Ancien responsable de l’innovation et du développement technique, au sein du département méthodologie du FC Barcelone, Xavier Damunt est aussi le co-auteur du livre, El entrenamiento sistémico basado en las emociones avec Isaac Guerrero.
Il nous propose un éclairage sur les travaux qu’ils ont mené, notamment sur l’influence des émotions dans le processus de prise de décision.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Pour vous, comment le processus de prise de décision d’un individu est-il organisé ?
Nous sommes très à l’aise avec ce que la science de la complexité préconise à travers le cycle perception-action. Un système (un joueur est un système) tente continuellement de s’adapter à un contexte changeant. Sur la base des informations extraites de l’environnement et sur lui-même, le joueur est amené (contraint) à prendre une décision qui lui permettra de s’adapter à cet environnement, trouvant ainsi une solution optimale, en fonction des possibilités d’action que lui offrent le contexte et ses compétences. Souvent, en lieu et place de ce cycle, nous considérons la perception, l’analyse et la décision, comme un processus linéaire. Cependant, l’observation du joueur et les différentes études menées sur les systèmes dynamiques nous disent bien autre chose. Le contexte ainsi que les compétences et les caractéristiques du joueur contraignent l’émergence de ses actions.
C’est pourquoi dans notre livre el entrenamiento sistémico basado en las emociones, nous avons développé cette idée de cycle sensation-action. Notre intention est simplement de donner une visibilité au processus de perception et à son versant émotionnel. Il est nécessaire de comprendre que la prise de décision n’est pas seulement la perception et l’extraction d’informations grâce auxquelles le joueur exécute une action basée sur ses possibilités d’action, mais d’envisager l’influence des émotions dans ce processus qui est inconscient. Les émotions, qui peuvent apparaître dans le conscient ou rester dans notre inconscient, sont également un puissant déclencheur d’action dans certains contextes, notamment les actions préférentielles dans des situations où les joueurs n’ont pas le temps de réfléchir.
Depuis cette perspective dynamique, comment présenteriez-vous la différence entre l’émotion et la raison ?
Les deux sont impliquées dans la prise de décision du joueur. Nous avons tendance à opposer la raison et l’émotion, mais en réalité, je pense qu’il faut les comprendre comme un tout. Bon nombre des décisions importantes que nous prenons, le sont de manière inconsciente, de sorte que la raison n’intervient pas dans le processus de prise de décision. C’est donc par le biais des émotions que ces décisions sont prises. Je ne parle pas ici, de la position du lecteur, qui n’a probablement pas réfléchi à propos d’un sujet, mais il y a des situations dans le jeu au cours desquelles il n’y a pas d’espace-temps pour pouvoir raisonner.
Par exemple, dans les espaces d’intervention ou d’entraide, les joueurs agissent selon le cycle sensation-action. Parmi les décisions conscientes ou plus précisément réfléchies, intervient la capacité de raisonnement, mais celui-ci est fortement influencé par les émotions (amygdale, structure cérébrale sous-corticale, non pas le système limbique, siège du raisonnement). La capacité de raisonnement d’un individu est à tel point influencée par les émotions, qu’elles servent à justifier une décision avant qu’elle n’apparaisse dans le conscient … Une décision qui est finalement déjà prise.
Il existe donc un processus inconscient et cette prise de décision est régie par les émotions. Il ne faut pas le voir comme quelque chose d’externe, mais plutôt comme un processus qui peut être optimisé avec l’entrainement. C’est pourquoi, de notre point de vue, il est nécessaire de faire la lumière sur le rôle essentiel des sensations dans le cycle perception-action, grâce aux marqueurs somatiques et le définir comme le cycle sensation-action.
Les marqueurs somatiques sont des mécanismes dont disposent les êtres humains pour prendre des décisions de façon efficiente, c’est-à-dire des décisions à la fois plus rapides et plus justes. Le neurologue canadien Donald Calne affirme que la différence fondamentale entre l’émotion et la raison, c’est que l’émotion nous pousse à l’action, alors que la raison nous pousse à tirer des conclusions. Joseph Le Doux, professeur au centre de neurologie de l’université de New York, affirme quant à lui que l’émotion est plus forte que la raison, car il est facile pour l’émotion de contrôler la pensée, alors qu’il est très difficile pour la pensée rationnelle de contrôler l’émotion. Lorsque nous somme stressés, la raison peut bien affirmer que « cela suffit », mais elle ne parvient presque jamais à la faire cesser. Il y a parfois un processus de raisonnement, mais ce processus conscient agit comme une contrainte supplémentaire sur la prise de décision, qui est également influencée par les émotions.
Parfois, il arrive qu’une décision soit prise inconsciemment, puis que votre conscience recherche des stratégies pour rationaliser la décision. Vous pouvez le constater lorsque quelqu’un aborde un sujet de discussion et vous interroge de façon inattendue pour connaitre votre point de vue. Spontanément, en quelques millisecondes, vous prenez position, puis vous commencez à réfléchir pour expliquer votre position initiale, dictée par l’émotion.
Le système de scène des joueurs est un élément central de votre approche, comment l’expliqueriez-vous ?
Tous les systèmes sont constitués de sous-systèmes. Par exemple, le système de l’équipe est constitué des joueurs. Le système de scène est composé du joueur et du contexte du jeu. Nous aimons mettre en avant ce système de scène car il illustre bien la manière d’agir du joueur. Il existe une interaction égale entre ces deux systèmes, que sont le joueur et le jeu. Nous avons souvent tendance à penser que le joueur est le sujet actif, pour ainsi dire, qu’il agit dans un contexte passif. Or, le joueur ne fait pas qu’extraire des sources d’information issues du contexte, pour les traiter, puis réaliser une action. Nous pensons que le système du contexte et le système du joueur sont deux systèmes qui interagissent l’un avec l’autre et s’influencent mutuellement, obligeant le joueur à s’adapter à un contexte que lui-même, influence et modifie. De cette interaction émerge une action vers laquelle les deux systèmes ont convergé parmi les actions possibles. Notre vision n’est donc pas anthropocentrique.
Espace de phase: où se trouve le ballon, l’orientation du joueur, sa position sur le terrain, ses déplacements, sa vitesse de déplacement et le groupe de résonance empathique… mais aussi l’organisation de l’équipe, la minute de jeu, le résultat, l’importance du match
D’autre part, la scène au sens du scénario acteur joueur + contexte sont tous deux nécessaires. Sans l’un et/ou l’autre, la scène ne serait pas complète. Cette idée de scène permet de mieux comprendre notre vision et notamment celle de Paco Seirul-lo, avec qui j’ai eu la chance de travailler au FC Barcelone et qui a défini les espaces de phase appliqués au football. On interprète souvent les espaces de phase d’un match comme une pellicule photographique or un match de football ressemble davantage à un ensemble de scènes cinématographiques. C’est pourquoi le terme de scène nous semble plus approprié pour diffuser cette proposition méthodologique.
Dans l’entraînement structuré, le joueur est défini comme une structure dissipative composée de 8 structures. Comment situez-vous les valeurs, dans ce paradigme ?
Balagué, N., Pol, R., Torrents, C., Ric, A. (2019). On the Relatedness and Nestedness of Constraints
Ces structures sont un moyen de comprendre les différentes dimensions dans lesquelles le joueur peut agir. Comme le soulignent Natalia Balagué et ses collègues, il existe tour à tour différents ordres hiérarchiques qui influencent la prise de décision et tout en haut de la hiérarchie, se trouvent les valeurs du joueur. Les valeurs contraignent le joueur dans sa prise de décision, tout comme les autres structures qui le compose. Ainsi, une décision peut être observée à partir de différentes dimensions ou structure: la structure cognitive, athlétique, coordinatrice ou socio-affective. Au fil du temps, nous constatons que les décisions du joueur suivent une ligne commune qui représentent ses valeurs.
L’échelle temporelle détermine aussi la stabilité des valeurs, le changement de celles-ci sera donc plus lent. La stabilité des actions motrices représente les valeurs du joueur, ce qui explique leur ancrage profond et la difficulté de les faire évoluer. Nous envisageons les valeurs comme un élément déterminant dans les traits de sa personnalité (responsable, leader, humble, solidaire, etc.), qui pilotent d’une certaine manière la prise de décision. Prenons l’exemple de Cristiano Ronaldo, qui a une façon très spécifique d’agir. Nous constatons que ses actions techniques et ses choix sont très largement régis par ses valeurs. Bien que nous ne le connaissions pas personnellement, à travers ses actions, nous pouvons nous faire une idée de ce qu’il est.
Afin d’améliorer l’efficacité des joueurs à l’entraînement, nous devons chercher à leur fournir des informations sur leur complexité. Pourquoi est-ce fondamental à ce stade ?
Nous pensons qu’il est intéressant d’optimiser le joueur dans toute ses dimensions et lui offrir des contextes d’entrainement où il peut s’optimiser sur le plan socio-affectif (connaître les joueurs, leurs besoins et leurs capacités), créativo-expressif (lui permettre d’essayer de nouvelles actions, pas seulement de pratiquer ce qu’il maîtrise déjà), etc., avec des Situations Simulatrices Préférentielles (SSP) qui respectent la spécificité du jeu. Ce sera le plus pertinent, mais il est possible de restreindre ou de proposer aux joueurs de se concentrer sur certaines de ces dimensions.
Afin de favoriser l’optimisation de nos joueurs au cours de leur formation, nous devons viser à ce qu’ils extraient des informations en relation avec l’hypercomplexité de leurs partenaires. Par exemple, en s’intéressant à leur dimension socio-affective et en les aidant à identifier leurs relations préférentielles lorsqu’ils partagent l’espace d’intervention ou d’aide mutuelle avec certains coéquipiers. D’une certaine manière, il ne peut pas en être autrement puisque les perturbations déstabilisent le système dans toutes les dimensions possibles.
Nous pensons qu’il est nécessaire que l’entraîneur et les joueurs soient conscients qu’un même appel, par exemple, n’apportera pas la même information, selon qu’il soit effectué par un partenaire ou par un autre. Par conséquent le porteur de balle ne pourra pas non plus réaliser la même action motrice. L’influence des groupes de résonance empathique et ses schémas décisionnels, la structure mentale de chacun ou le tableau d’affichage, sont de la plus haute importance dans l’émergence de certaines solutions motrices préférentielle chez un joueur donné (Guerrero, Damunt & López, 2017).
A long terme, la connaissance mutuelle des joueurs permet de se concrétiser dans la qualité du jeu (peut-être les résultats). Il n’y a peu (voire pas) de moyen d’accélérer ce processus. Comment l’optimiser afin de progresser dans la formation des jeunes en France où ce savoir-faire est reconnu, malgré des effectifs largement remaniés chaque saison ?
Bien que je ne connaisse pas l’approche méthodologique de l’entraînement des grands clubs formateurs français, force est de constater que des joueurs de haut niveau apparaissent constamment. A mon avis, il est important de comprendre que l’être humain est un système complexe, comme nous l’avons déjà évoqué et nous pouvons convenir qu’un joueur se façonne dans sa phase de formation sur la base de ses relations avec son environnement. Plus l’environnement d’entraînement est proche du jeu, plus le joueur s’adaptera aux besoins du jeu, à l’inverse d’une forme d’entraînement plus traditionnelle qui isole les aspects techniques ou athlétiques.
Nous croyons au fait que les joueurs doivent fréquemment être exposés à des contextes variables, aussi les séquences spécifiques de travail athlétique ou technique, devraient s’envisager de manière contextualisée et systémique. Cette approche permet non seulement de gagner du temps, mais aussi d’entrainer l’adaptation du joueur au contexte (c’est-à-dire l’apprentissage) de manière optimale. Par ailleurs, il est aussi nécessaire de proposer des tâches qui se focalisent sur les différentes structures du joueur, bien qu’elles soient toutes « impactées » et qu’elles interagissent entre elles dans chaque tâche.
Si je veux mettre le focus sur les aspects socio-affectifs, je vais proposer une tâche où les joueurs se concentrent sur la connaissance de leurs coéquipiers, non pas au sens de connaître leur nom, mais de connaitre leurs actions motrices préférentielles et pouvoir les anticiper afin de proposer des solutions qui permettront à l’équipe d’être plus efficace dans le jeu. Il est aussi possible de donner la priorité dans une tâche, à la structure créativo- expressive, ce qui signifie qu’il faudra proposer un environnement qui encourage les joueurs à essayer de nouvelles choses et peut être moins focalisée sur la compétition. Il faudra même valoriser le droit à l’essai parce que nous entraînons la capacité des joueurs à apprendre ce qu’ils ne savent pas encore faire.
Notre esprit nous amène à penser que si nous changeons les pièces d’un engrenage, cela fera fonctionner la machine différemment. Cependant, l’équipe n’est pas une machine, mais un système à part entière, qui possède ses propres paramètres qui le conduisent à son propre comportement synergique. Les joueurs, en s’entraînant et en jouant ensemble, apprennent à se connaître et à se comprendre, constituant un réseau empathique nécessaire pour communiquer à travers le ballon, dans des espaces temps réduits.
Grâce à ce vécu commun, ils ne se contentent pas de se comprendre entre joueurs d’une même ligne et/ou d’un même couloir, de manière isolée, ils expriment une identité de jeu commune. L’équipe est au service de chacun d’entre eux, afin de cultiver un sentiment d’appartenance et d’empathie. L’idée de constituer une équipe, non pas un regroupement de joueurs, peut être assimilée à une compression dimensionnelle, où chacun des éléments du système a une intention commune où chacun y contribue à partir de ses compétences. Je mets en évidence quatre comportements synergiques : la compression dimensionnelle, les liens interpersonnels, la dégénérescence et la compensation réciproque.
La contribution de l’entraîneur consiste, d’une part, à façonner cette identité/idée du jeu et à veiller à ce qu’elle s’adapte, sans se diluer avec l’arrivée de nouveaux joueurs aux compétences forcément différentes. L’équipe doit intégrer les compétences et les caractéristiques des nouveaux joueurs pour atteindre les mêmes intentions de jeu, mais encore faut-il envisager que la même intention peut être réalisée de manières différentes.
Les joueurs doivent considérer l’arrivée de nouveaux coéquipiers comme quelque chose de positif dans la phase de formation, c’est comme recevoir une nouvelle source de progrès et de nouveaux besoins d’adaptation, or s’adapter c’est apprendre. Maintenant, je comprends que cela puisse affecter les résultats sportifs, mais dans la formation cela ne devrait pas être l’essentiel. Avec le département de méthodologie du FC Barcelone et aujourd’hui ForeFront Football, nous défendons l’idée que les résultats n’étaient pas déterminants lors de la formation et nous n’avons jamais demandé d’explications aux entraîneurs à ce sujet. Nous cherchions plutôt à savoir si le jeu pratiqué était de bonne qualité, si la relation pédagogique entre l’entraîneur et les joueurs était constructive, si tous les joueurs avaient la possibilité de s’exprimer en match, etc.
Nous avons l’habitude de parler des sources d’information dans le jeu, pouvez-vous préciser les différentes sources en fonction de la spécificité et du rôle des praxèmes, notamment ?
Les sources d’information sont disponibles dans l’espace de phase: le porteur de balle, sa position, son orientation, l’organisation spatiale des joueurs sur le terrain, les distances entre eux et leurs déplacements. A ces différents éléments mobiles nous ajoutons des stimuli figés ou inanimés tels que les buts ou le ballon.
Les praxèmes ont été définis par Pierre Parlebas. Ce sont des mouvements corporels, comme des déplacements qui portent intrinsèquement des informations sur l’intention du joueur. Par exemple, si je vois un joueur se déplacer dans la profondeur, alors que j’ai le ballon, je peux comprendre qu’il veut recevoir le ballon devant lui. Ce sont des choses qui paraissent évidentes, mais avec l’entrainement, les joueurs de l’équipe deviennent meilleurs dans la perception des déplacements des partenaires. En devenant capable d’interpréter plus vite les intentions de chaque partenaire à travers leurs déplacements, parfois même un geste, les joueurs gagnent du temps sur les adversaires et peuvent coopérer avec un temps d’avance et de façon optimale. Paco Seirul-lo fait le lien avec la structure socio-affective, parce que les joueurs atteignent un état de résonance empathique lorsqu’ils sont capables de comprendre les besoins de leurs coéquipiers en quelques millisecondes.
Pourquoi la variabilité est-elle un élément essentiel pour capter les informations de l’environnement en fonction de la temporalité et de la localisation spatiale ?
La variabilité est intrinsèque à la spécificité, puisqu’un contexte est spécifique dans le temps, justement s’il est variable. Les sources d’information du contexte seront également variables, notamment celles qui informent sur l’espace-temps, à l’exception des buts et des lignes de champ. Il n’y a rien de statique dans les sources liées à l’espace-temps. Ces sources en particulier doivent l’être aussi, parce que ce n’est qu’à ce moment-là que le joueur peut tester sa capacité à s’adapter au contexte par le biais de son action. Par conséquent, il est nécessaire de s’entraîner avec la variabilité, et d’entraîner l’adaptation à des contextes changeants, et non pas à des contextes prédéfinis par l’entraîneur.
L’adaptation du joueur ne consiste pas seulement à savoir la bonne décision à prendre, mais quand la réaliser et à quel rythme, ce qui permettra d’évaluer la justesse de sa décision. De plus, le joueur doit savoir comment interpréter les actions d’un autre joueur d’un point de vue spatio-temporel. Cela signifie qu’un même mouvement peut avoir une signification ou une autre. Les feintes que les joueurs font pour tromper l’adversaire en sont un bon exemple. Un joueur avec ce type de perception fine est moins susceptible de se laisser tromper par l’adversaire.
Dans quelle mesure, les jeux de positions, voire de situations, sont efficaces pour optimiser la perception de l’organisation spatiale ?
Il faut dire que les jeux de positions et de situations ne sont pas toujours interprétés correctement et il y a beaucoup de confusions. A la tête département méthodologie du FC Barcelone, Paco Seirul-lo a clairement défini les caractéristiques que doivent respecter les jeux de positions. Beaucoup ajoutent d’autres éléments altérant ainsi son efficacité sur les structures visées et perdent de vue l’objectif de ces jeux.
Avant touche chose le principe de spécificité doit être respecté, duquel découle 3 grands principes :
Si ces trois éléments sont réunis, Isaac Oriol Guerrero et moi comprenons qu’il s’agit d’une tâche spécifique.
Ensuite, les jeux de positions et de situations présentent également d’autres caractéristiques plus spécifiques qui conviennent au jeu très particulier du Barça. Ces jeux conviennent bien parce que les distances de relation optimales entre les joueurs peuvent apparaître, surtout dans le jeu de situation, l’orientation autour du ballon notamment dans les espaces d’aide mutuelle et de coopération. La multi-directionnalité est aussi une caractéristique des jeux du FC Barcelone, qui n’apparaît pas dans des situations d’attaque-défense classique.
Peut-on dire qu’il existe une relation réciproque entre les 4 facteurs influençant la perception visuelle des stimuli ?
Ces quatre facteurs, d’une certaine manière, sont des outils que nous avons conçus pour expliquer, d’un point de vue organique ou biologique, la capture visuelle des stimuli. Il y a effectivement une relation réciproque entre la perception visuelle des stimuli et les 4 facteurs que sont l’orientation du corps, l’orientation de la tête, l’orientation des yeux et la vision périphérique. Evidemment ces 4 facteurs « organiques », facilitent la perception des évènements du jeu et par conséquent leur compréhension. Ces 4 facteurs interagissent tous entre eux et vont influencer la perception visuelle en raison des adaptations nécessaires au contexte et aux intentions du joueur. Par exemple, si le joueur se déplace, l’orientation du corps sera déterminée par la direction de son déplacement.
Pourquoi les intentions tactiques les moins variables sont les plus durables dans le temps, ce qui semble un peu contre-intuitif, au regard du concept de variabilité ?
Quand nous évoquons les intentions les moins variables nous entendons celles qui sont ancrées dans l’imaginaire du club, des joueurs et des techniciens qui le composent. L’idée du jeu Barça en est une illustration très claire, mais en aucun cas, cela ne signifie que ses intentions tactiques ne peuvent pas être mises en œuvre de différentes manières. Ces idées très établies sont celles qui relèvent d’un ordre hiérarchique plus élevé, tout comme les valeurs et contraignent les actions les plus « opérationnelles » au moment du match.
L’entraîneur doit planifier l’entraînement et doit avoir le contrôle de la séance, mais pas du jeu qui émerge au sein des tâches qu’il a conçues. Dès que le ballon roule, les joueurs sont les seuls protagonistes. Ce besoin de contrôle doit être mis de côté, parce que l’entraîneur doit principalement d’observer le jeu dans les contextes qu’il a conçus pour en tirer des conclusions.
Il doit essayer par tous les moyens de proposer des séances d’entraînement qui répondent aux besoins des joueurs ou de son équipe, tout en contrôlant les paramètres de variété, de complexité ou de difficulté. L’entraîneur doit viser le contrôle du processus d’entrainement, mais une fois que les joueurs évoluent dans la situation, le contrôle disparaît. Il doit en être ainsi parce que, premièrement, vous ne pouvez pas avoir le contrôle sur des événements de nature stochastique et, deuxièmement, nous devons laisser le joueur s’exprimer, qu’il se sente assez à l’aise pour prendre ses propres décisions. Les joueurs ne doivent pas dépendre de l’entraîneur, ni de ses consignes qu’il n’est peut-être pas capable de suivre ou qui vont à l’encontre de ce qu’il perçoit ou ressent.
Par conséquent, nous devons accepter le rôle essentiel des émotions dans la prise de décision, pour qu’elle soit optimale et naturelle comme nous l’avons expliqué plus haut, c’est ainsi que fonctionne le corps humain. Le joueur n’improvise pas, il s’adapte au contexte de manière optimale en fonction de ses capacités. Il prend des décisions sans réfléchir, car il n’a pas de temps pour cela. Or sans temps de réflexion, l’émotion entre en jeu, elle est incontrôlable malgré tout ce que pourra faire l’entraîneur.
Nous pensons que la conception de contextes variables où les joueurs peuvent s’épanouir devrait être l’objectif de tout entraîneur et cet état de fluidité est atteint en agissant sur la base des émotions, tout en se débarrassant du superflu. L’entraîneur doit éviter de donner des consignes pour avoir plus de contrôle sur ce que le joueur décide de ne pas conserver.
Pour le philosophe Walter Benjamin, « la force réside dans l’improvisation », pourtant, bien souvent, l’entraîneur tente de contrôler l’ensemble du processus d’entraînement. Que pensez-vous de ce paradoxe ?
La nécessité de contrôler le processus d’entrainement à l’aide des statistiques, des GPS, ce n’est pas l’essentiel tant que cela ne nuit pas aux sensations du joueur, c’est-à-dire à ses émotions. Nous devons accepter que le fait d’être guidé par les émotions dans la prise de décision est la meilleure chose à faire, mais aussi la plus naturelle à faire. Ce n’est pas improviser, c’est laisser le système s’adapter de manière optimale, sans que le joueur ne doivent s’adapter aux contraintes imposées par l’entraineur, voire à ses besoins, qui peuvent s’inscrire dans le conscient et le déstabiliser, en séance comme en match. Loin de nous l’idée de dire que l’entraîneur ne participe pas à la progression du joueur. Cependant, il doit savoir comment, quand et pourquoi intervenir ou pas dans l’entrainement de celui-ci.
Le cycle sensation-action permet au joueur de recevoir un feedback continu et implicite sur sa performance. Cette auto-évaluation comme processus naturel d’apprentissage se compose de 4 processus qui s’alimentent probablement. Pourriez-vous détailler les 4 processus, notamment concernant l’éducation de l’intention ?
L’éducation à l’intention, vise à optimiser la perception et le traitement des sources d’information du contexte et sur soi-même afin de pouvoir prendre de meilleures décisions. Elle permet également de mieux comprendre le partenaire (praxèmes) et donc de mieux décider. La question est de s’interroger sur la façon dont les sources d’information influencent mon intention et réciproquement.
Le processus d’entraînement doit favoriser cela et offrir un espace bienveillant, voire « sécurisé » pour encourager le joueur à expérimenter sans crainte de nouvelles actions ou des actions qu’il exécute rarement. Le coach doit se consacrer à élaborer des SSP, avec des contraintes qui vont dans le sens de l’exploration et où le mot d’ordre sera « nous verrons bien ce qui en sortira » plutôt que « il faut faire ceci ou cela ».
Pourquoi peut-on dire que l’intuition est aussi une perception utile quand on n’a pas d’autre information que le mouvement en action ?
Pourquoi le fait de récompenser ou de valoriser l’apprentissage d’aujourd’hui peut-il améliorer l’apprentissage de demain, notamment sur le plan des émotions positives ?
Les pédagogues le disent depuis longtemps, ils le savent par expérience, mais les neurosciences disent qu’un environnement propice à l’apprentissage est un environnement où règnent la sérénité, la confiance, la patience, la positivité, sans craindre l’erreur, etc. Ces récompenses viendront de ce contexte et pas seulement de l’entraîneur, mais aussi des joueurs eux-mêmes. Un contexte d’entraînement où les joueurs ne viennent que pour le match, pour gagner leur place, ce qui doit être le cas seulement à certains moments, n’est pas très porteur. Ce qui se passera sûrement, c’est que les joueurs ne valoriseront pas ce que font leurs coéquipiers ou ne le feront pas spontanément. Les entraineurs mais aussi les coéquipiers peuvent valoriser un joueur par un sourire ou un encouragement à un moment donné, cependant, l’hypothèse du marqueur somatique va plus loin.
Dans le livre, nous parlons également du marqueur somatique défini par le neurologue António Damásio. Lorsqu’un joueur vit une situation qu’il considère comme importante, cette situation reste dans sa mémoire imprégnée de l’émotion que cette situation a provoquée. A l’avenir, cette émotion, dans une situation similaire, le poussera à prendre une décision plus rapidement. Ainsi, sachant que cela existe, nous, en tant qu’entraîneurs, pouvons observer quand un joueur ressent une émotion, ce qui peut constituer un marqueur somatique et associer cette émotion à une décision spécifique liée à la situation vécue. Il est possible de créer des marqueurs somatiques dans certaines situations afin que les joueurs puissent prendre une décision clé plus rapidement et avec plus de chances de succès.
Certaines actions, en raison de leur importance au niveau social (équipe), sont associées à une émotion, qui, dans des situations similaires, va orienter fortement la prise de décision vers la même action que celle qui a été réalisée précédemment. C’est pourquoi nous pensons que les entraineurs, conscients de ce mécanisme naturel d’apprentissage chez l’être humain, devraient en tirer parti.
Rejoignez + de 4500 passionnés en vous inscrivant à notre newsletter et vous recevrez nos entretiens, directement sur votre boite e-mail.