faut noter aussi que le projet a franchi un cap dans la relation avec l’équipe professionnelle à partir de 2017. Fabrice Bocquet (DG) et Mickaël Landreau ont apporté une contribution remarquable. Le projet poursuit son chemin avec d’autres acteurs Stéphane Gravereaux (DG), Christophe Le Roux (dir. sportif) et Christophe Pélissier. Nous avons la conviction que nous ne pourrons réussir qu’en travaillant en équipe.

Pour illustrer cette dynamique collective, nous avons créé sous l’impulsion de C. Pélissier et son staff un dispositif d’accompagnement entre le groupe réserve et le groupe professionnel composé à ce jour de 9 joueurs proches du groupe professionnel mais pas encore intégrés dans ce que nous appelons le « 16 utile » (joueurs qui mobilisent l’essentiel du temps de jeu en L1). L’objectif est de les aider à franchir le cap vers la titularisation dans cet espace où ils peuvent souffrir d’un manque de reconnaissance et où la frustration et l’impatience peuvent être très fortes (et mauvaises conseillères).

Nous constituons ainsi un groupe de travail où chaque semaine, les staffs techniques et les préparateurs physiques du groupe pro et de la réserve construisent un programme individualisé (séance terrain spécifique, musculation, vidéo, entretiens en préparation mentale et médical …) pour chaque joueur en prenant en compte différents paramètres (performances récentes en compétition, charges et groupes d’entrainement, programmes de développement spécifique …).

Toutes les 6 semaines, nous faisons un point de situation avec chaque joueur en réunissant le coach pro, le directeur sportif et le directeur du centre de formation. Suite à ce point de situation, un partage d’informations est systématiquement réalisé auprès de l’environnement proche du joueur de manière à maintenir toutes les parties dans le processus de développement.

Revenons à la nécessité d’instruire les joueurs, finalement de leur donner des outils pour devenir autonomes et décideurs. Comment cela se concrétise-t-il dans le travail quotidien ? Que ce soit dans la conception des séances, dans la relation que vous nouez avec les joueurs et peut-être dans le profil des éducateurs ou des techniciens que vous avez ?

Plutôt que d’instruire et de donner des outils, je dirais que nous reconnaissons de fait l’autonomie du joueur et que nous l’accompagnons en construisant un environnement propice à son développement.

Avant d’envisager une quelconque intervention, nous devons savoir de quoi nous parlons. Dans ce sens, l’analyse de la performance a une place prédominante dans notre dispositif. Le football est une activité complexe, mais en même temps, comme elle fait partie de notre culture populaire, nous avons spontanément l’impression de bien la connaître. Tout le monde a plus ou moins ce sentiment et pense avoir un avis éclairé, argumenté sur ce qui se passe sur le terrain pour expliquer les performances individuelles et collective.

Le « j’ai fait un bon match, je n’ai pas fait un bon match » reposent sur des impressions et des souvenirs plus ou moins clairs et finalement, le joueur se construit une représentation de ses performances extrêmement floue. Elle se nourrit des croyances et opinions diverses du milieu, des avis plus ou moins judicieux des pairs, des parents, de l’agent ou du conseiller.

« Le football est une activité complexe, mais en même temps, comme elle fait partie de notre culture populaire, nous avons spontanément l’impression de bien la connaître »

De son côté, l’éducateur a lui aussi une vision limitée de la performance de l’équipe et des joueurs à la sortie du match. Durant ces 90 minutes de jeu en continu avec 22 joueurs sur le terrain, le management de l’équipe, l’attention aux problèmes de jeu, l’évolution du scénario … Il y a un tel volume d’informations à traiter qu’il n’est pas possible de présenter un avis argumenté sans passer par une analyse exhaustive à l’aide de la vidéo. Nous comparons régulièrement le match de football à un brouillard dans lequel il est difficile de se situer.

Sur le plan méthodologique, il y a un enjeu fondamental à former chaque éducateur pour qu’il sache ce qu’il faut rechercher dans cette complexité. Les bases théoriques, la connaissance du jeu et la maitrise des outils informatiques vont l’aider à filtrer ce signal qui contient beaucoup de bruits pour le rendre intelligible.

En tout état de cause, si l’éducateur fait l’économie de cet exercice d’analyse post-match, les erreurs d’interprétation se multiplient et laissent la place aux mauvaises représentations. Nous émettons l’hypothèse que cela n’est pas propice au développement d’une culture de la performance. Le joueur se contente de peu (culture de la participation) et/ou se décharge aisément de ses responsabilités en utilisant des alibis peu vérifiables.

« Sur le plan méthodologique, il y a un enjeu fondamental à former chaque éducateur pour qu’il sache ce qu’il faut rechercher dans cette complexité »

Nous avons beaucoup travaillé depuis 4-5 ans pour développer un processus d’analyse de la performance rigoureux et partagé de l’école de foot jusqu’à la réserve. Nous tenons à ce que cet exercice soit réalisé par l’éducateur et non un analyste désynchronisé des histoires d’entraînement collective et individuelles. L’éducateur traite les images chaque week-end, élabore des rapports statistiques, des montages vidéo collectifs et individuels. Cela représente environ une journée de travail et il faut reconnaitre leur remarquable degré d’implication. Nous devons ajuster l’analyse à chaque joueur en fonction de son stade de développement et l’impliquer progressivement dans un dispositif d’explicitation de sa pratique lui permettant de capitaliser sur ses expériences (autorégulation par exemple).

Suite à l’analyse de la performance (diagnostic précis), nous procédons durant la semaine au déploiement de deux histoires : l’histoire collective de l’équipe et l’histoire individuelle du joueur. Les deux se nourrissent l’une de l’autre et nous considérons que l’une ne peut être envisagée indépendamment de l’autre. C’est un véritable défi de les articuler.

Notre planification collective est organisée en partant du match qui vient d’être joué pour aller vers celui qui va être joué. Pour s’assurer du traitement équitable de toutes les phases du jeu, nous nous reposons beaucoup sur un cadre ciblant des thèmes de journée : focus sur la défense placée et la transition offensive le mardi, attaque placée et transition défensive le mercredi, transition offensive et zones de finition le jeudi, préparation du match à venir le vendredi.

« Suite à l’analyse de la performance (diagnostic précis), nous procédons durant la semaine au déploiement de deux histoires : l’histoire collective de l’équipe et l’histoire individuelle du joueur »

Les problèmes de jeu rencontrés, ceux qui peuvent éventuellement être anticipés pour le match suivant et la progression de l’équipe et des joueurs permettent ensuite de cibler plus particulièrement des principes ou sous-principes. Si cette planification nous aide à bien équilibrer notre culture de formation, elle est également utile pour faciliter le passage des joueurs d’un groupe à un autre. Par ailleurs, la diversité des principes à explorer dans les différentes phases de jeu associée à la prise en compte des progressions collectives et individuelles aboutissent à un renouvellement permanent de nos contenus de séance.

En fonction du développement, chaque éducateur dispose de la latitude de faire évoluer ce cadre hebdomadaire. Il demeure important par rapport à ce qu’il sous-entend de la construction d’une culture de jeu équilibrée tout au long du processus de formation.

Chaque jour d’entrainement s’amorce par une séance vidéo de 15 à 30’ utilisant quelques séquences issues du match précédent ou du haut niveau. Le but est à la fois de nourrir la connaissance du jeu et de sensibiliser les joueurs sur le contenu de la séance qui va suivre. Sur le plan pédagogique, nous imaginons des dispositifs pour impliquer au maximum chaque joueur.

Sur le terrain, il s’agit de créer un environnement qui permette d’explorer la ou les problématiques visées. Nous incitons les joueurs à avoir un projet et en même temps nous leur disons qu’il faudra toujours s’adapter en situation, cela me semble être quelque chose d’important pour la préparation au milieu professionnel. Le cours des séances est lui-même imprévisible, parfois un problème de jeu que nous n’avions pas anticipé lors de la conception de la séance émerge pendant celle-ci, obligeant les joueurs à s’y adapter.

Les entrainements étant tous filmés, nous bouclons la journée par un feedback en mettant systématiquement les différentes séquences à disposition des joueurs sur une plateforme dédiée. Les images peuvent être montées avec des rapports statistiques et/ou habillées pour cibler plus précisément tel ou tel objectif et contribuer à la poursuite du développement des habiletés d’autorégulation du joueur (co-construction des objectifs, suivi et évolution de ces objectifs …).

« Le cours des séances est lui-même imprévisible, parfois un problème de jeu que nous n’avions pas anticipé lors de la conception de la séance émerge pendant celle-ci, obligeant les joueurs à s’y adapter »

A propos du profil des éducateurs et des collaborateurs (-trices), la première des qualités est celle d’avoir conscience d’intégrer une organisation apprenante et agile au service d’un projet bien identifié. Celui-ci étant toujours mouvement, cela demande de l’adaptabilité et beaucoup de travail. La compétence technique et la diversité des profils sont importantes mais je recherche avant tout un certain type de comportement.

Je suis très exigeant sur l’éthique professionnelle et la confiance organisationnelle (la qualité de la parole, le degré de responsabilité, le haut niveau d’intégrité et d’honnêteté …). Je demande à chacun d’incarner l’excellence (toujours faire du mieux possible, être capable de se remettre en question) et enfin je place l’entre-aide et la coopération comme l’un des axes essentiels de mon management (« en quoi puis je vous être utile ? »).

Chaque personne a un rôle éminemment important dans la construction du projet, quel que soit le secteur dans lequel il intervient (hébergement, scolarité, médical, administratif, logistique, sportif, recrutement). Chacun porte une responsabilité très forte et mon rôle consiste aussi à organiser l’environnement pour favoriser leur épanouissement (accompagnement, formation, supervision …). Au final, nous créons les conditions d’une dynamique collective vertueuse, une sorte de bouillon de culture où la curiosité, la bienveillance et les débats contradictoires constructifs animent nos semaines.

Vous avez parlé d’histoire collective, mais aussi d’histoires individuelles, donc aussi un peu de culture individuelle. Comment allez-vous façonner la structure de ces joueurs de haut niveau en devenir, notamment sur les sujets de l’attention à soi ou des choses à faire avant et après une séance ?

Dans tous les cas, le jeu sera central dans notre approche. Ce sont les problématiques qui naissent de la confrontation à la situation de compétition qui vont nourrir les axes de développement du joueur et non la projection d’une norme par un éducateur ou un préparateur physique par exemple. Nous analysons les évolutions du football de haut niveau et voyageons pour rencontrer les meilleures structures de manière à rester connecté à la réalité. Néanmoins, notre point de départ sera toujours la résolution de problèmes en situation et l’expression de la singularité de chaque joueur.

Nous pouvons illustrer ce sujet par le développement de la capacité à répéter les efforts à haute intensité. Les normes de haut niveau sont très bien documentées dans la littérature et il existe un consensus sur le Yo-Yo recovery test level 2 autour de 1200 m pour un attaquant par exemple.

« Ce sont les problématiques qui naissent de la confrontation à la situation de compétition qui vont nourrir les axes de développement du joueur et non la projection d’une norme par un éducateur ou un préparateur physique par exemple »

Si le jeune joueur de 17 ans affiche aujourd’hui une valeur de 900 m nous pouvons considérer que cette donnée risque d’être limitante pour répondre aux exigences de la situation professionnelle. Plutôt que d’engager une stratégie décontextualisée de développement avec le préparateur physique (à base d’exercices spécifiques en dissocié), nous allons partir de l’analyse de l’activité du joueur en compétition. Quel est son profil de jeu ? Qu’est-ce qu’il réalise déjà et qui constitue son point fort ? Pourrait-il mieux le faire et plus souvent ? Qu’est-ce qu’il ne fait pas et qu’il devrait être capable de réaliser car la situation l’exige ?

Nous allons peut-être pouvoir cibler le niveau d’activité du joueur sur le pressing, le pressing à la perte, les replis dans les phases de transition défensive, ses projections en transition offensive, ses courses en profondeur ou sa présence dans la zone de finition …

Des pistes vont émerger et nous allons travailler sur un ou deux objectifs qui vont avoir pour effet d’augmenter le volume de course à haute intensité durant les phases jouées de l’entrainement. Le développement d’une qualité physique va donc passer par une intention de jeu et nous pourrons suivre l’évolution de cette donnée par les GPS et réaliser un nouveau test Yo-Yo quelques mois après pour vérifier que la progression se produit réellement.

Nous avons souvent la tentation d’être descendant et d’en quelque sorte limiter les possibilités de prise de décision de l’individu. A l’image des minimas, nous préférons dire au joueur où il en est en termes de niveau, qu’il est potentiellement loin des exigences et ensuite de le lui proposer un maximum de ressources pour lui permettre de franchir des caps. Nous l’accompagnerons dans ses premiers pas à l’aide d’un dispositif de tutorat institué depuis plusieurs mois mais nous ne le ferons pas à sa place.

Notre expérience nous démontre que l’émergence vers le plus haut niveau se réalise quand le joueur saisit pleinement l’idée que sa progression dépend avant tout de lui-même et de ce qu’il engage chaque jour pour s’améliorer. Quand cela se produit, les conditions sont posées vers l’épanouissement progressif du jeune homme et du joueur et cela conduit à des niveaux de performance parfois insoupçonnables.

Associé à cette relation toujours de plus en plus fine au jeu, nous réalisons un travail de fond sur le plan éducatif afin que le joueur apprenne progressivement à mieux percevoir son métier et à mieux se connaitre. Il s’agit de poursuivre la création de sens autour du projet « devenir sans cesse un meilleur joueur » et de l’éveiller aux ressources dont il peut disposer pour progresser.

Nous bénéficions de la présence de Jérôme Drouard dans le cadre de l’accompagnement psychologique. Il travaille avec les joueurs de la formation et ceux du groupe professionnel ce qui permet à la fois la compréhension des difficultés du passage d’un secteur à un autre et un suivi longitudinal tout au long du processus de formation.

« Notre expérience nous démontre que l’émergence vers le plus haut niveau se réalise quand le joueur saisit pleinement l’idée que sa progression dépend avant tout de lui-même et de ce qu’il engage chaque jour pour s’améliorer »

L’objectif est qu’à la fin de sa formation, le joueur soit hautement cultivé du jeu et qu’il dispose des ressources suffisantes pour répondre aux attentes du coach professionnel et aux situations de jeu qu’il va rencontrer. Les échanges très réguliers avec C. Pélissier et son staff nous permettent d’ajuster les axes de développement. Nous avons par exemple amélioré nos contenus sur le jeu de transition offensive et son intégration avec la phase de défense placée. Rien ne remplacera l’expérience qui est à vivre mais nous pouvons préparer un terrain propice à bien l’appréhender.

Nous conservons une relation privilégiée avec la majorité des joueurs, y compris après leur départ du club. Qu’ils aient réussi ou non à percer au FC Lorient, nous nous intéressons au plus haut point à leur feedback à propos de l’utilité ou non du bagage acquis en formation chez nous. La connaissance du jeu, la capacité à s’adapter en situation et à s’associer avec des partenaires constituent selon eux des outils très précieux pour évoluer dans la suite de leur carrière.

Comment articulez-vous ces principes de développement avec votre stratégie de recrutement ?

Aziz Mady-Mogne, notre responsable du recrutement au CDF, travaille beaucoup avec nos collaborateurs sur le partage de cette vision et les conséquences en termes de détection et de sélection. Nous avons constitué depuis quelques mois un groupe de travail multidisciplinaire en sollicitant une nouvelle fois des contributions extérieures (Vincent Gesbert, chercheur à l’université de Lausanne, Frédéric Bodineau, responsable CERFA et G.M. Thieffry consultant RH/formateur, par exemple).

Il s’agit d’une étape cruciale pour la poursuite de notre développement en tant que structure de formation. L’organisation (école de football, préformation, clubs partenaires, scouting …), la méthodologie (profils recherchés, critères d’observation, place des data …) et le management du processus (définition des rôles, responsabilisation, implication des éducateurs, circuits de décision …) constituent des sujets très importants chez nous en ce moment.

Au-delà des caractéristiques du joueur, nous nous intéresserons beaucoup à sa capacité à conduire un projet de développement. De fait, nous ne pouvons pas prédire son comportement face aux obstacles qu’il rencontrera au FCL car seule sa confrontation à l’activité nous le dira. Par contre, nous pouvons essayer de comprendre comment il s’est comporté face aux obstacles qu’il a déjà rencontrés.

« Au-delà des caractéristiques du joueur, nous nous intéresserons beaucoup à sa capacité à conduire un projet de développement »

Dans un environnement ultra concurrentiel, les pratiques de recrutement subissent de plus en plus de dérives et la tentation de la précipitation n’est jamais très loin. Néanmoins, nous restons en phase avec notre modèle de formation. Celui-ci convainc d’ailleurs de plus en plus car les effets de notre travail en formation ou en post-formation sont maintenant perceptibles. Les trajectoires de M. Guendouzi (Arsenal, Hertha Berlin), A. Claude-Maurice (Nice), I. Meslier (Leeds) ou E. Le Fée pour la formation et de P.Y. Hamel et D. Bouanga (ASSE) en post-formation par exemple, contribuent à crédibiliser notre démarche.

Pour faire le lien entre l’évolution du projet et votre histoire personnelle, positionnons-nous quelques instants sur votre parcours. Vous avez réalisé une thèse sur la course à pied, n’est-ce-pas ?

Oui, j’ai travaillé sur l’étude biomécanique de la course à pied à partir d’une méthode accélérométrique ambulatoire chez le coureur de ½ fond et soutenu ma thèse à Rennes en 2006.

Ce qui est intéressant c’est que vous avez été à la fois joueur de haut-niveau et universitaire, est-ce que les expériences vécues et les compétences développées lors de ce double parcours vous influencent dans votre rôle de directeur du centre de formation du FC Lorient ?

L’histoire renseigne sur ce que nous sommes et donne quelques indications à propos de notre devenir. Mon parcours de footballeur a été marqué par le Stade Rennais car j’y ai passé 9 saisons en tant que joueur puis 8 en tant qu’éducateur au centre de formation. Pendant mon parcours de joueur, j’ai eu la possibilité de poursuivre mes études en STAPS. Je n’avais pas particulièrement d’objectifs mais de fil en aiguille le cursus s’est allongé jusqu’au doctorat.

« L’histoire renseigne sur ce que nous sommes et donne quelques indications à propos de notre devenir »

La contrainte du parcours de thèse a été forte durant la seconde partie du travail car, changeant de région, j’ai dû me déconnecter des laboratoires de recherche et réaliser le travail en quasi autonomie. J’ai dû m’adapter et j’ai énormément progressé ! Cet esprit autour de la recherche doit certainement influencer mon fonctionnement actuel : être capable de synthétiser et de formaliser, développer un sens critique, être en perpétuelle évolution et innover, s’adapter et rechercher des opportunités dans les situations difficiles …

« Une simple rencontre peut quelques fois contribuer à nous transformer incroyablement »

Chaque projet évolue en fonction de la personnalité et des contributions de ses acteurs donc il est assez logique que le nôtre suive une voie singulière. Depuis plusieurs saisons, j’accorde une attention particulière à créer des liens avec d’autres compétences dans de multiples domaines en France et à l’étranger (clubs, structures fédérales, autres disciplines dont dernièrement le rugby et le cyclisme, chercheurs et entraineurs …). Nous échangeons avec des personnes passionnées qui développent un niveau de compétence très élevé dans des univers variés et une simple rencontre peut quelques fois contribuer à nous transformer incroyablement.

Étant donné que, très souvent, nous transmettons ce que nous sommes, est-ce que ce double parcours a une influence sur les parcours qui peuvent être proposés aux jeunes footballeurs de Lorient ?

En fait, cela va toujours dépendre des ressources du garçon et de ses centres d’intérêt. Nous évoluons vers une approche holistique de l’individu et le développement d’habiletés de vie transférables d’un contexte à un autre (sportif, scolaire, éducatif). Je ne peux pas tout développer ici mais je peux illustrer ce processus avec les travaux de l’équipe pédagogique.

L’école privée (« École des Merlus »), dirigée par Thierry Le Van, transforme progressivement ses pratiques d’enseignement dans le but de rendre nos élèves plus actifs dans leurs apprentissages. Nous travaillons par exemple sur le principe de la « classe inversée ». Avant le cours, l’élève découvre les notions et les méthodes seul sur des supports attractifs (résumé de cours, supports vidéo déposés sur une plateforme de partage).

« Nous évoluons vers une approche holistique de l’individu et le développement d’habiletés de vie transférables d’un contexte à un autre (sportif, scolaire, éducatif) »

Le temps de classe peut démarrer par un quiz pour évaluer leur connaissance, leur compréhension et répondre aux interrogations. La suite peut être consacrée à la mise en commun, à la synthèse ainsi qu’à l’entraînement sur différents exercices. Autre exemple, à chaque fin de chapitre, les élèves peuvent présenter par groupe l’ensemble des points importants en les mettant en lien avec des exemples concrets. Le bilan de cette pratique est très encourageant. D’une part, elle permet une implication plus importante des élèves et une responsabilisation face à leur projet scolaire. D’autre part, le rôle et la posture de l’enseignant évoluent vers un accompagnement personnalisé qui facilite la connaissance des besoins de chaque élève.

Ces pratiques d’apprentissage sont transversales et également utilisées dans le secteur sportif, cela participe à la construction d’une cohérence globale du projet de formation. Les éducateurs utilisent notamment ce type de démarche dans le cadre de l’analyse vidéo collective des matchs. Ils déposent plusieurs séquences ciblées sur une plateforme, constituent un sous-groupe de joueurs concernés directement par les images et leur demandent d’y travailler en amont d’une présentation qu’ils devront réaliser en avant séance le lendemain ou le surlendemain.

En plus du travail d’analyse effectué en équipe, il s’agira non seulement d’exposer un point de vue devant l’assistance mais aussi d’interroger les partenaires et d’accompagner une réflexion sur les alternatives qui pourraient être envisagées dans chacune des actions de jeu exposées. Autre exemple à propos de l’analyse des prestations individuelles, les séquences de match voire le match entier peuvent être évaluées d’un côté par le joueur, de l’autre par l’éducateur puis comparées et discutées …

« Ces pratiques d’apprentissage sont transversales et également utilisées dans le secteur sportif, cela participe à la construction d’une cohérence globale du projet de formation »

Au niveau de l’école, nous étoffons par ailleurs progressivement notre offre post bac car en plus du BTS (réalisé en bilingue), nous travaillons sur des formules en e-learning, plus ajustées au parcours et possibilités de chacun. Il y a des joueurs qui trouvent un bon équilibre en poursuivant des études après le Bac, nous les soutenons dans cette démarche en les accompagnant du mieux possible.

La périodisation tactique est l’une des méthodologies dont on parle le plus dans le football d’aujourd’hui. A-t-elle eu une influence sur votre cheminement ?

Comme évoqué plus haut, j’incite mes collaborateurs(-rices) à s’ouvrir, créer des réseaux internes et externes, se documenter et à engager de nouveaux projets par rapport aux problématiques qu’ils rencontrent dans leur quotidien. Je fais le maximum pour l’incarner !

Je lis beaucoup et avec Erwann Le Postec (responsable préparation physique), nous nous sommes beaucoup intéressés à la périodisation tactique (PT) à partir de 2016-2017.J’avais notamment été interpellé par la lecture de « Complex Football » écrit par J. Mallo à propos de la PT et de l’entrainement structuré. Certaines bases théoriques présentées dans la première partie de l’ouvrage correspondaient aux balises utilisées dans notre travail avec Claude. Vitor Frade cite d’ailleurs très régulièrement les travaux d’Edgar Morin.

Les lectures n’étant pas suffisantes pour appréhender les détails de son implémentation, j’ai recherché des endroits où la méthodologie était utilisée. C’est ainsi que nous avons réalisé 2 stages d’une semaine, l’un auprès des U19 du LOSC avec Mickael Delestrez et Jérémie Dos Santos (mai 2018) et l’autre, au contact de l’équipe professionnelle du Toulouse FC avec Alain Casanova et Jonathan Alves (février 2019).

« Nous ne nous sommes pas « convertis » à la PT car nous avons notre propre histoire mais nous nous sommes beaucoup inspirés des développements autour de certains piliers méthodologiques »

Nous avons observé les séances et beaucoup échangé avec les entraineurs pour nous construire une représentation plus fine de la mise en œuvre de cette méthodologie. Nous ne nous sommes pas « convertis » à la PT car nous avons notre propre histoire mais nous nous sommes beaucoup inspirés des développements autour de certains piliers méthodologiques (propension, progression complexe, alternance horizontale en spécificité) pour continuer à construire notre méthodologie.

Notre curiosité vis-à-vis du jeu de position (JDP) illustre également cette démarche d’enrichissement. Nous y avons trouvé une opportunité pour aider les joueurs et les staffs à construire du sens en particulier dans les phases d’attaque placée et de transition défensive. Les notions d’avantages et de supériorités, la manière de concevoir l’occupation de l’espace, l’organisation des comportements positionnels et circulants, la définition des rôles à partir des moments du jeu et des espaces de phase par exemple, constituent les bases d’un langage partagé qui augmentent les possibilités d’interprétation du jeu et la résolution de problèmes en situation.

Le processus de déploiement se poursuit car il s’enrichit en permanence des expériences et de nouvelles informations. Nous nous sommes beaucoup documentés et je pourrais citer 3 rencontres qui ont été importantes pour élaborer notre pensée : 

  1. le très bel article « Juego de Posición under Pep Guardiola » écrit par Adin Osmanbašić sur spielverlagerung.com fin 2014 
  2. la conférence GOALTIME/NOSOTROS organisée à Paris en octobre 2018
  3. le stage d’une semaine réalisé au Betis Séville (Q. Setien) avec Florent Ghisolfi en décembre 2018.

Sur le principe des organisations apprenantes, nous avons développé le projet en staff, lancé une expérimentation dans un groupe d’entrainement, tiré les leçons des expériences, formalisé le projet (écriture) et ensuite transféré la connaissance aux autres sous-secteurs.

« Nous considérons que la curiosité pour un concept doit venir nourrir nos problématiques de terrain (et non l’inverse) tout en s’intégrant dans notre vision »

Il existe aujourd’hui une telle profusion et une telle disponibilité des informations que nous devons néanmoins être très attentifs à la manière de gérer les flux. En premier lieu, nous considérons que la curiosité pour un concept doit venir nourrir nos problématiques de terrain (et non l’inverse) tout en s’intégrant dans notre vision. En second lieu, nous serons toujours vigilants à interroger la robustesse de l’argumentation car il existe en football comme ailleurs beaucoup de croyances et de méthodologies présentées comme innovantes mais souvent trop peu fondées.

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