Profondément influencé par son expérience de joueur auprès de celui qui est considéré comme l’un des meilleurs entraineurs de l’histoire du football, l’autrichien Ernst Happel, Luís Norton de Matos nous propose sa perspective sur l’évolution de la formation des joueurs et entraineurs portugais, ainsi que son expérience de la formation sur 3 continents.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Votre passage en Belgique, comme joueur du Standard de Liège, sous les ordres de l’entraîneur autrichien Ernst Happel, semble avoir été un virage dans votre approche de l’entraînement ?
Oui, comme cela arrive parfois pour les étudiants qui sont profondément marqués par des professeurs qui sont souvent décrits comme exigeants, durs, mais qui sont aussi ceux qui qui les ont le plus influencés. Ernst Happel, a été une révélation et a transformé ma vision du football, avec son approche intégrée de l’entraînement, à la fin des années 70. Ce technicien autrichien, vainqueur de la coupe d’Europe des clubs champions (1970) avec le Feyenoord Rotterdam, finaliste avec le FC Bruges (1978), est venu au Standard de Liège où j’évoluais comme joueur, avant de prendre la tête du Hambourg SV et gagner à nouveau la coupe d’Europe des clubs champions (1983).
Il est arrivé au Standard, au lendemain du mondial 1978 en Argentine et je n’oublierai jamais le discours de son prédécesseur à la tête de l’équipe, Robert Waseige. Il nous disait la chance de pouvoir travailler un précurseur de l’entraînement. Je venais de terminer mes études d’éducation physique et d’obtenir mon diplôme d’entraîneur, mais pour être honnête, au début je ne comprenais pas son approche de l’entraînement et j’étais perdu dans ses séances centrées sur la prise de décision et la recherche de l’intelligence du jeu. Ernst Happel parlait très peu. Je crois qu’il connaissait les chemins et d’une certaine façon, il nous obligeait à les découvrir, pour mettre en œuvre ses idées qui tendait vers un football spectaculaire.
« Ernst Happel, a été une révélation et a transformé ma vision du football, avec son approche intégrée de l’entraînement, à la fin des années 70 »
Avec le recul, c’était un technicien qui se fichait de prendre des buts, il voulait que ses équipes marquent des buts et proposent du spectacle. D’ailleurs, cette saison-là, le Standard avait battu le record d’entrées payantes sur la saison, malgré le fait que nous ne soyons pas champions. Mais quel plaisir à chaque match, pour nous, les joueurs et le public.
Son approche de l’entraînement ressemblait déjà, sur différents aspects, à la périodisation tactique issue de l’école portugaise, dont on parle beaucoup aujourd’hui. Pour lui, il n’y avait qu’une unité d’entraînement, au sein de laquelle le physique, la tactique, la technique, le mental étaient regroupés. Très vite, j’ai senti que je devais retranscrire toutes ses séances d’entraînement, ce que je me suis efforcé de faire pendant deux saisons. Aujourd’hui encore, ce document de travail constitue ma bible. Beaucoup de choses m’échappaient à l’époque, mais au fil du temps, j’ai compris le sens de sa démarche fondée sur un jeu spectaculaire et qui m’a énormément inspiré.
« Très vite, j’ai senti que je devais retranscrire toutes ses séances d’entraînement, ce que je me suis efforcé de faire pendant deux saisons. Aujourd’hui encore, ce document de travail constitue ma bible. »
Nous nous sommes revus une fois à Lisbonne, avec beaucoup de nostalgie pour ma part. Même s’il n’était pas la personne la plus sympathique que je connaisse, il était extrêmement clairvoyant. Il était venu avec le Swarovski Tirol, une équipe autrichienne, pour jouer contre le Sporting de Lisbonne, où j’étais à l’époque directeur sportif. Pour beaucoup d’anciens joueurs, devenus entraîneurs, comme Arie Haan, Michel Preud’homme ou Eric Gerets, Ernst Happel reste une source d’inspiration extraordinaire. Aujourd’hui encore, je parle de lui avec beaucoup de saudade. Il me manque et reste pour moi l’Entraîneur (avec un E majuscule).
La périodisation tactique, très en vogue actuellement, est-elle imposée dans le cursus de formation des entraîneurs portugais ?
A la fin de ma carrière, je suis revenu au Portugal, et pour moi, l’un des personnages marquants du football portugais reste Carlos Queiroz. Sélectionneur des U20 portugais, ils ont été sacrés champions du monde en 1989 et 1991, avec une génération dorée composées de joueurs devenus célèbres comme Luis Figo, Vítor Baía, Rui Costa, João Pinto, Fernando Couto, Paulo Sousa.
Carlos Queiroz, universitaire de formation et joueur amateur au Mozambique comme gardien de but, était un peu regardé du coin de l’œil, avec une méthode complètement différente au début des années 90. J’ai été international portugais, mais en 1987, à la fin de ma carrière, nous faisions encore au moins une fois par semaine une séance uniquement physique avec footing sur la plage ou dans les bois, ce que je ne comprenais pas à l’époque, au regard de mon cursus de formation. Comme le disait José Mourinho, un pianiste ne court pas autour du piano avant de jouer, il joue au piano. De la même manière, les footballeurs doivent avoir un ballon dans les pieds.
Je me souviens d’une fois où je faisais une séance de stretching et un entraîneur national m’avait repris sur la façon de le faire, notamment sur la partie dynamique. Selon lui, celle-ci ne devait pas exister, tout comme la partie isométrique, qu’il ignorait d’ailleurs.
Je n’ai jamais aussi bien travaillé les aspects physiques, techniques, tactiques et mentaux qu’avec Ernst Happel, mais cette mouvance intégrée a vraiment démarré plus tard au Portugal, avec les cours d’éducation physique de la faculté de motricité humaine à Porto et Vitor Frade qui était un peu incompris au départ. José Mourinho a été l’un des premiers à parler de la périodisation tactique et de sa mise en œuvre au quotidien, mais comme le dit souvent le professeur Frade, la périodisation tactique n’est pas une recette de cuisine à suivre aveuglément. L’enjeu de la périodisation tactique c’est de mettre en œuvre tout le travail athlétique, au service de son modèle de jeu, pour s’entraîner à jouer comme en match.
« Comme le dit souvent le professeur Frade, la périodisation tactique n’est pas une recette de cuisine à suivre aveuglément »
A propos de la périodisation tactique, beaucoup d’entraîneurs n’abordent que le versant théorique, facilement accessible aujourd’hui grâce à internet. La partie la plus complexe, c’est de rendre opérationnel le modèle de jeu grâce à ce cadre théorique. Il n’y pas un modèle de jeu qui vaille plus qu’un autre, mais l’entraînement doit être en cohérence avec les idées de l’entraîneur. Rien ne sert de proposer un jeu très bien élaboré, qui plaît beaucoup aux dirigeants, au public, avec une équipe organisée avec 3 attaquants, pour jouer tous les matchs avec un seul attaquant. Beaucoup d’entraîneurs voient la périodisation tactique comme une recette de cuisine, mais à l’image d’un restaurant à la cuisine familiale où les recettes se passent de génération en génération, la cuisinière ne sait pas toujours expliquer comment elle cuisine. Le football ressemble à la cuisine, dans le sens où chacun doit interpréter la périodisation tactique, tout en respectant ses principes fondateurs.
« Il n’y pas un modèle de jeu qui vaille plus qu’un autre, mais l’entraînement doit être en cohérence avec les idées de l’entraîneur. »
Un morpho cycle standard, qui s’étend du dimanche (jour de match), au dimanche (jour du prochain match). La première séance du mardi par exemple, peut proposer, des exercices très intenses, mais très courts, pour solliciter des filières énergétiques, moins sollicitées pendant le match. La première séance d’acquisition de la semaine, le mercredi par exemple, en partant du principe que le lundi était le jour de repos, est toujours une séance de force. Des 3c3, 4c4 ou 5c5 qui obligent à faire des démarrages, des changements de direction, des freinages. Le lendemain, le jeudi, tu peux faire un travail de résistance avec une augmentation des espaces. Chaque jour, la séance est différente, mais l’idée de jeu doit constituer le fil rouge du travail.
Le vendredi, c’est un entraînement basé sur la vitesse. Les grandes thématiques athlétiques sont présentes, sans pour autant être mélangées. J’ai toujours travaillé comme ça, au début inconsciemment, puis au fil du temps j’ai progressé. Je ne sais pas si je suis à 100% dans la périodisation tactique, mais je m’en inspire beaucoup.
La formation des entraîneurs portugais est florissante, comment expliquez-vous une telle présence à l’étranger ?
Pendant très longtemps, même si depuis 15 ans cela a beaucoup évolué, la plupart des clubs n’avaient pas de terrain d’entraînement, en dehors de celui du stade. Souvent, nous ne pouvions pas nous entraîner sur la pelouse parce qu’il pleuvait et que le terrain pouvait se dégrader, il fallait chercher un terrain de repli, en stabilisé, la plage ou un gymnase. Ces difficultés dues au manque d’installations ont habitué les entraîneurs portugais à s’adapter à ce genre d’imprévus. C’est pourquoi ils sont présents sur les 5 continents avec des résultats probants au Vietnam, en Arabie saoudite, en Turquie, en Corée du Sud.
Lorsque j’étais en Inde, je me suis rendu compte que l’école espagnole communiquait très bien pour se vendre et promouvoir ses techniciens, comme les anglais d’ailleurs. Les portugais communiquent moins bien et finalement chacun est le représentant de sa propre méthode mais c’est un bon argument notamment en Afrique. D’ailleurs, je pense que notre histoire avec certains pays d’Afrique, nous aide aujourd’hui à avoir une meilleure compréhension des différentes mentalités, religions ou leur goût pour la musique à l’entraînement. Nous sommes très proches des joueurs, notamment pour nouer des relations affectives qui vont les pousser à se dépasser. Je me souviens d’une anecdote au Sénégal, lors d’une séance d’entrainement où il faisait 40 degrés. Les joueurs étaient surpris de me voir sur le terrain avec eux. Ils avaient toujours vu les entraîneurs blancs dans la tribune, à l’ombre, pour diriger l’entraînement.
« Ces difficultés dues au manque d’installations ont habitué les entraîneurs portugais à s’adapter à ce genre d’imprévus. C’est pourquoi ils sont présents sur les 5 continents avec des résultats probants au Vietnam, en Arabie saoudite, en Turquie, en Corée du Sud. »
Je crois que nous sommes un peuple très accueillant et très respectueux des coutumes locales, ce qui nous pousse à nous adapter. A l’image de notre langue qui n’est pas parlée en dehors du Portugal et du Brésil, nous sommes très vite obligés de parler très anglais, espagnol ou français, afin de surmonter les obstacles liés à la communication, ce qui est essentiel pour un entraîneur et encore plus à l’étranger. Entraîner ce n’est pas seulement le terrain, la communication est essentielle pour mieux connaître les joueurs et tout mettre en œuvre pour qu’ils comprennent nos idées et y adhèrent.
Pendant très longtemps, Benfica, Porto et le Sporting ont fait appel à des techniciens étrangers. Depuis 15 ans, à l’inverse de la tendance actuelle observée en France, ces 3 grandes institutions font aujourd’hui exclusivement appel à des entraîneurs portugais. Comment expliquez-vous cette tendance ?
Oui, c’est vrai et il y a plusieurs raisons qui expliquent cela. Pendant très longtemps, les entraîneurs étrangers étaient beaucoup mieux préparés au métier d’entraîneur que les entraîneurs portugais. Cependant, aujourd’hui, la formation des entraîneurs portugais est de haut niveau. Depuis le début des années 80, la place pour les entraîneurs portugais s’est libérée, en dépit des effets de mode. Si Benfica était champion avec un entraîneur Brésilien, alors Porto et le Sporting cherchaient un entraîneur Brésilien. Si Porto était champion avec un entraîneur croate, alors les clubs recherchaient un entraîneur croate. A tel point qu’une année, les trois grands clubs du pays avaient un entraîneur anglais et ils louaient la qualité du travail physique ainsi que leur discipline.
En parallèle, les supporters du Sporting, de Porto ou Benfica s’impatientaient très vite et à la première défaite réclamaient la tête de l’entraîneur. Aussi, les clubs choisissaient des entraîneurs étrangers pour garantir une forme de stabilité et une caution sportive. Très souvent, ces entraîneurs avaient de solides contrats et étaient donc plus difficiles à limoger. De manière générale, les portugais respectaient davantage les techniciens étrangers, qui disposaient de plus de temps pour mettre en place leurs idées. Les années 60, avec le Benfica double vainqueur de la coupe d’Europe des clubs champions (1961 et 1962), finaliste (1963, 1965 et 1968) et la troisième place obtenue par la sélection nationale à la coupe du monde 1966 en Angleterre et Eusébio, son attaquant vedette, sont une parenthèse enchantée.
Au début du professionnalisme et notamment devant la montée en puissance de certaines nations européennes comme l’Allemagne, l’Angleterre ou l’Italie, le Portugal est resté en retrait et timoré. Je me souviens que quand je jouais à Benfica, nous partions en tournoi avec de l’appréhension et nos entraîneurs disaient que les étrangers mangeaient très bien, quand c’était parfois compliqué au Portugal. Aujourd’hui, un Portugais n’a pas peur de rentrer sur un terrain, il fait preuve de personnalité, qui peut parfois être confondu avec de la prétention. Aujourd’hui, il est très difficile, pour des raisons économiques, d’attirer de grands entraîneurs comme Guardiola, Mourinho, Klopp, Bielsa ou Simeone.
Cependant, quelques étrangers en fin de carrière viennent, mais il est difficile pour eux d’avoir des résultats car ils ne connaissent pas la réalité du championnat portugais. Les entraîneurs portugais travaillent très bien, à l’image du jeune Ruben Amorim, qui fait un travail extraordinaire au Sporting de Lisbonne. Aujourd’hui, il est indispensable pour un entraîneur étranger de bien connaître la réalité du championnat, de parler la langue du pays, notamment pour avoir une bonne communication avec les joueurs. Je pense que sans parler la langue cela peut devenir très compliqué, à l’image de l’expérience de Felipe Scolari, entraîneur chevronné en poste à Chelsea sans parler anglais.
Dans les pays qui connaissent le football, il est impératif de parler la langue pour transmettre une idée sur le jeu. A tel point, que paradoxalement, au Portugal, il n’y a plus de patience à l’égard des entraîneurs étrangers, menacés après trois journées. Cette saison, seuls deux entraîneurs étrangers travaillent en Liga Portugal, dont un est espagnol mais il évolue dans un club racheté par des espagnols.
Au regard de votre expérience au centre de formation du LOSC, quel regard portez-vous sur la formation française ?
On apprend à tous les âges et j’ai beaucoup appris à Lille, notamment sur les conséquences des gros salaires accordés très tôt à de très jeunes joueurs. A Benfica, par exemple, tous les jeunes joueurs perçoivent à peu près le même salaire, qui s’ajustent à la hausse selon qu’ils jouent régulièrement la Youth League, en équipe B ou avec l’équipe première. Ces gros salaires accordés très vite à de jeunes joueurs, posent ensuite des problèmes de mentalité, notamment pour la haute compétition, puisque les joueurs se fichent des amendes pour les retards, dont le montant reste symbolique, au regard de la valeur de leur grosse cylindrée. Certains joueurs sont au club depuis 10 ans et n’ont pas cet amour du club, la volonté de tout donner pour le maillot, pour mobiliser les partenaires et préfèrent jouer chacun pour soi.
J’ai souvent entendu comme justification que c’était comme ça en France. Je ne veux pas faire de généralités, mais en tant que professionnel, cette réponse n’est pas acceptable. Notre rôle d’éducateur dans les centres de formation, doit être aussi, de promouvoir les valeurs du club et pousser chacun à être un leader pour représenter au mieux le club. Je me souviens du premier match au club, j’étais étonné de voir que le groupe n’avait pas de moment de communion ou de « cri de guerre ». C’est pourquoi j’ai beaucoup travaillé sur le « Nous » plutôt que le « Je », pour construire un collectif. Il y a vraiment de très bons joueurs en France, qui profitent de très bonnes conditions d’entraînement, dans des clubs qui mettent des moyens importants, c’est incroyable !
« Notre rôle d’éducateur dans les centres de formation, doit être aussi, de promouvoir les valeurs du club et pousser chacun à être un leader pour représenter au mieux le club »
J’avoue avoir eu des difficultés pour obtenir l’adhésion de tous les joueurs notamment sur les aspects liés à la prise de décision, car beaucoup manquaient d’une approche collective du jeu. Je crois que d’une manière générale, les techniciens français guident trop les joueurs dans leurs intentions. Par ailleurs, pour moi, une séance devrait durer 90 minutes, avec peu de temps morts en dehors des pauses pour s’hydrater, avec beaucoup de rythme et d’intensité. Or, j’ai observé qu’en France, les séances étaient souvent interrompues par des interventions théoriques, sur ce qu’il aurait fallu faire, empêchant les joueurs de découvrir par eux-mêmes.
Cela me renvoie à ce que j’ai pu vivre il y a longtemps au Portugal, avec des entraîneurs qui faisaient des causeries d’avant match, très théoriques, basées sur des schémas et des choses que nous n’avions pas vécu la semaine. Enfin, il y a une volonté de vouloir quantifier, mesurer les joueurs, leur potentiel, à l’image du sport américain, mais le plus important c’est le talent, et, parfois il ne se traduit pas à travers des statistiques, ce qui explique en partie, pourquoi certains très bons joueurs passent en dehors des radars.
Justement, pour vous, qu’est ce qui caractérise le talent d’un joueur ?
Tout d’abord je ne crois pas que cela soit uniquement une histoire de chiffres, de taille, de poids de distance parcourue ou de sprints. Parfois je vois un joueur de talent, mais je suis incapable de l’expliquer. C’est une façon particulière de contrôler le ballon, de le passer ou les intentions… Je pense qu’il doit y avoir un équilibre entre la quantification et une forme d’intuition.
Au football, il faut marquer des buts, mais aujourd’hui, partout dans le monde ou presque, l’objectif est devenu contraire, à savoir ne pas encaisser de but. De plus en plus d’équipes proposent un football de possession sans réelle intention de déséquilibrer l’adversaire. Beaucoup se félicitent d’avoir de grandes séquences de possession, mais cela n’a aucun sens. Pour moi, il y a quatre moments dans le football ou plus exactement deux : soit notre équipe a le ballon et elle doit essayer d’aller marquer un but, soit elle n’a pas le ballon et elle doit essayer de le récupérer pour à nouveau tenter sa chance, tout en envisageant la réversibilité à chaque instant.
J’apprécie beaucoup Manchester City, son style de jeu, mais attention, face à des équipes qui n’offrent pas d’espaces comme c’était le cas du Wolverhampton de Nuno Espirito Santo, ils sont en difficulté, d’autant que City dispose de joueurs à l’aise dans les petits espaces. J’aime beaucoup le Bayern Munich, qui est une équipe très entreprenante, qui va vers l’avant avec des joueurs aux talents divers et variés, du jeu de possession, mais aussi des attaques rapides, des ailiers qui centrent, des latéraux qui participent. Pour paraphraser Johan Cruyff: “jouer au football est simple, mais le plus difficile c’est de jouer simple.”
J’adore les joueurs français et au début de ma carrière d’entraîneur, j’ai visité les installations de clubs comme Auxerre, Sochaux ou Rennes. Au niveau des infrastructures et de l’organisation, la formation en France était selon moi ce qui se faisait de mieux en Europe. C’est toujours intéressant d’avoir un ou deux joueurs français, parce qu’ils s’adaptent très bien. Je me souviens de Siramana Dembele au Vitoria Setubal (2005-2006), en provenance du Nîmes Olympique, qui était devenu en quelques semaines, un des meilleurs joueurs du championnat portugais.
La qualité des joueurs français est indéniable, mais leur environnement n’est pas toujours à la hauteur. Je ne sais pas s’il y a une relation de cause à effet, mais de plus en plus de techniciens étrangers sont à la tête d’équipes françaises, à l’image de L’Olympique de Marseille, de l’AS Monaco, de l’Olympique Lyonnais, du Paris Saint-Germain ou des Girondins de Bordeaux, qui font appel à des techniciens habitués à gérer des vestiaires où l’argent coule à flots. Souvent, les techniciens venus de l’étranger ont des salaires inférieurs aux joueurs cadres de l’effectif, il faut donc avoir une forme de courage pour gérer des joueurs aux égos importants. Les entraîneurs gagneraient à se montrer plus adaptables et fin psychologues dans la gestion du groupe, notamment dans le rapport de force avec les joueurs.
D’un point de vue administratif aussi, les choses gagneraient à devenir plus simple. J’ai été sollicité pour prendre une équipe de National. J’aurais adoré devenir entraîneur principal d’une équipe française, mais cela n’a pas été possible parce que j’avais plus de 65 ans. Je n’ai pas compris le refus de la fédération française de football, d’autant qu’il y a eu quelques cas de jurisprudence avec Claudio Ranieri et Raymond Domenech.
Ces dernières saisons vous avez eu des responsabilités très diverses en passant de la réserve professionnelle du LOSC, à la tête de la sélection indienne, en passant par l’Afrique. Dans quelle mesure adaptez-vous le discours et la mise en œuvre de vos idées dans la perspective de rendre les joueurs autonomes sur le terrain ?
J’essaye de m’adapter au maximum au profil des joueurs, mais encore plus au contexte à l’étranger, à la culture, à la mentalité, aux traditions. Quand je suis arrivé en Inde, où les sports les plus populaires sont le cricket et le badminton, le pays a eu la chance d’organiser la coupe du monde de football des moins de 17 ans (en 2017). Je suis arrivé sur place, la sélection vivait ensemble depuis 18 mois, dans des hôtels au gré des matchs. Le groupe était figé et je me suis très rapidement rendu compte avec mon adjoint, lors du premier entraînement que nous avions des lacunes immenses y compris sur des profils de joueurs particuliers, puisque notre charnière centrale culminait en moyenne à 1.70 m …
Je rencontre un compatriote portugais, en charge de coordonner le basket-ball en Inde (aujourd’hui en charge de cette mission sur le continent asiatique) et il m’indique que les habitants les plus grands du pays sont dans la région du Punjab où il n’est pas rare de voir des gens de deux mètres, d’ailleurs la police et l’armée recrutent massivement sur place. L’autre bassin de population attractif, est la région proche de l’Himalaya et notamment l’état de Jammu et Cachemire où les gens ont une constitution très robuste.
La plupart de l’effectif était constitué de joueurs avec des profils chinois, de petite taille et limités athlétiquement. J’ai demandé quelle équipe avait été championne du pays chez les moins de 18 ans et aucun des joueurs de la sélection ne provenait de ce club ou des équipes finalistes. Aussi, j’ai demandé à organiser une rencontre entre la sélection indienne et le club champion, le FC Minerva Punjab.
Notre sélection a été sèchement battue et j’ai pris la décision d’intégrer 8 joueurs, après 18 mois de vie commune, la fédération a été pour le moins déstabilisée … 5 de ces joueurs sont devenus indiscutables en disputant tous les matchs de la coupe du monde de la catégorie !
Pendant 7 mois, j’ai travaillé avec ce groupe, notamment les nouveaux arrivants qui avaient des qualités mais étaient très « bruts », notamment dans la compréhension du jeu. J’ai beaucoup insisté sur les aspects tactiques qui étaient assez différents de mon prédécesseur, mais aussi sur la qualité de la passe, même si, évidemment, il n’est pas possible de transformer complètement les joueurs ni de leur transmettre des qualités qu’ils n’ont pas. J’avais d’ailleurs tempéré le président de la fédération sur le fait qu’il était impossible d’envisager une place dans le dernier carré dans la compétition, y compris avec un autre technicien que moi, même s’il était le meilleur au monde. Le groupe a beaucoup progressé, notamment en disputant de nombreux matchs en Europe et en Amérique centrale, je pense au Mexique notamment.
« Les difficultés que j’ai rencontrées, lors des premières séances, en Inde et dans différents pays d’Afrique, sont les mêmes que celles que j’ai rencontrées au Portugal avec les jeunes des plus grands clubs ou des joueurs professionnels de première division portugaise. »
Dans ce contexte, prendre un point aurait été un exploit dans une épreuve, remportée par l’Angleterre avec une équipe extraordinaire et des joueurs comme Jason Sancho, Phil Foden, ou Callum Hodson-Odoi. Ce fut une expérience incroyable de jouer nos 3 matchs devant 50 000 spectateurs à Delhi, face à 3 adversaires difficiles: les Etats-Unis, le Ghana et la Colombie. La Colombie avait 3 joueurs qui évoluaient déjà en première division de leur pays et les Etats-Unis comptaient 3 joueurs qui évoluaient en Allemagne. Prendre un point relevait même de l’impossible, après avoir perdu contre les Etats-Unis. Pourtant, face à la Colombie (notre 2ème match de poule), à 10 minutes de la fin, nous tenions notre exploit, avec un score de 1 à 1 et deux tirs sur le poteau, avant de céder dans les derniers instants. La suite contre le Ghana fut plus compliquée, notamment sur le plan athlétique ou l’écart était trop important, surtout en jouant tous les 3 jours. En revanche, tout le monde a salué la qualité de notre jeu et la Fédération Indienne a souhaité que je prolonge l’aventure pour disputer avec cette équipe U17, le championnat national U19. J’ai refusé cette proposition, qui me semblait aller à l’encontre du développement des joueurs de cette sélection.
J’ai convaincu la Fédération Indienne de Football d’inscrire cette sélection U17, non pas dans le championnat national U19 mais dans le championnat de 1ère division. Au départ, les dirigeants avaient des réticences à l’idée que cette équipe ne prenne aucun point et ne perde tous ses matchs. Selon le règlement, une équipe novice à ce niveau ne pouvait pas être reléguée. J’avais donc insisté sur l’immense plus-value de cette expérience pour les joueurs, malgré la perspective d’une dernière place assurée avec 0 point au compteur, la première année. Nous avons donc disputé 18 matchs, dernier du championnat avec … 18 points. Nous avons perdu, mais jamais par plus de 2 buts d’écart, en proposant un jeu de grande qualité selon les commentateurs anglais du championnat. Aujourd’hui une grande partie de cette génération fait partie de la sélection nationale A !
En Inde, les joueurs étaient très timides, très respectueux, presque trop … Ils n’osaient pas poser de questions, à l’image des traditions où les parents choisissent le futur époux ou la future épouse de leurs enfants. Avec mon adjoint, nous nous étions rendu compte que les joueurs n’avaient le droit au téléphone que pendant une heure par jour. En discutant avec les cadres, j’ai laissé progressivement le téléphone à disposition plus longtemps et le soir ils devaient le rendre, pour ne pas casser trop vite les habitudes.
Depuis 18 mois, les joueurs étaient loin de leur famille, malgré un jour de congé par semaine et ils n’avaient pas le droit de sortir de l’hôtel ! Nous étions basés à Goa, après discussions, les joueurs avaient l’autorisation de sortir de l’hôtel durant le jour de congé, pour aller au cinéma, chez le coiffeur ou à la plage, et devaient rentrer dîner pour 19h30, malgré l’affolement du directeur de l’hôtel. Au fil du temps et des autorisations de sortie, les joueurs ont fait preuve de plus de personnalité. En prenant des décisions dans leur vie privée, ils ont pu prendre des décisions sur le terrain, sans chercher constamment mon approbation.
En Afrique c’est très différent, le football est un football de rue, spontané. Au départ la compréhension est difficile, mais après quelques mois, ils sont largement capables de proposer un football au niveau du football européen. Les difficultés que j’ai rencontrées, lors des premières séances, en Inde et dans différents pays d’Afrique, sont les mêmes que celles que j’ai rencontrées au Portugal avec les jeunes des plus grands clubs ou des joueurs professionnels de première division portugaise. Je sais bien que ma façon d’appréhender l’entraînement, notamment par le questionnement, déstabilise les joueurs au départ. Souvent ils viennent en séance de façon machinale, sans avoir l’objectif de progresser, sans réfléchir à ce qu’ils font, or je veux les obliger à réfléchir !
« En prenant des décisions dans leur vie privée, ils ont pu prendre des décisions sur le terrain, sans chercher constamment mon approbation. »
Les meilleurs joueurs sont toujours les plus intelligents sur le terrain et ce n’est pas un hasard. Aujourd’hui, le temps et les espaces sont réduits, les joueurs ont de moins en moins de temps pour décider, donc si les joueurs n’y ont pas réfléchi pendant la semaine, ils seront en difficulté. Souvent après quelques semaines, j’écoute les commentaires des joueurs, à propos de situations qu’ils reconnaissent en match, ils sont très contents de faire le lien entre l’entraînement et le match.
Nous avons participé avec l’Etoile Lusitana (Sénégal) à un tournoi U17, en Irlande (Milk Cup), avec 32 équipes dont 8 équipes étrangères et nous avons remporté le tournoi, ainsi que le trophée du fair-play. Le lendemain de la finale, j’ai été invité par Manchester City pour participer à une conférence, pour comprendre comment une équipe africaine avait pu faire preuve de discipline et d’autant de rigueur tactique, assez éloignées de la réputation des équipes africaines trop engagées.
J’avais expliqué que mon travail était basé sur la discipline, sur la compréhension du jeu, notamment sur les actions adverses dos au but, et sur le fait que les joueurs africains, comme tous ceux du monde entier, sont plus faciles à entraîner quand ils comprennent le sens de l’entraînement. J’avais été voir un tournoi en Italie, avec Manchester City, qui alignait six ou sept très bons joueurs du Ghana. Accompagné d’un technicien ghanéen issu de l’académie locale pour qu’il comprenne bien les méthodes du club. J’avais argumenté mon discours sur le fait qu’ils ne laissaient aucune liberté aux joueurs dans les 30 derniers mètres, en réclamant des centres et peu de dribbles. Aussi, il me semblait, que les orientations du staff allaient un peu à contre-courant des caractéristiques fortes du football africain, que sont la créativité et la spontanéité.
J’insiste sur la discipline, mais dans les 30 derniers mètres, il faut laisser de la liberté et il est normal qu’il y ait des échecs. C’est pourquoi je les encourage à continuer. Sadio Mané, par exemple, perd des ballons, il est parfois un peu égoïste dans la zone de finition, mais quand on fait le bilan, sa créativité fait bien plus de différences que ses pertes de balle.
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Au Portugal les championnats de jeunes sont organisés au-delà des U19, notamment avec un championnat des clubs professionnels des U21 et des U23. En France, les clubs professionnels voient leurs équipes réserves se répartir dans les différents championnats nationaux comme la N2 et/ou la N3. Quel est votre point de vue sur ces différentes organisations de compétitions et dans quelle mesure peuvent-elles favoriser la promotion des jeunes ?
Au LOSC, nous avons eu ce genre de conversations et je trouvais intéressant l’idée d’une formule avec les équipes professionnelles de la région, comme Valenciennes, Lens, Amiens, Boulogne, Dunkerque, voire un peu au-delà. Je suis favorable à un championnat des réserves professionnelles U21 par exemple, voire U23 avec une limite de joueurs plus âgés par exemple. Au Portugal ce système existe, avec tous les matchs retransmis, ce qui offre beaucoup de visibilité, avec à un échelon supérieur, par exemple, la réserve du Benfica Lisbonne qui évolue dans le championnat très compliqué de Ligue 2. Aussi les meilleurs joueurs du moment évoluent en équipe B, où il n’est pas rare de voir des joueurs de 16 ou 17 ans, et ceux qui ont encore besoin de temps évoluent avec les U21 ou U19.
En France, j’ai vécu l’expérience avec la réserve du LOSC en National 3, où les équipes sont souvent très différentes, avec des joueurs qui approchent souvent la trentaine, sur des terrains parfois compliqués et qui proposent un jeu où il s’agit surtout de ne pas perdre, où les matchs sont souvent fermés. De plus l’idée de jouer contre des amateurs, même si ce n’est pas justifié, n’enthousiasme pas vraiment les joueurs, d’autant que c’est difficile. De plus, au LOSC, le fait de jouer à domicile dans de très bonnes conditions, est très différent que de jouer à l’extérieur.
En ce moment, je travaille sur un projet avec le Congo, afin d’intégrer 8 joueurs de moins de 21 ans, dans une équipe au Portugal, qui évolue à un niveau équivalent de la Nationale 3, afin de leur faire vivre une première expérience en Europe. Cette première expérience peut vraiment être positive et renforce ma conviction qu’un joueur à partir de 17 ans, doit être préparé à jouer avec les séniors. Je suis convaincu, qu’en France, un match entre deux clubs professionnels U21 serait plus enrichissant pour les deux clubs, que de nombreux matchs dans les championnats nationaux.
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